XI. 5 janvier 1958 - l'assemblée

— Devant nos lois constitutionnelles, je propose à ce gouvernement une régénération politique. De ce fait, je demande expressément de nouvelles élections démocratiques, qui se réaliseront selon l'accord de tous les ministres et de tous les partis qui forment notre politique.

Le scandale se propagea dans tout l'amphitéâtre. Les yeux s'arrondissaient, les chuchotements survolaient chaque tête. Régulus, assis sur son siège de Premier Ministre, fixa son regard sombre sur Rollins. Il était encore debout, un sourire sur le bout des lèvres. Un homme qu'il avait voulu aider en le nommant Directeur du Département des Transports Magiques, voilà qu'il se retournait aujourd'hui contre lui. Il surveilla chaque membre de l'Assemblée. Certains restaient muets. D'autres initiaient des débats animés, faisant éclater la tension déjà présente. Lycoris se leva de son siège et se pencha vers son oreille.

— C'est toi qui ordonne, chuchota-t-elle. Renvoie-le.

Les Aurors, présents devant chaque porte de sortie, n'attendaient qu'un seul signe de sa part. Ils s'empareraient de Rollins et l'enverraient moisir à Azkaban. Mais il n'eut pas le temps de réagir que ce dernier reprit la parole.

— Il est inadmissible qu'une dictature s'impose dans notre pays ! s'exclama-t-il, faisant taire toutes les voix. Regardez dehors, regardez ces sang-mêlés traînés dans les rues et exécutés sans aucune pitié ! Ces né-moldus pendus sur la place publique, tandis que l'élite magique célèbre sa victoire ! Est-ce cela, l'Angleterre ? Nous sommes-nous abaissés à tant de médiocrité, en construisant une société étouffée par la répression et l'inégalité ? Il n'y a qu'une seule solution à cela : des élections !

Des sorciers commençaient à se lever, portés par la fougue d'un discours bien scellé. Rollins arborait un air bien trop fier. Il eut envie de lui arracher ce sourire horripilant avec un couteau aiguisé. Ce qu'il venait de faire, c'était un acte de suicide. Les trois-quart du Gouvernement ne se lèveraient jamais contre lui, parce qu'ils lui devaient tous une faveur. Rollins se jetait droit dans un gouffre mortel.

L'amphitéâtre souffrait d'un vacarme assourdissant. David, à sa gauche, gagna la barre de parole. Régulus fronça les sourcils. Il avait l'habitude de se faire discret lors des réunions de l'Assemblée. Il le savait en désaccord avec sa manière de gouverner, même s'il demeurait à ses côtés par affection et fidélité. Lycoris, toujours debout à ses côtés, respirait lourdement.

— Écoutez moi ! plaida-t-il en levant sa main.

Un bref silence suivit ses mots.

— Ces sorciers dont vous parlez ont été exécutés pour une raison parfaitement justifiée. Ils ont trahis le gouvernement en cherchant à se rebeller.

— Et pourquoi se sont-ils rebellés, Monsieur Duchesses ? renchérit Rollins. Par pur plaisir, vous croyez ?

— Je vous déconseille de faire ça, se contenta-t-il de dire.

Cette fois-ci, plus personne n'osa parler. Le temps sembla s'arrêter de s'écouler devant ce semblant de menace. Rollins dévisagea David, ne sachant comment prendre ses mots.

— Je le fais pour notre patrie. Pour sauver l'Angleterre des griffes assérées de la maison Black.

Régulus en eut assez. Il leva sa main et cinq Aurors montèrent les gradins. Rollins ne chercha pas à s'enfuir. Il se tint droit, fier, un air de défi dans son regard brillant. Il détourna son attention de David pour la centrer sur Régulus. Il savait ce qui allait lui arriver. Tous, dans cette assemblée, étaient parfaitement au courant de la sanction pour un tel acte. Les Aurors l'agrippèrent par les bras et pointèrent leurs baguettes vers sa gorge. Au moment où il allait disparaître dans les escaliers, il cria :

— À bas la dictature ! À bas les Black ! Vive la liber...

