XVII. 20 janvier 1958 - les sœurs

La brume recouvrait les rues de Londres. Une silhouette féminine traversa les nuages translucides, son manteau noir se fondant dans les murs de briques obscurcies par l'humidité. La neige fondue, s'accumulait dans des tas marrons au bord de la route, transformant le paysage en des tâches gluantes de gris, noir et brun. Des noms moldus étaient inscrits sur les boîtes aux lettres. Lara Londubat lisit chacun d'eux, esquissant une grimace chaque fois plus déformante à mesure qu'elle s'approchait du numéro cherché.

Quand elle arriva devant le portillon en bois, dont la peinture blanche se décrochait par morceaux, elle balaya les alentours du regard. Pas âme qui vive. Mais pour s'en assurer, elle préféra user la magie. La baguette en main, elle murmura des mots qui se convertirent en un sort invisible. Une sorte de puissance fugitive s'étala tout autour d'elle, parcourant les alentours en quête d'être vivant. Aucun signal n'arriva. Elle poussa le portillon et s'avança jusqu'au seuil.

Ce fut une femme d'une quarantaine d'années qui lui ouvrit.

— Je viens voir mon frère, annonça Lara.

Elle dut remarquer la ressemblance, car elle la laissa aussitôt passer. Ce ne fut pas sans un air méfiant cependant. Lara traversa la maison avec le sentiment désagréable d'être épiée. Si elle se méfiait d'elle, pourquoi ne lui avait-elle pas demandé de preuves ? Mais elle arrêta de penser à cette femme à l'instant où elle descendait dans le sous-sol.

Asler se releva du sol quand il la vit descendre les escaliers. Des bougies brûlaient par endroit, éclairant faiblement l'espace fermé. Un jeu d'échec solitaire gisait sur la table basse. Les pions se battaient entre eux par pure impatience, mais son frère ne semblait pas entrain à continuer la partie.

— Tu es venue, souffla-t-il.

Il s'approcha à grand pas, prêt à l'accueillir dans ses bras, mais elle recula au dernier moment. Il avala le rejet avec difficulté. Elle n'aimait pas agir ainsi. Être victime de la peine noyant son regard, de ses sourcils courbés sous une déception évidente était ce qu'elle détestait le plus. Mais elle ne pouvait pas non plus prétendre que tout allait bien, qu'ils se retrouvaient après quelques jours de séparation dans un contexte tout à fait normal et une situation stable. Non, elle voulait même être en colère contre lui.

— Tu es un parfait idiot, siffla-t-elle.

— Ce n'est que maintenant que tu le découvres ?

Il était sur le point de sourire, mais rien de tout ça ne paraissait drôle à Lara. Elle frappa son torse avec le plat de sa main. Il se laissa faire. La naissance de son sourire venait de disparaître.

— Est-ce que tu te rends compte de la répercussion de tes actes sur la famille ? Mère ne dort plus, tous les Black nous voit comme des traîtres et des Aurors sont venus fouiller le bureau de Père. Tout ça parce que jouer le rebelle t'amuse encore ?

— Je ne joue pas Lara, répliqua-t-il d'une voix grave.

— Si tu joues. Tu joues à un jeu que tu sais déjà perdu d'avance.

Elle posa ses mains sur les hanches et souffla, comme essoufflée par la colère qui affluait dans ses veines.

— Mère va venir, annonça-t-elle.

Un feu de panique incendia ses pupilles.

— Comment ça ? Comment sait-elle que je me trouve ici ?

— Perseus. Il est venu aujourd'hui et j'ai écouté aux portes, je voulais te prévenir.

— Est-ce qu'il lui a dit que...

Un silence stagna. Elle attendit qu'il finisse sa phrase, mais apparemment, elle était censée la deviner.

— Que quoi ?

— Rien, laisse tomber.

Il croisa ses bras sur son torse et se mit à tourner en rond, se mordant l'intérieur des lèvres. Elle n'en revenait pas. Il ne lui avait jamais rien caché jusqu'à maintenant, et voilà qu'elle découvrait, la même semaine, qu'il avait été l'auteur de l'article et que pour une raison inconnue, Perseus Lestrange semblait parfaitement connaître le lieu secret de son refuge. Il ne finissait pas sa phrase, comme s'il avait peur de révéler quelque chose. Depuis quand Asler agissait dans l'ombre ?

— Tu peux me le dire tu sais, je ne le répéterai à personne.

— Te dire quoi ?

Le mensonge imprégnait sa voix. Cela l'agaça grandement.

— Je ne sais pas, ce que tu essaies de trafiquer peut-être ? Quel était ton objectif dans tout ça ? Pourquoi diable tu as décidé de mettre ta vie en l'air pour un maudit article ?

