Masque
L'épidémie du Covid a eu beaucoup de répercussions négatives sur l'ensemble de la population, pour de nombreuses raisons très variées:
Décès d'un proche, nécessité de sortir, de voir du monde, dépression, burn-out, divorce, suicide...
Et j'en passe.
Mais pour moi, et sûrement pour d'autres personnes, elle m'a affectée d'une manière assez particulière.
Très malsaine.
Une façon qui nous montre sans mal l'impact qu'ont les autres sur notre manière de voir les choses.
J'ai été heureuse de retourner au collège.
Réellement.
J'avais eu ce qui ressemblait à cinq mois de vacances, j'étais toute prête et enjouée à l'idée d'une nouvelle rentrée dans un nouveau collège, après un long repos qui avait commencé à m'ennuyer.
Être enfermée n'avait pas forcément pesé sur ma conscience, je ne suis pas quelqu'un d'introverti, mais j'aime bien avoir ma petite vie, dans mon petit coin, sans me soucier du reste, cependant, sortir à nouveau était très plaisant pour moi.
J'ai découvert ma classe avec bonheur, je m'entendais bien avec les gens, nous étions un beau groupe avec une bonne ambiance et de la camaraderie. Cependant, il y avait quand même cette petite gêne, ce petit détail qui nous éloignait un peu...
Le port du masque.
C'est à dire que l'on ne voyait pas en entier le visage des gens, les expressions faciales passaient toutes par le regard, et puis, certaines personnes ne respectaient pas cette mesure ce qui avait le don d'en énerver d'autres.
Au début, j'étais plutôt de ceux qui portaient correctement leur masque. Des mesures sanitaires avaient été prises, ça ne m'empêchait pas particulièrement de respirer, je ne voyais pas pour quelle raison j'en aurais fait toute une histoire. Les autres élèves qui l'enlevaient ne me dérangeaient aucunement pour autant.
Mais au bout de quelques semaines, je me suis rapprochée de quelques personnes de ma classe, et c'est tout naturellement qu'à la cantine je me suis assise à côté d'elles.
Dans ce lot, il y avait ce garçon qui me plaisait bien, qui n'était gêné de rien et qui assumait tout ce qu'il était.
Je trouvais ça charmant, mais en vérité, il assumait même un peu trop ce qu'il pensait.
Alors que j'enlevais mon masque pour manger et que mes camarades en faisaient de même, me laissant découvrir le bas de leur visage, ce même garçon qui m'attirait, a affirmé:
— Mais en fait Émilie, tu es moche sans le masque.
Je lui ai répondu avec détachement, essayant de ne pas paraître blessée. Alors qu'il me balançait sa réplique, il avait eu ce petite sourire malsain qui traduisait aisément ce qu'il pensait du fait de faire mal aux autres.
Ça le séduisait, le stimulait.
En apprenant à le connaître, je ne voyais que ça, de la méchanceté gratuite, de la violence, dans les mots, dans les gestes... mais de la violence correctement dissimulée derrière ce qu'il appelait de « l'humour » ou du « second degré ».
Nous n'étions pas en couple, mais la relation était toxique.
Il ne m'harcelait pas, agissant de cette manière avec tout le monde sans particulièrement me viser, mais à chaque fois, ses actions creusaient un peu plus la plaie qu'il avait ouverte en moi.
Un jour, en rentrant chez moi, l'évidence m'a frappée de plein fouet.
Lorsque j'ai enlevé mon masque chirurgicale, j'ai vu dans le miroir de l'entrée un reflet qui me déplaisait.
Je me suis trouvée affreusement laide.
Par le passé, je ne m'étais jamais trouvée particulièrement belle, mais je n'apportais pas grand intérêt à ma beauté physique.
Et je n'avais jamais eu aussi honte de mon visage.
J'avais la malchance de posséder de nombreux boutons d'acnés qui nécessitaient un traitement particulier. Celui-ci m'asséchait la peau et la faisait peler, et pour éviter d'avoir des petits bouts de pelure blancs contrastant avec ma peau mate, je m'appliquais beaucoup de crème hydratante avant d'aller en cours, me donnant un visage luisant.
