5.


Prête à céder à la folie meurtrière qui m'habite et me pèse, j'accélère le pas, courant le plus vite possible. Le vent touche mon visage de ses fouets glacés, faisant rougir ma peau et mon nez.

Je ne m'arrête qu'une fois devant les grandes portes du palais royal. Un immense bâtiment fait de marbre, de pierres grises et blanches et servant de maisonnée à la famille royale. Je contourne le bâtiment afin de trouver la porte de service sud. Un Ankin la garde précieusement. Il est protégé par une armure en métal rutilante d'une grande brillance, très fine et très bien conçue. Il a dû l'astiquer afin d'être parfait pour cette soirée particulière et grandiose. Par-dessus, il a enfilé la cape des Ankin.

Ma décision est prise. Rien ne m'empêchera de parvenir à mes fins. Même si pour cela, je dois réellement devenir un monstre et mettre fin à ce qu'il reste de mon humanité. La folie a presque totalement anéanti ce qu'il reste de mes émotions, de toute façon... Je la laisse m'envahir au maximum. Elle est comme un flux glacé, un poison qui circule dans chacune de mes veines et qui finit par s'emparer de mon cœur et mon âme.

Lorsque je rouvre les yeux, ce qu'il restait de l'ancienne Angelyka n'existe plus.

Comme un prédateur, je me faufile à travers les buissons, me dissimulant aux yeux de l'homme. Une lance à la pointe argentée à la main, il semble à moitié endormi, et donc peu méfiant. Un grognement sauvage m'échappe, au moment où je lui saute dessus. Nous tombons à la renverse tous les deux, dans un tintement de métal. Le garde tente de me maîtriser en pointant son arme sur moi, mais cela ne suffira pas à le sauver. D'un geste brusque, je le gifle méchamment. Il crache du sang sur le côté ainsi qu'une dent cassée, attisant encore mon désir meurtrier. Je récupère la lame attachée à sa ceinture, avec laquelle je pique son cou fragile. Une goutte écarlate perle sur sa peau, intensifiant mes pulsions, et rendant ma vision floue. Sans perdre un instant de plus, je retire le buste de son armure, pose ma main sur son cœur, et draine. Son sang me transmet toute l'énergie vitale qu'il contient, sans rien laisser. Au fur et à mesure, la peau de l'homme blanchit, ses lèvres deviennent bleues, ses prunelles perdent leur éclat brillant. Il cesse de se débattre au bout de cinq minutes, puis sombre dans l'inconscience.

Je l'achève d'un coup de poignard, éclaboussant ma veste noire de sang rouge vif. C'est juste pour qu'il ne meure pas à petit feu et qu'il évite la souffrance. La folie m'habite depuis trop longtemps pour que je puisse m'en défaire. Et j'ai eu beau essayer de la tenir à l'écart, cette fois, c'est bien elle qui me contrôle définitivement. Sans prendre la peine de retirer l'arme de son cœur, je laisse le corps derrière moi et ouvre la porte, la claquant dans mon dos. Les Ankin ne tarderont pas à trouver le cadavre et à donner l'alerte. Sans savoir que deux Dynatis ruineront le bal...

Je dois faire vite. Je perçois la musique à travers les murs du palais. Le bal a déjà commencé. La population entière est présente dans l'immense salle de réception rondes aux colonnes de marbre sculptées, et aux immenses rideaux de velours rouges.

Une fois cachée dans un recoin sombre, je baisse ma capuche, lâche mes cheveux qui retombent en cascade bouclée dans mon dos. Je dépose mon sac par terre sur le marbre blanc, en sors ma cape que je passe par-dessus ma tête. Je noue le cordon noir et doré autour de mon cou, avant de rabattre le morceau de tissu sur mon crâne, pour dissimuler mon visage. Je ne sais pas si cette couverture fonctionnera. Parce que les Ankin ont une organisation au cordon et qu'ils savent exactement qui se trouve dans leurs rangs. Mais je n'ai pas d'autre choix. Si je veux avoir ma vengeance, je dois y aller sans plus me poser de questions.

J'attache la ceinture autour de ma taille, y plaçant le fourreau et prenant soin de le dissimuler, avant d'y glisser mon épée, ainsi que le poignard des Cent-feux. Je suis prête à me battre pour la vérité, pourvue que j'en meure !

