Le tyran des temps modernes

Perché au sommet de ma tour, je règne en maître sur mon royaume. Mes sujets me sont tellement dévoués que je n'ai même pas besoin de leur parler pour me faire comprendre et obéir. Un grognement, un geste en direction de l'objet convoité et l'un d'eux accourt pour combler mes désirs.

Aujourd'hui est un jour particulier : c'est mon anniversaire. Et, comme chaque année, le petit peuple se regroupe autour de moi et me couvre d'offrandes diverses et variées. J'attends qu'ils soient tous à mes pieds pour enfin daigner descendre de mon piédestal, un sourire carnassier aux lèvres. Je m'installe sur mon trône dans le plus grand silence et désigne du doigt un premier sujet afin qu'il m'apporte le présent qui m'est destiné. Je l'ouvre, jette un regard blasé à l'intérieur et le laisse choir à côté de moi. Je procède ainsi avec la totalité de ma cour. De légers sanglots s'élèvent des rangs, mais je n'y prête pas la moindre attention.

Après la distribution des cadeaux, une musique résonne dans le royaume et les grands sages, qui se contentaient jusque-là de surveiller le déroulé de la cérémonie, dressent le banquet prévu en mon honneur. Alors que mon peuple commence à se diriger vers les victuailles, je deviens rouge pivoine et pousse un hurlement tonitruant. Tous se retournent et me regardent, terrorisés. Plus personne n'ose bouger. Anita, la prêtresse des grands sages, s'approche doucement de moi en récitant une prière à voix basse. Je suis certain qu'elle invoque les dieux pour qu'ils lui viennent en aide. Mais je ne me laisserai pas faire ! C'est moi le maître ici et tous me doivent dévotion et obéissance ! Je vagis de plus en plus fort mais ça n'a pas l'air de l'impressionner. Elle continue à avancer jusqu'à arriver à mon niveau. Elle s'agenouille devant moi et continue ses incantations comme si de rien n'était, totalement imperméable à ma fureur.

Au bout de plusieurs minutes, devant son calme olympien et la douceur de sa voix, je finis par m'apaiser et commence à sombrer dans un profond sommeil. J'ai beau lutter de toutes les forces qu'il me reste pour garder les yeux ouverts, rien n'y fait. Elle m'a eu.

Lorsque je m'éveille, le calme règne autour de moi. Je constate qu'on m'a déposé au centre d'un édredon moelleux et, ayant du mal à m'en sortir seul, je commence à geindre. Me connaissant bien, les grands sages, toujours à l'affut, accourent pour me relever avant qu'une nouvelle colère n'éclate et ne mette fin à l'apaisement général. Ils m'accompagnent à la table de banquet, encore dressée, et me servent la collation que je n'ai pu prendre auparavant, vaincu par la fatigue.

Reposé et repu, je regagne le haut de ma tour afin de garder un œil sur mon royaume qui reprend vie petit à petit.

Quelques heures plus tard, alors que le ciel se teinte de gris et que mes sujets désertent la cour pour rejoindre leurs pénates, j'aperçois les dieux « Papa » et « Maman » s'approcher à une vitesse fulgurante et s'entretenir, la mine sombre avec les grands sages.

Au fait, je ne me suis pas présenté.

Je m'appelle Elliott, j'ai 2 ans et je suis un petit tyran régnant en maître sur la crèche municipale de mon village.