XIV. 13 janvier 1958 - la gazette

Une dizaine d'Aurors s'immiscèrent dans l'établissement de la Gazette par la force, baguette en main. Les travailleurs se levèrent de leur chaise, surpris par cette entrée soudaine. La moitié des forces autoritaires bloquèrent les sorties de l'autre côté de l'édifice, vérifiant chaque porte, chaque possible échappatoire. Quand le bâtiment entier fut encerclé, la figure d'Arcturus Black réduisit l'édifice au silence. Il balaya l'étage du regard, comme s'il pouvait deviner qui avait publié cet article à simple vue. La panique saisit les sorciers. Il n'y eut besoin d'aucun murmure, d'aucune explication pour connaître la raison de cette venue.

Trois étages au-dessus, Asler écrivait à la plume le futur article qu'il devait rendre pour le soir même. La porte de son bureau s'ouvrit en grand sur Panela Hergon, sa compagnon de travail et amie depuis Poudlard. Elle respirait fort et jetait des coups d'œils incessants dans son dos.

— Londubat, nous avons un grave problème.

Quand elle utilisait son nom, c'était rarement bon signe.

Il délaissa sa plume et se leva pour la rejoindre à la porte. Trois Aurors circulaient entre les bureaux, leurs yeux noirs foudroyant chaque âme qui avait le malheur de croiser leur chemin.

— Ils sont là pour l'auteur de l'article, chuchota-t-elle.

— Et comment vont-ils le savoir ?

— Le Véritaserum.

Cette potion avait connu un foudroyant succès lors de son invention, peu avant la guerre. Il avait été rapidement interdit dans les opérations politiques, limité à un usage strictement urgent. Mais il n'était un secret pour personne que Régulus s'en servait pour pratiquement tout. Les alchimistes produisaient une centaines de fioles spécialement pour le Ministère chaque mois. Et il n'y avait pas moyen d'échapper à son effet.

Il attrapa Panela par le bras et la tira en arrière, avant de fermer la porte à clef.

— Tu es fou ! s'exclama-t-elle. Ils vont se douter que quelque chose ne va pas !

— Je ne vais pas attendre d'être traîné dans les couloirs du Département des Mystères.

— Tu seras le moins suspecté, ici, ils...

Il planta un regard empli de gravité sur elle.

— Je ne suis pas un Black, Hergon. Et ma mère n'a pas une excellente réputation non plus. Je passerai au Véritaserum comme tous les autres.

Et alors, il serait perdu. Il ne pouvait pas risquer une telle folie. Ni pour lui, ni pour sa famille. En deux pas, il gagna la fenêtre qu'il ouvrit en grand. Il se pencha pour mesurer la hauteur. Merlin. Il en avait le tournis rien qu'en passant sa tête par dessus le bord. Il attrapa la baguette sur son bureau, rangea les derniers papiers dans son tiroir. Panela l'observait faire avec des yeux croulant de larmes.

— Ils sont dehors aussi.

— Nous courrons.

— Nous ?

Il referma le dernier tiroir puis tendit la main dans sa direction.

— Tu dois venir. Le Véritaserum te fera dire toute la vérité.

Des exclamations indignés traversèrent les murs. Il entendit des pas lourds, des ordres qui fusaient. Sans plus attendre, il prit la main de Panela et s'avança jusqu'à la fenêtre avec elle.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Sa voix déraillait légèrement. Elle voulut reculer mais il plaqua une main dans son dos pour l'en empêcher. Si elle restait, ce n'était pas seulement elle qui serait condamnée, mais lui aussi. Il deviendrait un fugitif. Et vivre dans l'ombre jusqu'à la fin du règne de Régulus ne faisait pas partie de ses plans pour l'avenir.

— Il y a un sort qui permets d'amortir la chute, dit-il rapidement, pressé par les sons de plus en plus forts qui résonnaient derrière les parois. Le Arresto Momentum. Il faut que tu le prononces après que tu ais sauté. Compris ?

— Asler, je ne peux pas faire ça.

— On y va ensemble.

Il grimpa sur le rebord et l'aida à faire de même. Elle s'accrocha à son bras de toutes ses forces, prenant de grandes respirations qui devinrent rapidement des sanglots. On frappa à la porte.

— Ouvrez ! cria une voix.

— À trois.

— Asler, par pitié, souffla-t-elle en fermant les yeux.

La poignée trembla. Un coup violent résonna contre le bois.

— Un.

— Ouvrez, c'est un ordre !

— Deux.

Elle serra sa main de toutes ses forces.

