Défi de Insomnia2007 - Corazón roto

Bonjour, bonsoir. Je me présente : je m'appelle Esperanza Torres. J'ai vingt-et-un ans et je suis actuellement étudiante en médecine. J'aime les pizzas aux piments, le rock, et je déteste le sport.
Ah ! Et j'ai un petit ami aussi, avec qui je suis depuis plus de trois ans et qui est étudiant en droit, lui.
Mais bon, je ne vais pas vous parler de lui aujourd'hui, d'abord parce-qu'il est plus insipide que de la viande trop cuite.
Et surtout parce-que ce serait totalement hors sujet.
Non, en fait, je vais plutôt vous parler de ma famille.
De ma petite soeur, pour être exacte.

"Ouais enfin... petite de cinq minutes à peine hein ! Pas la peine de pavoiser pour si peu."

Et ça, là, c'est la phrase que j'ai le plus entendue dans ma vie.

Mais bref.

Ma soeur, donc, me ressemble aussi peu de physique que de caractère. Je suis grande, blonde, bronzée et en forme(s) et elle est plutôt petite, brune, pâle et filiforme.
Niveau personnalité, je suis assez cynique et j'men-foutiste là où elle est plus clémente que moi envers nos semblables et plus appliquée dans tout ce qu'elle entreprend.

Néanmoins, on s'est toujours bien entendues, elle et moi.

Dans ce monde "marche ou crève" on a toujours pu compter l'une sur l'autre, se soutenir, se souder face aux imprévus.
Blanche (ou Bianca, lorsqu'on retourne voir la familia en Espagne) est ma conscience, si je puis dire. Quand nos parents ne savent plus à combien de décibels gueuler pour me faire obéir, c'est ma soeur qui les remplace, et vice-versa quand c'est elle qui part en vrille.

Nous sommes chacune le pilier de l'autre. Il en a toujours été ainsi, et ça ne changera jamais.

Mais, au fait, pourquoi je vous raconte tout ça ?

Eh bien disons que l'autre jour, j'ai été confrontée à la Crise avec un grand C.
Pas une petite déprime passagère, pas un petit crève-coeur ou un petit chagrin. Non. Rien qui ne pourrait être qualifié de "petit" ou de "sans importance".
Je devais retrouver ma soeur chez elle à vingt heures comme chaque lundi. Elle m'avait téléphoné à midi pour me demander d'acheter des chips et, à ce moment-là, elle se portait à merveille.

Dès lors, comment aurais-je pu m'attendre à ça en entrant ?

Affalée par terre, le dos contre le canapé, elle pleurait. Tout en buvant une bouteille de vin direct au goulot.
Hier encore, chez nos parents, j'avais à côté de moi une jeune femme heureuse et épanouie et là je voyais Blanche, ma Blanche en train de picoler un bon petit cava millésimé 1995, l'année de notre naissance.

Elle qui ne buvait presque jamais.

Totalement pétrifiée par ce que j'avais devant moi, je mis un bon bout de temps avant de pouvoir formuler une phrase sensée.

- Sérieusement ? La bouteille que nous a offerte tante Paola et qu'on ne devait ouvrir que le jour de notre mariage ?

Bon OK. Je vous avoue que j'aurais pu être un peu plus fine sur ce coup-là.

- Zaza... Tu s... sais... p...as ce qui e...est arrivé...
- Qu'est ce qui se passe ? Pourquoi ce torrent de larmes ? Lui demandai-je doucement.
- C... c'est Frédéric.
- Il lui est arrivé quelque-chose ?
- N...non.

Et elle recommença à pleurer.

Quatre paquets de mouchoirs plus tard, elle put enfin m'expliquer :

- Il...il IL M'A TROMPÉE !! Ce connaaaaaaaaard.

Replongeant dans sa crise d'hystérie, elle me laissa sous le choc de cette révélation.
Frédéric menait une double vie depuis quasiment le début de leur relation (soit un an quand-même) avec Vanessa, son ex, qui était revenue à la charge après avoir appris que son ancien mec avait retrouvé quelqu'un. Et manifestement, il avait "omis" d'en informer Blanche pendant tout ce temps. J'étais sonnée.
Frédéric, le gendre parfait. Frédéric, qui s'entendait à merveille avec tout le monde. Frédéric, qui n'avait jamais hésité à faire des heures de voiture juste pour aller acheter un cadeau à sa petite amie. Frédéric, celui qui vous aidait à enlever et remettre votre manteau, qui vous tenait toujours la porte même s'il était pressé et qui regardait le patinage artistique avec vous, même s'il n'en avait rien à carrer.

