XVI. 16 janvier 1958 - la visite

Asler n'était pas rentré la veille et Callidora s'en inquiétait sérieusement. Les fouilles du Ministère dans la Gazette s'étaient propagées dans toute la ville. La plupart des journalistes en étaient ressortis indemnes, ayant simplement été interrogés avec du Veritaserum puis relâchés de leur travail. Elle avait pensé qu'Asler en faisait partie. Mais non. Contrairement aux autres, il n'était pas revenu.

Assise à ta table de la salle à manger, elle se massa le front, fatiguée de sa nuit presque blanche. Régulus ne lui ferait pas de mal, songea-t-elle. Il n'oserait pas. Mais Régulus restait Régulus, et il était capable de tout lorsque la colère le prenait. Elle se remémora cet étrange regard de Perseus, la manière dont il avait dit "je contrôle tout" comme s'il avait déjà planifié l'attaque. Elle songea à le faire venir ici. Mais Harfang ne l'appréciait pas et il chercherait à savoir ce qu'ils avaient à se dire. La réputation de Perseus ne lui permettait pas d'entretenir avec lui une simple conversation.

Le rideau de la fenêtre se souleva légèrement. Elle se retourna pour voir Harfang surveiller la cour extérieure.

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle dans ce qui se rapprocha plus d'un murmure.

— Ton cousin essaie d'entrer.

Elle se leva d'un bond.

— Lequel ?

— Devine.

Elle le rejoignit. Le portail s'ouvrit pour laisser entrer Régulus et deux Aurors qui le protégeaient. Elle sentit son coeur se compresser sous un pressentiment terrible. Le fait qu'il se présente lui-même chez elle était mauvais signe. Harfang aussi semblait y songer, car il resta dans un silence nerveux. Avant que son cousin n'arrive à leur porte, il l'attira contre elle avec un bras enroulé au dessus de sa poitrine. Il aimait la sentir contre lui lorsqu'il se sentait angoissé. Elle était sa tranquilité, son réconfort. Et en réalité, sans sa présence, elle aurait déjà défailli. Son souffle chaud contre sa joue, ses doigts s'enfonçant dans son bras, il s'incrustait en elle et confondait leurs sentiments. Il n'y avait pas de Callidora sans Harfang, ni d'Harfang sans Callidora. Ils affronteraient les mots de Régulus ensemble.

Quand le Premier Ministre entra dans la demeure des Londubat, Callidora l'attendait déjà dans le salon. Les deux Aurors étaient restés à la porte, sachant leur protégé dans un lieu sûr. Elle songea que c'était peut-être le meilleur moment pour lui enfoncer une dague dans le cœur, personne n'aurait le temps de réagir. D'un geste, elle libérerait le pays du joug d'un tyran. Il déposa un baiser léger sur sa joue et sa pensée meurtrière s'envola.

— Je voudrais parler seul avec elle, annonça-t-il en se tournant vers Harfang.

— Si c'est à propos d'Asler, je...

— Je veux être seul. Avec elle.

La froideur figea l'expression d'Harfang. Il n'aimait pas être commandé de cette manière. Encore moins quand cela touchait quelqu'un de leur famille. Mais face à Régulus, il préféra se taire et lui jeta un dernier regard. Elle hocha la tête d'un air rassurant. Ce ne fut qu'un mensonge. Elle aurait aimé qu'il reste, qu'elle lui serre étroitement la main tandis que Régulus annonçait ses nouvelles. Mais il disparut derrière la porte et elle n'eut d'autres choix que de s'installer sur le sofa face à son cousin.

— Veux-tu du thé ? proposa-t-elle.

— Non, ça ira. Je n'en ai pas pour longtemps.

Son emploi du temps avait l'air chargé, mais il prit tout de même son temps pour s'installer confortablement, un coude appuyé sur son genoux, ses yeux gris la détaillant jusque dans ses moindres plis de corps. Elle se racla la gorge pour remplir le silence.

— Saurais-tu, par tout hasard, qui a vendu l'information sur Rollins à la Gazette ? demanda-t-il après plusieurs secondes d'attente.

— Pourquoi le saurais-je ?