— Parce que moi je dois te dire dans quoi je m'implique, tandis que tu ne daignes même pas de mentionner le nom de ton amant ? haussa-t-il la voix.

Son souffle se bloqua dans sa gorge.

— Je n'ai pas d'amant.

— Je ne te dois aucune explication dans ce cas.

Il savait. À la manière dont il avait prononcé ce reproche, comme s'il lui en voulait pour lui dissimuler une partie de sa vie. Mais c'était Tom qui avait insisté. Personne ne devait savoir. Ses raisons restaient flous, mais elle lui obéissait. Cependant, cela n'affectait à aucun membre de sa famille. Tandis que son geste avait sali leur nom. Ils avaient le droit de savoir.

— Pourquoi, Asler ?

— Tu n'as pas entendu ce que je viens de te dire ?

— Pourquoi ! cria-t-elle. Je n'ai pas envie de te voir exécuté, tu comprends ça ? Je ne veux pas te perdre pour une bêtise pareille !

La déception qui envahit son visage la frappa.

— Ce n'est pas une bêtise. Tant que personne n'osera parler, les choses ne changeront pas.

— Les choses sont très bien comme elles sont, contesta-t-elle.

Il éclata d'un rire amer.

— Oui, tu as raison. Pourquoi pas laisser des centaines de gens mourir chaque jour juste parce qu'une seule personne l'a décidé.

— En quoi ça te concerne ? C'est triste pour eux, mais nous n'existons pas pour nous appitoyer sur le sort des autres.

— Tu es comme eux, dit-il avec tristesse. Perchée en haut de ta tour d'or, aveugle à ce qui se passe en bas.

Elle avala la distance qui les séparaient en quelques pas et se tint droite devant lui, le regard incendiaire.

— Au lieu de te préoccuper de ces gens que tu ne connais même pas, préoccupe-toi en premier lieu de ta famille. Nous sommes en train de payer pour tes erreurs.

— Ce n'est pas moi qui suis en tort.

— Si tu espères voir le bien triompher sur le mal, petit frère, tu vas vitre être déçu. Parce que le monde ne fonctionne pas ainsi. Il y aura toujours des morts, toujours de la souffrance ou de l'injustice. Tout ce qu'il faut faire, c'est choisir ce qui est dans notre intérêt. Monter le mont de la réussite...

—...pour écraser les autres, la coupa-t-il. Je ne pensais pas que l'idéologie de nos maisons nous séparerait. Mais tu restes une Serpentard en chair et en os, n'est-ce pas ?

Son expression se figea dans du marbre. Elle aurait voulu le frapper. Le secouer par les épaules pour lui remettre les idées en place.

— Ce n'est pas nos idéologies qui nous séparent. C'est toi.

Prononcer ces mots lui fit mal. Elle n'avait pas voulu mener cette conversation sur cette voie. Mais ils semblaient depuis plusieurs semaines vaciller sur un fil invisible, penchant d'un côté ou de l'autre. Aujourd'hui, le fil s'était finalement cassé.

— Que t'a mis cet homme dans la tête ? murmura-t-il.

— Tu sais quoi ? Je n'ai même pas envie d'essayer de te sortir de là. Tu t'y es fourré tout seul, tu sortiras tout seul.

— Je n'ai jamais demandé ton aide, petite sœur.

Elle n'eut pas besoin d'en entendre plus pour reculer. Il s'obstinait, tant mieux pour lui. Elle risquait déjà gros en s'aventurant ici, mieux valait qu'elle en ressorte rapidement.

— S'il arrive quelque chose à Mère par ta faute, reprit-elle, je ne te le pardonnerai jamais.

Un voile tomba sur ses yeux. Avant qu'il n'ait répliquer quoi que ce soit, elle remonta les escaliers.

***

Orion avait décidé d'aider Cygnus à ranger les affaires de son père. Celui-ci revenait en Angleterre après une longue période d'ambassade à Paris, remplacé par David Duchesses qui avait soudainement décidé de fuir quand il avait senti le feu arriver. La population criait au scandale et les recherches continuaient toujours pour retrouver Asler Londubat. La Gazette ignorait les protestations les plus évidentes, se marquant comme tendancieux. Jugeant la politique en crise, Pollux Black avait jugé bon retourner chez lui.

Différentes affaires avaient donc été transportés jusqu'ici pour préparer son bureau avant son arrivée. Cygnus triait les ouvrages, les rangeant dans la bibliothèque, tandis qu'Orion classait les documents. Walburga était passée les voir pour veiller à ce qu'ils ne manquent de rien, puis elle s'était volatilisée juste après.

