XVIII. 3 février 1958 - le monstre

Elle venait de l'apercevoir. S'il l'avait fait exprès ou non, elle ne put le savoir. Mais ce qui était certain, c'est que c'était lui.

Cela faisait des jours qu'elle frappait à la porte du quartier général sans que personne ne vienne lui ouvrir. Elle avait attendu des heures, crié à travers le bois pour qu'on la laisse entrer. Elle s'était rendue chez Teignous pour lui demander la raison de son rejet, mais il avait été dit que les Nott étaient partis en vacances en Italie. Elle n'avait aucune piste pour chercher son fils, aucune information parvenue. La population grondait toujours autant et le chaos s'installait dans le pays. Personne ne lui avait dit quoi que ce soit. Elle s'était sentie seule, abandonnée.

Alors quand elle aperçut Perseus traverser la foule, elle saisit l'opportunité. Elle bouscula des adultes, évita de justesse un enfant qui courait. Son regard, caché par la visière de son chapeau, ne se détachait pas un seul instant de la figure frêle de Lestrange. Il prit une ruelle à gauche. L'ombre se faufilait entre les pierres, rendant l'atmosphère étouffante. Elle essaya d'avancer le plus vite possible sans glisser sur les pavés humides. La silhouette était toujours sur le point de disparaître, de lui échapper des mains, bien qu'elle courut presque. Elle arriva dans une rue plus grande, regarda à droite et à gauche.

Rien.

Soudain, une main attrapa son avant-bras et la tira violemment en arrière. Elle faillit perdre l'équilibre, mais rapidement, son dos se plaqua contre un mur. Sa respiration se coupa pendant quelques secondes. L'expression froide de Perseus lui fit face.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Et c'était lui qui demandait ça ? Elle se redressa et réajusta sa cape, ainsi que son chapeau qui s'était penché sur le côté.

- Tu sais ce que je veux, fit-elle d'un air mauvais. Déjà, pourquoi ne m'avez-vous pas ouvert toutes les fois où j'ai frappé ?

- Tu es surveillée. Ça aurait été imprudent.

- Oh, parce que tu crois que toi non ? railla-t-elle. Régulus te surveille attentivement depuis des années. Quant à Atlas Fawley, le Ministère possède un dossier entier sur lui et ses activités.

Il ne semblait pas au courant. Son teint pâlit. Il recula d'un pas et se frotta le menton, comme si c'était le moment de réfléchir sur sa situation.

- Où est mon fils ? reprit-elle avec empressement.

Sa main retomba et il soupira.

- Une des raisons pour lesquelles nous ne t'avons pas laissé entrer, c'est parce que nous savions que tu allais poser cette question. Je ne peux pas y répondre.

La colère frappa son coeur. D'un simple mouvement de la main, elle le poussa contre le mur opposé. Il n'eut pas le temps de réagir face à la spontanéité de son geste. Sa paume de main pressait son épaule et ne relâchait pas l'emprise.

- Je ne vais pas le répéter deux fois, grinça-t-elle. Où est mon fils ?

- Callidora, arrête.

- Pourquoi vous ne m'avez rien dit ? Pourquoi m'avoir caché la participation d'Asler dans cette rébellion ? Pourquoi !

Sa voix était montée dans les aigus. Cela faisait trop longtemps qu'elle contenait ces mots dans sa poitrine. Il fallait qu'elle le brise sous sa rage, sous son inquiétude, il fallait qu'il lui répondre une adresse pour qu'elle s'assure qu'Asler était bel et bien vivant. Mais il garda le silence. Jamais elle ne l'avait autant haï.

- Tu n'es qu'un menteur, siffla-t-elle. Vous m'avez séduit par de belles promesses avant de vous débarrasser de moi à l'instant où je vous fournissais une information importante. Et maintenant, par votre faute, on me poursuit et on recherche mon fils pour le mettre à mort.

- Asler est tout à fait conscient de ses choix.

- Conscient ? s'exclama-t-elle. Il a vingt-et-un ans, Perseus, il ne sait pas ce qu'est la vie !

- Moins fort, murmura-t-il en regardant de tous les côtés, plongé dans la peur que des Aurors surgissent du brouillard.

Elle retira sa main et s'écarta. Elle avait pensé faire un bon choix en s'engageant dans ce groupe révolutionnaire. Mais ça avait été une énorme erreur. Elle n'avait d'ailleurs aucune raison de se rebeller contre le Gouvernement. Tout ça parce que sa cousine se prenait pour une Reine et lui avait asséné les supposées règles de la société. Tout ça parce que Perseus, un homme en qui elle avait confiance, l'accusait d'avoir tué Cassiopeia. Mais Régulus, dans le fond, n'aurait jamais été capable de faire cela. Il avait voué sa vie au service des Black, en détruire un serait un paradoxe qui ne convenait pas à son personnage.

