Défilé Sociétal
C'est le grand jour.
Celui du défilé.
Tu avances, dans ta robe de satin un peu trop courte pour toi, et tes bras se balancent au rythme de tes pas. Tes mains cachées par de fins gants noirs, tu manques de trébucher plusieurs fois à cause de tes hauts talons.
Le regard au loin, comme on te l'a appris, tu déambules sur ce podium de marbre, en évitant soigneusement leurs regards.
Ils te fixent comme des sangsues avides de t'aspirer tout entière et de faire disparaître ton âme à jamais.
Tu sais ce que tu veux, ton objectif est le même que tous ceux qui sont passés avant toi.
La convaincre.
Et les convaincre.
Eux, ceux qu'on appelle les Autres. Tu les vois murmurer entre eux, et te fixer, toujours te fixer, comme si quelque chose n'allait pas.
Peut-être ton chignon tressé est-il de travers ?
Peut-être que ton rouge à lèvre a un peu ripé et qu'il déborde de tes lèvres ?
Ou peut-être juste qu'ils aiment ça, te faire te sentir mal à l'aise.
Tu sais pourtant, qu'il faut que tu les décides à t'accepter. Les Autres sont ceux qui jugent, ceux qui donnent leur avis à cet homme, tout au fond de la salle, avec son costard et son noeud papillon, qui te regarde avec un petit sourire hypocrite. Cet homme là, c'est Mr. LaCommunauté. Les Autres le manipulent. Et lui même, manipule la belle femme assise dans un même fauteuil du même velours que le sien, à côté de lui. Celle à qui il tient la main.
À moins que ce ne soit elle, qui le manipule.
Plus tu avances, et plus tu vois que Mme. LaSociété a beaucoup d'influence. Peut-être même assez pour convaincre le deuxième jury, Mr. LaCommunauté.
Mais que ce soit cet homme là, où la belle femme dans sa robe mousseline qui décide de ta réussite, t'importe peu... Seul le résultat compte.
Après que ce long défilé qui t'a paru interminable arrive à son terme, que la piste sur laquelle tu défiles se soit terminée, juste devant les chaises de Mr. LaCommunauté et Mme. LaSociété, tu t'arrêtes et attends. Tes gants te démangent, tu voudrais tellement les enlever. Mais tu sais qu'il faut attendre le verdict final, qui arrivera bientôt.
Un à un, les Autres viennent donner leur avis à Mr. LaCommunauté. Celui-ci chuchote quelques mots dans l'oreille de sa camarade, et Mme. LaSociété lui en chuchote en retour. L'homme hoche la tête, et la belle femme se lève lentement, montant sur le podium. Sa robe ondule autour d'elle, semblable à de l'eau claire et limpide, et son sourire, ce si magnifique sourire qui te semble tellement faux, t'offre pourtant des ailes.
Elle ne dit rien, et se contente de s'approcher de toi, et de venir prendre de ses belles mains gantées tes petites épaules rassurées.
Elle t'offre une longue étreinte réconfortante, et à ce moment-là, tu sais que c'est bon, que tu as réussi à être acceptée par Mme. LaSociété et Mr. LaCommunauté...!
Jusqu'à ce que le genou de la jeune femme ne s'abatte dans ton ventre, t'éjectant en arrière et te faisant pousser un cri silencieux. Un deuxième coup à la mâchoire t'arrache un petit hoquet de stupeur, et tu ne comprends pas pourquoi Mme. LaSociété, gardant encore son sourire démoniaque, se jette sur toi, ses gants enlevés et ses ongles, semblables à des griffes, t'éraflant de toute part. Peu à peu, Mr. LaCommunauté se redresse, et lève la main, apportant le signal du départ pour les Autres.
Et ils s'abattent sur toi.
Coups sur coups, poings après poings, tu t'habitues à cette douleur qui te lancine de toute part, te retourne le ventre et les tripes, et te donne envie de vomir.
Avec un peu de chance, les Autres se lasseront de leur petit jeu de torture, et te laisseront tranquille, oubliant que Mme. LaSociété et Mr. LaCommunauté ne t'ont pas accepté, et te laissant t'enfuir à quatre pattes, tes genoux entaillés s'ouvrant encore plus contre le sol rugueux, et tes coudes meurtris suintant de sang et de malheur.
Ta robe de satin en lambeau, tes gants noirs déchirés et tes escarpins envolés loin de tes pieds depuis longtemps, tu pourras peut-être partir te réfugier dans les coulisses. À l'abris des Autres et de leur soif de cruauté. Longeant les murs et évitant leur regard.
Cependant, peut-être qu'un jour, tu voudras à nouveau monter sur le podium et participer au défilé.
Peut-être que tu recoudras ta robe, répareras tes gants, et retrouveras tes chaussures.
Peut-être que cette fois-ci, lorsque Mme. LaSociété te donnera cette douce et tendre étreinte, celle-ci ne sera pas suivie d'un coup de genou sec et destructeur, et qu'elle t'emmènera avec elle, te déposant aux milieux des Autres.
Oui, peut-être qu'un jour tu seras enfin acceptée, et que ce sera alors à toi de donner ton avis à Mr. Communauté, que ce sera toi qui dévisagera avec moquerie et cruauté les participants du défilé, que ce sera toi qui deviendra une Autre.
Parce que Mme. LaSociété et Mr. LaCommunauté t'auront acceptée...
Mais même si un jour tu parviens à te retrouver à cette place, tes doigts trembleront toujours derrière ton sourire malveillant, et tu ne te sentiras jamais en sécurité. Tu resteras constamment surveillée, par cet horrible sentiment de crainte, qui te rongera l'âme et le cœur.
Parce qu'on ne sait jamais, peut-être qu'un jour, Mme. LaSociété et Mr. LaCommunauté se chuchoteront quelques phrases indéterminées et imprévisibles au creux de l'oreille. Et lorsque tu te lèveras, pour juger la prestation d'une jeune personne faisant son défilé, quand tu murmureras au creux de l'oreille de Mr. LaCommunauté ton avis, peut-être que Mme. LaSociété se lèvera elle aussi, qu'elle posera à nouveau ses fins et gracieux doigts sur tes épaules, t'étreignant délicatement, et, souriant toujours, peut-être qu'elle te décochera un énième coup dans le ventre, te renvoyant en enfer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top