Philophobie inversée


Philophobie: Du grec "philo" qui signifie "amour" et "phobos" pour "peur", la philophobie est littéralement la peur d'aimer.


Ce matin, en me réveillant, ils ne m'aimaient plus.

— On ne t'aime plus, Gabriel, m'ont-ils dit.

Je leur ai crié dessus.
Il faut qu'ils m'aiment.
J'ai besoin qu'ils m'aiment.

Aimez-moi.

Je me suis brisé les cordes vocales.

— Aimez-moi !

Vous devez m'aimer.

— Vous devez m'aimer !

Vous ne pouvez pas me haïr.

— Vous ne pouvez pas !

Et je suis parti. 

Mes parents ne méritaient pas de vivre avec moi, s'ils n'étaient pas capable de m'aimer.

Dans ma précipitation, je n'ai pris aucune affaire, à part le jogging que j'avais sur moi, ainsi que mon sweat à capuche noir et ma vieille montre.

Puisque je ne savais pas où aller, je me suis rendu chez Aline.

Elle, elle était censée m'aimer.

Quel naïf.
Je suis insouciant, et la vie me berne et me fait croire qu'elle m'aime, alors que personne ne m'aime.

Personne.
Et j'ai vite compris qu'Aline non plus.

— Qu'est-ce que tu fais là ?, m'a-t-elle demandé.

Ils ne m'aiment plus, avais-je envie de lui dire.

Mais Aline n'aime pas les faibles.
Et il fallait qu'Aline m'aime, donc je ne pouvais pas être ce faible-là.

— Surprise !, me suis-je écrié. Je t'emmène au cinéma, ma chérie !

Aline m'a giflé.

— Non ! Non je ne t'aime pas ! Pas du tout !

Je me suis enfui.

De toute façon, je n'avais pas d'argent pour lui payer le film.

J'ai erré dans la ville en me sentant épié par ses bâtiments gris, et j'ai compris que la ville aussi me haïssait.

Elle me suit des yeux et attend que je tombe dans un de ses pièges dont on ne ressort par, et son ciel couleur bitume me répète encore et encore:

« Meurs, meurs, meurs, meurs ! Je ne t'aime pas ! Cette ville ne t'aime pas ! La ville ne t'aime pas ! La vie ne t'aime pas ! »

Il fait défiler en boucle les mêmes paroles, il m'emprisonne et m'engloutit dans son liquide poisseux de dégoût.

Heureusement que tandis que je me perdais dans les rues, j'ai croisé Hugo, mon meilleur ami, parce que sinon, la ville m'aurait tué tellement elle me déteste.

Hugo, mon meilleur ami.

"Ami", si on en mélange les lettres, ça fait "aim".

Mais Hugo non plus ne m'aime pas.

— Tu fais quoi ?, lui ai-je dit.

Il m'a tabassé le cœur.

— Va-t'en ! Va-t'en loin avant que je ne te fracasse le crâne au sol !

Il m'a tabassé la confiance.

— Je ne t'aime pas ! Personne ne t'aime !

Il a raison.
Personne ne m'aime...
Personne.
Personne...!

Personne !
Personne !

PERSONNE !

P-E-R-S-O-N-N-E !

Même pas mes parents, même pas Aline, même pas Hugo, même pas le ciel, même pas la ville, même pas la vie, même pas cette mamie qui achète son pain, même pas ces amis qui se serrent la main, même pas ces passants qui tranquillement se baladent, même pas ce paysan qui vend sa salade, même pas cette maman qui porte son enfant, même pas cette jeune fille qui trottine en chantant, même pas ces élèves qui sont dans ma classe, même pas cette avocate qui marche avec grâce, même pas ce chien qui la suit avec panache, même pas cet oiseau qui gazouille dans les arbres, même pas cette fourmi qui se tue à la tache, même pas cette merde qui me colle au visage, cette merde qu'on appelle peau, qu'on appelle corps, qu'on appelle âme, qu'on appelle esprit, qu'on appelle moi, et qu'on appelle, qu'on appelle, qu'on appelle, on appelle, car on m'appelle, on m'appelle tout le temps, toujours, parce que personne, même pas toi, même pas moi, personne et même pas nous, même pas ce monde, parce que personne, non personne ne m'aime !

