Le lendemain, les filles se lèvent tôt, dispersent les résidus du feu et se mettent en route, sac sur le dos.

Revenir à la voiture leur prend presque toute la journée et laisse le temps à Shiloh d'expliquer dans le détail la dernière partie de son plan aux chasseuses. Plan qui leur demande de se rendre sur les côtes du Dorset, un endroit que connaît bien la policière qui a vécu non loin de là plusieurs années, avant de déménager à Tregarta.

Le chemin pour y arriver leur apporte aussi des nouvelles du vampire londonien contacté par Brianna. Celui-ci leur annonce avoir trouvé un confrère prêt à prendre Aaron en charge pour tenter de le désintoxiquer du sang humain. L'entreprise a peu de chances de fonctionner, mais ça, Brie se garde de le répéter à Shiloh.

Rendez-vous est pris pour le lendemain dans la soirée dans un lieu choisi par les chasseuses pour la remise de l'adolescent.
Shiloh regrette de ne pas pouvoir le revoir avant, mais accepte, consciente que dans son état, il n'aurait de toutes façons pas eu envie de communiquer avec elle.

— T'es sûre de vouloir continuer seule ? s'inquiète Brianna en la déposant dans un parking d'où part un chemin de randonnée devant l'emmener jusqu'à un coin assez reculé sur la côte.
— Ouais. J'aurais du mal à expliquer vos blessures, ou même votre présence. Merci pour tout. Pour ça... pour Aaron.

Les adieux sont brefs et en quelques minutes, Shiloh se retrouve seule à contempler les feux arrières de la jeep qui disparaît dans le lointain.

Elle a laissé ses vêtements les plus sales dans le véhicule, non-désireuse d'avoir à expliquer leur état à ses collègues quand ils la rejoindront. Mais il fait trop froid pour se promener sans veste, surtout au sommet d'une falaise aussi venteuse. Les sous-pulls donnés par Siobban lui évitent de grelotter, mais elle est quand même contente de se mettre en route pour le réchauffer.

Après deux heures de trajet en voiture, une de plus à randonner et alors qu'une nouvelle nuit commence à tomber, elle arrive enfin au bord du précipice, là où la dernière scène va se jouer, et elle se lance dans un sprint le long du chemin de terre longeant la falaise.

Malgré son excellente condition physique, sa fatigue et ses blessures lui permettent rapidement d'obtenir l'effet essoufflé désiré. Elle décroche alors son portable et compose le numéro de la police.

— Central ? Ici Delauney de Tregarta. J'ai trouvé Carmen Evans. Elle a fui vers la côte Jurassique. J'ai besoin de renforts.
— Ne coupez pas, Delauney, lui répond la voix de l'opératrice, le temps que je vous localise.
— Oh merde !

Lâchant le téléphone qui tombe en douceur sur le sol en mousse, Shiloh imite des bruits de bataille et crie après un assaillant invisible. Pour ajouter plus d'action, elle se met à piétiner le sol juste à côté de l'appareil dans lequel l'opératrice s'est, elle aussi, mise à crier. Après plusieurs minutes de silence, enfin, elle récupère son téléphone, hors d'haleine.

— Central ? Central, vous êtes encore là ?
— Delauney ! Vous allez bien ? Une équipe a été envoyée sur place, elle devrait arriver d'ici une demi-heure.
— Envoyez aussi une ambulance, et, heu... un hélico ? Evans est tombée de la falaise.

En attendant les secours, Shiloh sort les vêtements de Carmen de son sac. Sa veste, ses chaussures et son portefeuille. Tout ce qu'il reste de cette affreuse créature. S'approchant autant que possible du bord de la falaise, elle lance les chaussures de toutes ses forces, priant pour qu'un coup de vent ne les renvoie pas dans sa direction et les coince sur une irrégularité de la falaise.

Le portefeuille subit le même sort, mais la veste est d'abord lestée d'une grosse pierre, le risque qu'elle s'envole et aille s'enrouler autour de n'importe quoi étant plus élevé que pour les autres objets.

Elle sait qu'il est peu probable qu'un de ces objets soit retrouvé par les chercheurs en mer, mais que si c'est le cas, ça renforcera la présomption de la justice et du peuple à penser que Carmen s'est bien noyée. Et c'est au fond, le seul but de toute la manœuvre, permettre à toutes et tous de se sentir en sécurité bien que la vampire de Tregarta se soit évadée.

L'attente est aussi longue qu'elle l'avait craint, bien plus que la demi-heure promise par la standardiste, et il est près de vingt heures quand les premiers renforts arrivent sur place.

Enroulée dans une couverture de survie, elle leur explique la traque de ces trois derniers jours, la course-poursuite, l'attaque, ou plutôt les attaques, de Carmen qui se prenait véritablement pour un vampire et qui lui a causé ces blessures absurdes au cou. Elle enchaîne avec le dernier combat, la fuite de la femme réalisant peut-être qu'elle n'avait pas les pouvoirs qu'elle fantasmait, et sa chute.

Tout est faux, chacun de ses mots, toutes ses explications. Et au vu du temps passé à attendre toujours plus de renforts, Shiloh a maintes fois l'occasion de se demander si elle a pris la bonne décision, si tous ces bobards sont ce qu'il convenait de raconter, si les décisions prises au cours des dernières heures étaient bel et bien celles qu'il convenait de prendre.

— Elle est peut-être encore en vie, tente-t-elle auprès du quatrième policier à lui demander de répéter son histoire, mais j'en doute. Il y a plus de cent mètres de falaise ici, et des rochers à l'arrivée.

Dans le doute, un hélicoptère est envoyé sur place où il passe trois heures à sonder la côte sans trouver trace de la disparue, alors que Shiloh est envoyée à l'hôpital le plus proche pour soigner ses blessures et la commotion cérébrale qu'on lui découvre sur place.

