Révélation.
Romain était plutôt du genre obstiné . Peut-être même un peu trop, lui disait-on. Trentenaire plutôt charmant physiquement, une situation professionnelle qui lui offrait un revenu on ne peut plus correct, et pour compléter ce portrait déjà avantageux, de l'humour et un esprit aiguisé.
Sophia, un peu plus jeune que lui, semblait obnubilée par un seul besoin : Romain devait constamment lui témoigner son amour pour elle. Amusé par ces enfantillages, il jouait volontiers le jeu en lui offrant un petit bijou, un magnifique bouquet de fleurs, ou un parfum. Elle adorait cela et se jetait littéralement dans ses bras de plaisir à chaque fois.
Cela durait ainsi depuis presque trois ans maintenant, et Romain s'en satisfaisait. Naïvement, il supposait qu'il en était de même pour Sophia....
La veille au soir, il était arrivé chez eux vers dix-huit heures. L’appartement était vide, silencieux et presque froid. Et comme il n’en avait pas été averti, cela lui sembla bizarre. Sophia travaillait à temps partiel et jamais l’après-midi. Pas un mot sur l’îlot central, pas un SMS explicatif. Un peu surpris mais guère inquiet pour autant, il lui envoya un message auquel elle ne prit pas la peine de répondre.
Dérouté par ce silence inhabituel, et avant de prendre une décision du style "alerter la police", il préféra prendre une douche.
Un nouveau message plus tard sans résultat, et il était presque vingt et une heure. Énervé, il décida de manger et eut même l'envie de sortir à son tour, histoire de lui rendre la monnaie de sa pièce.
A vingt-trois heures, assis sur le canapé, il l’entendit entrer dans l’appartement. Elle marchait sur la pointe des pieds et s'arrêta net quand il alluma brusquement la lumière.
- Romain, tu ne dors pas ? s'exclama-t-elle incapable de cacher sa surprise.
Il prit un air furibond, mais Sophia ne sembla pas effrayée le moins du monde. Bien au contraire, elle sautilla comme une petite fille vers lui, les yeux très brillants.
- Tu ne devineras jamais ce qui m’arrive !
- Essaye toujours, grommela-t-il. J’étais inquiet, tu sais. Je t’ai laissé des messages…
- Je n’avais pas pris mon chargeur, expliqua-t-elle. A sec !
Elle éclata d'un rire de gamine, en secouant son portable.
- Ma parole, tu es saoules ! dit-il en sentant son haleine chargée.
Une fois de plus, elle se mit à rire et lui expliqua, surexcitée, que sa meilleure amie Coralie l’emmenait aux prochaines vacances au carnaval de Venise. Il tenta bien d'obtenir des renseignements mais elle était tellement alcoolisée qu’elle s'endormit sur le divan.
Elle avait ronflé toute la nuit. Et lui pas fermé l'œil un instant. Inquiet, terriblement inquiet. Il connaissait Sophia et surtout la façon de faire de Coralie, sa meilleure amie. Celle-ci serait seule et la pousserait à expérimenter tout et n’importe quoi. Il avait toujours veillé sur elle. Il allait devoir trouver une solution.
Il téIéphona pour annuler un rendez-vous puis sans hésiter une seconde, il prit la direction du “ Petit Flore” le café de Coralie. Puisque Sophia n'avait donné aucune explication, il allait directement questionner l’instigatrice de ce voyage.
Une petite dizaine de tables, un coin flipper et le grand comptoir composaient le café. Rien de très original. Pourtant, en soirée, le lieu prenait vie. Derrière le mur noir, un monde s'ouvrait. Cette paroi glissait pour laisser apparaître une estrade où toutes les fins de semaine se produisaient divers artistes. Des musiciens pour la grande majorité, mais aussi des illusionnistes, des ventriloques, des humoristes… Romain avait découvert le lieu il y avait bien longtemps et y avait naturellement amené Sophia. A aucun moment, il n’avait envisagé que les deux femmes s'entendent.
Coralie installée derrière le bar, un café fumant sur le comptoir, le regarda s'installer en face d’elle tout sourire.
— Je ne pensais pas que tu viendrais dès ce matin, ironisa-t-elle, les yeux pétillants de malice.
— Tu te moques de moi ! Sophia est rentrée complètement ivre. En es- tu la responsable ?
- Ta nana est majeure, tu sais. Je ne pousse jamais personne à boire. Pourquoi es-tu là, exactement ? Pour Venise ?
Romain resta silencieux, Coralie lui semblait différente.
- Pourquoi lui offres-tu ce voyage ? Vous ne partez que toutes les deux ? ne put-il s'empêcher de lui demander.
- En fait, Sophia en rêve depuis si longtemps. Elle ne t’en a jamais parlé, je parie.
— Non, jamais.
— Pas étonnant. Elle adore être frivole et tu lui cèdes tous ses caprices.
- Mais, elle aime que je fasse cela ! Elle se jette à mon cou et m'embrasse à chaque fois, compléta-t-il pour expliquer ses actes. Pourquoi me le reprocher ?
