Défi de williamlarue - Fin de tournage

Il était dix-huit heures, la journée avait été longue et nous étions tous fatigués. Il restait encore deux séquences à mettre dans la boite. Six jours intensifs d'un tournage qui devait finir ce soir. Je ne comprenais toujours pas grand chose à l'histoire mais les images étaient belles et remplies de poésie. C'était un huit-clos dans un jardin, ou une jeune fille était retenue prisonnière d'un personnage, mi-homme mi-arbre, qui cherchait à la protéger de la cruauté du monde extérieur. Nicolas, le réalisateur et scénariste était un de mes meilleurs amis. Nous avions fait nos études de cinéma ensemble. Il voulait travailler autrement. Quelque chose qui lui tenait particulièrement à cœur et qu'il voulait façonner à tâtons. Il voulait faire un film sans qu'on lui dise que personne ne le regarderait jamais. Après plus de deux ans à ne travailler que sur des productions de publicité il n'avait eu aucun mal à me convaincre d'embarquer avec lui dans cette aventure. J'avais besoin de rêver et nous avons plongé tête la première dans un monde onirique.

    La jeune fille était jouée par une actrice qui n'avait aucune expérience mais avec un charme incroyable. Nicolas avait eu beaucoup de mal à trouver un visage à donner à cette jeune fille. Nous avions épluchés beaucoup de CV artistiques mais il y avait toujours un petit trop ou pas assez pour nous refroidir. Et puis un jour, il m'avait appelé en pleine soirée en disant qu'il était à l'anniversaire d'un de ses potes et qu'il avait trouvé LA fille qu'il lui fallait. Nous nous sommes vus les trois ensemble le lendemain pour boire un café et quand elle est arrivée j'ai tout de suite compris. Ça ne pouvait être qu'elle ! Elle n'était pas très à l'aise et l'idée de jouer dans un film l'effrayait. Nous avons usé de charme et de persuasion pour la convaincre et elle a fini par accepter. Marion est devenue notre muse et notre égérie le temps de trois week-end.

    Tout était parfait, ou presque. Il y avait bien eu quelques tensions et inévitables coups de gueule, mais le soir venu quand Nicolas et moi regardions les rushs, c'était magique. Marion bouffait l'écran et sur le plateau nous jouions à la poupée. Elle se laissait aller entre les mains de Nicolas qui la faisait danser entre ses fils et moi je construisais une forteresse autour de nous à coup d'ombre et de lumière. Nous étions tellement loin de cette bonne vieille Terre que nous n'avons pas vu le drame arriver.

    Comme le film n'avait pratiquement pas de budget nous avions fait appel à notre entourage pour constituer une équipe. Ma copine nous aidait comme régisseuse et la copine de Nicolas comme assistante à la réalisation et maquilleuse. Grave erreur ! La magie du tournage était allée beaucoup trop loin à leur goût et pendant que nous volions dans les nuages, le gouvernement nous attendait de pied ferme sur le plancher des vaches. Derrière chaque compliment qu'on faisait à Marion, une rumeur de murmure insultant grimpait jusqu'à nous. Marion jouait avec une cible dans le dos et il pleuvait de la jalousie, un véritable déluge. Nous avons fait une petite pause pour essayer de calmer le jeu. J'ai essayé de raisonner ma copine en lui disant qu'on pourra s'expliquer ce soir mais que là il fallait que tout le monde fasse un effort pour terminer le tournage, mais il n'y avait rien à faire. J'espérais que Nicolas s'en sortirait mieux que moi mais j'ai abandonné cette idée quand j'ai entendu la gifle partir. Nicolas est revenu la joue rouge et sa copine l'a suivi quelques secondes après. « On reprend, a t-elle dit, tout le monde en place. »