Puis plus rien. Il disparut. Le silence fut complet. Le moindre mouvement, ou murmure, pouvait s'entendre. Régulus se leva de son siège et récupéra sa canne. Son gant en cuir se resserra autour de la poignée en forme de corbeau. Il balaya la salle du regard. Il ne prononça aucun mot. Mais ils savaient tous. Rollins n'avait pas fait preuve de courage. Il avait été stupide. Seul un homme qui n'avait plus rien à perdre osait agir de la sorte.

Il se dirigea vers la sortie avec, derrière lui, sa sœur et David. Arcturus n'était pas venu aujourd'hui pour une raison qui lui échappait. Il n'avait pas besoin de lui de toute manière. Il n'avait besoin de personne.

Une fois dans son bureau, il demanda à être seul. Lycoris insista pour rester, mais il lui ordonna fermement de sortir. Les portes se fermèrent. Il posa sa canne et s'appuya sur la surface de son bureau. La lumière du jour illuminait son visage tordu de rage. Ses traits creusés par le temps, ses cheveux plaqués sur son crâne, enduits d'une teinte noire pour cacher ses cheveux blancs.

Un cri colérique jaillit de sa gorge et il frappa le bois.

Maintenant que Rollins avait émi cette proposition face à l'entière Assemblée, cette idée se répendrait. L'information trouverait une fuite jusqu'au peuple. Les gens demanderaient de nouvelles élections. Et s'il s'y mettaient tous, il n'aurait pas la force de les faire taire. Il devait réfléchir à une solution et prendre une décision sur la sanction de Rollins. Montrer l'exemple, voilà ce qu'il fallait.

Il s'assit sur son fauteuil et se frotta la lèvre inférieure d'un air pensif.

Une demi-heure plus tard, il était resté à la même place, ses yeux perdus dans le vide qui lui faisait face. Toutes les mesures qu'il trouvait étaient soit trop radicales, soit trop souples. Il n'arrivait pas à trouver un juste milieu, quelque chose qui empêcherait quiconque de commettre la même stupidité mais qui, à la fois, ne risquerait pas de prouver l'existence d'un régime dictatorial, tel qu'ils l'affirmaient tous.

La porte centrale s'ouvrit. Il s'apprêtait à renvoyer l'intrus quand il reconnut son frère.

— Où étais-tu ?

Arcturus referma et le rejoignit face au bureau. Il remarqua l'abattement qui lui voûtait les épaules et le voile mélancolique recouvrant son visage. Depuis l'accident de Lucretia, il n'avait plus jamais été le même. Chaque jour, la culpabilité le rongeait un peu plus. La moindre réunion lui soutirait toutes ses forces. Régulus avait l'impression de le perdre.

— J'ai entendu parler de ce qui s'était passé, dit-il simplement. Que comptes-tu faire ?

— Puisqu'il prenait la défense des né-moldus exécutés en place publique, je vais faire de même pour lui.

La solution pour ce problème là avait été rapidement prise.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne mesure.

— Pourquoi ça ?

Arcturus attrapa la boule de cristal de la Tour Eiffel que Clémentine Duchesses lui avait offert lors de sa visite. Il la fit tourner dans sa main. Les flocons tombèrent sur le monument miniature.

— Les gens apprendront rapidement la raison de son exécution. Ils le prendront comme excuse pour s'insurger. Si tu veux le tuer, fais ça en privée.

— Je ne le tuerai pas. Un Détraqueur se chargera de lui.

Il reposa la boule de cristal.

— Comme tu voudras.

— Alors ? enchaîna-t-il. Qu'est-ce qui t'a retenu d'une réunion de l'Assemblée ?

