Chapitre 4 - Où elle est jalousée ✓

C'est autant un mal de dos carabiné que l'alarme de son téléphone qui réveille Shiloh lundi matin.

Tout son dimanche a été passé à enquêter depuis son bureau au commissariat, ce qui fait partie des choses qu'elle aime le moins dans son boulot. Appels téléphoniques, visionnage des rushs des caméras de surveillance et vérification de nombreux alibis.

Très doucement, elle avance le bras droit vers l'appareil qui ne se tait pas, tachant de ne pas déranger la boule de poils endormie tout contre son bras gauche. Le membre, qui empêche Savane de tomber dans le vide, est envahi de fourmis que Shiloh tente de faire passer en remuant discrètement le bout des doigts. C'est qu'elle aimerait profiter de ce contact un peu plus longtemps, maintenant qu'elle est réveillée, peut-être même passer sa main dans la fourrure rousse. Mais le mouvement qu'elle fait pour éteindre l'alarme réveille le petit lagomorphe qui s'étire et saute à terre.

Espérant être enfin rentrée dans les bonnes grâces de l'animal elle l'appelle en lui tendant la main, mais Savane se contente de lui tourner le dos et de bondir dans le sens opposé. J'ai apprécié ta chaleur et ta protection cette nuit, humaine, mais sache que je t'en veux toujours, semblent dire les fesses poilues qui sautillent jusqu'à la litière.

Shiloh soupire mais ne s'attarde pas, ayant désormais l'habitude de se faire ignorer. Elle se verse un verre de jus d'orange, troque ses vêtements contre un short et un t-shirt et sort faire son jogging du matin.

Depuis son arrivée, elle a pris l'habitude de se réveiller tôt. À 5 h 30, elle sort ainsi courir pendant une heure, profitant d'avoir les routes, et même la plage, pour elle seule. Ensuite, elle se douche, avale son petit-déjeuner et a même parfois le temps, de se prendre un café à emporter sur le chemin du commissariat avant de commencer sa journée de travail dans l'allégresse et la bonne humeur.

Mais aujourd'hui, c'est un peu différent.

Elle a à peine poussé la poste de l'établissement, qu'elle surprend une jeune inspectrice qu'elle a déjà entraperçue, mais dont elle ne connaît pas l'identité, se retourner vivement dans sa direction et la foudroyer du regard. Celle-ci, le menton haut, se retourne dans un mouvement ample faisant cascader sa longue chevelure bouclée dans son dos, avant de s'éloigner, immédiatement suivie par les deux policiers à qui elle parlait la seconde avant.

Un poil décontenancée, Shiloh s'approche du guichet d'accueil et pose ses coudes dessus en se penchant vers Wyatt, le policier en fonction qui n'a rien manqué de ce qui vient de se passer.

— C'est qui, elle ? demande-t-elle avec un mouvement du menton dans la direction prise par les trois policiers.
— Berthie Smith.

Shiloh attend quelques secondes, mais comme son collègue ne semble pas prêt à lui donner plus d'informations de lui-même, elle insiste.

— Et c'est quoi son problème ?

Tout en subtilité.

L'homme la regarde, faisant mine de ne pas comprendre.

— Aucun. À ma connaissance, en tout cas.
— Wyatt... Shiloh roule des yeux avant d'ajouter, un ton plus bas : t'as vu le regard qu'elle m'a lancé ? Et cette démarche... On aurait dit une pompon-girl outrée de s'être fait voler la première danse au bras du capitaine de l'équipe de foot. C'est ridicule.

Wyatt sourit, amusé, et des fossettes creusent ses joues constellées de taches de rousseur.

— C'est un peu ce que tu as fait.
— De quoi ?

Shiloh fronce les sourcils, c'est à son tour de ne pas comprendre et, elle, ne fait pas semblant.
Wyatt s'appuie aussi sur le guichet, face à elle. Leurs visages ne sont plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, et si leurs pupilles étaient plus dilatées et leurs joues plus roses, ils ressembleraient à deux adolescents sur le point de s'embrasser pour la première fois. Mais Wyatt formule sa pensée à mi-voix, chuchotant pour ne pas être entendu si quelqu'un passe auprès d'eux, et ils se transforment d'un coup en comploteurs.

— Tu viens d'arriver mais Grant te laisse t'occuper de cette affaire. Ce serait déjà énorme de base, mais là, il s'agit d'un meurtre, et bizarre en plus.

Shiloh veut protester mais il l'en empêche en levant un doigt devant son visage.

