S24 - Thème "Voyage"
Le voyage de ma vie
Alexis, un verre de whisky à la main, tenait le papier du bout des doigts. Il l'avait trouvé au dos d'une toile achetée le matin même.
Dessus, y étaient écrits ces mots : « Souvenir de la vallée mystérieuse. L. ».
Le côté curieux de l'homme s'éveilla.
Il retourna dans la brocante où il l'avait acquise et interrogea la vendeuse sur son origine.
Ne pouvant le renseigner, elle lui donna le numéro de son mari. Il serait plus à même de lui répondre.
Après l'avoir remerciée, il s'empressa de rentrer chez lui pour l'appeler.
Gérard lui apprit qu'un vieil homme lui avait vendu cette œuvre ainsi qu'une dizaine d'autres.
A la demande de l'octogénaire, il ne les écoulait qu'une par une, celle-ci étant la première à avoir été mise en boutique.
D'après ce qu'il en savait, elle avait été peinte par une demoiselle qui s'appelait Louise. Elle l'avait offerte à son prétendant.
Leur conversation avait un peu plus éveillé sa curiosité. Le chineur lui promit de contacter le vendeur. Il lui donnerait ses coordonnées et lui demanderait de le rappeler.
Quelques semaines plus tard, toujours sans nouvelles du vieux monsieur, le trentenaire continuait malgré tout à enquêter.
Il avait trouvé une « Vallée Mystérieuse » dans le Tarn. D'après les photos, ça ressemblait bien au paysage peint.
Excité, il voulait aller vérifier par lui-même. Cela représentait un long voyage pour lui, mais il avait besoin de s'y rendre.
Il en était là de ses recherches lorsque son portable sonna.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il se retrouva à discuter avec l'ancien propriétaire de la toile.
L'homme âgé s'excusa pour son délai de réponse. S'étant absenté, il n'avait eu le message de Gérard que la veille.
Quand il lui demanda ce qu'il attendait de lui, Alexis lui résuma, de façon succincte, les détails de sa quête. Arrivant à sa déduction quant au lieu représenté par la peintre, André lui confirma qu'il avait vu juste.
S'ensuivit une conversation durant laquelle il apprit que son interlocuteur vivait à proximité de ce lieu et réussit à se faire inviter chez lui.
***
André l'accueillit sur le pas de sa porte.
- Bonjour. Tu vas bien ? Tu as fait bon voyage ?
- Bonjour. Oui, ça va. La route a été calme.
- Suis-moi, je vais te montrer tes quartiers.
Le temps qu'Alexis s'installe dans sa chambre, il fila leur préparer du café.
- Alors, explique-moi ce qui t'amène ici.
- Je suis amateur d'art et j'ai acheté un de tes tableaux dans une brocante. En l'examinant, j'ai trouvé un mot caché dans la doublure de la toile. Il m'a donné envie d'en savoir plus.
- Tu l'as avec toi ?
- Oui, je l'ai amené. Tu veux le voir ?
- Je veux bien, lui répondit André avec enthousiasme. Je n'ai jamais su qu'il se trouvait là.
L'invité fouilla dans sa sacoche et en sortit le papier qu'il lui tendit.
Celui-ci le prit délicatement, les larmes perlant au coin des yeux.
Sous le regard attendri du jeune homme, il commença alors son récit.
- Cette toile a été peinte en avril 1939 par la demoiselle dont j'étais éperdument amoureux. Nous passions un après-midi à nous balader. Elle s'accrochait à mon bras car elle avait, disait-elle, peur qu'un fauve sorte du sous-bois et l'attaque. Il n'y avait, bien évidemment, aucun risque que cela n'arrive. Les seuls « fauves » sur lesquels nous aurions pu tomber étaient des lapins sauvages. Il s'agissait juste d'une excuse pour se tenir tout contre moi.
Voyant son interlocuteur captivé, il reprit :
- A cette époque-là, nous étions jeunes et insouciants. La guerre et les privations qu'elle entrainerait ne nous préoccupaient pas encore. Ma Louise adorait le dessin et la peinture. D'ailleurs, ce jour-là, nous avions emmené avec nous une toile et sa palette de fusains. Arrivés au point culminant de ce lieu magique, elle s'est installée à l'ombre d'un saule et a tracé les prémices de ce tableau. Une vue plongeante de la Vallée Mystérieuse. Elle me l'a envoyé bien plus tard, après qu'elle et sa famille aient fui les débuts de la seconde guerre mondiale. Je ne l'ai plus jamais revue, finit André le regard triste.
Alexis ne dit mot, bouleversé par ce triste dénouement. Pour laisser à son hôte le temps de se remettre, il se leva pour aller faire du café. Quand il revint au salon, le vieil homme enchaina.
- Maintenant tu sais tout sur son origine. Demain, nous irons voir cet endroit de plus près.
Parvenus au pied du vieux saule, ils s'assirent pour profiter de la vue. Après un moment de recueillement, l'octogénaire replongea dans ses souvenirs.
- Nous sommes venus ici si souvent que nous avons pris l'habitude d'y laisser un petit objet nous représentant. Nous avons enterré une petite boîte au pied de cet arbre et nous la remplissions un peu plus à chaque fois que nous nous retrouvions ici. D'ailleurs, à moins qu'un gamin curieux ne l'ai retrouvée, elle se trouve toujours entre ses racines.
- A quoi ressemblait cette boîte ?
- Pourquoi cette question ?
