VII. 29 décembre 1957 - le complot
Callidora se demanda, pendant un bref moment, si elle ne s'était pas trompée d'adresse. Elle vérifia l'indication griffonée par Perseus qu'elle avait retrouvé dans le manche de sa dague, puis observa le numéro de la porte et le nom de la rue. Il avait précisé Londres, et elle s'y trouvait. Aucun doute là dessus.
Hésitante, elle sonna. Une minute plus tard, la porte s'ouvrit sur une femme vêtue de servante, un chignon bas et un tissu blanc recouvrant ses cheveux. Elle avait les manches pleines de farine. C'était bien ce qu'elle pensait. Il s'agissait d'un quartier moldu, Perseus s'était trompé d'adresse.
— Excusez-moi, fit-elle en reculant.
— Vous êtes Callidora Londubat ?
Elle hocha la tête d'un air méfiant. La jeune fille lui tourna alors le dos et avança, laissant la porte ouverte. Cela ne voulait dire qu'une chose. Callidora mit un pied à l'intérieur. Ça sentait la poussière et le renfermé. Les sorciers se servaient d'elfes de maison pour nettoyer, pas d'humains. C'était un détail qui la rendait hésitante, mais d'un autre côté, elle voulait faire confiance à Perseus. Il ne la conduirait pas dans un piège, pas lui. Elle traversa la maison en suivant la jeune fille. Finalement, celle-ci s'arrêta face à la paroi du fond et déposa une main sur la tapisserie. Des mots en latin franchirent ses lèvres. Une fissure divisa le mur. Le craquèlement résonna dans l'entière maison tandis qu'une ouverture se créait. Une lumière émanait de l'autre côté.
— Ils vous attendent, déclara la servante.
Et elle repartit, la laissant seule. Callidora traversa le mur et avança dans la pénombre. Une salle plus grande s'ouvrit à elle, sans aucune fenêtre pour illuminer naturellement. Seulement des bougies dont la cire créait des flaques blanches, disposées tout autour de la pièce. Une grande table en bois présidait, et assis au bout, Perseus. Il se redressa en la voyant. Ses yeux s'emplirent de soulagement. Comme s'il avait attendu durant des jours entiers qu'elle arrive.
Il la rejoignit et la serra dans ses bras. Ses muscles se détendirent. Le papier de l'adresse était toujours froissé dans sa paume de main.
— Merci d'être venue, murmura-t-il près de son oreille.
Elle ferma les yeux. Ce n'était pas une erreur, se convainquit-elle. Venir ici n'aurait aucune conséquence. Personne ne le saurait. Perseus ne l'emmènerait pas dans quelque chose de dangereux de toute manière. Elle rouvrit les paupières, prête à lui demander ce qu'il attendait d'elle, mais l'apparition d'une silhouette la liquéfia sur place. Il avait une barbe plus longue. Des rides creusaient sa peau et des cheveux blancs teintaient sa chevelure, mais c'était bien lui. Ce regard froid, si ironique et diabolique à la fois, elle ne pouvait pas se tromper. Elle se détacha brusquement de Perseus et recula jusqu'à percuter le mur. Celui-ci se retourna, mais il ne sembla pas surpris d'y voir Adonis Rosier.
Ce traître. C'était un piège, elle aurait dû écouter son instinct.
— Bonjour Callidora.
Elle tira sa baguette de sous sa cape et la pointa sur lui. Il leva les mains en signe de rendition. Une d'elles luisait de manière peu habituelle. De l'argent. La main que Cassiopeia lui avait coupé, des années auparavant.
— Baisse ça, lui ordonna calmement Perseus.
— Je n'aurais pas dû te faire confiance, grinça-t-elle. Espèce de...
— Il ne va rien te faire.
Non, bien évidemment. Adonis avait passé l'entièreté de sa vie à vouloir éliminer le maximum de Black possibles, comme s'ils étaient tous des proies qu'il voulait chasser, et maintenant qu'il en avait une devant lui, seule et vulnérable, il n'allait rien lui faire ? Elle avait été naïve autrefois, mais ce n'était plus le cas.
— Malgré l'âge, tu restes la même, commenta Adonis avec le genre de sourire malicieux propre à son personnage. Je revois encore la jeune fille qui obéissait à sa cousine parce qu'elle ne savait pas différencier le bien du mal. Celle qui a couru à travers les bois, poursuivie par la peur, et qui, dès l'instant où elle m'a laissé pour mort dans cette crypte, s'est enfuie en pleurant.
— Cette fille dont tu parles est morte le jour où les Rosier l'ont enfermée dans leur cave.