— Et comme si ça ne suffisait pas, ça concerne un groupe célèbre. Tu les as rencontrés, tu vas les côtoyer pendant des semaines, tu vas même assister à leurs prochains concerts... Mets-toi à sa place. Elle est jalouse.

Il baisse la main, signifiant qu'il a dit ce qu'il avait à dire, et Shiloh s'emporte.

— Mais... Mais j'y suis pour rien si c'est moi qui étais en patrouille quand c'est arrivé ! Et puis moi aussi, je suis flic et j'ai le droit d'enquêter... Et... Et Grant, il ne m'aurait pas laissé l'affaire s'il pensait que -

— Je sais, l'interrompt l'homme, je sais. Et je suis très content pour toi. Vraiment. Mais il va y avoir des jaloux, c'est obligé.

Shiloh le regarde d'un air si malheureux qu'il s'en veut soudain de lui avoir dit la vérité. Il aurait peut-être dû inventer une excuse quelconque ? Mais des flics qui n'aiment pas voir Shiloh à la tête d'une enquête aussi importante alors qu'elle vient juste d'arriver dans la maison, il en a repéré plus d'un, et il vaut certainement mieux qu'elle sache qu'elle ne peut pas compter sur tout le monde.
Dans un geste amical, il lui tapote alors l'épaule et, raccrochant le sourire qui ne le quitte presque jamais, il l'encourage.

— Enfin, t'as beaucoup de route à faire si je ne me trompe pas. Ce soir, tu vas les voir à Bristol, non ? Quelqu'un t'accompagne ?
— Je, euh, je sais pas encore. Je dois voir Grant avant de partir.
— Alors vas-y. Je suis sûr qu'il t'attend.


Dans le bureau, Shiloh trouve son supérieur absorbé dans un dossier qui lui donne du fil à retordre si elle se fie aux rides sur son front qui s'élèvent et s'abaissent au rythme de sa lecture.
Quand il la voit debout dans l'encadrement de la porte, il referme la chemise brune et la repousse à l'extrémité du bureau alors qu'il invite la jeune inspectrice à s'asseoir.

— Shiloh ! Entre.

D'un tiroir à sa droite, il sort un dossier assez mince qu'il tend à sa subalterne.
— J'ai vu ton rapport et j'ai envoyé Dustin interroger certains des témoins hier, il en a encore à voir aujourd'hui mais voilà déjà ce qu'il en a tiré. Pas grand-chose, si on veut être honnête, mais peut-être qu'un détail te semblera pertinent. Prends-le avec toi et parcours le ce soir.

— Merci. Euh, Grant ? Je croyais que j'étais seule sur cette enquête ? Ce n'est plus le cas ?

Il lui adresse un sourire complice et croise les mains devant lui, sur le bureau.

— Je ne laisse jamais un de mes agents totalement seul, surtout sur une affaire comme celle-là. Bon, je ne te cache pas qu'il se passe un peu trop de choses bizarres en ville à mon goût pour le moment, mais ce n'est pas pour autant que je laisserais une jeune recrue se débrouiller seule. Ce que je t'ai dit samedi a pu te porter à croire que ce serait le cas, je m'en excuse. Cela dit, je vais quand même devoir t'envoyer seule à Bristol. Du moins, si tu estimes toujours que ça pourra t'apporter quelque chose...

— Oui, oui. Je veux toujours y aller, s'empresse de répondre Shiloh. Je pense qu'il sera plus facile d'obtenir quelque chose des roadies en étant proche d'eux.

Mal assurée, elle gigote sur sa chaise. Ce qu'elle veut demander est un peu osé, mais si elle n'essaye pas, elle le regrettera, alors elle se lance.

— En fait, ils jouent à Édimbourg après-demain et je pense qu'il ne serait pas inutile de les y accompagner aussi.

Grant Dunn la sonde de ses yeux perçants, le menton posé dans la main, le corps penché en avant, vers elle.

— Ça va te faire beaucoup de route. Et tu seras absente plusieurs jours. Tu es sûre que ce sera utile ?

Shiloh détourne le regard un instant. Non, elle n'en est pas sûre, et si elle veut être honnête, la raison principale de cette demande, c'est son envie de voir le concert et de côtoyer le groupe un peu plus longtemps. Mais malgré tout, il y a une partie d'elle qui pense que ça pourrait être utile à l'enquête. Avec l'air le plus assuré qu'elle puisse prendre, elle reporte donc son attention sur Grant.

