Chapitre 22 - Où il est victime d'un imprévu ✓

Jared avait prévu d'être présent au moment où Elijah sortirait de l'hôpital, mais un contretemps parfaitement imprévisible l'a contraint à renoncer à ses plans.

Deux jours plus tôt.

Les garçons sont quasi-certains que la femme qui a agressé Elijah est celle que les journaux appellent Le Vampire de Tregarta. Ce dont il se souvient, l'absence de nouvelle agression cette nuit et puis ces marques dans son cou, la présence d'ambre dan son parfum, tout colle.

Surexcités, ils contactent alors Shiloh et la harcèlent de question.
Si elle ne souhaitait tout d'abord rien dévoiler par téléphone, leur insistance et son état de somnolence, la pousse, au bout de trop longues minutes, à confirmer leur théorie.

Elle est épuisée, voudrait dormir un peu en attendant Wyatt et se sent toujours mal après ce qui s'est passé plus tôt.
Malgré tout, elle reste ferme sur certains points et refuse de leur expliquer ce qui est arrivé après le départ d'Elijah pur l'hôpital. Il sera toujours bien temps qu'ils l'apprennent quand elle ne pourra faire autrement que de les mettre au courant.

À peine ont-ils raccroché, qu'une infirmière vient leur rappeler que les visites sont terminées depuis un moment, déjà, et Jed quitte alors l'hôpital en promettant qu'il reviendra le soir même.

— Pas la peine, je sors demain matin. On se verra à ce moment-là.

Elijah a dit ça sans arrière-pensée, pour ne pas que Jared se dérange pour une petite heure, mais celui-ci en a été blessé. Ça ne le dérange pas de se déplacer pour Elijah, ça ne l'a jamais dérangé, mais là, il n'ose pas insister. Peut-être que son ami est plus fatigué qu'il ne le prétend et qu'il veut juste être seul pour se reposer ?

Quoi qu'il en soit, il passe, au final, le reste de la journée à traîner en ville, prenant même quelques photos avec des fans après avoir été reconnu par un groupe d'étudiants.

À peine est-il rentré à l'hôtel, que la faim se fait ressentir et il n'y reste même pas dix minutes, juste le temps de glisser un carnet et quelques crayons dans la vieille besace qu'il trimballe depuis l'école, avant de sortir en quête d'un pub sympa où passer la soirée.

Après quatre ans passés à Tregarta, il les connaît tous, les pubs, et sait en général avant même de mettre un pied dehors, vers lequel il souhaite se diriger en fonction de ses attentes. Mais ce soir, l'indécision le fait tournoyer longuement avant qu'une enseigne verte et orange promettant les meilleurs falafels de la région ne le décide à se poser.

Attablé non loin du comptoir, à une table faite de bois de palette recyclé, entourée de poufs colorés assez confortables pour que les clients ne s'en plaignent pas, sitôt leur délicat postérieur posé dessus, mais pas assez pour leur donner envie de s'attarder plus que le temps nécessaire à l'ingestion de leurs boulettes de pois-chiche, il se met à griffonner en attendant que le serveur face tinter la clochette en criant son nom. Ainsi courbé sur son carnet, il ne remarque pas les deux femmes qui ont pris place à la table voisine, pas plus qu'elles-mêmes ne font attention à lui.

Celle qui lui tourne le dos semble furieuse. Sa voix résonne fort dans le petit restaurant encore peu peuplé et Jed trouve rapidement ses jérémiades lassantes, mais son timbre ne lui étant pas inconnu, il lui glisse deux-trois coups d'œil sans jamais parvenir à entrapercevoir son visage.

Ce n'est que quand elle ravale un sanglot profond en expliquant la raison de son énervement qu'il la reconnaît enfin.

— Je les ai vus... collés l'un à l'autre... Il la bouffait des yeux et elle lui caressait la joue en minaudant... Oh, comme tu es beau, Elijah, imite-t-elle en prenant une voix de fausset. Cette pute de flic.

Enfouissant son visage dans ses mains, Swann ne remarque pas Jed se précipiter dehors, son carnet à la main, sa besace à l'épaule et son blouson sous le bras, oubliant jusqu'à l'existence des falafels en train d'être sortis de l'huile bouillante.


Alors Elijah a succombé aux charmes loin d'être inexistants quoi qu'elle n'en surjoue pas, de la jeune inspectrice. Quoi de plus normal après tout ? Ils vivent déjà ensemble et se sont beaucoup rapprochés au cours des derniers mois.

Ah, quelle chienne de vie.

Mais plus important encore, qu'attend Elijah pour le lui annoncer ? Est-ce qu'il a peur de sa réaction ? Est-ce qu'il se sent coupable ?

À force de traîner dans les rues sans but précis, à ressasser ces questions et d'autres sans leur trouver de réponses satisfaisantes, Jared s'est éloigné des quartiers animés, et quand il relève la tête, c'est pour découvrir que ses pas l'ont mené jusqu'à une boite à la réputation peu reluisante.