— Trois.

Sans réfléchir, il posa son pied dans le vide. Il tira un poid derrière lui, mais à l'instant où tout son corps chutait, sa main devint libre. Il était le seul à tomber, retenant le cri du fond de sa gorge. Le vent fouetta ses joues, son coeur bondit hors de sa poitrine. Il fut certain de mourir. Ou bien de ne jamais toucher le fond, tel un abyme infernal.

— Arresto Momentum ! cria-t-il.

Son corps se suspendit brutalement, lui arrachant les organes du corps. Quelques secondes seulement s'écoulèrent entre le moment où le sort se dissipa, et l'instant où il tomba. Pendant ces secondes, il fut secoué d'un bruit sourd à sa droite. Un poids lourd qui tombait. Une masse qui se brisait. Il tomba sur le trottoir sans ménagement. Il esquissa une grimace puis essaya de se relever le plus rapidement possible.

Le corps de Panela gisait à sa droite. Du sang coulait de sa narine. Ses yeux grands ouverts fixaient le ciel. Il remarqua alors qu'elle n'avait pas sa baguette en main. Elle avait du oublier de la prendre, s'était lancée dans le vide sans se douter qu'elle prenait ses dernières inspirations. Ses jambes étaient tordues en un angle peu naturel, effaçant ses derniers doutes.

Encore à quatre pattes, il recula jusqu'à toucher la façade. Des voix résonnèrent au-dessus de sa tête. Les Aurors se penchèrent à la fenêtre, réalisèrent que l'échappée venait de décéder. Aucun d'eux ne chercha à savoir s'il y en avait un deuxième. Ils se contentèrent juste du cadavre, riant moqueusement devant la vaine tentative d'une proie à s'échapper. Il ne serait même pas utile de soumettre tous les journalistes au Véritaserum. Ils avaient déjà leur coupable.

Mais Asler n'était pas sauf pour autant. Ils se rendraient compte que la nature de l'information ne pouvait provenir de Panela. Elle ne connaissait personne issue de l'Assamblée. Et le nom d'un disparu, son nom à lui, ne tarderait pas à parvenir aux oreilles de Régulus.

Il jeta un regard désolé à Panela, comme s'il espérait qu'elle accepte son excuse maintenant. Il n'y avait pas de temps pour pleurer sa mort. Une fois entièrement levé, il se mit à courir. Le transplanage était contrôlé, il ne se risqua donc pas à ce transport. La maison de Justine se trouvait à proximité. Il l'atteindrait en cinq minutes, trois s'il courait un peu plus vite.

Arrivé devant chez elle, il tambourina à sa porte. Personne ne semblait le suivre. Ce fut un énorme soulagement. Une femme de quarante ans environ lui ouvrit, les yeux agrandis de surprise.

— Le Ministère est venu pour l'article.

Ce fut suffisant. Elle le laissa rentrer et le conduisit au sous-sol. L'endroit était déjà emménagé pour y loger une personne. Un lit, une table basse et une bibliothèque pleine de vieux manuscrits. Justine alluma quelques bougies pour éclairer la pièce.

— Ne bouge pas d'ici jusqu'à ce que je vienne te chercher.

Elle souffla sur l'allumette avant que celle-ci ne lui brûle les doigts. Le lit grinça quand il y soumit son poids. Les yeux levés au ciel de Panela, la goutte de sang colorant sa peau, le hantèrent. C'était comme si elle était encore à côté de lui, son cadavre recouvrant le sol, lui murmurant des reproches.

— Justine, l'appela-t-il.

Sur le point de remonter les escaliers, elle se retourna.

— Panela est morte.

Elle resta silencieuse. Sa main serra étroitement l'angle du mur sur lequel elle s'appuya. Si fort que ses jointures devinrent blanches.

— Je l'ai forcée à sauter, avoua-t-il, croulant sous le poids de la culpabilité. Elle n'a pas pu prononcer le sort pour retenir sa chute.

Justine détacha son regard de lui pour se tourner vers la sortie.

— Nous pleurerons nos morts une fois que tout ça sera fini, déclara-t-elle d'une voix vacillante.