    Nicolas et moi nous sommes retrouvés derrière le moniteur de contrôle. « Ça va, lui ai-je demandé, tu tiens le choc ? » Pour seule réponse, j'ai eu droit à un petit haussement d'épaule. « Silence sur le plateau ! » a crié l'assistante. J'ai tapé sur l'épaule de mon pote en lui murmurant qu'on avait bientôt fini et j'ai crié à mon tour « Moteur ! ». Le caméraman m'a répondu « Ça tourne » et d'une petite voix désabusée, Nicolas a demandé « Action ». Marion a essayé de se lancer tant bien que mal mais l'air était devenu tellement nauséabond qu'elle n'y arrivait pas. Elle était nerveuse et elle bafouillait chacune de ses répliques. Entre deux tentatives de prise, Marion s'est essuyée le front. J'ai essayé de l'en empêcher mais c'était trop tard. Nicolas l'a vu aussi et il m'a dit, tout bas « Ce n'est presque rien ça devrait aller. » On s'est remis en place et on a regardé Marion à travers l'écran de contrôle. Elle avait l'air tellement perdue. Cette fois c'était l'écran qui la bouffait et son front brillait. J'ai regardé Nicolas, il pensait à la même chose. Il fallait que quelqu'un le dise. Il a eu plus de courage que moi. « Retouche maquillage. » Sa copine s'est approchée avec des fusils dans les yeux et des rouleaux de peintre en bâtiment dans les mains. Elle a remis une couche de fond de teint sur le front de Marion avec le moins de délicatesse possible. En repartant, elle a marmonnée : « En même temps, je ne peux pas faire de miracle » suffisamment fort pour que tout le monde l'entende.

    Marion avait les larmes aux yeux et moi j'avais vraiment peur. Il nous restait six plans. J'ai demandé à Nicolas s'ils étaient vraiment tous indispensables et il m'a dit qu'il avait déjà laissé tomber le superflu. On a parcouru en vitesse le storyboard pour voir ce qu'il restait et comme un cadeau de la providence, sur les six restants, deux étaient des gros plans sur les pieds de la jeune fille. Un où elle courrait dans l'herbe et l'autre ou un ballon venait se heurter à ses pieds. Avec Nicolas on s'est regardés. Sauvés ! On va faire ces plans, ça va faire retomber un peu la pression et on va pouvoir repartir. Nicolas explique les plans à Marion, je briefe le caméraman et ajuste l'éclairage pendant tout le monde se remet en place. On fait une prise et encore une fois, avec Nicolas on se regarde en pensant à la même chose. « Je peux pas là, me dit-il, si je lui demande ça elle me tue.

    – Il nous faut une retouche maquillage, dis-je en me retournant vers l'équipe.

    –Vous vous foutez de ma gueule, demande sa copine ? C'est un gros plan de ses pieds.

    – Justement, lui répondis-je. Ca brille, il faut lui poudrer la cheville. »

    Elle s'est levée et cette fois les fusils n'était pas pour Marion mais pour nous. Elle a pris son matériel et elle est venue s'asseoir au pied de Marion qui lui tendait le pied triomphalement. C'était de bonne guerre, mais ça n'arrangeait pas nos affaires. Quand elle a terminé et qu'elle s'est relevée, Marion a poussé le vice à demander s'il ne fallait pas poudrer l'autre pied aussi. « Non, on filme que cet axe, lui a répondu Nicolas.

    – Dommage, a-t-elle rajouté avec un sourire de coin.

    Nicolas a raccompagné sa copine sur le bord du plateau et je suis resté seul avec Marion. Elle était à nouveau au bord des larmes. « Ne pleure pas, Marion. Ton maquillage. » Elle a essayée de reprendre ses esprits et Nicolas nous a rejoint. Avec le caméraman on s'est tous mis autour d'elle et Nicolas nous a dit : « Nous ne nous appartenons plus. Nous ne sommes plus des êtres mais des choses au service du film. On doit terminer coûte que coûte ».

    Je ne sais pas comment on a réussi à terminer ce jour-là, mais on l'a fait. Quand Nicolas a crié le dernier « Coupez » il n'y a pas eu d'applaudissements. Tout le monde s'est rué sur ses affaires pour tout ranger et partir le plus vite. Avec le caméraman, on a vidé les cartes et j'ai sauvegardé les rushes de la dernière journée de tournage sur le disque dur de Nicolas. Je lui ai demandé s'il avait le deuxième disque de backup mais il m'a dit qu'il le ferait à la maison parce qu'il ne voulait pas attendre encore pour un transfert.

    Je suis rentré avec ma copine qui n'a pas dit un mot de tout le trajet. À la maison, elle s'est lâchée et j'en ai pris pour mon grade. Tout y est passé, c'est tout juste si elle ne m'a pas reproché d'avoir baisé Marion en trio avec Nicolas devant elle. C'est le téléphone qui m'a sauvé ce soir là. Après plus d'une heure de remontrances et de crise, Nicolas m'a appelé « Chez toi aussi c'est la guerre, lui ai-je demandé ?

    – S'il te plait mec, dis moi que t'as pas formaté les cartes ?

    – Les dernières non, mais on les a déchargée une fois à midi.

    – Elle a balancé mon disque dur par la fenêtre...

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