Défi de Lancovit - j'aime tes silences, ils sont comme les miens

J'ai remarqué que j'aime les histoires qui finissent mal, ou qui ne finissent pas, comme je l'ai montré dans les précédents défis. Je ne sais pas, à l'heure (0h07) à laquelle j'écris ces lignes, comment celle-ci finira. Je ne voudrais pas en plus vous spoiler. J'espère juste que vous apprécierez. Je vous aime.

J'aime tes silences, ils sont comme les miens (Anaïs Nin)

- Ferme ta gueule.

Super, la journée commençait trop bien. J'arrivais à peine (et à peine en retard) que cet enfoiré de vigile était déjà sur mon dos. Un vigile ! J'ai 5 ans d'études de plus que lui, et je suis gentille de lui prêter le niveau bac. Je lui avais dit à peine dit « bonjour » qu'il me descendait déjà. Trop cool la journée. Ça va être génial. Bref.
Vous ne me connaissez pas ? Mais moi non plus. On est à égalité. 1 partout la balle au centre. Mais si vous lisez ceci, c'est que quelqu'un a jugé digne que cette histoire soit lue. Et ce n'est pas moi. Je ne suis pas écrivain. J'écris pour me sortir de la tête toutes ces idées. Pour avoir un peu de silence. Un silence si nécessaire actuellement, dans notre société. Et je suis obligée d'être silencieuse. Je n'ai pas le droit de parler. Seulement de sourire. Ah si, pardon. J'ai le droit de dire « je vous souhaite une bonne journée, Monsieur le Président ». Une fois, j'ai juste dit « bonne journée Monsieur le Président ». Et j'ai été virée temporairement. 10 jours ouvrés pour être précise. C'est long, 10 jours sans solde. Ce mois-là a été très dur. Tellement dur... je m'en veux encore de ce qui s'est passé, pendant ces 10 jours, mais je n'avais pas le choix. Oh, rassurez-vous, je n'ai rien volé. J'ai été silencieuse, comme d'habitude. J'ai pleuré en silence. Et j'ai assumé en silence. Ce n'était pas vraiment du viol – j'étais consentante. Pour de l'argent, voilà vous savez tout. Mais je devais bien nourrir mon frère et sa sœur. Ma demi-sœur, pour les lents lecteurs.

Ferme ta gueule. Comme si j'avais les moyens de l'ouvrir. Pauvre abruti. Ok, je suis peut-être plus instruite (et plus intelligente, si si) que cette armoire à glace, il n'en reste pas moins que mon travail rapporte moins que le sien. Faites des études, qu'ils disaient. Regardez où j'en suis, aujourd'hui. Juste bonne à faire des courbettes, et à me taire.

Ressassant mes idées plus noires que d'habitude, et plus noires que la nuit que je vois à travers ma fenêtre (ou que le noir de ce classeur de droit administratif... Vous avez compris l'idée), je montais les escaliers. Oui, le bâtiment (building, mais, étant française, je me refuse à employer ce terme, mais je ne le dis pas, sauf ici) était immense, mais je n'étais pas autorisée à prendre les ascenseurs. Et le Président avait son bureau au dernier étage. On pourrait penser que la nana payée à nettoyer son bureau l'était suffisamment pour ne pas avoir envie de voler quoi que ce soit, mais non. 800 € par mois, selon les heures que j'accepte. 2h de route tous les matins (pas les moyens de loger ici). Ma vie est formidable. Il range ses dossiers les plus sensibles dans une armoire forte. Et s'il laisse ses montres de luxe ici, c'est qu'il sait que si quelqu'un y touche (même de son entourage), je serai accusée et renvoyée, parallèlement à la plainte pour vol et le procès en correctionnelle. Double peine. Mais je n'ai pas peur. Une caméra surveille l'entrée de son bureau (de son loft, oui) et je sais qui seraient les voleurs. Oh oui, croyez-moi.