— Dégage !, m'agresse un policier qui me tire de sous le pont dans lequel je m'étais réfugié pour passer la nuit. T'es con ou quoi ?! À cause de tes histoires de petit fugueur je dois faire des heures supp' pour te retrouver !

Il m'hurle.

— Moi aussi, je ne t'aime pas !

Parce que de toute façon, personne ne m'aime...

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Dimanche 08/09:

Une du jour:
Un nouveau trouble psychologique détecté chez un jeune fugueur ?

Un jeune garçon du nom de Gabriel Mariard a fugué samedi matin de chez ses parents, dans la petite ville de Meurin, dans le département d'Allier (03). Il s'est baladé dans le centre-ville, s'est endormi sous un pont et a été retrouvé par un gendarme avant d'avoir été ramené au poste de police. Les témoignages des rares personnes qui l'ont croisé laissent penser que le jeune homme serait atteint d'un étrange trouble de la personnalité, plutôt soudain.

« [...] Il n'était pas bizarre hier, nous raconte sa mère, Joséphine Mariard, mais ce matin il avait une tête fatiguée et les dents serrées. Lorsqu'on lui a dit bonjour il s'est braqué et a affirmé qu'on devait l'aimer, puis il s'est enfui. On a pensé qu'il avait juste mal dormi et qu'il était sorti prendre l'air, mais puisqu'il n'est pas rentré à midi, on s'est inquiété et on a prévenu la gendarmerie [...] »

Après s'être enfui de chez lui, Gabriel se serait apparement rendu chez une de ses camarades de classe, lui faisant une demande plutôt étrange.

« [...] Je ne connaissais pas bien Gabriel, nous affirme Aline Dufert, une élève dans la même classe que le fugueur, on ne se parle pas beaucoup, et ça m'a étonnée de le voir sonner à ma porte ce matin. Il m'a parlé comme si nous étions en couple, en m'appelant "chérie" et il voulait que j'aille au cinéma avec lui. Quand j'ai poliment décliné sa proposition, il a trébuché sur quelques pas en arrière comme si je l'avais frappé, et est parti en courant [...] »

Le jeune homme aurait été aperçu par plusieurs autres passants, dont un de ses amis proches, qui nous rapporte que Gabriel avait une attitude très étrange, comme s'il entendait autre chose que ce qu'on lui disait. Le gendarme qui l'a retrouvé somnolant sous un pont explique que le garçon murmurait en boucle que personne ne l'aimait, et que malgré le calme avec lequel le policier l'avait abordé, le jeune homme s'était débattu comme une victime d'agression.

Certains experts en psychologie pensent que Gabriel est atteint d'un trouble particulier de la personnalité: hallucination, paranoïa, ou nouveau type de phobie ? Plusieurs médecins et psychologues se penchent sur la question pour essayer de déchiffrer le mystère que représente le changement soudain de comportement du jeune homme, celui-ci encore à ce jour mis en examen dans un centre particulier.

Gabriel n'aurait que deux phrases à la bouche, qu'il répéterait sans cesse: « Aimez-moi » et « Personne ne m'aime ».

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Je les regarde venir un à un à mon chevet et me poser pleins de questions.
Ils me détestent, ils se moquent de moi, je le vois.
À chaque fin de phrase, ils répètent sans cesse: « On ne t'aime pas, on ne t'aime pas »

Mes parents aussi viennent à mon chevet, Hugo de même.
Ils sont là pour me crier dessus, me reprocher d'être en vie, me demander de mourir.

Je sais pourquoi ils font tout ça, pourquoi ils m'enferment dans cet hôpital comme si j'étais fou, pourquoi ils viennent me torturer l'esprit en m'affichant leur haine, pourquoi ils me font harceler par ces médecins en blouse blanche...

...c'est parce que, même pas eux, même pas moi, non, personne, c'est parce que plus jamais et depuis toujours, non, personne ne m'aime.




Philophobie inversée: Littéralement, l'inverse de la philophobie. La philophobie inversée est donc la peur de ne pas être aimé.


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[!!! -—Attention, si la philophobie existe en effet, la philophobie inversée est tout droit sortie de mon imagination, et s'il existe un terme exact pour désigner cette peur, ce n'est pas celui-ci—- !!!]

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