Je m'infiltre dans les couloirs du château à pas silencieux, les parcourant des yeux afin de repérer le plus de détails possibles. Plusieurs personnes me saluent lorsque je passe devant eux. Sans les regarder pour ne pas être percée à jour, et leur répondre, je continue ma route jusqu'à la salle de bal. Silas est une créature sauvage, attiré par le sang et la mort. Quel endroit peut lui prodiguer ce qu'il désire plus que tout ? Un lieu plein d'humains qui font la fête et qui ne se méfient pas.

Rapidement, je me retrouve dans l'immense pièce, décorée pour l'occasion : un lustre de cristal scintillant de mille feux, pend du plafond dans une lumière étincelante. Des banderoles d'or et d'argent parcourent la pièce, accrochées sur les colonnes en marbre dans un nœud majestueux. Les gens dansent au rythme d'une musique endiablée, riant aux éclats et s'amusant. Je les maudis, eux et leur bonheur parfait. Leur innocence que j'ai moi, perdu depuis longtemps. Un grognement sourd manque de s'échapper de ma bouche. Je le retiens de justesse en claquant des dents, me mordant violemment la lèvre. Ce n'est pas le moment de me faire remarquer, maintenant que je suis dans la place. Il ne faut pas que les gens aient peur de moi, sinon, ils me mettront hors d'état de nuire, avant même que je puisse accomplir mon plan.

Le roi et la reine, assis sur leurs trônes respectifs, regardent leur peuple avec un petit sourire amusé, heureux de les voir danser et profiter de la vie. Pourtant, un rapide coup d'œil dans la salle me permet de repérer que quelque chose cloche. Un homme boitant vient de s'introduire dans la pièce par une porte de côté, et regarde les gens avec avidité. Personne ne l'a encore aperçu, mais lorsque ce sera le cas, la panique fera dégénérer la situation. Une faim féroce brille dans ses prunelles aussi noires que l'obscurité. Je connais cette sensation par cœur. Son visage est tordu par un rictus étrange, comme une affreuse grimace qui dévoile ses dents jaunies, ses yeux mats exprimant une folie destructrice. Lorsqu'il tourne la tête vers moi, je comprends aussitôt qu'il se trouve à seulement quelques mètres de ma position. Je me retiens de lui sauter dessus pour lui ouvrir la gorge immédiatement. Je dois attendre mon heure !

— Silas, murmuré-je dans un sifflement.

Une femme sur ma droite me jette un regard étrange, avant de s'éloigner presqu'en courant. Je me retiens de la fusiller du regard, et reste de marbre en attendant de trouver l'occasion parfaite. Je me moque désormais du nombre de morts que mon intervention va provoquer. Je veux juste me venger et protéger les miens de ma folie et de celle de cet homme.

Ne me reconnaissant pas, Silas détourne le regard pour le poser sur une gamine. La petite danse tranquillement au bras de son père, un sourire éclatant fiché sur son beau visage innocent. Silas s'en rapproche, de plus en plus rapidement, la regardant avec avidité, de la bave blanche et bulleuse dégoulinant de sa bouche. Il attrape la gamine par le bras, plantant ses griffes acérées et pointues dans sa peau. Son sang y perle presqu'immédiatement, alors que la petite gémit de peur et de douleur. Le monstre se jette aussitôt sur elle, lui faisant pousser un cri d'horreur. Terrorisée, la petite tente de se défaire de son emprise, aidée par son père qui la tire de toutes ses forces. Silas gifle la petite si fort, qu'elle retombe aussitôt, inconsciente sur le sol. Ce geste déclenche un mouvement de panique parmi les invités, qui fuient en courant dans tous les sens, désorganisés. Aussitôt, le roi se lève, tonne d'une voix forte et pleine d'assurance.

— Arrêtez cette créature !

Les Ankin, armes en avant, se ruent sur le Dynatis qui pousse un cri sauvage en montrant les dents. Ses yeux rouges étincèlent de rage et d'une folie meurtrière, la même dont je suis victime depuis ma transformation. Il grogne contre la garde chevaleresque, montrant ses griffes couvertes de sang. Les hommes essayent de le maîtriser sans marcher sur la gamine qui git à leurs pieds, mais il est trop rapide pour se faire attraper. Il saute par-dessus la horde de garde, s'attaquant immédiatement à la population. Quant à moi, j'attends mon heure, me moquant pas mal que le sang soit versé. J'ai, quelques minutes plus tôt, demander à un Ankin de conduire ma famille hors de danger. Il ne s'est pas posé de questions et s'est contenté d'obéir. Mes parents n'ont rien dit et l'on suivit jusqu'à chez eux, où je sais qu'ils seront en sécurité. Ils savent qui a donné l'ordre de leur évacuation. Aucune des vies de cette salle ne m'importent désormais.

