Chapitre 13 - Où ils lui découvrent un autre visage ✓

Il est 10 h 15, le lendemain, un samedi, quand Shiloh et Elijah se retrouvent devant chez Aaron, à appuyer frénétiquement sur la sonnette du sas d'entrée. Au bout de cinq minutes, la voix de l'adolescent se fait enfin entendre dans le répondeur. Endormie et irritée.

— Quoi ?
— C'est Shiloh Delauney.

Un silence de quelques secondes s'éternise durant lequel Shiloh craint de se voir refuser l'entrée.

— Montez, finit-il par lâcher alors que la porte se déverrouille dans un grésillement caractéristique.

Quand ils arrivent sur la terrasse, l'adolescent les attend dans l'entrebâillement de la porte.

— Vous n'avez pas dit que vous étiez accompagnée, accuse-t-il.
— C'est vrai, excuse moi. Je te présente Elijah Eilacin, il m'aide dans l'enquête. Elijah est-
— Je sais qui il est, l'interrompt Aaron qui n'a pas lâché le chanteur des yeux depuis qu'il est arrivé. Pourquoi l'avoir choisi, lui ? Il ne fait pas partie des suspects ?
— Non, répond-elle d'une voix claire. Son alibi est en béton et j'ai une totale confiance en lui. Sinon, je ne l'aurai pas amené avec moi.

Elijah suppose qu'elle ne lui dit ça que pour endormir ses soupçons, alors que Shiloh se rend compte, au moment où elle prononce ces paroles, qu'elle en pense chaque mot. Et ce, depuis le premier jour.

L'adolescent parcourt leurs traits d'un œil suspicieux, mais fini par s'effacer pour les laisser entrer. Il les invite à s'asseoir dans les fauteuils alors qu'il s'installe lui-même dans le divan avant d'y étendre les jambes.

— Je suppose que vous ne venez pas me demander comment se passe le boulot au bar, attaque-t-il d'emblée.

Shiloh sourit devant l'air important qu'il se donne alors que tout son être transpire la maladresse de son âge. En l'observant, elle lui trouve les traits un peu moins fins que lors de leur première rencontre. Ses yeux se sont durcis, sa mâchoire semble moins anguleuse. Bien sûr, pense-t-elle, il est en pleine puberté, il est normal qu'il change physiquement. Et puis avec ce qu'il a vécu dernièrement et ses nouvelles responsabilités, il n'y a rien d'étrange à ce qu'il paraisse un peu différent.

— Je comptais venir prendre de tes nouvelles bientôt, mais tu as raison, nous sommes là pour autre chose.

Il ne dit rien, se contente de soutenir son regard.

— J'ai appris que tu étais ami avec Jarvis Barlow, continue-t-elle. Tu pourrais m'en dire plus ?
— Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
— Tout ce que tu peux m'en dire. Comment vous vous êtes rencontré, et où. S'il connaissait ta sœur. Les endroits que vous fréquentez quand vous êtes ensemble. Vos amis en commun. Est-ce que tu as remarqué quelque chose de bizarre, dernièrement, chez lui ou dans son entourage. Tout.

Aaron fronce les sourcils, pas très emballé à l'idée de raconter des choses qu'il estime personnelles devant une flic, même si elle s'est montrée gentille avec lui depuis le début, et un mec que sa sœur à essayé infructueusement de mettre dans son lit. Car, oui, bien sûr qu'il était eu courant de l'identité de ses nouvelles proies quand elle partait en chasse. Et cet homme est l'un de ses très rares échecs.

— Il a été agressé, tu es au courant ? l'encourage-t-elle.
— Bien sûr... il soupire, ramène ses genoux contre son torse.

Sans pouvoir se l'expliquer, il se sent responsable de cette agression, et ça le perturbe. Alors il commence à parler.

— On s'est rencontré il y a trois mois, à peu prés. J'avais repéré qu'il suivait ma sœur, alors un soir, dans une soirée où on aurait pas dû se trouver, ni l'un ni l'autre, je l'ai abordé. On a discuté un peu, le courant est super bien passé, je lui ai dit que j'étais nouveau en ville et que je connaissais encore personne, alors on a échangé nos numéros. Après ça, on s'est revu deux-trois fois et ça me gonflait de pas savoir ce qu'il voulait à a sœur, parce qu'on était vraiment en train de devenir amis. Alors, un soir, j'ai fait une allusion à Vic. Assez innocente pour que ça veuille rien dire face à quelqu'un d'autre, mais assez évidente pour que lui comprenne qui était ma sœur.
À ce moment-là, il m'a tout déballé. Qu'il la suivait pour prouver que son père trompait sa mère, qu'il détestait son vieux, mais qu'il avait rien contre elle, au contraire, il avait même de la peine pour elle, tout ça. Pour qu'on soit à égalité, je lui ai avoué que j'avais remarqué qu'il la suivait et que c'était pour ça que j'étais venu vers lui. J'avais peur qu'on ait tout gâché... Mais c'est le contraire, après ça, on est devenu encore plus proche. C'était cool.

Pendant qu'Aaron parle, les yeux rivés au tapis tressé au centre de la pièce, Shiloh prend des notes. Voyant que le garçon ne continue pas de lui-même, elle le relance.