— Je ne sais pas. Je demande.

Mais il n'était pas venu jusqu'ici pour simplement le lui demander. Il l'aurait faite venir au Ministère. Ou envoyé une lettre. Son intention était plus qu'évidente.

— Je n'en sais rien, dit-elle d'une voix ferme.

Il se redressa et plissa légèrement ses yeux. Parfois, elle avait peur qu'il ait développé la même capacité de Légilimencie que Cassiopeia. Qu'il puisse en réalité lire dans son esprit, et qu'il sache depuis le début que c'était elle tout en la forçant à avouer. Quel cauchemar ce serait.

— Je ne pense pas que ce soit quelqu'un de l'Assamblée, confia-t-il. Il s'agit plutôt de quelqu'un d'extérieur qui aurait entendu l'histoire, et qui posséderait assez d'influence et de contacts pour faire passer l'information à une enseigne aussi surveillée que la Gazette.

— Ou c'est tout simplement quelqu'un de l'Assamblée.

— Impossible.

— Pourquoi ?

Les battements de son cœur commençaient à accélérer.

— Parce que Rollins n'a jamais fini sa phrase. Et qu'il n'a jamais prononcé le mot "liberté" en entier.

Elle esquissa un sourire qui transpirait la fausseté.

— Ce devait être plus simple pour le journal de compléter la phrase, non ?

— On bien on a juste répété ce qui a été raconté. Et je me souviens parfaitement de mes mots. Lorsque tu m'as demandé ce qui s'était passé, et que Lycoris a cité la réplique entière.

Il insista sur le mot "entière" comme s'il s'agissait de la clef à l'énigme.

— Nous étions tous à écouter.

— Mais une seule a un fils qui travaille à la Gazette.

Une coulée froide se déversa dans ses veines. Il ne pouvait pas arriver à cette conclusion aussi vite. Ça avait été le risque depuis le début, mais pour une raison ou une autre, elle avait écarté cette possibilité. Elle l'avait sous-estimé. Elle avait pensé qu'avec la quantité d'hypothèses et de possibles accusés, il ne penserait pas à une des personnes les plus proches de son entourage.

— Ce qui fait mal dans la trahison, reprit-il avec un calme olympien, c'est qu'elle ne provient jamais de nos ennemis.

— Régulus, paniqua-t-elle, ce n'est pas moi. Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?

Si elle s'en convainquait elle-même, peut-être serait-il plus facile de lui faire croire en son innocence. Il ne répondit pas tout de suite. Son regard se perdit dans le vide. Elle crut avoir réussi pendant un bref instant.

— Je ne sais pas, avoua-t-il. Tu me tiens peut-être responsable de la mort de Cassiopeia et tu veux te venger.

Elle laissa échapper un rire sec.

— Me venger ? De quoi ? Tu n'as rien fait.

Il ferma sa main en un poing, l'étira à nouveau, ses pupilles grises plongeant en elle comme pour sonder ses pensées. Elle maintint la tête droite. Le mensonge la paralysait, si bien qu'elle était dans l'incapacité de montrer un signe de nervosité. Cela lui donna une impression de contrôle, alors qu'en réalité, un simple claquement de doigt suffirait pour l'achever.

— Je t'affectionne, tu sais, reprit-il dans une posture tendue. Non seulement parce que tu es ma cousine, mais parce que tu représentes la force de la maison Black. Et pour tout avouer, je te voue une certaine admiration. Mais cette sympathie n'a pas été réciproque ces dernières années. Je n'ai jamais cherché à savoir pourquoi et je me rends compte aujourd'hui que j'ai eu tort.

— Je ne t'ai jamais détesté.

— Un principe auquel j'ai toujours obéi, c'est de ne jamais croire les survivants. Parce qu'ils ont compris que seul le mensonge pouvait sauver leur vie, alors ils excellent dans cet art.

— Pour l'amour du ciel, souffla-t-elle, quelle preuve puis-je te donner pour t'en convaincre ? Je ne t'en ai jamais voulu pour quoi que ce soit.

— Tu es plus intelligente que ça, lâcha-t-il avec un sourire peiné.

