SOM

— Allez, fais pas ta chochotte !, s'écrie Vanesse en souriant, étirant par la même occasion ses pommettes hautes sur son teint frais.

Elle me tire par le bras, moi, cette femme de petite corpulence, au nez aplati et aux yeux un peu trop petits, qui la suit à pas lent et d'une façon peu enthousiasmée derrière.

— Je n'ai pas envie, ça va faire mal, affirmé-je en retirant brusquement son bras de ma main.

Vanesse attache ses cheveux auburns en couette haute et affirme en me reprenant la main.

— Mais tu vas voir comme ça fait du bien après ! Je me sens tellement belle et puissante maintenant, grâce à SOM !

Je secoue la tête, mes courts cheveux gras et emmêlés bougeant en rythme avec elle.

— Mais ça va faire mal !

— Mais non !, souffle mon amie. Ça ne va pas faire si mal que ça ! Et puis, il faut souffrir pour être belle.

Oui, évidement, il faut souffrir pour être belle.
Pour ne pas rester moche toute sa vie et finir comme Jay, étalée en bas de son immeuble après avoir sauté de sa fenêtre, parce que son petit-copain ne voulait plus s'afficher avec elle.

Un rendez-vous pour bénéficier de l'Opération Méliorative qui est directement envoyé par SOM, ça ne se refuse pas. Moins de 15% des habitants du pays ont réussi à en obtenir un.

J'abandonne mes protestations, et de toute façon, Vanesse et moi arrivons au Centre d'Opérations. Au-dessus de la grande porte principale, est posée une grande enseigne où l'on peut lire:

"SOM- Société de l'Opération Méliorative"

En entrant dans l'immense hall d'entrée, j'aperçois la large affiche qui orne le mur en face de moi, où il est écrit le slogan de SOM:

« Il faut souffrir pour être belle »

Et avec pour sous-titre les inscriptions suivantes:

« Bénéficiez de l'Opération Méliorative, celle grâce à qui votre corps deviendra la beauté de tous vos rêves, et vous transformera en ce à quoi vous avez toujours voulu ressembler...»

Vanesse m'emmène jusqu'à l'accueil, où elle montre à l'aide d'un QR code mon autorisation de rendez-vous que j'ai reçu la veille. L'homme qui se tient derrière le guichet nous indique un étage que je ne retiens pas, nous prenons un ascenseur de verre, et de guichet en guichet, nous nous retrouvons face à la salle d'attente.

Après ça, Vanesse n'aura plus le droit de m'accompagner et je devrais continuer seule.

Nous attendons quinze minutes, avant qu'une jeune femme à peine plus âgée que moi et habillée d'une blouse blanche n'arrive par une porte et ne m'invite à la suivre.

— Mme. Jessie Tron-Dabre, s'il vous plaît ?

Vanesse me pousse de la main, en souriant à pleine dents.

— Bonne Opération !, m'encourage-t-elle.

Je trébuche sur quelques pas, et me retourne. Le tatouage bleu de mon amie, représentant les lettres SOM en-dessous de son œil gauche, semble me narguer.
Je commence à suivre la jeune femme en blouse, et Vanesse conclut.

— Il faut souffrir pour être belle, souviens-t'en !

Je continue de marcher avec l'autre dame jusqu'à une pièce toute blanche où trône une table d'opération en son centre. La femme à mes côtés me sourit légèrement, comme avec réticence, et son tatouage SOM bleu vif se déforme un peu.

— Il faut souffrir pour être belle, me dit-elle.

Elle s'en va, et n'ayant plus aucunes indications, j'en déduis qu'il faut que je m'allonge sur la table d'opération.
Une fois cela fait, des sangles viennent me serrer les poignets et les chevilles. Le bruit d'une voix artificielle retentit:

« Bienvenue dans le cabinet d'Opération de SOM, vous allez bientôt faire partie des 15% de la population à bénéficier de l'Opération Méliorative, nous vous prions de patienter...»

Un bruit de machine qui se met en marche s'enclenche, suivit de bruissements de ferrailles qui s'entrechoquent.
Un homme rentre dans la pièce, le chirurgien, je suppose.