Puis elle remonta et ferma la porte. Asler attira ses genoux contre son torse et les enveloppa avec ses bras. Il devait attendre, à présent. Attendre que d'autres souffrent pour lui. Attendre qu'on vienne le chercher, attendre la fin de tout ce cauchemar. Il voulait renverser Régulus et sa tyrannie injustifiée, rendre la liberté à son pays, mais il voulait aussi une existence tranquille, sans complication, une jeunesse digne de ce nom. Il avait compris que ce ne serait pas possible lors d'un soir d'automne, alors que la pluie tombait à flot. Entre les raffales d'eau qui s'abattaient sur le sol anglais, il avait entendu des hurlements stridents. Une petite fille qui criait, ses bras tendus vers ses parents. Les Aurors l'agrippaient, ils devaient être deux pour la maintenir. La mère pleurait entre les bras de son mari. On les avait poussés contre un mur. Il n'y avait alors personne dans la rue pour les observer. Personne à part lui, tari dans l'ombre, paralysé d'horreur. Les Aurors avaient levé leurs baguettes. La petite fille avait poussé son dernier cri. Un éclat d'adieu. Une dernière supplication vers le spectre de la mort, les mains tendus, une rendition.
Puis une lumière verte.

Asler s'était alors rendu compte du monde dans lequel il vivait. Perchés sur leur montagne d'or, les sang-purs n'avaient aucune idée de l'horreur qui parcourait les rues de la ville. Mais pour autant qu'ils voulaient jouer les aveugles, la réalité restait la même. Ils y aurait toujours des cadavres jonchant les pavés. Des corps pendus sous des ponts, dont le seul crime avait été d'exister. Leur pays se noyait sous le sang, parce qu'un seul homme l'avait décidé. Asler, ce soir-là, n'avait pas osé bouger. Il n'avait pas pu sauver les parents de la petite fille, et il avait vu les Aurors l'emmener sans rien pouvoir faire pour la sauver.

Mais il avait décidé d'agir. Il avait donné l'idée à la seule personne de sa connaissance qui haïssait autant Régulus que lui. Perseus l'avait écouté avec une attention particulière. Deux jours plus tard, il s'était introduit dans leur nouveau quartier général. Cachés sous terre, ils avaient commencé à planifier. Cette rébellion était devenue sa raison de vivre. La première pensée qui traversait son esprit le matin. Et plus il s'éloignait de l'ambiance élitiste de sa famille, du luxe et de la corruption, plus il voyait le monde tel qu'il était réellement. Un nid d'âmes désespérées, tendant toutes leurs mains à travers les barreaux de cette société hermétique, clamant d'une voix éteinte la liberté.

Il passa une main nerveuse dans ses cheveux et cloua son regard au sol. Il songea à sa mère. Perseus n'avait pas manqué de lui annoncer la nouvelle. Callidora Londubat se trouvait dans leur rang. Il s'était senti fier au début, fier que sa mère sache ouvrir les yeux et se différencie des hypocrites de sa famille. Fier aussi qu'elle surpasse sa rivalité avec Adonis pour servir une véritable cause. Mais il s'inquiétait aussi pour elle. Que ferait-il s'ils découvraient son implication ? Il était peut-être un Londubat, mais elle était née Black, et par cette origine, devait rester fidèle à sa lignée. Régulus n'aurait aucun remord à la jeter dans un trou bien profond, puis la recouvrir de terre, comme il l'avait fait avec Cassiopeia. C'était lui qui avait créée cette rébellion. Si elle mourait par sa faute, qu'est-ce que le désespoir le pousserait à faire ?

Il avait donc refuser de lui faire connaître son implication. Le moins elle en savait, le mieux c'était. Elle n'avait connaissance que d'une infime partie de l'organisation, ceux qu'elle fréquentait depuis des années. Ainsi, il minimisait les risques d'une possible trahison. Perseus l'avait averti à son sujet, il lui avait dit "ne la sous-estimes pas. Elle a connu bien des horreurs et elle s'en est toujours sortie". Mais il s'en fichait. Cette fois-ci, c'était différent. Il s'agissait de sa propre famille. D'une attaque face à l'institution la plus ancienne et puissante de tout le pays. Et contrairement à la Grande Guerre, elle se trouvait du côté des faibles. Ceux qui faisaient de leur mieux pour changer les choses, mais qui allaient surement périr dans la tentative.

Asler resta assis sur le lit des heures durant, remuant ses pensées incessantes dans son esprit. Il songea une nouvelle fois à Panela, son cœur se serra si fort qu'il se mordit le bras pour ne pas laisser les larmes le gagner. Les bougies finirent pas s'éteindre, noyées dans leur cire liquide. Abandonné à l'obscurité, tourmenté par les évènements cauchemardesques, il crut devenir fou.

Ce fut blotti dans un coin du sous-sol, recroquevillé sur lui-même, que Justine le retrouva cinq heures plus tard.

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