Défi de PedroBondieu - Enfants du désert

Hier mes parents sont morts. Enfin je crois. Les gens qui m'ont emmené ne m'ont pas vraiment expliqué. Je sais juste que nous roulons vers le désert. C'est trop long. J'en ai marre. Pourquoi a-t-on pris la voiture et pas l'avion ? Le Tadistan. Je ne connais même pas ce pays. Me disent-ils la vérité ? Ils mentent peut être. Je n'ai pas vu mes parents après tout. Je ne comprend pas ce qui m'arrive. Mais je n'ai pas le choix.

Apparemment, là où nous allons je vais retrouver d'autres jeunes orphelins comme moi. Je n'ai rien demandé. Je ne veux pas de leur pitié. Et puis moi, peut être que je ne suis pas orphelin. Ils se sont peut être trompés et mes parents sont toujours vivants. Je leur
ai déjà demandé, et leurs réponses sont toujours trop vagues. Ils ne veulent pas discuter. Je dois me contenter du paysage pour m'occuper.
La végétation se raréfie, nous approchons donc du désert.

Le Tadistan se trouve quelque part au Moyen-Orient. C'est un pays en guerre. Pourquoi m'emmènent-ils ici ? C'est dangereux. J'étais mieux chez moi. Je ne veux pas etre ici. Je veux rentrer a la maison. C'est trop tard maintenant. Une ville. Nous sommes arrivés. Nous descendons de voiture. Il fait trop chaud. Il y a beaucoup de poussière. Le
soleil m'aveugle.

Je pensais que le trajet était terminé, mais j'avais tort. Les hommes qui m'emmenaient ont conversé avec d'autres hommes. Ces derniers m'ont forcé à les suivre. Nous avons pris une Jeep et nous nous dirigeons maintenant au coeur du désert, en dehors de la ville.
Verrai-je la fin de ce périple ? Je suis exténué. J'ai soif. Je n'ai plus de forces. Mes paupières sont lourdes. Trop lourdes. Noir total.

Je me réveille sur un lit de paille. C'est très inconfortable. Où suis-je ? La pièce dans laquelle je me trouve est totalement vide.
Quatre murs en béton, pas de fenêtres. Juste une porte en face de moi, sous laquelle filtrent quelques rayons de soleil. Je me lève et décide de sortir.

C'est immense. Je suis stupéfait. Des dizaines, non des centaines de cabanons comme le mien s'étendent à perte de vue. Je me trouve sur une portion vallonnée, je peux donc voir au loin. En contrebas se trouvent des bâtiments plus grands, ainsi que plusieurs terrains étrangement aménagés. Mon excellente vue me permet de distinguer des
obstacles, des cordes, de la boue. Des parcours du combattant. A côté se trouvent des stands de tirs. Je les reconnais car j'en ai déjà vus dans des films. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? L'armée ?

Un homme est venu me chercher. Son gros fusil me dissuadait de résister. Il m'a conduit à une sorte de briefing. Je n'étais entouré que de jeunes comme moi. Certains semblaient majeurs, d'autres ne devaient même pas avoir terminé l'école primaire. En dépit des différences d'âge, tous avaient ce même regard, plein d'incompréhension. Un militaire d'un certain âge nous parla. Sa grosse barbe blanche aurait pu faire de lui un homme sympathique en d'autres circonstances, mais ses cicatrices et son regard dur en faisait un personnage terrifiant.

C'est l'heure de manger. Le réfectoire est immense, la nourriture immonde. De la bouillie. Je repense aux paroles du vieux barbu. Il nous a expliqué que nous étions dans un camp d'entraînement pour les jeunes "perdus", abandonnés par le destin. Nous serons nourris, logés, blanchis et entraînés. En échange, nous devrons accomplir
différentes missions. Je n'ai pas tout compris lorsqu'il nous a désignés comme des futurs mercenaires à la solde des gouvernements qui nécessiteraient notre aide. Pour l'instant ce n'est pas important. Je me concentre pour ne pas vomir mon repas. Les plats de ma maison me manquent. Je veux rentrer.