— Peut-être pas autant que tu ne le croies.

Une certaine vérité se détacha de ses mots. Elle n'était pas au courant de tout ce qu'il avait commis. Peut-être qu'elle frémirait en sa présence si elle le savait. Mais à quoi bon ? Parfois, l'ignorance valait mieux que tout le reste.

Il poussa un long soupir.

— Tu ne me facilites pas les choses.

Il était capable d'appeler ses Aurors à tout moment. Ils la saisiraient, la traîneraient jusqu'au Ministère, l'interrogeraient et la tortureraient jusqu'à ce qu'elle avoue. Que ferait-il d'elle après cela ? Elle disparaîtrait de ce monde. Les ennemis du gouvernement s'évaporaient comme de la fumée. En quelques heures, leur existence était oubliée. Comme s'ils n'avaient jamais existé.

C'était ce qu'elle deviendrait : une poussière. Harfang passerait son temps à crier son nom, tout comme Perseus des années auparavant.

Mais il n'en fit rien. Par manque de preuves ou de volonté, elle ne le sut. Il se frotta juste le menton d'un air pensif dans une attitude crispée.

— Nous recherchons Asler, annonça-t-il alors. Je vais te dire les choses telles quelles sont. Nous sommes quasi certains qu'il est l'auteur de la publication. Si nous arrivons à mettre la main sur lui, il sera jugé comme un traître. Les conséquences iront avec.

Puis il plongea son regard dans le sien.

— Je te déconseille donc de te mêler de tout ça. S'il est découvert que tu l'as aidé, tu seras considérée comme complice. Ça me fait déjà mal au cœur de devoir poursuivre un membre proche de ma famille, je n'aimerais pas reproduire le cas avec toi.

— Ça n'arrivera pas, lui assura-t-elle en contrôlant du mieux possible sa voix.

Il ne la croyait pas. Il avait trop eu affaire à elle pour avoir foi en ses promesses. Il avait raison en un sens. Elle avait appris à mentir pour survivre, et à bien mentir. Les mots prononcés avaient quelque chose de puissant. Ils consistuaient une évidence face au crime accusé. Mais les pensées ? Qui pouvait accuser quelqu'un pour une pensée qu'il n'avait pas exprimé ? Qui pouvait lui reprocher de vouloir le renversement de Régulus si elle ne l'exprimait pas à voix haute ?

— Parfait.

Il se leva, récupéra sa canne.

— Nous nous reverrons, cousine. Passe une bonne journée.

Ce ne fut que quand il disparut qu'elle put enfin respirer. La tension de son corps, l'affolement ravalé, la frayeur saisissant chaque parcelle de sa peau, son sang figé dans ses veines, tout cela retomba au fond de son estomac et forma un sanglot de soulagement. Elle reprit une respiration qu'elle n'avait pas remarqué avoir retenu. C'était terminé. Il était parti, elle ne craignait plus rien. Elle n'y croyait même pas, se considérant bien trop chanceuse pour que cela soit réel.

Elle recouvrit sa bouche de sa main pour étouffer son cri d'apaisement. Le nœud dans sa gorge se dégonflait peu à peu. Elle eut presque envie de pleurer, prier le ciel pour le remercier d'une quelconque grâce qu'il lui avait offert par pitié. Il n'avait pas pu la percer à jour. Il n'avait pas réussi à soutirer aucune information d'elle. Parce qu'elle lui avait donné ce qu'il cherchait en venant ici : l'espoir de ne voir aucun membre de sa propre famille se retourner contre lui. Tant qu'il vivrait dans cette illusion, elle ne risquerait rien. Mais elle devrait faire preuve d'encore plus de vigilence dorénavant si elle ne voulait pas devenir une fugitive comme son fils.

— Alors ?

Harfang se tenait dans l'encadrement de la porte, l'air concerné. Elle avait repris une respiration à peu près normal.

— Il soupçonne Asler d'avoir publié l'article, dit-elle simplement. Il nous conseille de ne pas nous y en mêler.

— Que vas-tu faire ?

C'était si évident.

— Ne pas m'en mêler.

Le retrouver.

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