VIII. 29 décembre 1957 - l'armoire

Un doigt s'entortilla autour de sa mèche. Elle enroula ses cheveux tout autour et tira dessus. Ses yeux noirs se perdirent dans les flammes, celles-ci festoyant une quelconque célébration. Elles dansaient toutes ensemble, au rythme des crépitements. Si seulement elle en était une. Elle passerait ses derniers instants à s'élever dans les airs et virevolter de joie.

Walburga poussa un soupir bruyant. Elle songea au bal prévu dans deux jours. Sa mère n'avait fait aucune démarche pour lui acheter une robe, alors elle l'avait cousue elle-même. Pour l'instant, elle l'avait cachée dans son armoire, protégée par un sort. Pendant deux mois elle y avait passé ses journées entières. Elle ne savait plus quoi faire à présent. Elle pouvait lire, mais ça lui donnait envie de dormir. Sa vie n'était qu'une continuité morbide et ennuyante.

La porte de la bibliothèque grinça. Elle se redressa, aux aguets. Sa mère apparut. Que lui voulait-elle ? Mais elle n'avait pas sa baguette en main, ce qui était bon signe.

— Ton frère est là, annonça-t-elle avec une sombre expression.

Elle soupira de soulagement. Il n'allait rien lui arriver. Pas aujourd'hui en tout cas. Cygnus passa le seuil en refermant derrière lui. Des flocons de neige tachaient sa cape de blanc. Il en avait même dans les cheveux. Il se les ébourriffa lui-même et s'approcha avec un sourire chaleureux sur les lèvres. Il lui déposa un baiser sur la joue.

— Bonjour grande sœur.

Elle l'aida à se débarrasser de sa cape et la déposa elle-même sur le dossier du fauteuil. Le savoir sous ce toit la rassurait profondément. Elle avait l'impression de pouvoir respirer à nouveau sans que sa mère ne débarque pour la punir de vivre. Les jours où un de ses frères lui rendaient visite, ou même sa cousine, étaient les meilleurs de l'année.

Elle s'assit avec lui sur le sofa.

— Comment vont les filles ? demanda-t-elle.

C'était la question qu'elle posait chaque fois qu'ils entamaient une conversation. Elle aimait beaucoup ses nièces, surtout Bellatrix. Elle retrouvait en elle l'innocence qu'elle avait perdu, cette curiosité qui faisait briller ses yeux. Petite, Walburga avait cherché une trace de bonté, parcourant tous les chemins possibles et inimaginables, s'imaginant une vie illusoire. Mais ce monde ne réservait rien de meilleur que ce qu'on possédait déjà.

— Bien. Elles sont avec leur mère.

— Elles seront au bal ?

— Pas Narcissa, elle est trop jeune. Mais Andromeda et Bellatrix oui.

Elle hocha calmement la tête. Cygnus la regarda d'un air concerné, analysant le moindre détail de son expression. Elle devina alors ce qui l'avait mené ici. Alphard avait vendu la mèche.

— Et toi ? Comment vas-tu ?

— Bien.

— Tu n'es pas obligée de me mentir à moi, tu sais.

Elle sourit. Il était adorable à vouloir la protéger. Mais il arrivait toujours trop tard. Tout le monde arrivait toujours trop tard.

— La vérité n'a pas changé depuis le temps. Ça ne sert à rien de la répéter.

Il se redressa. La préoccupation innonda son regard, et elle y apperçut une once de colère.

— C'est Mère ? Elle continue ?

— Elle n'a jamais cessé.

Les flammes attirèrent son attention. Celles-ci dansaient encore plus vivement que d'habitude. S'élevant haut, haut dans les airs, avant de fondre. Dans ses pupilles sombres se réflétèrent leur euphorie orangée.

— Parfois, murmura-t-elle, lorsque je me trouve derrière elle et que j'aperçoit son cou, si blanc, si parfait, j'ai envie de le lui tordre. D'entendre le craquement de ses os et de la voir s'écrouler au sol.

Elle se revit dans le couloir, à peine descendu l'escalier. Sa mère de dos, ses mains fouillant son sac. Elle avait eu l'occasion. Il lui suffisait de quelques pas, d'un geste vif et bien calculé. Elle aurait été libre. Les larmes lui vinrent presque aux yeux à cette idée. Plus de verrous fermés à double tours, plus de jours entiers à hurler sous la faim et la soif qui la rongeait. Plus personne ne la tiendrait prisonnière.

Elle se souvint de la présence de son frère. Un éclair de crainte éclaira ses pupilles. Un silence pesant s'était posé dans la pièce, si complet qu'elle entendit son déglutissement.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Il secoua la tête, comme s'il voulait écarter ce sujet.

— Alphard m'a dit, pour ta crise.

— Ce n'est pas une crise.

— Alors dis-moi ce que c'est.

Elle échappa un rire amer.

— Tu ne comprendrais pas. Tu finirais par te ranger du côté de Mère, elle qui veut m'envoyer dans un asile.