— Et ensuite ? Il est venu ici ? Il a rencontré ta sœur ?
— Oh, oui. On passait beaucoup de temps ici. Ça nous évitait de traîner dehors sous la flotte ou de croiser ses amis. Je les aime pas trop, ajoute-t-il en croisant le regard de Shiloh où brille une question muette. Ils sont trop... je ne sais pas, snobs ? C'est des gosses de riches, avec des manières de riches, des fringues de riches et des loisirs de riches. Moi, j'ai été élevé dans une caravane...
— Mais Jarvis aussi est un gosse de riche.

Aaron secoue doucement la tête de gauche à droite.

— C'est vrai, mais... son côté gentil garçon riche avec la raie au milieu, c'est un rôle qu'il joue. En vrai, il est... beaucoup plus intéressant que ça.

— J'ai remarqué ça aussi, confirme Elijah, qui prend la parole pour la première fois. Les quelques fois où il est venu nous voir, il avait l'air d'un garçon excessivement normal qu'on aurait forcé à s'habiller avec un polo sur les épaules et des mocassins. Il faut dire aussi que Richard n'est pas exactement ce qu'on appelle un bourgeois. Il vient d'un milieu assez modeste. Je sais que sa femme aime faire comme si elle avait un nom à particule, mais ce n'est que de l'esbroufe.

Shiloh acquiesce en terminant de prendre note et se retourne vers Aaron.

— Bien. Quoi d'autre ?
— Je ne sais pas... Enfin, il y a peut-être un truc, mais... c'est idiot.
— Ça, c'est à moi d'en juger. Allez.
— Ben... quelques jours avant qu'il se fasse agresser, on sortait d'ici quand j'ai eu l'impression qu'on nous observait...

Shiloh et Elijah échangent un regard intéressé, puis elle le presse de continuer.

— Je l'ai dit à Jarvis, mais il a rigolé, il a dit que je devenais parano, et on est passé à autre chose. Seulement... j'ai eu cette impression plusieurs fois quand j'étais avec lui, et pas juste autour de l'appart'.
— Aaron, c'est une information très importante. Pourquoi n'en as-tu pas parlé à la police ? demande Shiloh en tachant de garder son sang-froid.
— Personne n'est venu me demander quoi que ce soit, de défend-il.
— Aaron ! Jarvis s'est retrouvé à l'hôpital avec de multiples fractures, s'énerve-t-elle cette fois. Tu aurais dû venir en parler de toi-même.
— J'ai pas osé. Qui croirait qu'on est amis, sérieusement ? Vu de l'extérieur, on a rien en commun.

Le garçon s'est laissé emporté et a répondu en criant. Bien vite, pourtant, il se calme avec un regard inquiet vers la porte de sa chambre. Ça n'a pas échappé à Shiloh, mais elle fait mine de n'avoir rien vu, supposant que la petite-amie de l'adolescent dort dans la pièce.

— Ok, tempère-t-elle. Est-ce que tu n'as eu cette impression que quand tu étais avec lui ?

Le garçon réprime un tic nerveux qui ne passe pourtant pas inaperçu.

— Aaron...

Son prénom prononcé avec la même voix que Shiloh utilisait pour faire avouer à sa petite sœur les bêtises qu'elle avait faites alors qu'elles étaient toutes deux enfants, et un regard un peu sombre, suffisent à faire abdiquer l'adolescent. Elle voit ses épaules s'affaisser, son menton se baisser et ses yeux se défiler.

— Au début, oui... mais... ça fait quelques jours que ça à recommencé...
— Et tu comptais m'en parler quand, au juste ? Quand toi aussi on t'aurais retrouvé à moitié mort en pleine campagne ? Est-ce que tu sais à quel point Jarvis a eu de la chance d'être trouvé aussi vite ?
— Ne criez pas, s'il vous plaît, gémit-il en coulant un nouveau regard vers la porte de la chambre.
— Quoi ? Tu as peur de réveiller ta copine ? Mais qu'elle se réveille ! On verra si elle apprécie que tu joues ainsi avec ta sécurité. D'ailleurs, c'est aussi sa vie que tu mets en danger en agissant ainsi !

Dans la chambre, quelques bruits étouffés se font entendre et Aaron saute soudain sur ses pieds, l'air plus sur de lui et mécontent.

— Vous êtes chez moi, tonne-t-il. Et je veux que vous sortiez.
— Aaron, ne sois pas-
— Sortez !

Elijah croit voir une lueur malsaine passer dans le regard de l'adolescent. Il se lève calmement et attrape Shiloh par le bras.

— Viens. Il a raison, on est chez lui.

La jeune femme aussi a vu les traits tranquilles d'Aaron changer, et c'est à peine si elle reconnaît son visage quand elle se retourne vers lui juste avant qu'il lui ferme la porte au nez.

En retournant vers la voiture, Elijah fait mine de frissonner.

— Il est effrayant ce gamin.

Shiloh ne peut lui répondre, ne comprenant pas ce qui vient de se passer. Il était si adorable les autres fois.

— Ça a forcément un rapport avec la personne dans la chambre, murmure-t-elle.
— Quoi ?
— Non, rien. Je réfléchissais tout haut..
— Bon, qu'est-ce qu'on fait, maintenant, interroge Elijah en montant en voiture.
— On planque. Il a toujours l'impression d'être suivi, c'est peut-être lui la cible, explique-t-elle face à l'air d'incompréhension qui se dessine sur les traits du détective amateur. Alors on planque dans le coin, on le surveille, et on espère que l'agresseur se montrera.

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