2.
D'un geste brusque de colère et de désespoir, je dégage tout ce qui se trouve à ma gauche sur la table. Le poignard incrusté de pierres précieuses atterrit sur le sol dans un tintement de métal, me ramenant soudainement à la raison. Si je l'ai cassé, je peux dire adieu à ma vengeance et à la paix que cela me procurera.
Je dois mourir. D'abord parce que moi, je le veux. Mais aussi pour mes parents. C'est d'une difficulté sans nom de me savoir ainsi, dans la nature. Ils préféreraient sans doute me voir morte. Et je les comprends. Aux yeux du monde désormais, et ce malgré son rang de chef des Ankin, mon père et ma mère sont les parents de la Déesse nocturne. La créature de Soltaria... Celle qui terrorise les gens, à la nuit tombée, pour leur voler vie et énergie vitale. Ils seraient tombés en disgrâce, si mon père n'avait pas été soutenu par le roi.
Nos souverains règnent maintenant depuis plus de vingt ans. Contrairement au royaume voisin, Otryanie, nos monarques sont élus par la population pour toute la durée de leur vie. Ce n'est pas comme dans nos contes, où les gens régnaient de père en fils, ou fille. Et c'est ce qui fait que Soltaria est un royaume paisible. Comme chaque endroit, on a connu nos problèmes de famine, surtout quand notre Capitale a été incendiée par nos voisins. Ou encore des épidémies de maladies rares et extrêmement mortelles.
Fulminant, me sortant de mes pensées, je ramasse le poignard et le dépose dans son étui en cuir près de ma veste. Enfouie au fond fin d'un recoin du mur, tout au fond de la bibliothèque, j'ai eu un mal fou à le dénicher. Personne ne connaissait son existence. Je ne sais pas d'où vient ce poignard. Ni quelle magie il renferme. Je n'ai pas eu le temps d'étudier davantage ses caractéristiques. Cette arme va me tuer, mais je m'en fiche, tant que cette ordure meure en même temps que moi.
Selon les livres, pour exécuter un Dynatis, il faut lui planter l'arme dans la poitrine, à un endroit très précis du cœur. Seulement et c'est la condition qui freine tous ceux qui ont tenté l'impossible, la personne qui le tue doit lui-même être une créature nocturne, et perd la vie par la même occasion. Je souhaite par-dessus tout disparaître, mais je continuerai néanmoins à drainer l'énergie des autres, tant que Silas ne sera pas mort. Oui, je suis parvenue à trouver le nom de l'homme qui m'a détruite. Et que je vais anéantir à mon tour. Le savoir dans les parages me rend folle, car j'ai une peur bleue qu'il s'en prenne à un membre de ma famille. Il n'a pas intérêt à toucher un seul de leurs cheveux. Et je dois bien l'avouer, ma vengeance a aussi sa part purement égoïste. Tant que je resterai une Dynatis, je ne pourrais jamais être en paix ! Ma vie s'est éteinte ce soir d'été, où l'imprudence m'a été fatale. Je regrette terriblement mes faits et geste de ce jour-là. Mais on ne peut pas revenir dans le passé et tout changer. Je dois donc affronter ma situation, et faire en sorte qu'elle tourne à mon avantage.
Avec prudence, pour ne pas le briser, je brandis un parchemin jauni et couvert de calligraphie noire et soignée devant moi. Il évoque le bal royal annuel, auquel la population de Soltaria est conviée, dans ses plus beaux atouts. Petite, je rêvai chaque année de me rendre à ce bal. Mais mes parents me trouvaient trop jeune. Alors j'avais attendu patiemment d'avoir dix-huit ans, dans l'espoir de m'y rendre. Mais je suis morte avant ! Je n'aurais jamais la possibilité de porter une robe de soirée, confectionnée par ma mère avec le plus grand soin. Et sur laquelle j'aurais porté la dague des Ankin avec fierté, dans son fourreau de velours et d'or. Je me serais inclinée devant le roi et la reine pour prononcer mon serment. J'aurais juré de protéger Soltaria et ses terres contre nos ennemis, et contre ces créatures de légende, les Dynatis.
Aujourd'hui, j'ai bien l'intention de m'y rendre, mais pas en tant qu'invitée. Et pas avec la fierté que j'aurais aimé ressentir. Je vais me déguiser, et j'espère passer inaperçue parmi toute cette foule. Maintenant, il me reste encore à décider quel personnage j'incarnerai. J'hésite entre une serveuse et un Ankin. J'ai plus de risques de me faire repérer dans la garde chevaleresque, mais être pour un soir, mon plus grand rêve, me tente réellement.
J'inspire pour me calmer, même si cela ne me sert à rien de respirer physiquement parlant. Vu que mon cœur ne bat plus, je n'ai pas besoin d'air pour irriguer mon cerveau et mes organes. C'est la magie et le fluide de vie des humains, qui me permettent de rester en vie. Mais ce geste banal, me permet simplement d'apaiser mes nerfs bien trop à vif. La folie que je combats depuis ma transformation, prend de plus en plus de place dans mon âme et au fond de mon cœur, me laissant en proie à des comportements sauvages et sanguinaires. A cause des efforts que je fournis contre elle, je suis souvent secouée de tremblements violents, presqu'en permanence... Ma vision est floutée... Je peine à reprendre mon sang-froid.
Je ne veux pas qu'elle prenne le dessus, tant que je ne me retrouverai pas face à lui. Une fois devant Silas, je la déchainerai et le massacrerai sans pitié, même si je dois y perdre mon esprit... et mon âme.
Je serre les dents, crispant la mâchoire pour retenir un hurlement. J'ai pris ma décision. C'est très risqué, mais je vais intégrer la garde royale ce soir, afin de mettre mon plan à exécution. Il ne me reste plus qu'à récupérer ma cape noire avec le symbole en forme de flèche traversant un arc, du royaume, et mon épée en métal argenté. Je passerai ainsi mieux inaperçue. Seul problème : tout cela se trouve encore chez mes parents. Je n'ai pas pu les prendre avec moi, lorsque j'ai fui précipitamment.
Aujourd'hui, j'en ai désespérément besoin pour parfaire ma couverture. Il faut donc que je trouve un moyen de me faufiler chez moi, sans que personne ne détecte ma présence. Je lève les yeux vers la seule étagère du chalet, qui contient toutes sortes de fioles étranges que j'ai déniché à la bibliothèque. J'ai étudié leur contenu des heures durant, afin de ne pas provoquer la mort de quelqu'un par inadvertance.
Je me redresse, marche jusqu'au mur où j'attrape un flacon translucide au verre épais. Le liquide doré oscille contre le matériau, y laissant une traînée d'or pailletée contre la surface transparente. Je vais me servir de ceci pour parvenir à mes fins, pensé-je, en serrant très fort la fiole glacée dans ma main.
Décidée, je le range dans mon sac bandoulière, y incluant le poignard et le parchemin. Ce sont les seules choses dont j'ai réellement besoin. Le reste n'est que superficiel et ne me sera d'aucune utilité, sinon une gêne. Je repasse ma veste noire sur mes épaules, attache mes cheveux en amas de tresses et un chignon lâche, afin qu'ils ne me perturbent pas, et rabats la capuche en fourrure sur ma tête. C'est la dernière nuit de ma vie, et j'en suis heureuse. Oui, ce calvaire va enfin prendre fin.
Après avoir vérifié une nouvelle fois que j'ai bien tout, j'éteins le feu dans la cheminée, puis sors, laissant derrière moi, une grande partie de mon passé et de ma vie.
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