Il enfouit ses mains dans les poches de son pantalon. Les derniers flocons se déposaient sur le socle de la Tour Eiffel. Il les observa attentivement, comme si elles constituaient un divertissement en elles-mêmes.

— Lucretia a tenté de se suicider, explica-t-il d'une voix creuse.

— Quand ça ?

— La nuit du Jour de l'An. Elle est tombée malade après ça et aujourd'hui, sa fièvre est montée, donc j'ai appelé le médecin. Il pense que la fièvre est dû à une dégénération de sa santé causée par son état mental.

Il ferma les yeux et soupira profondément.

— Je ne sais plus quoi faire, reprit-il. Chaque jour qui passe ne fait qu'empirer son état. Elle est convaincue d'être inutile, les seules fois où elle sort c'est pour se rendre dans des clubs où Merlin sait ce qui se passe.

Arcturus ne divulguait que de rare fois ce genre d'informations, mais Régulus se souvenait de précédentes tentatives de suicide. Combien, il ne pouvait le confirmer, mais plusieurs pour sûr. Il n'avait jamais vu son frère aussi impuissant. Il essayait d'éloigner Lucretia du tombeau, mais comment faire quand elle ne faisait que s'en approcher ?

— Est-ce que je peux passer la voir ? demanda-t-il en joignant ses mains devant lui.

— Peu importe ce que tu lui diras, elle n'écoute personne.

— Je peux essayer.

Il resta deux heures de plus à son bureau en compagnie de son frère, à signer divers documents et tenter d'établir un plan de secours au cas où les choses dégénèreraient. Il fut d'accord pour une sanction privée, sans laisser aucun journal divulguer l'information. La Gazette du Sorcier était d'ailleurs la seule organisation de presse à exister à ce jour, et elle répondait sous ses ordres. Il espérait que l'entière opération demeure sous silence. La disparition de Rollins créerait une nouvelle menace dans le Ministère, mais personne n'aurait de preuve officielle contre lui.

Arcturus décida de rester au Ministère et retrouver Lycoris, tandis que Régulus prenait le chemin de son manoir. Les Aurors qui l'accompagnèrent se firent discrets, comme toujours. Ce fut Mélania qui l'accueillit. Sa famille avait été massacrée sans pitié, sa fille cherchait sans cesse à se donner la mort, mais elle continuait à sourire chaque fois que quelqu'un lui adressait la parole. Il avait douté d'elle au début, de sa capacité à supporter le poids d'une lignée comme la leur, mais elle était certainement la personne la plus forte qu'il ait rencontré.

Elle le mena jusqu'à la chambre de Lucretia. Celle-ci était réveillée. Couchée sur son lit, elle avait une mine pâle et les lèvres sèches.

— Mon oncle, le salua-t-elle en se redressant légèrement.

Il s'assit sur la chaise la plus proche. D'épais rideaux filtraient la lumière du jour. Malgré la pénombre de la chambre, il parvint à distinguer les cernes sous ses yeux.

— C'est vraiment ce que tu veux ? l'interrogea-t-il. Mourir ?

Elle cloua ses yeux sur les draps. Il y eut un silence.

— Je t'ai posé une question.

Alors elle redressa la tête. Son regard, d'habitude brillant, était plat et vide.

— Oui.

— Pourquoi ? Cite-moi une seule bonne raison pour quitter ce monde.

— Je n'ai pas d'avenir, souffla-t-elle.

Elle ramena ses genoux contre sa poitrine.

— L'avenir n'existe pas. C'est quelque chose que nous avons inventé pour nous rassurer, avancer en sachant dans quelle direction aller. Mais il n'y a rien qui prouve son existence. On peut donc le détruire. Ou en créer. Et je t'assure, Lucretia, que tu as les moyens d'en créer un. Si tu n'y arrives pas, je t'aiderai. Il me suffit de claquer les doigts pour t'apporter ce que tu demandes.

Elle éclata d'un rire sans joie.

— Personne ne peut me donner ce que je veux.

