Défi de Faustaweb - Le blues du TER
L'expression tomber des nues vous la connaissez?
Les nues, je ne vous parle pas de la Venus de Boticelli ou autres Origine du Monde.
Les nues, c'est comme ça que l'on appelait ces bouts de cotons qui parsèment le ciel, les nuages, et bien ça peut vous donner une idée de la hauteur de laquelle mon coeur vient de faire une dégringolade.
Je reste là, à les observer, perplexe. Je rate quelque chose c'est impossible. Mais ce que je vois ne me laisse aucun doute. La discussion bat son plein et aucun d'eux ne m'a vue. C'est mieux ainsi. Je crois que je ne pourrais pas me contrôler si elle venait me voir pour tenter de s'expliquer alors qu'il n'y a rien à dire. Elle m'a trahie, menti et je me sens salie. Ma meilleure amie est de mèche avec mon ex qui me harcèle et me fait vivre l'enfer.
A cause de lui je ne sors plus sereinement dans la rue, à cause de lui je pleure sans cesse.
A cause d'elle je finis de sombrer.
Ça ne va pas s'arrêter, je sais, la loi des séries... Mais là l'enfer est sur terre et ce sadique de diable a préparé un feu de joie pour moi.
Je devrais peut-être être flattée d'autant d'attentions mais là c'est la goutte de trop. Le truc qui fait que plus rien n'a de sens, plus rien sauf lui, Rom'. Il est toujours là pour moi.
Mais il me trotte dans la tête qu'il peut ne pas être si différent des autres.
Je rentre chez moi et verrouille la porte à double tours comme si toute cette merde pouvait rester dehors, sauf que ça n'arrivera pas.
*
- Em'?
- Oui p'pa?
- Lola vient encore d'appeler sur le fixe, je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais il va bien falloir prendre une décision et l'en informer.
- Je ne veux plus entendre le son de sa voix p'pa...Lui lancé-je en claquant la porte de ma chambre.
Ça fait trois jours que je tourne comme un lion en cage. J'accepte d'avoir Rom' au téléphone mais personne d'autre.
Le problème c'est qu'il se défonce de plus en plus et des fois je ne comprends plus bien ce qu'il me dit.
Il prononce des mots que je ne comprends pas, fait des phrases qui n'ont pas de sens.
Il devrait se calmer.
Quand je pense à mon amie, à mon ex, je réalise que les gens proches de moi, ceux que je croyais aimer, sont tous des enflures. J'ai mal. J'ai putain de mal!
Je ne dois pas être à la hauteur ou un truc dans le genre. Je suppose que le problème en réalité c'est moi et il faut que ça s'arrête. Maintenant.
J'ai besoin de la seule personne qui soit là
Je l'appelle, encore, je dois le voir. C'est vital.
- Salut!
- Je...je peux te voir?
- Non!
- Rom'?
- Reste loin de moi! Il halète et a une drôle de voix.
- Qu'est-ce qu'il y a?
- Je peux pas te parler là tu ne dois plus m'approcher.
Il vient de me raccrocher au nez.
Lui aussi bordel... lui aussi.
Depuis qu'il fume toute la sainte journée je vois bien qu'il s'éloigne mais à ce point là je ne pensais pas.
Il part lui aussi, il voit ce que je suis.
Il faut que je sorte alors je prends mon courage à deux mains et toujours armée de mes clefs je vais errer quelques heures dans un parc public, je cherche une échappatoire.
J'ouvre mon sac et en sors mon porte monnaie, ce qu'il y a dedans devrait suffire.
J'attends immobile dans le clapier en verre qui sert d'abri-bus.
Il se gare devant moi, le bus numéro 15. Après une dernière seconde d'hésitation je me décide à monter à bord non sans subir le regard assassin du chauffeur impatient.
La route est vraiment dégueulasse et ça fait tressauter le bus. Ça me berce et m'apaise.
Une vieille femme me bouscule et me dévisage. Elle aussi elle a compris, je suis une râtée, ils l'ont tous compris.
Il n'y a qu'une solution à part l'autre que j'ai envisagé mais que je n'ai même pas la force de mettre à exécution.
Je l'ai pourtant ressassée sur le carrelage de ma salle de bains.
Même pour ça je suis nulle.
J'appuie sur le bouton et descends à la station. Devant l'édifice, je m'arrête. Mon coeur bat à tout rompre et mon ventre fait des loopings. Après une grande inspiration je passe l'immense porte vitrée. Il y a énormément de monde, le bruit est assourdissant, certains courent, d'autres feuillettent des magazines, d'autres croquent dans des sandwichs dégoûtants qui valent la peau des fesses. Plantée là je les observe. Au milieu d'eux je me sens encore plus insignifiante. Une fourmi dans un monde en ébullition. Une paria. La borne vient de se libérer, il est temps de passer à l'acte. En cinq minutes je choisis ma destination et j'ai mon billet en main. Je pars.