Bref, une perle rare.
Enfin ça c'est ce que je pensais, et Blanche aussi y avait cru apparemment.

C'était bien ça le problème.

Mais ce n'était pas le pire.
A la limite, Frédéric (que j'avais déjà rebaptisé GrosCon dans ma tête) aurait bien pu coucher avec toutes les greluches de la région, jeunes, vieilles, belles ou moches ça je m'en fichais. Le hic, c'est que ma soeur ne semblait pas approuver DU TOUT le concept de "couple libre".

Et à partir du moment où Blanche n'était pas d'accord, je ne l'étais pas non plus.

Je la regardais, à court de mots. Je ne savais pas quoi faire pour la consoler. Blanche était de ce type de personne qui se donnait entièrement dans une relation, amoureuse ou autre. Elle avait le coeur grand comme la Terre et elle le portait en bandoulière.

Et la voir ainsi me faisait mal.

Alors, pendant qu'elle tentait tant bien que mal de se calmer, je la berçais doucement contre moi en lui chantant une petite balade. Au bout d'un moment, elle finit par s'endormir sur mes genoux. Éreintée par le chagrin de ma soeur, je finis par m'assoupir moi aussi, à même le sol, toujours dos au canapé.

*****

Nous nous réveillâmes aux aurores, en même temps. Blanche avait une migraine épouvantable et moi, j'avais le dos en compote.
Pendant qu'elle se cherchait une aspirine, je me dirigeais aux WC. A l'intérieur de la cuvette, je vis un truc briller. Après plusieurs seconde, je réalisai que c'était le collier en argent que GrosCon avait offert à Blanche pour Noël.
De retour au salon, je m'aperçus qu'il y avait, au fond de la pièce, des papiers déchirés : leurs photos de vacances.

Non, ce n'était définitivement pas un petit chagrin.

Traînant la patte jusqu'à la cuisine où se trouvait l'infortunée, je me plantai face à elle.
Elle se retourna et nous pûmes chacune voir le visage de l'autre.
Chez moi, rien d'autre que des yeux fatigués, un teint de vampire et la mâchoire tendue d'inquiétude.
Chez elle, rien de plus que des yeux bouffis, un teint de zombie et la mâchoire tendue de sanglots refoulés.

On faisait la paire, tiens.

Je souris de l'ironie de la situation, du sadisme du destin et de la putasserie de cette vie, quelquefois.
Blanche devait se dire la même chose car elle eut le même sourire.

Cest à ce moment précis que j'eus la plus brillante idée de ma jeune vie.
Ce type devait payer, pour Blanche et toutes les malheureuses passées présentes et à venir. Il ne pouvait pas s'en sortir aussi facilement. Pas cette fois, du moins. Pas avec Blanche, pas avec nous.

Je vis le visage de ma soeur s'illuminer : elle avait compris. Elle pensait la même chose que moi et elle savait déjà ce que j'allais lui dire.

Ah, Blanche. J'aime tes silences, ils sont comme les miens.

*****

Nous étions cachées devant sa maison. Blanche, qui connaissait son emploi du temps par coeur, m'avait dit qu'il sortait toujours à huit heures pile pour prendre le métro. Et effectivement, nous le vîmes passer, tout guilleret et sifflotant, son attaché-case à la main.

Le pauvre, s'il savait ce qui l'attendait... J'avais presque pitié de lui.

Je jetai un discret coup d'oeil à Blanche pour voir comment elle supportait d'avoir GrosCon dans son champ de vision. Elle avait l'air de vouloir lui sauter à la gorge pour l'étriper façon the walking dead.
Une fois l'ennemi hors de vue, nous nous approchâmes de sa voiture, parquée devant l'entrée.
Une superbe BMW rutilante de propreté.

Tentant, n'est-ce pas ?

L'air de rien, ma soeur sortit son trousseau de clés de sa poche et commença à faire le tour de sa belle carrosserie bien neuve, pendant que je fredonnai à voix basse une chanson dont je ne me rappelais plus le titre, mais qui paraissait à-propos :

Donne moi une clé donne moi sa plaque que j'la raye sa BM que j'la crève sa BM que j'la saigne comme il te blesse sa BM
Si tu savais comme j'ai la haine

Après cette petite mise en bouche, nous nous introduisîmes chez lui.
Nul besoin d'épingle ou de barrette pour cheveux, ma soeur avait un double pour entrer.