Les entraînements sont trop durs. Ils oublient que nous sommes des enfants. Le soleil nous brûle la peau, la soif est omniprésente, et l'eau est rationnée. En plus d'une préparation physique inhumaine du matin jusqu'au soir, nous apprenons à manier les armes, à nous battre au corps à corps. Le dimanche, unique jour de repos, nous faisons
les corvées de nettoyage. Les journées s'enchaînent, aussi fades les unes que les autres. Peut être aussi les semaines, les mois, les années. Un jour, l'imposant barbu me convoque.

Je ne sais pas ce qu'il attend de moi. Peut être a-t-il remarqué ma malformation. Depuis tout petit, je souffre d'un strabisme un peu particulier. Mes yeux peuvent regarder dans deux directions opposées, ce qui me permet d'avoir une vision périphérique à 270 degrés. Mais cela effraie les gens. Ils me traitent de monstre, d'anomalie de la
nature. J'attends que l'homme en face de moi le fasse à son tour. Au contraire, il me complimente. A ses dires, je suis un des meilleurs éléments. Il souhaite m'intégrer à une équipe. Il a bien sûr repéré mon strabisme, et considère que c'est un atout extraordinaire. Pour la première fois de ma vie, quelqu'un me dit des mots gentils à ce
sujet. J'écoute la fin de son explication avec attention.

Dorénavant, je suis un sniper. Un tireur d'élite. C'est vrai que je suis très performant aux exercices de tir. Ma situation est même exceptionnelle: je dispose de deux fusils. Être capable de regarder, voir et viser avec une extrême précision dans deux directions
différentes simultanément font de moi la pièce majeur de l'escadron Delta-5. De nombreuses missions aussi périlleuses les unes que les autres nous attendent. Je n'ai plus peur. Le soleil ne m'agresse plus, il carresse ma peau. Même la bouillie du réfectoire est agréable. Je suis transformé. Je suis fort.

Nous sommes revenus une nouvelle fois de mission. J'ai assassiné un militaire haut gradé de l'armée d'un pays voisin. Je ne sais pas exactement pourquoi. Mais c'est certainement dans l'intérêt de ceux qui nous engagent. Fatigué, cette nuit je dors profondément. Mais soudain, des explosions me réveillent. Je sors immédiatement de mon cabanon.

C'est horrible. Je suis stupéfait. Des dizaines, non des centaines de cabanons comme le mien brûlent à perte de vue. De ma position privilégiée, j'aperçois l'ensemble du camp. Les bâtiments sont livrés aux flammes. Les explosions continuent. Le camp est bombardé.

Tout tombe en ruines. Pourquoi ? Qui ? L'heure n'est pas aux questions. Mon instinct de survie, travaillé depuis des années, prend le dessus. Je récupère mon sac à dos, le rempli du nécessaire et me dirige vers le nord du camp, vers les hauteurs. Par chance, je
me trouve proche d'une sortie. Ceux qui se trouvent plus bas sont perdus. En chemin, j'essaye de repérer mes compagnons. Je ne les trouve pas. Je suis assourdi par les explosions. La poussière m'empêche de bien voir. La chaleur est insoutenable. Le sang et les cris d'agonie sont partout. C'est le chaos.

J'ai réussi à m'en tirer. J'ai eu de la chance. Nous sommes au petit matin, les bombardements ont cessé. Je suis seul au milieu du désert. Je n'ai nulle part ou aller. Depuis la nuit, j'erre au milieu de cette immense étendue de sable. Si je continue comme ça, je tiendrais peut être quelques jours, mais ce ne sera pas suffisant pour atteindre une ville. Je n'ai pas le choix. Je dois retourner au camp.