Allez, le chiffon doux pour le bois précieux... tiens, ce dossier devrait être rangé. Oh, un truc intéressant... une procédure disciplinaire pour détournements de fonds, abus de biens sociaux et abus de position dominante... C'est la procédure de qui ? Un dossier pas rangé ?

Alors que j'ouvrais le dossier, une porte grinça dans le couloir de la direction. « Tiens, une porte qui grince » fut ma première réaction. Ben oui, vu le « standing » de l'immeuble, les portes ne grincent pas. Au mieux, elles coulissent, au pire, elles chuintent. Mais ça, c'est seulement pour la porte de mon cagibi. 5 ans d'études pour ça, God Almighty.

Je reposais précipitamment le dossier. Finalement, ce n'était que le vent. Je regardais le nom. Attendez, Martin, c'est le nom du comptable. Et il y a un autre nom à côté... je me déplaçais pour le lire (ne pas toucher, ne pas toucher, c'est le mantra du jour)... Diasz ? Mais c'est le nom d'épouse de la fille du Président ! Elle travaille à l'étage (ben oui, vous pensiez à quoi d'autre ?) en tant que directrice des ressources humaines. Il paraîtrait que les femmes ont de meilleures relations avec les autres que les hommes. Ça reste à démontrer... Ou alors, Elodie Diasz n'est pas une femme.

Je prenais l'aspirateur (tous les jours, vous rendez-vous compte ?) que je passais sur le tapis, puis je soulevais les bibelots pour les dépoussiérer. Un coup de vent dû à la climatisation toujours en route même en l'absence du patron (pour que le bureau ne soit pas irrespirable) renversa le dossier de Martin et Diasz c. l'Enterprise. (Ils ont le sens de l'humour).
Je ramassais vite les feuilles. Mais soudain, le procès-verbal de l'enquête préliminaire attirait mon attention. Il était daté d'un 31 juin 2016. Un 31 juin ? Ce n'est pas possible. Et... Tiens, encore une irrégularité. Les noms des accusés ont été inversés sur le jugement en première instance. La procédure est bien avancée, les délinquants font appel de leur condamnation. Avec ce qu'ils ont à payer de dommages-intérêts, je la fermerai. Ils n'ont pas fait de détention préventive ni été condamnés à une quelconque peine d'emprisonnement ! Les bons avocats de la capitale sont décidément très bons. Je lisais encore quelques documents. Les preuves étaient accablantes mais ils ne devaient qu'une somme assez rondelette à l'Enterprise. Ils s'en tiraient bien. Et une petite amende pénale. Même pas 100 000 €. Et on vit là-dedans... Mais là, en appel, y a de quoi casser le jugement... Nullité de la procédure. Seigneur. Tout ça pour rien. Mais qui aurait trafiqué des documents officiels, au risque de tomber pour faux et usage de faux ?
Je peux la fermer sur un truc pareil ? D'un côté, je porte atteinte aux intérêts de l'entreprise si je me tais. De l'autre, j'empêche une fille et un comptable véreux de s'en sortir aussi aisément.

Alors que je cogitais ferme, assise sur le tapis rouge du bureau-loft, à côté de la table en bois massif, la porte coulissa violemment (si, c'est possible). Et le Président entra.

Pour faire la pause, je vais vous raconter comment une jeune femme, belle, brillante, surdiplômée, se retrouve à nettoyer les figurines d'un abruti en costard et à mendier chaque morceau de pain quand elle n'a pas de boulot. C'est tout simple : la peur du chômage et l'absence de travail dans les cabinets d'avocats en droit de la famille. Après avoir échoué à deux ou trois concours, j'ai tenté l'avocature. Manque de chance, je l'ai eu. Mais je survis. J'ai faim tous les jours, donc pour manger, je travaille. Je n'ai plus de projets d'avenir. Plus de passé, mes parents m'ont tourné le dos. Mon métier n'est pas assez valorisant. Et le petit ami n'est plus là... Lucas est parti, en prenant la porte (sens littéral, il est parti avec la porte... il l'avait payée... Ne cherchez pas). J'étais enceinte. J'ai confié mon fils, Alex, aux services sociaux. Ou ils me l'ont pris. De toute façon, c'est pareil maintenant. Et je mets chaque sous de côté pour lui. J'ai ouvert un compte à son nom. Pour lui. Je fais tout pour le récupérer. C'est Zola, ma vie. Même ma pétasse d'ex-copine qui est partie avec mon ex ne le mérite pas (quoique... non non).

