Sablier

Lorsqu'elle imaginait la vie, elle la voyait comme une longue route qui menait à un précipice...
Et la seule chose à laquelle elle n'arrêtait pas de penser, c'était au moment où elle se retrouverait en face du précipice...

Elle voyait son existence comme une longue croisière vers sa fin, et les minutes qui défilaient lui faisaient redouter la dernière escale.
Ce qu'elle craignait, ce n'était pas tant de disparaître, mais de voir disparaître son bonheur...
Et son bonheur à elle, c'était l'amour...

Elle aimait de toute son âme.
Elle aimait avec passion, comme jamais personne n'aurait pu aimer, elle aimait avec sa vie, parce que sans amour elle n'en avait plus. Mais elle aimait surtout autant parce qu'elle avait sans cesse l'impression que le temps durant lequel elle avait le droit de consommer cet amour était limité.
Sa relation était comme chronométrée, dans une lente agonie vers la fin. Le sablier était là, et il s'écoulait.
Elle voyait son compagnon tous les jours, et au fond d'elle, elle se demandait si ça n'allait pas être la dernière fois à chaque rencontre...

Elle avait si peu confiance en elle, en l'autre et en sa chance, qu'elle redoutait les messages qu'il lui envoyait par peur que ce soit une demande de rupture. Elle n'osait le contredire, se confier à lui, et lui donner son avis. Plus que la fin de sa vie, elle redoutait la fin de son amour.
Elle pensait sans cesse que son homme n'était là que par dépit, parce qu'il n'avait trouvé personne de plus acceptable.
Elle ne pouvait même pas profiter de son histoire d'amour parce qu'elle n'en avait pas le temps. Elle passait toute sa journée à lister toutes les tristes raisons qui pourraient pousser son copain à s'en aller, et à se remémorer toutes les fois où il avait eu une réaction agacée ou lassée envers elle.

Le soir, elle relisait ses discussions en quête d'une preuve qui pourrait lui montrer qu'il ne voulait plus d'elle.
La nuit, elle se réveillait en sursaut après avoir rêvé qu'il avait demandé la séparation.
Le matin au réveil, elle se mordait les lèvres d'anxiété.

Elle était dans un état maladif, effrayant, et pourtant personne ne le voyait.

Elle avait pourtant tout pour être heureuse, un travail agréable, aucuns problèmes avec la justice, de bons et loyaux amis, une famille qui la soutenait moralement et financièrement lorsqu'elle en avait besoin, et une relation plutôt sérieuse, qui aurait même pu déboucher à un concubinage.
Mais de cette relation-là, loin d'en voir le plat à déguster passionnément, elle n'en discernait que l'assiette vide qui attendait de faire son entrée en scène, à la fin du repas.
Elle connaissait le malheur d'avoir perdu quelque chose, et oubliait le bonheur d'en posséder une.

Les minutes défilaient, et elle les voyait s'enfuir, elle voyait le chronomètre de sa relation afficher les secondes qui disparaissaient. Elle voyait le sablier s'écouler, lentement, mais sûrement.

Elle l'aimait tant qu'elle faisait le deuil de son couple à l'avance.

Elle ne voyait pas toute la beauté de l'amour que son amant lui offrait, elle devinait juste le moment où tout cela disparaîtrait.

Elle était comme une enfant capricieuse, qui se plaignait à l'avance de ses futurs malheurs.

Lorsqu'elle était avec son petit-ami, elle n'entendait pas ses mots d'amour, mais seulement le silence qu'ils allaient laisser en disparaissant. Quand il lui disait « Je t'aime », elle entendait « Mais plus pour longtemps », quand il lui disait « Nous deux, ce sera pour toujours », elle voyait le décompte qui tuait les heures jusqu'à ce que ce « toujours » disparaisse, et quand il la serrait très fort dans ses bras en disant qu'elle était son amour, elle songeait au jour où cette étreinte l'étoufferait en s'éteignant.

Un jour, il l'a quittée.
Ils ne s'aimaient plus, ou en tout cas plus comme avant.

Elle non plus ne ressentait plus rien.
Et pourtant, lorsqu'il lui a affirmé en s'en allant vers une nouvelle relation:

— C'était vraiment beau, nous deux. Je ne regretterai jamais de t'avoir rencontrée. Parfois, il faut aller de l'avant, et tu m'as aidé à apprendre de mes erreurs. Tu m'as poussé vers le haut, et c'est pour ça que si je ne t'aime plus comme ma compagne, je t'aimerai toujours comme ma compagne du passé, celle qui m'a permis de devenir qui je suis aujourd'hui...

Elle lui a simplement répondu, sur un ton de reproche amer:

— Je savais que tu allais me quitter.

Le sablier venait de s'écouler.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top