Une femme venant de se prendre un coup de griffes en travers du visage, s'effondre, ensanglantée. Sa poitrine se soulève un instant, avant de s'abaisser définitivement. En seulement quelques minutes, une mare de sang vient de se former sur le sol en marbre, tâché pour toujours du carnage de ce soir. Les cadavres gisent, s'empilent malgré tous les efforts des Ankin pour arrêter le Dynatis. La population meure sous les griffes de ce monstre nocturne, et je ne daigne pas intervenir. La folie m'en empêche, me dictant simplement d'agir dans mon propre intérêt. Au départ, oui, je voulais éviter un massacre. Mais depuis que la folie est maitresse de mon corps et de mon âme, j'ai complètement changé de cap.

Les gens tentent de fuir par tous les moyens du monde, marchant dans le sang, la chair répandue par terre, voulant à n'importe quel prix rester en vie. Je connais parfaitement ce sentiment, ce désir absolu de vie... une sensation que je n'ai jamais oubliée, et que j'aurais préféré ne jamais connaître. Et le monstre qui en est responsable va le payer très cher !

Les bras croisés sur la poitrine, le dos calé contre un mur en haut des escaliers, les jambes croisées, j'attends en silence. Stoïque face à l'horreur de la situation qui se déroule sous mes yeux. Les gens ne font pas attention à moi, et me prennent pour une des leurs. Je ne le suis plus. Plus jamais ! La terreur est si forte, qu'elle est discernable dans l'air, comme un nuage de magie invisible, mais perceptible par mes sens développés.

Des cris fusent de partout. C'est un véritable chaos sanguinolent. Un garde envoie soudain sa lance avec force, cherchant à atteindre Silas par tous les moyens. Le Dynatis s'écarte avec agilité, sifflant méchamment contre le pauvre Ankin, qui finit en charpie sur le sol. L'arme va se planter dans les rideaux, très près... trop près des torches flamboyantes. Ils prennent aussitôt feu, s'embrasant. Un nouveau mouvement de panique se fait sentir parmi les survivants qui hurlent de peur face au brasier, qui dévore déjà les murs et le plafond. A l'aise dans cette horreur, son désir amplifié par cette odeur de sang et de chair brûlée, Silas se jette sur un homme, lui déchiquète le torse avec ses griffes acérées alors que le pauvre type l'implore.

— Je vous en... prie... je veux...vivre !

En réponse, Silas montre les dents dans un sifflement, puis l'achève dans un giclement de sang qui éclabousse le visage du Dynatis. Il me tourne le dos, ne me prêtant aucune attention. Je savais qu'il serait là ce soir. Après trois mois à être resté inactif, il allait forcément se pointer à ce bal, où il pourrait rassasier sa faim pour de longues semaines. Et il a besoin de tuer et de déchainer sa folie.

Finalement, mon intervention ne changera rien à a situation. Les rideaux continuent de brûler, bien trop rapidement pour laisser une chance à ceux qui se trouvent dessous de s'en tirer vivants. Le mur s'embrase, me faisant comprendre que je ne dispose que d'une seule et unique chance. Pas une de plus ! Tout va finir par partir en fumée...

Je sors le poignard doré du fourreau, le tient devant moi en regardant une dernière fois ses pierres précieuses qui scintillent dans la lueur du brasier. Je lève le regard, baisse la capuche de ma cape, laissant mes yeux s'acclimater à la lumière orangée et particulière de la pièce. Le chaos règne en maître. Peu de gens ont survécu aux attaques de Silas. Un monceau de cadavres s'empile par terre. Le château prend feu de part en part.

Profitant d'un moment d'inattention de sa part, je me glisse derrière lui, tient le poignard levé au-dessus de sa tête, prête à l'abattre.

J'aurais réussi à le tuer à cet instant-là, si un abruti de noble n'avait pas crié ce qui vient, en mettant ses mains en porte-voix.