Quand je rentrais de cours et que je voyais de la pelure au coin de mes lèvres, sur mon nez, ou sur mes paupières, je pouvais m'écrouler dans le fauteuil de ma chambre et regarder le vide en me répétant en boucle que j'étais...
— Moche ! Ah ! Émilie, tu es moche !, riait ce même garçon.
Je crois qu'il n'a jamais compris que ses mots laissaient des cicatrices.
Un jour, plutôt que de rire à ses "blagues", de répondre à ses interventions avec humour, pour faire comme si cela ne m'atteignait pas, je lui ai juste répondu:
— D'accord.
Son sourire a disparu.
Je crois qu'il avait compris.
Il me faisait du mal.
Parfois, lorsque je rentrais chez moi et que je retirais mon masque, je n'osais pas me regarder dans la glace. Cela me faisait peur, m'angoissait. Les miroirs m'effrayaient.
Mon visage me répugnait, et les larmes manquaient de rouler tant j'avais honte d'être ce que j'étais.
Moche.
Laide.
Affreuse.
Repoussante.
Durant un moment, montrer ma tête entière à mes amis et à mes camarades était une torture, une mise à mort.
Je me sentais jugée, moquée, dévisagée et tout autre sentiment qui pouvait faire peur à une pauvre fille de douze ans.
Au final, le temps a passé, et j'ai mieux réussi à m'aimer.
Je ne dis pas que je me trouve belle, mais me regarder dans un miroir ne me stresse plus, je ne fuis plus mon reflet et j'ose retirer ma protection en tissu. Une année est passée, et je ne suis plus dans la classe de ce collégien qui me rabaissait.
Je me sens moins jugée, moins fixée.
Enfin, tout ça pour dire qu'aujourd'hui nous allons définitivement retirer les masques au collège.
Je n'ai pas vraiment hâte, mais puisque le garçon n'est plus dans ma classe cette année, je me sens plus en sécurité.
J'ai mis le masque pour aller dans le bus, parce que c'est encore obligatoire dans les transports en commun, et je descends avec assurance.
Il n'y a pas de raison que cela se passe mal. Les gens que je fréquentent sont bienveillants et agréables, ils me soutiennent, me poussent vers le haut...
Je rejoins mes amis devant le portail, et retire mon masque.
Un camarade de classe passe à côté de moi, et il ricane.
— Hé hé, le cochon s'est échappé du zoo, wesh !
Ma confiance se vide de toute substance et devient pâteuse.
Avec difficulté, je déglutis.
Mes amis lancent des regards haineux à l'adolescent et il y en a même quelques uns qui l'insultent, mais ce n'est pas ce qui me perturbe en cet instant. Je regarde ce garçon, qui me fixe bien plus loin.
Il a toujours ce sourire qui semble... qui est... qui a...
« Tu es moche », me dit le rictus.
Le soir, je retourne le miroir de l'entrée pour ne plus à avoir à me regarder lorsque je rentre du collège.
Je fixe le lavabo en me lavant les dents, n'osant lever les yeux vers la glace.
Juste avant de me coucher, j'appelle l'une de mes amies.
— Salut !, me dit-elle depuis son téléphone.
— Salut !, répondis-je. Je te dérange ?
— 'du tout, m'affirme la jeune fille. Tout va bien ?
Je me retourne, et aperçois mon déplaisant faciès sur le reflet du miroir de ma coiffeuse.
— Je... j'ai juste...
« Tu es moche »
Il est ma seule protection.
— ...tu penses que l'on va me regarder bizarrement, si je garde quand même mon masque en cours, demain ?
•••
[Ne doutez pas de vous, il n'y a pas de beauté parfaite. Les personnes qui vous feront perdre confiance en vous, peu importe la façon, sont à retirer de vos vies. Ne vous laissez pas berner par le fameux « c'est de l'humour », parce que si ça ne vous fait pas rire, c'est que c'est plus que ça.
Prenez soin de vous, et n'ayez jamais honte de qui vous êtes <3]
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