— Pardon ?

— Tu ne savais pas ? Elle l'a suggéré très sérieusement à Régulus. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne m'y envoient.

C'était peut-être là-bas qu'était sa véritable place. Quand la main froide de Cygnus se posa sur sa joue, elle sursauta. Il l'obligea à le regarder lui, les sourcils anormalement froncés.

— Ils ne t'enverront nul part, tu m'entends ? Je les confronterai physiquement s'il le faut, mais personne ne t'emmènera dans un maudit asile. Comment a réagi Père ?

— Il est retourné à Paris.

— Mais le sait-il ?

— Non.

Il retira sa main. Elle sentait encore la marque du froid percer sa peau.

— Je pensais qu'il resterait jusqu'au Nouvel An.

— Moi aussi, dit-elle tristement. Il n'aime pas cet endroit de toute façon. Je me demande pourquoi.

Elle ne sut s'il avait soulevé l'ironie ou pas. Il resta quelques minutes sans parler, plongé dans ses pensées. C'étaiti typique de son frère. Parfois, il réfléchissait trop et se noyait dans ses réflexions. Plus jeune, il en avait souffert, mais avec le temps, il avait appris à gérer ses émotions qui allaient avec ses tornades de pensées. Elle le laissa faire.

— Après-demain, Orion ira te chercher, déclara-t-il brusquement.

— Orion ?

— Il ne t'a rien dit ?

Elle secoua la tête. Personne ne lui disait rien. Elle était l'oubliée de la famille, l'enfant délaissée trop longtemps dans la cave que tout le monde pensait morte.

— Il sera ton cavalier.

— Mais il accompagne Lucretia d'habitude.

— Lucre' ne participe pas au bal.

Une déception immense l'envahit. Sa cousine était la seule avec qui elle pouvait passer la soirée de façon agréable. La nuit serait longue sans elle.

— Pourquoi ?

— Elle ne se sent pas très bien en ce moment. Elle préfère aller au club, là où elle passera certainement la soirée à chanter et à boire.

Sa cousine était une cause perdue. Elle finirait par se couper les veines un de ces jours, et Walburga se retrouverait définitivement seule.

— Elle chante bien, fit-elle remarquer. Ça fera plaisir aux membres du club.

Cygnus poussa un soupir de désaprobation.

— Le moment qu'elle préfère n'est pas sur la scène mais dans la chambre. Elle ne se sent bien que quand elle s'offre aux mains des hommes.

— Chacun trouve son réconfort quelque part.

— Où le trouves-tu, toi ?

Quelle question. Autrefois, elle aurait répondu "dans l'espoir". Ces nuits qu'elle passait, recroquevillée dans son lit, les joues mouillées de larmes. Elle regardait la lune et se suprenait à simaginer un avenir grandiose. Un mari qui prenait soin d'elle, une maison loin de celle-ci, quelque chose de mieux, de plus lumineux.

— Je n'en ai pas.

Cygnus ferma brièvement les yeux, comme s'il s'efforçait à sentir sa douleur. Il attrapa sa main et la porta à ses lèvres. Elle sentit son baiser toucher sa peau.

— Tout s'arrangera, je te le jure.

Elle avait arrêté de croire en ce genre de promesse.

Il partit deux heures plus tard, après lui avoir résumé les actualités politiques et familiales. Il faisait toujours ça, comme si elle en avait quelque chose à faire de comment vivait le monde en dehors de ces murs. Mais tant qu'il restait, ça lui allait. Pour son plus grand bonheur, sa mère ne vint pas la voir après le départ de son frère et elle monta dans sa chambre en silence. Elle délivra alors l'armoire du sortilège et ouvrit ses portes. Le grand jupon de plumes noires tombait en cascade contre la paroi de bois, orné d'un corset étincellant. Pour une fois, elle voulait devenir un corbeau, un vrai. Juste le temps d'une soirée. Faire honneur à son nom et devenir une Walburga Black lumineuse et puissante, comme personne ne l'avait vue auparavant.

Cela rendrait sa mère folle de rage. Ce serait la plus grande récompense de la soirée. Elle avait peut-être élaboré cette robe dans le seul but d'opposer une résistance à son autorité. Et face à autant de monde, elle ne pourrait la punir.

Un large sourire étira ses lèvres à cette pensée. Ce sourire se transforma rapidement en fou rire. Face à cette robe d'une obscurité majestueuse, Walburga se sentit si heureuse. Elle deviendrait, l'instant d'une soirée, la reine des corbeaux, celle des oubliés. Ce fut comme si la robe était réelle, déjà sur elle, la recouvrant avec ses ailes de jais. Elle tourna sur elle-même en chantonnant un air gaie.

Les murs de sa chambre étouffèrent sa joie. Personne ne pouvait l'entendre. Il n'y avait qu'elle, son sourire et ses larmes dévalant ses joues blanches.

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