- Parce que je sais qu’elle va s'en lasser. C’est à chaque fois pareil, marmonna-t-elle.
- Et donc, en toute logique, pour pallier au fait que je la gâte de trop, toi, tu combles son plus beau rêve, remarqua-t-il narquois.
- Exactement, répliqua-t-elle. Laisse-moi t’expliquer. Tu as cinq minutes ?
Cette conversation datait d'un mois, et d’après le dernier message de Coralie, les deux jeunes femmes - suite à leur atterrissage à Venise - se rendaient à l’hôtel en ce moment. Par comble de malchance, l’avion de Romain tournait dans le ciel en attente d’une autorisation de la tour de contrôle.
Pas loin de deux heures plus tard, il franchissait le seuil de son propre hôtel. Coralie et Sophia logeaient dans un des plus luxueux. Lui devrait se contenter de celui-ci, le Carnaval commençait demain.
Après une bonne nuit de sommeil, et un petit déjeuner copieux agrémenté d'un café comme seuls les Italiens en sont capables, Romain partit à l’aventure.
Coralie l’avait renseigné sur tous les lieux où elle se promènerait avec Sophia ce soir. La photo jointe de la tenue de celle-ci devrait l’aider à la reconnaître. Une splendide robe fuschia avec crinoline, qui, il n'en doutait pas, allait attirer le regard sur la jeune femme. Lui, avait loué pour l’occasion, un costume noir et argent en satin, qui lui donnait une certaine prestance. La chemise d’une blancheur virginale, ressortait parfaitement. Il avait opté pour un loup complet qui lui masquerait le visage et modifierait sensiblement le ton de sa voix. Il se doutait que le charme ne durerait pas et que Sophia ne serait pas dupe longtemps.
Romain était prêt depuis presque une heure et se mêlait à la foule qui marchait aux abords des grands hôtels. Les costumes, riches et colorés, les loups extravagants et les perruques originales par leurs formes et leurs couleurs, le bruissement des longues et larges robes somptueuses donnaient une ambiance extraordinaire à la rue.
Son regard se bloqua sur deux silhouettes féminines. La photo n'était pas à la hauteur de ce que Romain découvrait. La robe de Sophia d'une couleur fuschia était rehaussée de deux bandes noires sur les côtés. L'évasement de la taille accentuait encore plus l’effet du bustier très près du corps. Les lacets serrés à l’extrême et son effet pigeonnant moulait sa poitrine qui semblait vouloir s'échapper de ce carcan. Son visage disparaissait en partie sous un masque décoré de paillettes et de dentelles travaillées.
Romain écarquillait les yeux, littéralement hypnotisé par la jeune femme… juste à côté de Sophia.
Vu la complicité des deux femmes, cela ne pouvait être que Coralie.
Sa robe bleu nuit, parsemée de dessins d’étoiles jaunes, loin d’être évasée à la taille comme celle de son amie, lui moulait magnifiquement le corps. Une cape dorée très fluide flottait à chacun de ses pas. Ses bras à demi-nus,sous des manches ajourées, laissaient apparaître ses tatouages. Ses yeux verts dissimulés derrière un simple loup regardaient dans sa direction.
Sophia accrocha le bras de son amie et l'entraîna au milieu de la foule. Romain les suivit. Elles se promenaient, et les hommes qu’elles croisaient ne pouvaient que les suivre du regard. Et lui n’avait d’yeux que pour elle.
Il réalisa ce qu'il se refusait à croire jusqu'à présent. Lors de chaque rencontre avec Coralie, toujours en présence de Sophia, une certaine tension le mettait mal à l'aise. Bêtement, il associait cela à une forme de jalousie. C’était flagrant encore, mais cette fois, il jalousait Sophia de se trouver si près de Coralie. Comment allait-t-il se sortir de cette situation ?
Le plan organisé par Coralie devait lui permettre de reconquérir Sophia avant qu’elle ne se lasse. Être courtisé par un ténébreux prince vénitien aurait comblé tous ses désirs secrets. Et au final, en découvrant la supercherie, elle en aurait rigolé . A l’instant présent, ce plan était voué à l’échec.
Romain ne jouerait pas le rôle prévu dans le scénario. Et tant pis s'il perdait tout.
Fort de son magnifique costume noir et argent, il eut la sensation de fendre la foule. Devant la jeune femme à la robe d’or, il s’inclina, puis il l’entraîna dans une valse. Le couple était au centre de l’attention. A la fin du morceau, Coralie, sur la pointe des pieds, lui chuchota dans le creux de l’oreille.
- Il t’en a fallu du temps pour comprendre.!!!
***
5 mars 2019
Texte écrit dans le cadre du concours carnaval organisé par MiladyCoulter dans son recueil À vos plumes.
Écrire un texte où votre personnage passera un moment au carnaval de Venise et le mot masque devra s'y trouver.
Étant la seule à avoir rendu un texte le concours n'aura pas lieu.
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