Colorant alimentaire
La première fois que je l'ai vue, elle courait sur le trottoir, après un garçon un peu plus grand qu'elle...
Ses cheveux bruns étaient attachés en deux tresses asymétriques et désordonnées, et de la fenêtre de ma chambre, je voyais qu'il lui manquait une dent de lait dans sa grande bouche ouverte en un large sourire.
La deuxième fois que je l'ai vue, le garçon, qui devait donc être son grand frère, lui tenait la main, et elle, boitait à côté de lui, le genou en sang. Le gamin semblait la réprimander avec inquiétude, et elle, avait les larmes aux yeux, et son nez coulait.
Ce jour-là, elle a levé sa tête vers ma fenêtre et nos regards se sont croisés.
Elle a baissé les yeux juste après.
Elle revenait souvent devant l'immeuble, jouer avec son frère ou sa petite sœur, au ballon ou avec des cailloux sur le sol. Le trottoir était large, et la petite rue bordée d'un côté par un beau parc verdoyant, et de l'autre par notre petit bâtiment. De temps à autre, elle levait ses yeux marrons vers ma fenêtre et agitait la main, s'étirant le plus possible pour que je la vois.
Je la saluais à mon tour, et souriais.
C'était un sourire triste.
La première que l'on s'est parlé, c'était le jour d'Haloween. Son frère et elle, accompagnés de sa petite sœur, sont venus sonner à ma porte.
— Bonjour ! On vient pour les bonbons, s'il vous plaît !, s'était-elle exclamée.
Son frère m'avait longuement observé, et je lui avais rendu son regard en souriant.
— J'arrive, laissez-moi une seconde, avais-je déclaré.
Dans la cuisine, Mélusine m'avait demandé.
— C'est des gosses ?
— Oui, avais-je répondu. Les... voisins.
— Ah.
Elle avait simplement hoché la tête, sans aucune réaction, comme d'habitude. J'avais pris un sachet de bonbons roses, que je n'aurais jamais pu manger parce que j'étais allergique au colorant alimentaire, et étais allé l'emmener aux enfants.
Elle avait sourit en ouvrant grand les yeux, et s'était exclamé.
— Oooh ! Merci beaucoup ! Je vous remercie, beaucoup, beaucoup.
— De rien, avais-je soufflé.
Puis j'avais refermé la porte.
La deuxième fois que j'ai pu lui parler, c'était le lendemain. J'étais sorti descendre les poubelles devant la porte d'entrée de l'immeuble, et elle était là, à jouer au ballon avec sa petite sœur.
La balle avait cogné contre ma jambe, et je l'avais attrapée avant de lui la rendre.
— Merci, monsieur !, s'était-elle égayée.
— Ton frère n'est pas là ?, avais-je demandé.
La petite fille avait secoué la tête, et soupiré.
— Non... George est malade, le médecin a dit qu'il avait fait une réaction allergique à cause du colorant des bonbons.
« Évidement, avais-je pensé. »
— J'espère qu'il ira mieux, avais-je dit.
— Moi, je m'appelle Camélia, et ma petite sœur, c'est Jeanne.
La sœur en question m'avait souri en étirant ses joues potelées, et sa grande sœur avait posé sa main sur sa tête avec fierté. Camélia devait avoir six ans. Jeanne quatre, et George huit.
Un jour, les trois étaient venus sonner à ma porte, Camélia en tête de file, George tenant la main de Jeanne derrière.
— Vous voulez faire une partie de cache-cache avec nous ?, m'avait proposé la petite. Papa et Maman n'ont pas le temps.
J'avais accepté, et passé l'après midi à les chercher dans l'immeuble.
Quels enfants amusants...
Jeanne pleurait souvent, et Camélia était toujours là pour la réconforter.
George, lui, ne me parlait jamais.
Moi non plus, je ne lui parlais pas.
Au fond, je pense qu'il avait compris.
Le temps ne s'arrêtait pour autant, et chaque soir, quand je rentrais après avoir passé la journée à jouer avec les gamins, Mélusine me faisait remarquer.
— C'est bientôt la fin des vacances.
J'hochais la tête.
À chaque minute, je m'en rendais un peu plus compte.