Elle se battait sans cause réelle. Dans du vide. Pour rien.

- C'est terminé, déclara-t-elle sur un ton tranchant. Je ne jouerai plus à votre petit jeu de rebelles. La prochaine fois que je vois Rosier, je le tue. Vous pouvez vous garder vos maudites causes communes, je ne veux plus en entendre parler.

Il ne parlait pas. Ses yeux s'étaient emprunts de déception, comme si son départ n'était qu'une affaire de sentiment. Elle aurait aimé qu'il la retienne, qu'il lui donne au moins une bonne raison de rester. Mais elle n'obtint qu'un regard plongé dans le vide et recouvert de silence.

- Au revoir, lâcha-t-elle en repartant.

À peine lui tourna-t-elle le dos qu'il l'appela.

- Callidora !

Elle resta juste immobile, le sachant à seulement quelques mètres.

- C'est lui qui nous a demandé de t'écarter, finit-il par dire. Moins tu en sais, plus tu seras en sécurité.

- Et vous obéissez à chacun de ses ordres ? se moqua-t-elle en se retournant.

Perseus ne portait aucun sourire sur lui. D'un ton on ne peut plus sérieux, il répondit :

- Oui.

Alors elle comprit, ou du moins elle crut comprendre, qu'Asler était bien plus qu'un simple membre de l'organisation.

***

L'écho de ses pas emplit le couloir de l'asile. Deux médecins accompagnaient Pollux Black jusqu'à la chambre 47. Cela faisait longtemps que l'aîné Black n'était pas entré dans l'établissement. Avec ses voyages en France, il n'avait pas voulu attirer les regards en visitant un hôpital psychiatrique. Mais maintenant qu'il restait en Angleterre pour plusieurs mois, il était décidé à la voir. Dans son poing, il serrait une petite fiole. Les médecins s'arrêtèrent devant une porte de fer.

Ils retirèrent un sort de protection et enfoncèrent une clef dans le verrou. Des cris s'entendaient un peu plus loin dans le couloir. Il les ignora. Une seule personne l'intéressait ici.

Le fer grinça quand la porte s'ouvrit. Les deux médecins se tenaient de chaque côté, le menton relevé et le regard perdu vers le plafond. L'ombre planait au delà du seuil. C'était comme aterrir face à la porte des Enfers et avoir le choix entre s'y engouffrer ou fuir.

Il avança d'un pas. Puis d'un autre. La fiole était toujours correctement gardée dans sa main. Les ténèbres s'enroulèrent autour de ses chevilles et ses jambes. Quand il fut suffisamment loin de la sortie, le fer claqua dans son dos et le verrou se ferma. Même s'il connaissait la procédure, il n'avait jamais trouvé la situation agréable. En un sens, il avait peur qu'on lui fasse la même chose que sa sœur. L'enterrer vivant dans ce bâtiment perdu.

Il traversa le long couloir noir et aperçut enfin la lumière. Il arriva dans une petite chambre aux murs blancs, une fenêtre à plusieurs mètres du sol. Un lit était posé dans le coin, mais les draps n'avaient jamais été défaits. Il se tourna vers le recoin plongé dans l'ombre. Même si elle s'appliquait pour ne faire aucun bruit, il sut qu'elle s'y trouvait. Dans ce silence complet, il pouvait entendre sa respiration saccadée.

- Sœurette, l'appela-t-il. Regarde ce que je t'ai rapporté.

Il brandit la fiole. Le liquide vert à l'intérieur s'agita. Rien ne bougea dans le recoin. Après quelques secondes, le cliquetis d'une chaîne se fit entendre. Elle ne tarderait pas à surgir. Poussée par la peur de mourir, de décrépir comme une vieille dans une cellule oubliée. Malgré les années, elle continuait d'espérer. Elle s'imaginait que son Perseus adoré allait la sauver, la sortir de là et lui redonner sa dignité. Il la laissait y croire. Si c'était la seule chose qui la gardait vivante, alors il ne s'y opposerait pas.

- Si tu n'en veux pas, reprit-il, lassé par l'attente, je peux repartir av...