— Ankina... c'est dangereux !

Je tourne la tête vivement, mes cheveux fouettant ma peau. Je montre les dents, fusillant l'homme de mes prunelles écarlates. Il recule d'un pas, s'étale par terre comme une loque et finit par ramper en hurlant, voulant s'échapper le plus loin possible. L'attaque surprise ayant échouée, je saute en arrière et me retrouve quelques marches au-dessus du monstre. Il me fixe avec insistance durant quelques instants, fronçant ce qui lui reste de sourcils.

— Je te... connais, dit-il dans un sifflement.

Je serre l'arme dans ma main, n'étant plus qu'une boule de rage et de folie. Les pierres s'incrustent dans ma peau, y laissant des marques rougeâtres. Mes pulsions meurtrières sont à leur maximum. Je me tiens droite, le visage fermé, le menton levé.

— Je t'ai... tué...

Un seul mot franchit mes lèvres. Glacial.

— Oui.

— Pourquoi moi, crachai-je, sans le lâcher du regard. Pourquoi tu ne t'es pas arrêté ?

Une lueur d'intelligence brilla soudain au fond de ses prunelles, avant de s'éteindre. 

— J'avais... besoin de ton... énergie...

Il m'étudie encore un instant, se demandant ce qu'il doit faire. Puis son regard dérive sur le poignard. Aussitôt, il recule en feulant, les griffes en avant, le dos courbé.

— Eloigne cette cho...se.

Je secoue la tête, tout en descendant les dernières marches qui me séparent de la fin de cette histoire. Il sait ce qui va se passer, si je le poignarde avec l'arme que je tiens au creux de ma main. Mon visage reste stoïque. Aucune émotion ne filtre dans mon cœur aussi froid que la glace, envahi par la folie. Je suis marquée par la détermination. Finir cette mission. Aller jusqu'au bout. Sans fléchir ! Sans faiblir ! J'ai dit adieu à cette vie au cimetière tout à l'heure... et je ne reviendrai pas en arrière. Regardant droit devant, mes yeux le fixant lui, je continue de me rapprocher. Une fois au milieu de la pièce, sous le lustre en cristal, Silas arrête de reculer, et moi d'avancer. Nous nous retrouvons face à face, aussi déterminé l'un que l'autre. Lui peu enclin à mourir, moi si. Je brandis le poignard devant moi, déclenchant un feulement de Silas. Une lueur de panique scintille dans ses prunelles sombres, qu'il braque sur moi. Le crépitement du brasier nous entoure, laissant une impression de chaos inévitable.

— Si tu me tues... tu meurs aussi... argue-t-il difficilement, à travers ses dents cassées et jaunes.

— Je sais !

En réponse, dans un geste désespéré parce qu'il se sent acculé, Silas me griffe méchamment au niveau de la poitrine, faisant gicler mon sang rubicond. Je serre les dents. Dans un geste brusque, je lui entaille la joue droite, me moquant bien d'avoir son sang me dégoulinant sur les mains. J'inspire fortement une dernière fois, lève les yeux, apercevant le ciel étoilé à travers le plafond détruit par le feu, qui flamboie toujours. Avec un geste vif et agile, sans qu'il ne puisse réagir, je plante le poignard dans la poitrine de Silas. Les pierres scintillent d'un éclat de magie, l'enveloppant tout entier. Aussitôt, la peau du monstre commence à s'effacer, devenant translucide, puis invisible. Un cri effroyable sort de sa gorge, dans un gargouillement immonde.

— Non...

Il s'efface progressivement, dans un nuage de magie sombre et vaporeuse. Il ne reste rapidement plus rien de lui. Un immense soulagement envahit ma poitrine et mon cœur, comme je n'en ai jamais ressenti. Plus aucun poids n'y pèse. La folie meurtrière a totalement disparue. Enfin en paix, je ferme les yeux, alors que mes mains commencent à disparaître elles aussi. Je lève les bras au-dessus de ma tête dans un signe d'abandon total. Je ne sens déjà plus mes jambes. Un nuage de magie scintillant d'un éclat noir et rouge sang, vole autour de moi alors que je me désintègre. J'inspire une dernière fois, rien que pour sentir l'air frais de la nuit dans mes poumons, et m'abandonne à la sensation de soulagement que le meurtre de Silas a laissé dans mon cœur.

Je suis enfin... libre...

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