Chapitre 11 - Où il a une passion étrange ✓

Le lendemain, après avoir été courir une heure sur la plage, Shiloh se rend à Magnolia Road. La boulangerie est facile à trouver, quoiqu'un peu déstabilisante, avec son blason représentant un homme poilu (un loup-garou ?) criblé de flèches.

Elle commence par sonner à la porte menant à l'appartement du dessus, mais personne ne répond alors elle se décide à entrer dans la boulangerie.

Les deux femmes occupées à servir les clients ne ressemblent à aucune boulangère que Shiloh a vue dans sa vie.

La première est blonde, pas très grande, souriante et boulotte.
Oh, il lui manque aussi le bras gauche et Shiloh soupçonne son œil droit d'être une prothèse.

La seconde a tous ses membres, est grande et plutôt musclée. Elle a le crâne rasé et d'obscurs tatouages représentant des monstres sur chaque centimètre carré de peau exposé. Ses yeux lancent des éclairs et elle répond par mono-syllabes aux nombreuses questions du vieux monsieur qu'elle sert.

Les deux clients devant elle étant sur le point d'avoir fini, Shiloh décide d'attendre son tour et en profite pour jeter un œil autour d'elle.
Des affiches couvertes d'écritures fantaisistes sont encadrées et accrochées aux murs, en s'approchant de l'une d'elles, Shiloh découvre qu'elle représente une scène de chasse au Wendigo. Fronçant les sourcils, elle se tourne vers la seconde affiche : un bûcher de sorcières. Encore une : un loup-garou abattu d'une balle en argent.

À quel moment ce décorum peut-il être bénéfique pour une petite boulangerie de quartier ?

La clochette accrochée au-dessus de la porte tinte et, du coin de l'œil, Shiloh voit le vieil homme que servait la femme aux tatouages quitter la boutique.

— Et pour vous ?

Se retournant, elle voit que l'étrange boulangère la fixe de derrière le comptoir. Elle s'en approche et dégaine son badge.

— J'aimerais parler à la personne qui habite au-dessus de la boulangerie, Mr Gwynfor. Savez-vous où je pourrais le trouver ?

La femme hoche la tête, passe derrière sa collègue et soulève la planche qui sépare leur espace de travail de celui des clients.

— Venez, dit-elle en faisant signe à Shiloh de la rejoindre avant de replacer la planche.

La femme l'entraîne dans l'arrière-boutique où sont entreposés des racks remplis de croissants et d'éclairs au chocolat, de pains de campagne et de merveilleux, des sacs de farine posés à même le sol, des moules à cupcakes et à macarons.
Elle pousse une porte et entre dans une cuisine si étincelante que Shiloh doit cligner des yeux plusieurs fois avant de s'habituer à la luminosité.

— Rob, c'est pour toi.

Alors que Shiloh pensait la pièce vide, elle voit un homme de cinquante, peut-être soixante ans se redresser derrière l'énorme table en inox occupant le milieu de la pièce.

— Comment ? Ah, oui, merci Siobban, la remercie-t-il en remarquant Shiloh.

La dénommée Siobban le salue d'un signe de tête et s'en retourne à l'avant du magasin.

Tout en contournant la table en claudiquant, Robert Gwynfor s'essuie les mains sur son tablier déjà taché de nombreuses couleurs plus ou moins appétissantes.

— Inspectrice Delauney, je présume ?
— Comment... appréhende Shiloh en étrécissant les yeux.

L'homme hausse les épaules, souriant toujours d'un air débonnaire.

— Les gens parlent beaucoup par ici, vous savez. Quand j'ai appris pour la petite Evans, j'ai su que vous alliez interroger mon fils. Et si vous interrogiez mon fils, vous alliez vouloir me voir après.

L'homme semble parfaitement inoffensif. Shiloh ne s'était pas attendue à ça. Liam a utilisé des mots très durs qu'il a attribués à son père. Or, l'homme qu'elle a devant elle ressemble à un gentil grand-père. Un gentil grand-père qui fait des gâteaux et engage des gens qui ont probablement du mal à trouver une place ailleurs.