— Mon père devait s'ennuyer en France, fit Cygnus en inspectant un ouvrage.

— Pourquoi tu dis ça ?

— "Oligarchie et caciquisme comme forme de gouvernement en Espagne du XXème siècle", lit-il.

— En effet.

Il dissimula son sourire et rangea le livre sur l'étagère.

— Comment va Lara ? s'enquit-il en s'emparant d'un autre manuscrit.

Sa sœur était brièvement réapparue pour un dîner familial, autrement elle passait tout son temps chez son amant. Ils n'avaient pas parlé de sa tentative de suicide. C'était comme s'il ne s'était rien passé, comme s'il ne lui avait pas sauvé la vie pour la énième fois. Elle voulait se tuer puis passait ses journées chez un homme. Il ne comprenait pas le fonctionnement de sa vie.

— Bien, je suppose.

— Tu supposes ?

— Je ne l'ai pas vue depuis plusieurs jours.

C'était un Carrow d'après ce que lui avait raconté son père. Le dernier de la fratrie, le seul encore célibataire. Un certain Aliver s'il se souvenait bien. Orion était heureux pour sa sœur. S'il savait faire son bonheur, alors il n'y voyait aucun inconvénient. Mais elle s'éloignait de lui, l'ignorait presque. Lui en voulait-il pour avoir réduit ses chances de mourir en cendre ?

— Je ne vois pas beaucoup mon frère non plus, avoua Cygnus.

— Alphard a toujours fait les choses dans son coin.

— Le coin en particulier s'appelle le club.

Les clubs, cette grande tendance de leur époque qui leur volait bien du temps. Alphard avait été entraîné dans ses tourbillons de plaisir.

— Je pensais qu'il s'initiait aussi à la politique.

— Il a essayé. Mais ce n'est pas pour lui.

Il était trop discret de toute manière, trop réservé, trop froid. Il ne donnait pas envie aux gens de le suivre. Et puis il n'avait pas d'autres idées dans sa tête que celles qu'on lui mettait dans la cervelle.

Orion récupéra deux dossiers qu'il entassa sur une pile déjà faite. Au moment où il reposa son regard sur la pile qu'il classait, il se retrouva face à un parchemin beaucoup plus vieux. Il semblait être coincé là depuis des années, jauni par le temps et froissé par les voyages. Il s'en empara délicatement et l'ouvrit. L'écriture était fine et ronde, mais aucune qu'il ne reconnut. Le papier craquelait sous ses doigts.

Mon cher Pollux

Callidora est dans un terrible état. Je t'écris parce qu'il ne s'agit pas seulement d'elle, mais aussi de nous. Harfang Londubat sait. Il a dû nous voir, nous entendre ou que sais-je, mais il le sait et il est déterminé à user cette information pour obtenir notre cousine. Il lui a donné une semaine pour choisir entre accepter ou laisser notre secret se divulguer. Je ne veux pas la forcer à se résigner, mais imagine que notre relation soit connue de tous ? Que nous feront-ils ? Je ne veux pas me séparer de toi, plusieurs mois passés sous un différent toit m'est déjà difficile. Ta voix me manque, tes baisers me

Il redressa la tête. Cygnus rangeait par ordre thématique les ouvrages. Il n'était pas sûr d'avoir tout compris. Jamais une histoire de chantage a été raconté comme début de relation de Callidora et Harfang. Il les avait toujours vu unis, amoureux, comme tombés sous le charme un beau jour sans jamais se lâcher depuis. Cependant, ce n'était pas ce qui le choquait le plus. Il relisit la phrase une seconde fois.

Je ne veux pas me séparer de toi, plusieurs mois passés sous un différent toit m'est déjà difficile. Ta voix me manque, tes baisers me manquent, ton corps me manque. J'avais besoin de te le dire, au cas où Harfang décide de briser notre avenir et que le destin nous sépare. Je ne sais pas ce que fera Callidora, j'essaierai de te tenir au courant. Je t'aime de tout mon cœur,
Ta tendre sœur
Cassiopeia

Il avait la tête qui tournait. Ta tendre soeur.  Mais Cassiopeia n'avait-elle pas eu une folle histoire d'amour avec Perseus Lestrange ? À moins que ce dernier n'ait surgi qu'après Poudlard ? Par Merlin, son frère, son propre frère. Tes baisers me manquent, ton corps me manquent. Il essaya de prendre une plus grande inspiration. pour calmer l'afflu de sang. Ta tendre sœur.

Il replia la lettre et l'enfouit dans le tiroir du bureau, faisant comme s'il n'avait rien vu.

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