Un bref instant, il envisage de faire demi-tour et de rentrer à l'hôtel, mais bien vite les sirènes de la débauche, en la personne de deux filles vêtues de mini-jupes et de tops minimalistes malgré la température négative, lui font revoir ses plans.

Quelques minutes plus tard, il est affalé dans un divan usé jusqu'à la corde, la langue d'une des fille, qu'il peine à distinguer de sa copine, au fond du gosier, une bouteille de vodka dans une main et un joint dans l'autre.

En se réveillant, Jed a terriblement mal à la tête et ne se rappelle pas d'être rentré à l'hôtel. Pourtant, il est bien dans son lit et, mieux, il y est seul. Ce n'est pas la première fois que ça lui arrive, de ne pas se rappeler comment il est rentré, mais s'il rate la sortie d'Elijah, il sait qu'il va s'en vouloir.

Vaseux, il s'assied sur le bord du lit. Son téléphone ne se trouve pas sur la petite table qui y est accolée, aussi ramasse-t-il son jean qu'il a abandonné par terre et en vérifie les poches.

Le téléphone s'y trouve bien, mais l'heure qu'il y découvre le liquéfie.
15 h 06.
Il a raté Elijah.

Dépité, dégoûté de lui-même, il se laisse retomber sur le matelas. L'alcool dans son crâne, la coke dans ses veines et la trahison qui imprègne une fois encore ses papilles, son cœur, son être tout entier, le font sombrer dans un sommeil rempli de cauchemars, de monstres et d'abandons.

Quand il se réveille à nouveau, il est presque 20 h et l'abîme dans son ventre le force à se lever. Le mal de crâne est passé, la déception est restée, et c'est enroulé dans son peignoir bleu crasseux, qu'il se rend au bar de l'hôtel où il se commande un plat du jour qu'il avale sans y penser, installé sur le divan élimé faisant face à la cheminée.


À son réveil, le dimanche matin, il se sent déjà plus frais et, souhaitant mettre les choses au clair avec Elijah, il appelle celui-ci.

Après deux sonneries, l'homme décroche et Jed attaque tout de go de sa voix traînante.

— Eli ? T'es chez toi ?

Mais depuis quand « chez Shiloh » est-il devenu « chez toi » ? se lamente-t-il en laissant échapper un grognement qui échappe à son interlocuteur.

— En fait, non, hésite celui-ci en baillant.
— T'es où ? Je dois te parler.
— Ben...

Elijah n'avait pas prévu de faire venir Jed chez Aaron, mais il ne peut pas non plus sortir en laissant l'adolescent seul, et il est hors de question de cacher ce qui se passe à son ami, alors il lui donne l'adresse et le fait entrer dans l'appartement moins d'une heure plus tard.

Le garçon est toujours ligoté sur sa chaise, à moitié drogué par les tranquillisants de Grant qu'il faut lui ré-administrer toutes les cinq heures.

Sur la table basse devant lui, un verre d'eau avec une paille et une soupe plus très chaude, avec une paille aussi.

À la vue de ce spectacle, Jed fronce les sourcils et ouvre la bouche longtemps avant d'enfin parler d'une voix mal assurée.

— Euh, Eli ? Tu, euh... m'expliquerais pas ?

Dans un soupir, l'homme lui désigne un fauteuil.

— Assieds-toi, ça risque d'être un peu long. Mais pour commencer : je n'ai pas kidnappé cet enfant !
— Ça ne m'a même pas traversé l'esprit, se défend Jed en levant les mains devant lui.

Une fois mis au courant des aventures de la veille et ses questions en rapport aux dhampirs posées, Jed reste silencieux de longues secondes, le regard perdu dans le vague.

— Tu vas bien ? s'inquiète Elijah qui pensait le trouver plus intéressé par la situation

Mais non, Jared ne va pas bien. Il aurait dû être présent à ses côtés pour vivre ça, si seulement il s'était réveillé à temps pour aller l'accueillir au lieu de cuver ses excès. Une histoire aussi incroyable, ils auraient dû l'expérimenter ensemble. Ah, s'il n'avait jamais entendu parler de cette aventure avec Shiloh.

Mais si ce n'était que ça, justement, une aventure, une passade ? Ça expliquerait peut-être pourquoi Elijah ne lui en a pas touché un mot. Peut-être qu'il reste un espoir, au fond.

— Tu voulais me parler, se souvient l'homme qui a posé une main sur son genou, tachant de capter son attention.
— Non, enfin oui, mais ça peut attendre, élude-t-il en secouant la tête. On devrait éviter de parler de choses personnelles en sa présence.

Il désigne Aaron du menton. Le garçon est somnolent et porte toujours le casque anti-bruit sur les oreilles ainsi qu'un masque de nuit sur les yeux.

Elijah fronce les sourcils, soucieux, se demandant quelle peut bien être cette chose dont ils ne peuvent pas parler en sa présence, et ce, malgré son état. Mais Jed ne semble pas décidé à le regarder dans les yeux et ne le remarque pas, trop absorbé par ses pensées alors qu'il décide qu'il n'abordera pas le sujet du tout si Elijah ne se décide pas à le faire en premier.

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