Je poinçonne mon billet et m'installe sur un banc en bordure de quai. Un train entre en gare sur la voie d'en face, et un son vient à mes oreilles, une guitare. Mon coeur fait un bond.
Je me tourne, une jeune femme assise en tailleur gratte quelques accords.
J'ai de suite pensé à lui mais il a été très clair. Personne ne viendra me sauver. Les chevaliers blancs ça n'existe pas, ça n'a jamais existé et je suis loin d'être une princesse.
Pourquoi est-ce qu'il a fait ça?
Pourquoi ne l'aurait il pas fait ?
Une annonce m'avertit de l'arrivée de mon train ça y est il est temps.
Installée côté fenêtre je regarde le paysage défiler de plus en plus vite, la ville devient de plus en plus petite et moi je suis déjà loin.
Vous avez déjà fait gaffe à la différence entre ce que les autres s'imaginent de vous et ce que vous êtes vraiment ? La partie immergée de l'iceberg.
Quand j'y pense je me rends compte que de l'extérieur comme ça je présente bien. Je fais des blagues je rie.
Je suis même pas trop moche.
Oui la carrosserie ça fait beaucoup. Le paraître je sais exactement comment le préserver, sourire, l'humour, être bien sapée.
Ça je sais faire.
Oui mais comme ces bonbons qui ont l'air délicieux et qui quand vous les mettez dans la bouche ont un goût ignoble je ne suis pas ce que l'on voit.
Personne ne veut de ça. Elle n'en a pas voulu elle d'ailleurs. Elle qui a préféré se foutre en l'air plutôt que s'occuper de sa propre fille.
Qui es-tu quand personne ne regarde?
Quelqu'un dont personne ne veut même pas sa propre mère. Je me dis que mon père sera soulagé, il aura un poids en moins et plus besoin de s'inquiéter. S'il ne comprend pas au début il y trouvera son compte au bout d'un moment.
Quand personne ne regarde je ne donne plus le change mon vide intersidéral éclate.
Je suis vide. Je suis à peine bonne au violon, potable en chant, je n'y prends plus aucun plaisir. La musique qui était tout, n'est plus rien.
J'ai toujours eu envie de faire ce que je fais là au fond de moi mais jusqu'à présent je n'avais pas eu cet élément déclencheur.
Quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber?
Quand je laisse tomber ça n'en fait aucun....Je suis seule.
Quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber?
Le bruit d'un TER grinçant sur les rails à chaque arrêt.
Quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber?
Le bruit de mon coeur qui explose en mille morceaux et se disperse au gré du vent.
Quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber?
Un silence assourdissant de dégoût pour soi même de tristesse et de résignation.
Quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber?
Le bruit de mes hauts le coeur au dessus des toilettes d'un train.
Je regarde dans le miroir ce reflet que je ne reconnais plus pendant qu'un con s'excite à essayer d'ouvrir la porte. Quand le loquet est rouge ça veut dire ce que ça veut dire sans déconner.
Mon téléphone sonne et machinalement je décroche. Je regrette immédiatement mais il est trop tard. C'est Rom'.
- Bonjour, commence une voix féminine.
- Bonjour balbutié-je.
- Je suis la maman de Romain, tu es Em'?
- Oui.
- Écoute il a écrit ton prénom partout sur les murs de sa chambre et j'ai vu que tu l'avais appelé tout à l'heure. Je sais que tu comptes pour lui alors...
Elle laisse un sanglot lui échapper puis reprend.
- Je ne sais pas quoi faire d'autre que l'emmener aux urgences. Peut-être que tu pourrais... Je ne devrais pas te demander ça...
- Dites moi.
- Je crois que ce serait bien que tu viennes.
- D'accord Madame.
Je regarde ma montre.
- Je vais essayer d'être là d'ici environ 3 h.
- Fais comme tu peux....Merci.
Merde je dois descendre à la prochaine gare et faire le chemin inverse. Qu'est-ce qu'il a? Comment ai-je pu être aussi égoïste ?
Il est au plus mal et je suis là au milieu des vignes alors qu'il a besoin de moi. Alors qu'il a été présent pour moi à chaque fois.
Mais qu'est-ce que je peux être conne !
Je descends dans un patelin dont je ne connaissais même pas l'existence et une demi-heure plus tard je reprends le TER dans l'autre sens puis le bus. Je file comme une furie jusqu'à l'entrée des urgences et appelle sa mère qui m'indique qu'elle attend le médecin en salle d'attente.
Une grande femme brune se lève quand je passe la porte et me serre dans ses bras. Je ne suis pas coutumière de ce genre d'effusions mais si elle en a besoin...Pourquoi pas.
Je m'assois à côté d'elle sans un mot. Il n'y en a pas besoin. Une jeune femme en blouse passe à son tour la porte et la mère de Rom' s'accroche à mon bras comme à une bouée de sauvetage.
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