La dernière fois que je lui ai parlé, c'était la veille de la rentrée scolaire. Elle allait rentrer en CE1. Nous étions assis tous les deux sur un banc du parc en face de l'immeuble, George jouait à la marelle avec Jeanne, mais Camélia s'était tordue la cheville et ne pouvait donc pas courir.
— Pourquoi est-ce que vous êtes tout triste, monsieur ?, avait-elle demandé.
— J'ai fait un marché avec un démon pour pouvoir revoir ma sœur, mais je vais bientôt rentrer chez moi.
— Oh, mais il ne fallait pas faire ça !, s'était-elle écriée. Les démons ne sont pas gentils !
J'avais serré les poings, et affirmé.
— Je le sais... Mais ma sœur me manquait.
La dernière fois que je l'ai vue, c'était le jour de la rentrée, je l'ai aperçue par la fenêtre, tandis qu'elle marchait aux côtés de George et de Jeanne pour se rendre à son école.
Elle boitait un peu à cause sa cheville abîmée.
Camélia avait levé les yeux vers ma fenêtre et je lui avais souri.
Elle m'avait fait un signe de la main, et je le lui avait rendu.
C'était un sourire triste.
« Au revoir, Camélia, avais-je murmuré »
Dix minutes après, Mélusine était venue me voir, et m'avait annoncé.
— C'est la dernière journée.
Je le savais.
Je m'étais rendu sur le palier de l'immeuble, et assis sur les marches de la devanture, j'avais attendu.
J'étais las de tout ça.
Mais heureux de l'avoir fait.
Vers onze heures, George était rentré, le visage livide et dénué d'émotion.
Il se faisait tirer en avant par sa tante, qui arborait un visage grave et fermé, tenant Jeanne dans les bras, et discutant expressivement avec un homme à ses côtés.
— Si elle n'avait pas eu sa cheville blessée, avait gémi la tante. Elle aurait pu éviter la voiture.
— Que disent les médecins ?, avait demandé avec embarras l'homme.
— Il n'y a aucun espoir à avoir.
En passant devant moi pour rentrer dans l'immeuble, George m'avait fixé de son regard vide. Était-ce un reproche ?
Parce que je n'avais rien fait ?
Mon regard à moi aussi, était vide.
J'étais rentré dans mon appartement peu de temps après, Mélusine m'attendait.
— C'est fini, avait-elle déclaré.
Et elle avait claqué des doigts.
Je m'étais réveillé dans mon vrai lit, le corps tout en sueur.
Tout ça n'avait duré que le bref instant d'une nuit.
J'étais revenu dans la véritable réalité. Dans mon véritable espace-temps.
Mélusine était la, assise devant mon lit. Ses cornes de démons avaient poussées sur son crâne, ainsi que ses deux ailes de chauve-souris.
— Un voyage dans le passé en échange de la moitié de ta vie, c'était ça qui était convenu, n'est ce pas ?, avait-elle susurré.
Mon hochement de tête avait été très peu convaincant.
Le lendemain, ma petite sœur, qui avait maintenant vingt ans, était venue me rendre visite.
— Regarde, j'ai retrouvé une photo de nous trois !, m'avait-elle avoué.
La photo datait de mes huit ans.
— Je suis là, avait montré ma petite sœur, là il y a toi, jouant au ballon, et là, c'est Camélia qui saute sur la marelle.
J'avais hoché la tête, les larmes aux yeux.
— Merci, Jeanne, avais-je bredouillé.
Ma sœur avait affirmé.
— Je peux te donner la photo, si tu souhaite la garder, George.
La dernière fois que j'ai vu et parlé à ma petite sœur Camélia, morte à six ans renversée par une voiture, le jour de la rentrée alors qu'elle se rendait à l'école en compagnie de mon autre sœur Jeanne et de moi, George ; c'était en remontant dans le temps après avoir offert la moitié de ma vie à un démon nommé Mélusine.
— Non, c'est bon, garde la photo, avais-je assuré à Jeanne. De mon côté, j'ai mes souvenirs pour me rappeler de ma petite sœur.
— Je t'avais emmené des bonbons, mais j'avais oublié que tu es allergique au colorant alimentaire, s'était excusée Jeanne. Excuse-moi, George.
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