Dès le lendemain, elle signe, en plus de sa déposition aux autorités locales, une attestation pour quitter l'hôpital au plus tôt, et ce contre l'avis des médecins, et à 18 h, elle est de retour chez elle où l'attendent Elijah, Jed, Wyatt et Savane.

— Tes cheveux...

Elijah lui sourit et la prend dans ses bras, heureux de la retrouver.

— Aaron est parti, lui annonce-t-il, et il la sent resserrer son étreinte alors qu'elle hoche la tête, incapable de prononcer un mot.
— Siobban et Brianna aussi, complète Jared en essuyant de son pouce une larme imaginaire sur sa joue, elles ont fermé la boulangerie pour quelques semaines.
— Tu as beaucoup de choses à nous raconter, je crois, conclu Wyatt en délogeant Savane de ses genoux et en l'invitant à s'asseoir dans le large divan.

Shiloh approuve du chef et se laisse tomber dans le confort moelleux du canapé. Fermant les yeux elle inspire avec lenteur, se délectant des odeurs familières qui l'envahissent en essayant de chasser l'image de l'adolescent de sa tête.

— J'ai envie d'un bain, j'ai besoin de dormir...
— Bien sûr, bondit Wyatt, aux petits soins. Tu nous raconteras plus tard.

Il se relève du fauteuil dans lequel il vient seulement de poser les fesses, prêt à aller lui faire couler un bain chaud, mais Shiloh le rattrape par le poignet avant qu'il n'ait le temps de s'éclipser.

— Mais j'ai encore plus besoin de vous.

Vers 21 h, la sonnerie de la porte d'entrée retentit et Grant se joint à eux, prêt à apporter son lot de nouvelles informations.

À peine s'est-il installé avec eux autour de la table basse, que Savane quitte les genoux de Wyatt pour venir se blottir contre sa cuisse, ignorant toujours Shiloh à la perfection.

Dunn leur apprend ainsi que Robert Gwynfor aurait dû être jugé pour complicité et rétentions de preuves, mais qu'un vice de procédure a pu être établi dans son dossier et qu'il devrait en conséquent quitter la prison totalement libre d'ici peu.

Est-ce surprenant ? Pas vraiment, d'après lui. Car si pour le commun des mortels l'histoire s'est déroulée comme Shiloh et Grant l'ont raconté, pour quelques personnes haut placées, il n'en va pas tout à fait de même.

La soirée se prolonge encore un moment, puis tout le monde quitte petit à petit la maison, ne laissant plus que Shiloh et Elijah seuls autour de la table basse remplie de verres vides et de cartons de pizzas. Quand l'homme se lève à son tour, il lui propose d'aller lui faire couler un bain et Shiloh accepte, mais avant qu'il ne disparaisse dans les escaliers, elle l'interpelle.

— Dors avec moi cette nuit.

Est-ce la fatigue, les émotions fortes ressenties ces trois derniers jours ou encore le fait d'être passée si près de la mort, mais sa voix ne tremble pas et son regard ne se dérobe pas face aux doux yeux bleus qui la dévisagent.

Les bras croisés sur le dossier du divan sur lequel elle s'est agenouillée, elle attend. Elle ne veut pas spécialement coucher avec lui, elle n'est pas en état de le faire de toutes façons, son corps tout entier lui fait mal et ses paupières se ferment toutes seules, mais juste sentir sa chaleur, sa peau, ses bras serrés autour d'elle et dans lesquels elle aimerait se blottir jusqu'au matin.

Le chanteur, lui, hésite un instant, baisse les yeux et bégaie en répondant.

— Shiloh, je... je vais déménager.

Elle encaisse le coup avec difficulté, déglutit et s'extrait du canapé avec difficulté.

— Je... j'ai fait quelque chose ?
— Non ! Non, bien sûr que non.

Elijah cherche ses mots, une façon de s'expliquer, puis fini par choisir le moyen le plus simple et il déballe la réalité de ce qu'il a appris pendant son absence.

— Swann demande le divorce. Il va y avoir une enquête et je peux pas rester ici tant qu'elle n'est pas passée. Je n'ai aucune raison financière de chercher une coloc et j'ai peur de perdre mes gamins si on en déduit que j'ai quitté ma femme pour toi. Je suis désolé.

C'est raisonnable comme excuse, mais ça n'en fait pas moins mal. Shiloh a l'impression qu'elle va pleurer, c'est pile ce qu'elle craignait.

— Non, c'est OK, je comprends. Tu... tu vas faire quoi ? Tu vas aller où ?
— Je pensais louer un appartement en ville, mais vu que Carmen est morte et que tout est à peu près rentré dans l'ordre, je crois que je vais m'installer à Londres un moment. Jed m'accompagnera, on en profitera pour écrire.

Ça fait beaucoup d'informations à digérer d'un coup, mais Shiloh fait bonne figure. Elle souhaite le meilleur à Elijah, se force à sourire et refuse finalement le bain qu'il lui a proposé, préférant se mettre au lit au plus vite.

***

Les gens,

Mercredi, vous découvrirez enfin le dernier chapitre de DK.

C'est... vraiment chaud. J'ai pas du tout envie que ça s'arrête.

Mais la bonne nouvelle, c'est que j'ai le plot du tome 2 ! Mon synopsis est quasi prêt et j'ai hâte de m'y atteler. Il est très possible qu'il passe en priorité parmi les nombreuses histoires qui attendent leur tour actuellement.

C'est pas juste pour celles-ci, mais ça fera moins de temps à attendre pour vous avant de retrouver Shiloh et les autres.

J'espère que ça vous met en joie autant que moi ^^