C'est une hécatombe. Il ne reste presque plus rien. La puanteur qui s'élève des cadavres rend l'air irrespirable. C'est pire que je le pensais. J'ai été extrêmement chanceux de survivre. Alors que je pensais être le seul dans ce cas, un signal lumineux attire mon
attention en bas, la où se trouvait le quartier général. Le miroir avec le reflet du soleil. Basique. Une fois sur place, j'y retrouve trois autres survivants.

La premiere chose qu'ils m'ont dite est de ne pas chercher d'autres survivants. Ils l'ont deja fait, il n'y a que nous. Nous passons aux présentations. Une fille, mignonne de surcroît, avec ses cheveux châtains aux épaules, de l'escadron Beta-2. Un jeune garçon bien dodu, aux cheveux noirs très courts, de l'escadron Gamma-8. Et enfin un garçon qui dégage une aura de leader naturel, grand et qui semble légèrement plus âgés que nous, de l'escadron Alpha-1. Il nous explique qu'il était le meilleur soldat, et que les répartitions dans les équipes (Alpha, Beta, ...) dépendaient du niveau de chacun, Alpha
étant le meilleur. Et plus le niveau était élevé, plus on avait accès aux informations. Il sait donc beaucoup de choses que nous ignorons.
Notamment sur l'attaque du camp.

Je n'ai pas tout compris, mais il semblerait que le camp ait été compromis, que nous étions dans l'illégalité la plus totale, et que la seule solution pour les dirigeants de cet endroit de s'en sortir était de détruire toutes les preuves. Donc de détruire le camp et
tous ces occupants. Dommage. Il reste nous quatre. Nous avons juré de les retrouver et de nous venger. Par miracle, une Jeep à survécu. Il reste suffisamment d'essence pour rejoindre la ville. Avant de partir, nous décidons de nous appeler individuellement par nos anciens noms d'équipe. Nous choisissons également le nom de notre groupe. L'Escadron naît aujourd'hui, et avec lui une phrase qui restera gravée dans mon esprit et celui de mes compagnons à tout jamais:
"Ils ont essayé de nous enterrer, mais ils ne savaient pas que nous
étions des graines."

L'expérience acquise au cours de ces dernières années portait ses fruits. Après avoir rejoint la ville, il ne nous fut pas difficile de gagner de l'argent. Le Tadistan étant toujours sujet aux conflits, nos aptitudes de mercenaires nous garantissaient des contrats faciles. Nous avons voyagé ainsi aux quatre coins du pays, parfois en contrée étrangère. Bien que nous ayons plus d'argent que nécessaire, nous gardons notre vieille Jeep. Comme symbole de notre quête. Nous essayons de récupérer des informations lors de nos missions, sur la possible localisation de notre cible, celui que nous appelons
désormais Barbe Blanche.

Un jour, lors d'un contrat qui semblait à priori facile, nous nous retrouvons piégés. Des hommes en costume noir nous avaient repèrés depuis plusieurs mois déjà, et attendaient l'occasion de nous attraper. La CIA. Alpha-1 leur explique que nous recherchons Barbe Blanche, et que rien ne nous arrêtera. Son éloquence et sa force de
persuasion m'étonneront toujours. C'est vraiment le meilleur, et dans tous les domaines. Sauf le tir de précision bien sûr, ça c'est pour moi. Toujours est-il que nous passons un marché avec ces hommes, qui eux aussi sont à la recherche de notre ancien mentor. Mais à la différence près que eux connaissent sa localisation. Le deal est le
suivant: si nous parvenons à éliminer la cible lors de ce qu'ils qualifient de mission suicide, alors nous gagnerons une amnistie totale ainsi que nouvelle identité pour un nouveau départ. Nous acceptons à l'unisson sans la moindre hésitation.