Bon vous avez pleuré ? Non ? Vous voulez connaître la suite ? Oh, ça va, inutile de crier, j'y viens.

- Vous êtes qui, vous ?
- La femme de ménage. Je ne savais pas que vous rentriez aujourd'hui. Je vous prie de bien vouloir pardonner ma présence ici, monsieur le Président.
- Hein ? Oui oui... Vous lisiez quoi, dans mon bureau ?
Il commençait à avoir l'air furieux.
- Le dossier a volé à cause d'un vent froid. Je le rangeais, monsieur le Président.
- Vous avez lu ?
La vérité ou pas ? Ma vie, ou la justice ?
- Seulement les noms sur le devant, monsieur le Président.
- Quelle triste affaire, vraiment... Se faire voler par sa propre fille. Elle voulait une avance sur l'héritage, cette garce !
- J'ai fini de ranger, monsieur le Président, je vous laisse.
- Attendez ! Vous pourriez m'écouter parler sur le dossier ? ça m'aide à organiser mes idées... D'habitude, c'est ma fille qui le fait, mais là...
- Vous êtes l'avocat sur ce dossier, monsieur le Président ?
- Oui, et malgré le conflit d'intérêts...
- Je vous écoute, monsieur le Président.
- Tenez, lisez les premières pièces, ainsi que le jugement du tribunal correctionnel.

Je vais devoir parler.

- Monsieur, je n'y connais rien.
- Je suis en train de relire votre CV, vous êtes major de la dernière promotion du master II Droit privé général de Paris-Assas. Vous devriez comprendre, je pense.
- Très bien, monsieur le Président.

Eh merde.
Je lisais.

- Monsieur le Président, il existe une cause de nullité dans la procédure.
- PARDON ?
- Les dates, et les noms.
- Hein ?
- Je vous montre, monsieur le Président.
- Qui a falsifié cela...
- Je ne saurais vous répondre, monsieur le Président.
- Elodie. Et David. (le comptable, c'est David Martin, note de moi).
- Je suis désolée pour vous, monsieur le Président.
- Elle a préféré son petit copain à son père et à l'entreprise familiale. Heureusement, j'ai découvert ses malversations à temps. Mais notre boîte a quand même souffert, tant dans sa réputation que dans ses comptes. Rien d'alarmant. Elle voulait une avance sur l'héritage ? Elle va être servie. Comment vous nommez-vous, déjà, jeune fille ?

Le Président va connaître mon nom. Je parle beaucoup trop.

- Fleur. Fleur Delgassi.
- Mademoiselle Delgassi, vous n'avez pas joué au loto, mais vous gagnez le gros lot. Je signe.
- Pardon, monsieur le Président ?
- Je refais mon testament. A votre nom. Tout vous revient, dans la limite de la part légale dévolue aux héritiers directs.
- Mais je ne le mérite absolument pas, monsieur le Président.
- Oh si... les ennuis viendront en leur temps, ne vous inquiétez pas pour ça. Mettez-vous à l'abri financièrement.
- Je vous remercie, monsieur le Président, je ne sais pas quoi vous dire...
- Ne dites rien. Prenez les documents, rendez-vous chez le notaire demain.

Il m'a montrée la porte.
L'entretien était terminé.

Six jours plus tard

La boîte à mon nom. Le Président qui disparaissait dans un mystérieux crash aérien. Les missiles de Daesh sont très pratiques tout de même. 258 personnes tuées dans le Boeing. La coalition en colère. Et la fille du Président aussi. Une colère noire. J'ai cru, avant-hier, qu'elle allait me tuer.

