Bateau
Lors d'un après-midi d'hiver, le soleil froid ne sachant plus nous réchauffer de la glace extérieure, tu m'as souri.
J'adorais ce sourire.
Tu commençais d'abord par froncer tes sourcils, et tes yeux prenaient un air malicieux que je n'aurais su réellement déchiffrer... Et puis tu plissais ces deux belles perles bleues qui t'apportaient la vue, et les extrémités de tes lèvres s'étiraient, jusqu'à former ce magnifique sourire asymétrique, le côté gauche toujours un peu plus relevé que le droit.
À chaque fois, je souriais à mon tour.
Bien sûr, mon sourire n'était pas aussi resplendissant que le tien, rien chez moi n'était aussi magnifique que toi. Je savais bien que je ne te méritais pas, je savais bien que tu ne me méritais pas.
Aucun de nous deux ne nous méritions vraiment, et c'est ce qui nous avait permis de forger cet amour si fort et indestructible, protégé par d'immenses murailles inflexibles, peu importe le poids qui essayait de les faire flancher.
Mais voilà, ces murailles là, elles nous protégeaient de l'extérieur, et certainement pas de ce qui se trouvait au sein de notre petit monde d'été.
Parce qu'en cet après-midi d'hiver, assis l'un contre l'autre dans la neige après avoir passé des heures à nous amuser dans la poudreuse substance immaculée de la couleur du lys, malgré le vent froid qui me tiraillait le nez et les joues rougies par l'extrême fraîcheur aride, il faisait beau.
Et le soleil froid avait beau être inutile dans son rôle de m'apporter de la chaleur, ton simple sourire m'avait permis d'ajouter des bûches à mon petit feu intérieur, celui qui brûlait de joie et d'amour.
C'était notre feu commun.
J'étais un peu comme ton bateau, et toi, mon conducteur: tu m'as souri, et ce sourire m'a fait lever les voiles, m'emportant au loin, au gré du vent et de la mer. Parfois, alors que tu me parlais de tout et de rien, tes mots me faisaient changer de cap, m'acheminant vers des destinations toujours plus ensoleillées. Tu étais le conducteur de mes pensées, celui qui dirigeait le gouvernail de mon esprit.
Oui c'est cela, j'étais un peu comme ton bateau, et toi mon conducteur.
Mais ce jour-là, malgré ton sourire flamboyant et tes yeux pétillants, tu as emmené mes voiles dans un océan de torpeur, me bringuebalant et m'oppressant de vide, l'eau salée m'est rentrée dans les narines et m'a étouffée de l'intérieur.
Mon mat s'est fracassé, et la mer a peu à peu rongé ma coque, comme ta maladie était entrain de te ronger, toi, cet être qui était si précieux pour moi.
Je n'ai jamais compris pourquoi tu me l'avais annoncé de cette façon.
Pourquoi tu jubilais de me voir perdre pied, de sentir mes entrailles brisées se remplir peu à peu d'eau.
Mais en ce jour de fraîcheur, ton sourire plus chaleureux que l'étoile solaire, éclatant de bonne humeur, tu ne t'inquiétais de rien.
Et moi, je sombrais. Peu à peu, mes voiles se sont remplies d'eau, m'empêchant de me relever et s'imprégnant encore et toujours du liquide de mes propres larmes.
J'étais un peu comme ton bateau, et toi mon conducteur.
Alors quand ta tumeur au poumon t'a fait te jeter à l'eau, ça a par la suite brisé mon gouvernail.
Et maintenant, maintenant, je dérive comme la pauvre épave que je suis...
L'ombre du resplendissant navire que j'étais, hante à présent la tombe du capitaine que tu semblais être.
Cet après-midi là, ton sourire était tellement beau qu'il m'a fait oublier que tu revenais d'un séjour de six jours à l'hôpital.
Il m'a fait oublier que tes médecins venaient de t'annoncer le nombre de jours qu'il te restait à vivre.
Il m'a fait oublier que c'était ce que tu t'apprêtais à me dire.
Et maintenant, maintenant que la mer a englouti ton corps, je ne sais plus que faire du bateau que je suis.
Alors je le laisse errer sur l'eau, espérant qu'un jour la mer m'entraînera à son tour dans les abysses de son monde aquatique.
J'étais un peu comme ton bateau, et toi, mon conducteur...
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