— Et si on s'installait plus confortablement pour parler ? Vous voulez boire quelque chose ?
— Oh, euh, non-
— Un thé glacé ? Il se vend très bien, tous mes clients l'adorent.

L'homme a l'air si content de pouvoir lui faire goûter ses petites spécialités que Shiloh se laisse attendrir assez vite.

— Bon, eh bien, d'accord, va pour un thé glacé.


Robert Gwynfor ouvre une porte donnant sur une minuscule courette coincée entre quatre bâtiments et invite Shiloh à sortir l'attendre là-bas. Une table ronde en fer est installée au milieu et cinq chaises dépareillées l'encadrent.

Le reste de la cour n'a pas grand-chose à lui apprendre. Quelques pots de fleurs cassés relégués dans un coin, une balle de tennis et un os en plastique mâchouillé dans un autre, ainsi qu'un pan entier de mur couvert de jardinières où poussent une quinzaine d'herbes aromatiques différentes. À peine assise, Shiloh voit l'homme revenir, un plateau dans les mains. Le voyant boiter sévèrement, elle fait mine de se lever pour le lui prendre des mains, mais il lui intime de se rasseoir d'un simple geste avant de lui servir un verre de thé glacé et de poser une assiette garnie de mini-gaufres aux fruits, d'éclairs au chocolat et de croissants devant elle.

— Mauvaise pneumonie, annonce-t-il en tirant une chaise pour s'installer face à elle, répondant ainsi à la question silencieuse qui pèse dans l'air. Découvrant le bas de sa jambe droite, le boulanger laisse entrevoir à Shiloh la prothèse à l'origine de sa démarche boitillante. Mais servez-vous donc.

— Mr Gwynfor, attaque-t-elle directement, d'après votre fils et un ami de celui-ci, vous n'appréciiez pas beaucoup Victoria Evans.
— C'est vrai.
— Pourquoi ?

L'homme prend quelques secondes pour réfléchir et, l'espace d'un instant, Shiloh aurait juré voir briller dans son œil une lueur féroce alors qu'il l'observe. Quand il reprend, c'est pourtant avec un grand calme et la même nonchalance que celle avec laquelle il l'a accueillie.

— Cette fille... je n'aime pas dire du mal des gens, et encore moins des morts, inspectrice, mais cette fille... Il y avait quelque chose de démoniaque en elle. Quand mon fils était avec elle, je ne le reconnaissais plus. Elle l'a rendu méchant.

Un silence s'installe entre eux, que Shiloh fini par briser.

— Oui, Liam m'a dit la même chose. Mais, honnêtement, ça ressemble beaucoup à la défense d'une personne coupable qui tente de faire porter le chapeau à sa victime, vous ne trouvez pas ?

Inconsciemment, l'homme approuve de la tête, l'air soucieux.

— Je comprends votre position. Si on m'avait raconté ça à propos de n'importe qui d'autre, j'en aurais probablement tiré les mêmes conclusions. Mais je connais mon fils, cette fille l'a changé. Il n'était pas comme ça avant elle et dès qu'il s'en est éloigné, il est redevenu le gentil garçon qu'il est réellement.

L'homme a l'air sincère, et même l'image que Shiloh a de Liam après leur rencontre correspond plus à celle d'un gentil garçon que d'un abuseur. Mais c'est à cause de ce genre de préjugés qu'autant d'hommes violents restent libres de faire subir des atrocités à quantité de femmes, et elle en a conscience. Se retenant de soupirer, elle boit une gorgée de son thé glacé pour cacher sa désolation.

— C'est délicieux, confirme-t-elle.

La discussion se prolonge un moment, mais Shiloh ne parvient pas à obtenir plus de la part de l'homme. Il ne cache pas son hostilité envers Victoria, mais ne se réjouit pas ouvertement de sa mort non plus.
Quand il devient évident qu'elle n'obtiendra plus rien d'intéressant de sa part, Shiloh s'autorise une question sans rapport avec l'enquête et qui la travaille depuis son arrivée.