Il me pose un tube sur le visage, comme un masque à gaz, et celui-ci diffuse une odeur de vanille qui me donne envie de vomir.
Bientôt, mes yeux se ferment.

La particularité de l'Opération Méliorative, est que le patient à beau être endormi et ne pouvoir intervenir en rien, il ressent la douleur.

Moi aussi, j'ai bien ressenti cette douleur.

Les ciseaux qui m'ont entrouvert le corps et exposé les entrailles, les pinces qui m'ont étiré, allongé et remodelé les os, les scalpels qui m'ont pelé la peau, les aiguilles qui m'ont replanté les cheveux, et toute cette douleur, si sauvage, si flambante...
Si...

...présente.

Je les ai bien ressentis.

Je meurs intérieurement, j'ai envie de disparaître, que tout cela cesse.
La douleur me brise du verre en moi.

Il faut souffrir pour être belle...

Et comme j'ai souffert.

Suite à toute cette horreur, s'installe un long et profond silence, qui m'engloutit tout entière.
Le temps se disloque alors en lui-même, et lorsque j'ouvre les yeux, je suis dans un lit blanc, entouré de rideau de la même couleur. Vanesse se tient assise à côté de moi, les yeux brillants.

— Que tu es belle..., souffle-t-elle.

Je comprends que je suis dans la salle de réveil, en entendant une multitude d'autres personnes jacasser derrière les rideaux de mon box.

— Que tu es belle !, répète Vanesse en sanglotant presque.

Elle me tend un miroir avec émotion, et je me regarde dans la glace.

J'observe cette personne qui m'observe elle aussi, à travers le miroir: ses pommettes hautes, son teint frais, son nez droit, ses grands yeux, ses cheveux blonds soyeux attachés en tresse.

— Regarde comme tu es jolie !, s'écrie à nouveau Vanesse.

Mais ce n'est pas moi qui suis jolie. C'est cette personne qui m'observe, ce visage que l'on a agrafé sur le mien, recollé sur celle que j'étais vraiment.

Où suis-je passée ?! Où sont passé mon nez aplati et mes yeux trop petits ?! Mon nouveau tatouage bleu aux lettres de SOM brille sous mon œil gauche, il est la preuve que l'on a transféré mon esprit dans un corps nouveau, modifié... Qui n'est pas moi.

Ai-je vraiment autant souffert pour ça ?

Vanesse me guide jusqu'à la sortie des locaux de SOM, et le slogan de cette fichue société me nargue: « Il faut souffrir pour être belle »

« Bénéficiez de l'Opération Méliorative en envoyant une candidature au 09 ********** »déclarent les prospectus devant l'entrée du bâtiment.
J'en sors, et raccompagne Vanesse jusqu'à chez elle.

Je me sens mal. Hors de mon moi-même. J'ai l'impression que les gens me dévisagent, mais je suis la seule à me dévisager.

Dans le bus pour rentrer chez moi, j'entends une petite gamine affirmer à sa mère:

— Quand je serai grande, je ferai l'Opération Méliorative !

Une jeune fille de mon âge s'assoit sur le siège libre voisin au mien.
Les lettres SOM ornent le dessous de son œil gauche.
En apercevant mon tatouage à moi aussi, un sourire triste se dessine sur son visage, et l'on s'échange des regards compatissants.

— Il faut souffrir pour être belle, médite-elle.

J'hoche la tête.
Il faut souffrir pour être belle, et maintenant que je le suis, je souffre encore plus.
Je me trouvais déjà belle, avant.

Si j'ai ressenti autant de douleur pour me sentir aussi mal, tout le monde devrait en ressentir de même.

J'appelle ma sœur, Margo.

— Tu veux poster une candidature pour l'Opération Méliorative ?, lui demandé-je.

Elle hésite.

— Rooh... Allez ! Maintenant que je l'ai fait, SOM me permet de baisser le prix de -45% pour un de mes proches !

Margo me répond qu'elle n'est pas trop pour.

— Mais si ! Tu te sentiras tellement mieux, ensuite ! Et puis, il faut un peu souffrir pour être belle !

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