- Quoi ?! Encore en retard ?
Le vigile. Encore lui.
- De toute façon, tu n'es pas si en retard que ça, ajouta-t-il.
Sa main, qui arrive au ralentit. Le bruit, contre mes dents. Le sol, dur. Et relativement froid pour la saison.


Je me réveillai sur un bateau. Enfin un hors-bord. Qui tanguait dangereusement. A quelques miles nautiques de la côte. Je voyais encore la terre. Ma tête tournait, avec des petits nains qui apprenaient à forger dedans. Mais je distinguais une masse de cheveux blonds. Faux. Elodie Diasz. Ah, elle voulait vraiment me tuer. Trop cool.
- Ça va la petite pute ? T'as bien sucé mon père ? T'as même dû accepter qu'ils te prennent, lui et son dircab, par le cul ? Sale salope. Toi morte, avec ton fils, personne n'aura rien. Et la firme me reviendra. Tu ne peux pas me battre.
- J'ai déjà vendu, miss. RAF de tes menaces. Mon fils est à l'abri. Et à l'abri du besoin. J'ai encaissé l'argent.
Le coup de bluff valait le coup. Vous auriez vu son visage devenir rouge... Jouissif. Soudain, elle me bâillonna. Je protestais comme je pouvais. En ahanant. Et c'est là qu'elle me dit : « j'aime tes silences. Ils sont presque comme les miens ». En l'occurrence, mon silence était bruyant. Mon silence lui était confortable. Elle n'avait pas à mettre le nez dans sa bouse. Et je n'avais qu'à la fermer. Je n'étais qu'une petite mouche dans son café court de la vie. Un truc qu'on attrape, qu'on met dans un mouchoir dans une poubelle et qu'on s'empresse d'oublier. Un de mes silences comme les siens... Comme si je pouvais un jour l'approcher ! Mais non ! Je ne suis pas comme elle ! Je ne tuerai jamais mon père pour quelques centaines de milliers d'euros (bon, il ne les aura peut-être jamais aussi...) ! Je suis loin d'être aussi immorale qu'elle ! Alors que je tentais de me convaincre...
Le vigile, son homme de main, me poussa dans l'eau. Et avec la houle, je n'avais pas assez de forces pour rester hors de l'eau bien longtemps. Le hors-bord partit, manquant de me faire passer sous lui. Je commençai à tenter de surnager dans l'eau tourmentée vers les terres que je distinguais au loin... je priais pour le salut d'Alex. Et de Lucas. Je ne le méritais pas. Il avait eu raison de partir. Je priais pour le Président. Il n'avait pas mérité cette mort, trop soudaine. Et sans doute imputable à Elodie, mais quant à le prouver... Daesh avait revendiqué. L'eau était trop puissante pour moi. Autant partir...

Vous m'avez crue ? Au moins, j'étais pas cuite ! Sinon, comment aurais-je pu vous raconter la fin ?
En fait, un bateau de la gendarmerie était à proximité, et chance ou hasard très bien placé, un stagiaire m'a vue. Ils m'ont sortie de l'eau. Lucas était le chef de groupe. Je lui ai expliqué la situation, il m'a serrée dans ses bras, enlevé mes vêtements et réchauffée.
J'ai pu encaisser l'argent, en vendant la firme, pour me mettre à l'abri financièrement, et physiquement. Alex reste introuvable. Mais j'ai appris de mes erreurs. J'ai repassé un concours. J'attends les résultats finaux. J'étais admissible aux oraux.

Bon, au moins, Fleur n'est pas morte. J'avais besoin d'un peu d'espoir. Surtout en ce moment. J'ai longtemps hésité à la tuer, mais la noyade avait toujours ma préférence. Je dois avoir chaud... Si quelqu'un a une piscine, je veux bien venir <3
Je vous aime, merci de me lire.
Lancovit

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