— Mr Gwynfor, pourquoi ces étranges dessins dans la boulangerie ?
— Vous les avez remarqués ? s'étonne le vieil homme avec un sourire.
— C'est difficile de passer à côté.

Il se met à rire et ce son réchauffe instantanément le cœur de Shiloh. Elle, qui n'a pas connu ses grands-parents, trouve dans ce visage qui se plisse un peu plus à chaque expiration, une forme de réconfort.

— C'est pourtant ce que font la majorité de mes clients, répond-il en se calmant. Ça fait quelques années que j'habite ici, maintenant, et vous devez être la troisième personne à m'en parler. Si on ne compte pas les enfants. Les enfants sont bien plus observateurs que les adultes.

— Et donc ? insiste-t-elle. C'est assez atypique comme décoration pour une boulangerie. On est plus habitués à y voir des images champêtres avec des champs, du blé, ce genre de choses.

Le vieil homme hausse les épaules.

— On y habite presque à la campagne. Si mes clients veulent voir des champs, ils n'ont qu'à marcher vers le Sud. Non, ces tableaux, c'est... une sorte de passion. C'est ma femme qui m'a initié à ces histoires de créatures surnaturelles, vous voyez, elle était persuadée que c'était au moins en partie vrai. Et c'est aussi elle qui a commencé à collectionner ces vieilles gravures. Alors, depuis sa mort, j'ai simplement repris le flambeau.
Liam, lui, ne s'y intéresse pas, se désole-t-il. Il ne l'a pas connue longtemps, sa mère, pour lui cette marotte est la mienne et non la sienne... Et vous, inspectrice, croyez-vous aux monstres ? Aux loup-garous ? Aux vampires ?

La demande est formulée avec ce que Shiloh prend pour une note d'espoir, une sorte d'avidité, et elle regrette de ne pouvoir satisfaire le vieil homme.

— Je n'ai jamais rien vu qui me laisse à penser que ce soit une réalité, alors non, pas vraiment.

Alors qu'elle craignait de voir la lueur de passion s'éteindre dans l'œil du boulanger, déçu de sa réponse, celle-ci lui semble au contraire briller davantage.

— Vous êtes encore jeune, la vie pourrait bien vous surprendre un de ces jours.

Que la vie la surprenne, elle n'attend que ça, mais pas tout à fait comme Robert Gwynfor l'entend.

Au moment de la quitter, sur le seuil de la boulangerie, il la retient avec une phrase étrange.

— Certaines choses sont destinées à rester mystérieuses. Je ne saurais probablement jamais pourquoi cette fille était néfaste pour mon fils, et je craindrais toujours qu'il retombe sur une autre personne de ce type, mais parfois, il n'existe tout simplement pas de réponse à nos questions. Bonne journée, inspectrice.

Shiloh jurerait que son sourire était un brin moqueur au moment où il s'est retourné.

***

Hey les gens !

Dernièrement, j'ai vu que Siobhán (autre orthographe de Siobban) était le prénom de l'héroïne d'un bouquin sorti il n'y a pas longtemps et dont pas mal de gens parle. Sauf que la quasi-totalité de ces gens qui en ont parlé sur Insta ou Youtube l'a mal prononcé. Alors voilà, je vous file l'info, comme ça vous pourrez crâner en société à partir d'aujourd'hui : Siobhán se prononce Chevonne avec un o un peu traînant.

Après, c'est sûr que si vous le prononcez comme il s'écrit depuis longtemps ça va vous faire bizarre de changer, mais perso comme j'ai découvert l'écriture et la façon de le dire en même temps il y a quelques années, c'est Si-o-bane qui me parait étrange ;)

Voilà, voilà.
À part ça, c'est un chapitre un peu court aujourd'hui, mais il en faut parfois.
Aussi, il va se passer des choses importantes la semaine prochaine, alors restez attentif-ves.

La bise, les gens.

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