Les chaînes produisirent un vacarme qui se répercuta contre les murs blancs. Son corps se projeta en avant et son visage se dévoila sous la lumière, une pure expression de désespoir et de rage. Il recula par surprise. Par horreur aussi. Cela faisait trop longtemps qu'il n'était pas venu. Ses yeux et ses lèvres étaients devenus noirs. Les veines, tout autour, ressortaient de sa peau par des traits grisâtres, pulsant d'un sang empoisonné. Ses cheveux entièrement blancs étaient collés contre son crâne. Elle tirait sur ses bracelets de fer, la bouche ouverte et les dents prêts à mordre sa chair. Un cri de fureur jaillit de sa gorge.

Si elle n'était pas enchaînée, elle l'aurait tuée. Son cadavre aurait été retrouvé par morceau, déchiqueté et dévoré. C'était certainement son plus grand souhait. Mais il était trop prudent pour cela, et quant à elle, l'énergie lui manquait. Comme si elle avait voué tout ses efforts à cette apparition soudaine, elle s'effondra au sol, à quatre pattes, grognant des mots qu'elle avait oublié de prononcer. Il put enfin s'avancer en toute sûreté. Lentement, il descendit au sol pour se mettre à son niveau.

Ses mèches blanches cachaient son visage. De sa main, il les écarta. Ses pupilles avaient disparu dans la masse noire qui occupait ses yeux. Il inspecta sa peau flétrie, ses lèvres grises et sèches. Les bracelets l'empêchaient d'exercer sa magie mais sa puissance la détruisait toujours autant. La mort approchait d'un pas si grand. Et malgré sa condition déplorable, elle continuait d'en avoir peur. Et cette peur la rendait esclave de sa présence. Il tenait la vie entre ses mains. Et elle ferait ce qu'il lui demanderait pour en avoir une seule goutte.

Il entoura son bras autour de ses épaules et la retourna. Elle poussa un cri aigu, se débattit vainement. Il la tenait contre lui, son visage près du sien, entrelacés, comme avant. Un profond réconfort s'écoula en lui. Était-il un monstre pour la retenir loin du monde, pour faire croire à sa famille entière que son corps reposait sous terre ? Peut-être. L'égoïsme avait eu raison de son humanité. Il l'aimait. Il l'aimait bien trop pour la laisser aimer qui que ce soit d'autre. Toute sa vie, il avait espéré être son unique centre d'intérêt. Mais elle s'était sans cesse éloignée, tantôt vers la guerre, tantôt vers son idiot d'amant.

Aujourd'hui, enfin, il était le centre de sa vie. Il était celui dont elle attendait la venue tous les jours. Celui qui lui apportait ce dont elle avait besoin. Bientôt, elle finirait pas l'aimer lui, et seulement lui. Le souvenir de Perseus s'effacerait de sa mémoire. Et il la maintiendrait vivante tant qu'il respirerait, afin qu'ils soient ce qu'ils avaient toujours été : deux âmes nées pour s'aimer.

Il approcha la fiole de ses lèvres. Elle ouvrit sa bouche, animée par un instinct de survie, ses yeux noirs s'agitant dans tous les sens. Le liquide vert coula sur sa langue. Elle déglutit avidement, s'accrochant en même temps à son bras qui la retenait.

Rapidement, sa peau redevint lisse. Ses veines noires disparurent, le blanc de ses yeux reprirent du territoire. Ses lèvres reprirent la couleur rosée qu'il se délectait tant de mordre. La beauté refit son visage entièrement. Il retrouvait sa tendre sœur d'avant, une Cassiopeia resplandissante de lumière et de jeunesse. Il s'empara des chaînes de ses mains et les agrippa fermement pour l'immobiliser. Elle recommença à s'agiter.

- Si tu n'arrêtes pas de bouger, je ferai en sorte de laisser ton sang empoisonner ton cerveau avant de te redonner la potion. Ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?

Elle cessa toute opposition. Un sourire retroussa les lèvres de Pollux. Il lui offrit un baiser sur la tempe puis plongea sa main sous sa robe blanche. Son corps aussi avait réagi au liquide magique. Il avait repris de la vigueur et de la souplesse. Par des mouvements contrôlés, il l'allongea sur le sol, appuyant sur son épaule pour la maintenir. Puis il plongea son nez dans son cou, respirant son odeur, léchant sa peau regonflée de vie. Elle était à lui. Entièrement à lui. La passion fit battre son coeur. Le désir bestiale s'empara de son âme et il remonta sa jupe.

À l'abris de ce monde, là où les morts pouvaient pleurer, il l'aima. Passionément. À la folie. La douce et charmante folie.

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