— Non, je n'en suis pas sûre. Je n'ai encore aucune certitude quant à cette enquête, mais j'ai beaucoup de pistes et je veux en suivre autant que possible. Je pense que le frère de la victime peu encore m'apporter des informations, tous comme les photos que j'ai apportées avant-hier. Il faut trouver qui sont tous ces gens et les interroger. Mais toutes ces personnes seront encore là dans une semaine et demie, alors que la tournée, elle, sera terminée. Je n'aurai plus l'occasion de voir le groupe et l'équipe au complet après ça, or, je veux les voir interagir entre eux. Si c'est une des personnes qu'on a interrogée vendredi, je veux la voir avec ses collègues. Je veux être là s'il y a un dérapage, si quelqu'un sait trop de choses.
Alors, non, je ne sais pas si ce sera payant de les accompagner jusque-là, mais, ce que je sais, c'est que si je n'y vais pas, je me poserai toujours la question « est ce que j'aurais attrapé le meurtrier plus vite si je les avais accompagnés »

Durant un instant, Grant a bien cru qu'elle allait se rétracter, mais après quelques secondes de réflexions, elle a repris confiance en elle et en ses méthodes. Il apprécie ça. Il aime sentir que ses inspecteurs sont assez confiants pour tenter des choses, pour aller au bout de leurs intuitions. Et en même temps, Shiloh est encore très jeune et pas très expérimentée, et il craint que cette confiance en elle s'apparente davantage à de l'arrogance et que cela la desserve. Malgré tout, lui aussi pense qu'il y a des choses à apprendre au contact de ces gens qui ont travaillé et vécu avec la victime pendant des mois. Se priver de l'opportunité de pouvoir les observer ensemble serait idiot.

— Tu as l'air d'y avoir bien réfléchi, et je ne vois pas de raison de m'y opposer, souffle-t-il. Il y a un train qui part à 10 h 17 pour Bristol. Tu le prendras. Une fois sur place, tu passeras au commissariat, ils te donneront la clef d'un appartement mis à disposition de la police, tu pourras y passer la nuit. Je ne peux pas t'assigner de coéquipier, malheureusement, tout le monde a beaucoup trop de travail. Du coup, on reste en contact régulier, c'est bien compris ? Bon, maintenant du balai. J'ai des coups de fil à passer pour te trouver un logement à Édimbourg et pour m'assurer que Barlow accepte de t'emmener avec son équipe jusque-là.

En un bond, Shiloh est debout. Faire le trajet Bristol-Édimbourg avec le groupe ? C'est plus que ce qu'elle n'osait espérer.
Il lui reste une heure et demie avant de prendre son train, alors elle s'assied à son bureau avec ses notes de la veille et celles que Dunn vient de lui transmettre. Elle passe aussi un coup de fil à l'équipe informatique, mais apprend à sa grande déception, qu'ils n'ont pas encore attaqué l'ordinateur de Victoria.


Avant de partir chercher son sac de voyage qui l'attend dans la voiture, Shiloh repasse par l'accueil et attend 10 minutes que Wyatt aie terminé de renseigner une femme dans la soixantaine qui est venue porter plainte contre son voisin exhibitionniste. Quand la petite dame rejoint enfin l'une des chaises de la salle d'attente dans l'expectative de voir bientôt un agent venir la chercher pour s'occuper de son cas, Shiloh bondit sur son collègue.

— J'ai un truc à te demander. C'est très important et même si on ne se connaît pas depuis longtemps, j'ai vraiment besoin que tu dises oui.
— Euh, dis toujours, répond le policier, surpris par la brusquerie de la demande.
— Tiens.

Elle lui tend un double de ses clefs.

— Euh, Shiloh, je-
— Prends, insiste-t-elle en les lui mettant de force dans la main. C'est la clef de chez moi. Je pars pour au moins trois jours, mais j'ai un lapin et je te serais à tout jamais reconnaissante si tu pouvais passer ses prochains soirs chez moi pour la nourrir, vérifier qu'elle a toujours de l'eau et nettoyer sa litière si nécessaire.

— Oh ! C'est ça... souffle-t-il, soulagé. Oui, bien sûr, je passerais.
Shiloh lui attrape les mains et les serre brièvement dans les siennes.
— Merci. Merci infiniment. Ses croquettes sont dans l'armoire sous l'évier et ses légumes au frigo. J'ai laissé une note avec plus d'informations sur le comptoir et un peu d'argent, au cas où je resterais absente plus longtemps et qu'il faudrait racheter des légumes. Merci encore, Wyatt, tu me sauves.

Sur ce, elle le quitte et part au trot jusqu'à la voiture. Elle y récupère son sac, retourne au poste pour rendre les clefs, son véhicule étant également la voiture de patrouille de Dustin, et fonce à la gare acheter son billet.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top