Nous devons infiltrer une véritable forteresse. Des gardes patrouillent sans arrêt, et ce malgré la présence de caméras de surveillance sur tout le périmètre. Postés à l'écart, à l'orée d'un bois sur une colline environnante, nous observons avec des jumelles.
Gamma-8 se charge des caméras. Malgré la distance, il parvient à pirater leur réseau. Il faut dire que la CIA nous prête du matériel de pointe. Gamma-8, notre spécialiste de l'informatique, est aux anges. Alpha-1 et Beta-2 se lancent discrètement à l'assaut de la
forteresse. De ma position, avec mes deux fusils, je couvre leur progression.

Je les observe maîtriser les gardes avec une facilité déconcertante. Beta-2 est la reine de l'infiltration et du corps à corps. Un garde s'approche d'eux dans leur angle mort. Je l'abat rapidement. Je n'ai pas à craindre le bruit de la détonation, mes fusils sont équipés de silencieux. Ils sont en place au niveau du point d'entrée. Je range mes fusils sur mes épaules et les rejoins, en compagnie de Gamma-8.
Il progresse plus lentement en raison de son sur poids. Je l'attends.
Une fois prêts, nous entrons dans le bâtiment. Puisque nous avons étudié les plans auparavant, nous nous repérons avec aise. Des gardes armés se dressent sur notre route, mais nous sommes sans pitié. Nous les tuons de sang froid tout comme ils ont tué nos compagnons dans le camp plusieurs années auparavant.

La porte du bureau de Barbe Blanche vole en éclat suite au violent coup de pied d'Alpha-1. Notre némésis est assis, face à nous. Il savait que ce jour viendrait. Il sourit. Il n'a pas peur de la mort.
Il tente de nous convaincre avec un de ces discours sur le destin et sur ce que nous pourrions accomplir si nous unissons nos forces avec lui à nouveau. Mais les temps ont changé. Nous ne sommes plus les enfants naïfs qu'il a connu dans le désert. Nous ne buvons plus ces paroles. Barbe Blanche va mourir ici et maintenant.

Comme nous l'avions convenu entre nous, nous pressons tous la détente en même temps. Le sang gicle des entrailles de celui qui nous a tant fait souffrir. Ça y est, il est mort. Son corps âgé retombe lourdement sur son bureau, la tête la première. Le liquide rouge se répend sur le sol, chaque goutte en mémoire de tous les jeunes à qui cet homme a ôté l'âme. Nous confirmons l'élimination de l'objectif par radio à la CIA. Ils nous invitent à nous dépêcher, nous informant que le lieu sera la cible de drones dans trente secondes. Nous courrons à toutes enjambées vers la sortie. Beta-2 est la plus rapide d'entre nous. J'arrive à suivre le rythme aux côtés de Alpha-1. Nous sortons de la forteresse, éliminant quelques gardes ça et là. Nous sommes juste à l'abri lorsque les drones viennent lâcher leurs missiles.

Nous observons l'endroit partir en fumée. Trop lent, Gamma-8 n'a pas réussi à nous suivre. Il est sûrement mort dans les décombres. La CIA nous remercie vivement. Quelques jours plus tard, nous recevons comme promis l'amnistie, ainsi que de nouvelles identités et une belle somme d'argent chacun pour pouvoir démarrer une nouvelle vie.
Tout est terminé. Nous sommes libres.

Je suis libre. Je peux maintenant aspirer à une vie normale. Une vie sans danger, sans conflits, dans un pays en paix. Trouver un travail banal, mener une vie tranquille comme n'importe quel autre citoyen.
Après tout ce que j'ai vécu, je ne sais pas si j'en serais capable.
Je n'ai connu que guerres, morts et souffrance. Je suis conditionné pour le combat. Je sais que l'instinct et les réflexes de survie resteront présents pour toujours. Meme si je ne suis plus l'enfant d'autrefois, je suis toujours jeune. J'ai la vie devant moi. Mais je
ne sais pas quoi faire.

Je suis libre.

Et pourtant, je ne me suis jamais senti aussi vide.

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