— Tu ne pourras pas avoir d'enfant, certes. Mais tu peux tomber amoureuse, tu peux te marier. La vie ne se résume pas à de la descendance, la preuve avec moi ou ta tante.

— Mais aujourd'hui, c'est ce que les hommes cherchent, contesta-t-elle d'une voix plus vive. Ils veulent une femme qui leur donne des héritiers, et du moment qu'ils...

— C'est ce que tu supposes.

Elle secoua la tête.

— Non. Ils sont tous pareils. Et même si je trouve l'homme que j'aime et que je veux me marier avec lui, jamais on ne m'y autorisera.

— Je serais curieux de savoir pourquoi.

Il devinait déjà sa réponse, et il sentait que sa mauvaise humeur n'avait pas terminé de lui gâcher sa journée. Lucretia tritura le bord de son drap, hésitant entre avouer et se taire. Mais il la pressa silencieusement de cracher le morceau.

— Dorea est venue me voir juste avant le bal. Elle m'a dit qu'il serait inutile que je m'y rende, en sachant que tout intérêt porté sur moi serait vain. Mieux valait que je laisse la chance à d'autres filles.

Il n'aurait jamais pensé que sa cousine deviendrait quelqu'un de ce genre. Elle prenait trop au sérieux les conventions et les rouages de leur société. Elle avait provoqué Callidora intentionellement avant d'essayer de l'exclure de leur famille. Et maintenant, elle déversait des stupidités devant une jeune fille qui n'attendait qu'un seul signe pour se convaincre que sa présence n'était pas désirée. Sa colère enfla.

— Dorea a oublié avec le temps ce que sont les sentiments. Ne l'écoute pas. Elle n'a rien à t'apprendre.

— Mais c'est vrai.

Il se pencha en avant, posant ses coudes sur ses genoux.

— Il n'y a qu'une seule personne qui peut t'empêcher de faire quelque chose, et c'est moi. Ne prends compte de l'avis de personne d'autre. Tu es une femme libre, Lucretia. Toi seule peut choisir ce que tu veux devenir. Mais terminer dans un tombeau n'est pas une option. Et je pense que la mort t'as refusé bien assez de fois l'entrée.

Il se leva et écarta les rideaux. La lumière se déversa dans la pièce. Lucretia se cacha les yeux mais s'habitua peu à peu à l'intensité.

— Sais-tu ce que disait mon père quand j'étais plus jeune ?

Il l'entendit prononcer un faible "non".

— Qu'il y a deux sortes de personnes dans la vie. Ceux qui commandent et ceux qui sont commandés. Les commandés obéissent aux lois, aux règles et aux conventions. Les commandants les brisent.

Il pouvait presque le revoir prononcer ces mots, assis derrière son bureau. Son père dont il s'était plains pendant des années, mais qui lui avait appris le véritable fonctionnement de la vie. Sirius Black était mort en paix. Quand un fils s'élevait plus haut que son père, cela voulait dire qu'il avait réussi. Il lui avait transmis tout ce qu'il avait appris en soixante-quinze ans d'existence. Aujourd'hui, c'était à son tour d'enseigner ce savoir.

— Soit une commandante. Brise les conventions. Fais ce que tu as envie de faire, vis selon tes propres principes et aime qui tu as envie d'aimer. Et si les choses ne se passent pas comme prévu, alors tente un autre chemin. Mais ne t'arrête jamais d'avancer.

Il s'écarta de la fenêtre et lui fit face. Son regard avait changé. Il était plus étincelant, plus vivant. Il se pencha et déposa un baiser sur son front, une main posée sur sa joue.

— Il n'y pas d'obstacle pour un Black, souffla-t-il. Aies toujours cela en tête.

Juste avant qu'il ne parte, elle l'appela. Il se retourna et attendit qu'elle parle.

— Merci, lâcha-t-elle enfin.

Il hocha la tête et sortit.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top