Une fois à l'intérieur, j'observai attentivement la tanière de la cible.
Tout était ultra moderne et dernier cri. En même temps vous me direz, quand on est un petit banquier fils à papa, y avait de quoi pouvoir se payer tout ça.

- Par quoi on commence ? Me demanda Blanche ?
- Oh, c'est quoi cette horreur ?
- Une reproduction de la femme qui pleure de Picasso, me répondit-elle en grimaçant.
- Eh ben voilà !

Nous décrochâmes le tableau et, après l'avoir balancé par terre, le réduisîmes en bouillie avec nos belles bottines cloutées.
Et, tant qu'à faire, nous nous chargeâmes aussi de toute (l'affreuse) déco du salon.
Ensuite, pour bien continuer sur notre lancée, nous prîmes sa belle télévision HD pour la ranger. Oui oui, la ranger... dans la piscine.
Les bienfaisantes fées du logis que nous étions décidèrent ensuite de "ranger" le deuxième étage, où étaient cachés des documents intéressants...
Après avoir utilisé ses chemises pour faire un bon feu de cheminée et après avoir généreusement raccourci ses pantalons avec des ciseaux (bah oui, on fait avec le matériau qu'on a) nous décidâmes de passer aux choses sérieuses.

Niark niark

Je m'emparai du téléphone et, d'un geste théâtral, le tendit à Blanche.

- Tu te rends compte ? Il n'a même pas pris la peine de cacher sa liste. Je suis vraiment sortie avec un débile en fait...
- Ah ! Tais-toi et vas-y, que je profite du spectacle.

La liste, c'était un petit carnet avec tous les contacts professionnels importants de GrosCon.
Et il avait eu le mauvais goût de la laisser bien en évidence sur la table de la cuisine.

Blanche s'improvisa speakerine :

- Mr. Leblanc, vice-président de l'industrie Vif-Assura. Un de ses plus anciens et fidèles clients. Son père s'occupait de sa boîte avant lui.
- Ouah ! Il est bon celui-là.
- J'appelle.

Elle mit le téléphone sur le haut-parleur, et, après trois sonneries...

- Frédéric. Bonjour, comment allez-vous ? Mes finances se portent bien j'espère ?
- SU JEFE ES UN CERDO Y UN BASTARDO !
- Allô ? ALLO ? Qui est à l'appareil ??

Et, d'une même voix, nous hurlâmes dans le combiné :

- PENDEJO !

Et Blanche raccrocha, morte de rire.

- Alors là, s'il lui reste encore des clients après ça eh ben chapeau ! Dis-je entre deux hoquets.
- C'est sûr ! Ah que ça fait du bien... On continue ?
- Et comment !

Une fois lassées de notre petit canular, nous nous dirigeâmes vers la sortie. Blanche avait déjà un pied dehors quand je la hélai.

- Attends, juste une petite seconde encore. Ne bouge pas je reviens.

Je montai rapidement les escaliers, direction la salle de bain. Avec tous les mouchoirs que j'avais trouvés, plus ceux que j'avais, au préalable, emportés, j'entrepris de boucher la baignoire, la douche, puis toutes les toilettes de la maison.

Blanche me regardai faire, hilare.

Puis, me munissant d'une feuille de papier et d'un stylo, j'écrivis ceci :

Cher GrosCon (pardon ! Frédéric),

Tu as commis une grave erreur en t'en prenant à Blanche. Tu avais devant toi une fille formidable, prête à tout pour faire ton bonheur, qui t'avait offert son coeur sur un plateau d'argent et toi, tu l'as piétiné. Eh bien, morfle, maintenant.
Nous avons fait un peu le ménage par chez toi (non non, ne nous remercie pas) et nous nous sommes occupées de ta douteuse décoration.
Et pour finir, tous les mouchoirs qu'elle a usés par ta faute, je te les ai personnellement rendus, tu comprendras ce que je veux dire assez vite, je crois.

Sur ce, je te laisse. Au plaisir de ne jamais te revoir mi querido amigo !

Esperanza

P.S : inutile d'avertir la police. En mettant à sac ta maison, nous avons découvert des papiers qui en disent long sur la manière dont tu gères la fortune de tes clients. Rien de vraiment méchant, je te rassure, mais je ne suis pas certaine que le fisc en dirait autant...

Ma lettre achevée, je me tournai vers ma soeur.

- Gaufres pour fêter ça ?
- Avec sauce chocolat et double ration de chantilly ?
- Cela va de soi ma chère.
- Alors d'accord !

Moralité, réfléchissez bien avant de briser un coeur.
Vous pourriez bien avoir affaire à son double.

Fin

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