- Oh, simple curiosité. Votre histoire est si passionnante que j'ai envie d'en connaître le maximum. C'est ma façon de m'approprier le tableau.
- Je comprends. Pour répondre à ta question, nous avions utilisé une ancienne caissette en bois, dans laquelle mon aimée rangeait son matériel de dessin. Sur le couvercle étaient gravés son prénom et la représentation de sa date de naissance, le 7/5/1920, en chiffres romains.
Alexis l'écoutait avec attention, se représentant mentalement la gravure. Cette information le titillait, mais sans en trouver la raison.
Ils restèrent encore un peu afin de profiter du paysage avant de redescendre.
A la fin de la semaine, les deux hommes se quittèrent sur la promesse de rester en contact et d'organiser très vite un séjour d'André chez Alexis.
***
Souhaitant préparer son arrivée le mieux possible, Alexis déblaya la chambre d'amis, qui lui servait actuellement de débarras. S'y entassaient des œuvres chinées au gré de ses balades et les objets hérités à la mort de sa grand-mère.
Cela l'occupa plusieurs soirées. Le jeudi, il ne lui restait plus que les deux énormes cartons contenant les souvenirs de son aïeule.
Sa passion pour l'art lui venait d'elle. Il ne fut donc pas étonné, en ouvrant celui du dessus, d'y trouver une esquisse. Il prit son temps pour tout déballer. Il accrocha les dessins sur les murs et déposa des bibelots sur les meubles.
Il venait de finir de le vider quand il s'aperçut qu'il était minuit passé. Son ami arrivant le lendemain, il laissa le dernier dans un coin et lui prépara le lit avant d'aller rejoindre le sien.
Ils se retrouvèrent à la gare, dînèrent dans une brasserie et rentrèrent se coucher.
Du moins, c'était le projet du jeune homme. Car son invité, en pleine forme, n'était pas de cet avis. Une fois ses valises posées, il fit le tour du propriétaire, s'attardant sur toutes les babioles dispersées dans la maison et les tableaux accrochés aux murs. Quand il vit celui de sa bien-aimée, il se laissa tomber dans le canapé et resta à l'observer pendant un long moment. Il fut sorti de sa rêverie par les bâillements légèrement exagérés d'Alexis.
Une fois couché, il ne réussit toutefois pas à trouver le sommeil. Il était captivé par les esquisses accrochées au mur. Il ne pouvait pas en détacher son regard.
Il se releva, en décrocha une et la sortit de son cadre. Au bas du dessin se cachait un prénom. Malgré les années, il ne l'avait jamais oublié.
Il le replaça sous verre et, au lieu de le remettre sur son clou, le plaça à côté de son oreiller et s'endormit, la main délicatement posée dessus.
Le samedi, il s'éveilla, toujours dans la même position. Il se leva et l'emmena pour le montrer à Alexis.
Surpris, celui-ci lui demanda :
- Pourquoi l'as-tu décroché ?
- Viens avec moi, lui répondit le vieil homme. Aide-moi à descendre le tableau de Louise. On va en enlever le fond.
Il posa l'esquisse à côté de la toile et laissa le trentenaire assimiler ce qu'il voyait.
Aucun doute. Les signatures étaient identiques.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il, hébété.
- Mon petit, ça veut dire que ma Louise et ta grand-mère ne sont qu'une seule et même personne.
- Tu le savais ?
- Non, je l'ai découvert hier soir. J'ai reconnu son coup de crayon. J'ai vécu de nombreuses années entouré de ses œuvres.
- Tous les tableaux que tu as vendus sont d'elle ?
- Oui, tous. La Vallée Mystérieuse est le dernier qu'elle a peint pour moi.
- Gérard m'a expliqué ton souhait de ne les écouler qu'un par un. Pourquoi cette demande ?
- J'ai imposé cette condition pour que ses toiles ne soient pas achetées par la même personne. Que son talent soit reconnu par tout le monde. J'ai l'impression qu'elle t'a guidé vers celui-ci. Qu'elle voulait que nous nous rencontrions.
Le reste de la journée s'écoula au rythme de l'histoire de mamie Lou et de sa famille.
Le dimanche, ils entreprirent de vider le dernier carton. D'autres paquets se trouvaient à l'intérieur. Ils en prirent chacun un et les déballèrent.
- Je l'ai retrouvée ! claironna Alexis.
- Tu as retrouvé quoi ?
- Votre boîte à trésor. Regarde, la gravure est celle que tu m'as décrite. « LOUISE – VII-V-MCMXX ».
Le vieil homme s'approcha et la toucha du bout des doigts, ému.
Hésitant, il releva les crochets et souleva le couvercle. Une feuille, pliée en deux, portait son prénom. Il la prit et l'ouvrit. Sa lecture inonda ses joues de larmes. Elle glissa de ses doigts tremblants. Le jeune homme la ramassa et la lut à haute voix.
- Mon André,
» Si tu lis cette lettre, c'est que tu as retrouvé ma famille, notre famille.
» Je suis profondément désolée de ne pas avoir pu te le dire, mais notre dernière escapade dans la Vallée Mystérieuse n'a pas seulement donné naissance à un tableau, mais aussi à notre merveilleuse fille, Marie qui, à son tour, nous a donné un magnifique petit-fils, Alexis.
» J'espère que tu me pardonneras cette trahison et que tu apprendras à les connaître.
» Mon amour pour toi ne s'est jamais éteint et durera pour l'éternité.
» Ta Louise.
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