Il n'y avait pas seulement la peur qui l'agitait. Il y avait aussi la haine. Lui et sa maudit famille méritaient de brûler en Enfer. Ils étaient des monstres. Et les monstres n'avaient pas leur place sur Terre.
— Je suis désolé pour cela.
Était-il sincère ? Elle rechercha une once de moquerie dans ses yeux abîmés par la vieillesse, mais elle ne vit rien. Il avança d'un pas mais elle fit en sorte de le maintenir à l'écart en mettant en évidence sa baguette.
— Je n'ai jamais été d'accord avec ce que Marianne t'avait fait subir. Je savais que ce n'était pas toi qu'il fallait punir. Tu n'étais qu'une victime de plus, prise entre les griffes des grands de ta famille. Tu as tué mon frère parce qu'il était un obstacle à ta liberté, et pour cela je ne t'en veux pas.
Elle dévia son regard vers Perseus. Il avait dû le lui raconter. Il lui avait donc confié que c'était lui qui l'avait aidée à s'échapper. Et pourtant, ces deux hommes semblaient de mèche.
— Et pour ce que j'ai fait à ta tendre femme ? lâcha-t-elle sur un ton presque provocateur. La torturer jusqu'à la rendre aveugle et muette de douleur, ta chère cousine, l'amour de ta vie, étalée sur le sol de ma maison, à hurler jusqu'à s'en arracher les cordes vocales.
Un voile sombre recouvrit son regard. Il n'y eut plus la trace d'un moindre sourire.
— Comme j'ai savouré ce moment, avoua-t-elle d'un air satisfait.
— Callidora, ça suffit, intervint Perseus.
— Tu avais le droit de te venger, dit-il tout simplement.
Il y avait bien plus que ça, mais il se forçait à éteindre ses mots. Peu importe qu'il veuille être concilient. Ils resteraient ennemis à vie, séparés par les horreurs qu'ils avaient commis.
— Je devrais te tuer.
Et elle en avait l'opportunité, là, maintenant. Mettre fin à des années de guerre. Honorer les morts des Ardennes qu'il avait lui-même causé. C'était maintenant ou jamais.
— Mais tu ne le feras pas. La vie t'a forcée à tuer, mais tu n'es pas une meurtrière.
— Et qu'est-ce que tu en sais ?
— Parce que la jeune fille qui courait dans les bois en pleurant vit encore en toi. Personne ne change complètement.
— Non, tu as raison. On ne change jamais complètement. Mais on apprends. Et j'ai appris à ne pas faire confiance aux Rosier.
Elle releva sa baguette comme pour insister sur ses propos. Cependant, Perseus recouvrit de sa main son poing fermé. Il la força à baisser son bras. Il n'avait pas le droit de faire ça. Pourquoi s'était-il allié avec Adonis en premier lieu ? Pour quelle raison faire une chose pareille ?
— Tu sais pourquoi tu es ici, déclara-t-il d'une voix posée. Toi et Adonis avez un point commun. Vous voulez détrôner Régulus.
— Je ne veux aucun mal à mon cousin.
— Regarde ce qu'il a batti. Regarde ce qu'il a fait de l'Angleterre. Veux-tu encore subir des leçons de moral sur ta façon de te comporter avec ton mari, ou recevoir des leçons sur les conventions vestimentaires ? La société que Régulus a construit est une société dirigée par les oubliés de la guerre. Ceux qui n'ont jamais été des héros, et qui veulent goûter à leur heure de gloire. Dorea, Alphard, et même Harfang, toutes ces femmes qui n'aspirent à rien d'autre que d'étouffer leurs proches, ils ne veulent qu'une chose : ériger un monde où personne ne remettra en cause leur autorité.
— Tu oses mentionner mon mari dans ce tas de vipères ? cracha-t-elle.
— Il a vécu toute sa vie dans ton ombre. Et comme par hasard, il se range du côté de Régulus. Parce qu'il sait qu'en son règne, il aura peut-être une chance de voir son nom inscrit dans l'histoire. Régulus les soumet en leur jetant de faux espoirs en l'air. Et il s'entre-tuent pour les attraper. C'est comme ça que sa société fonctionne.
— Il a basé sa politique sur de la corruption, continua Adonis. Ses ministres lui lèchent les bottes soit par crainte, soit dans l'espoir qu'il leur rende la vie meilleure par quelques faveurs qui coulent de sa bouche. Lycoris lui rapporte le moindre chuchotement. Il suffit d'un mot de travers pour se retrouver à Azkaban. La justice n'existe plus.
— Et donc ? les arrêta-t-elle. C'est un système trop compliqué à attaquer. Il faut juste attendre qu'il meure, et tout redeviendra comme avant.
— Non, répondit Perseus sans cacher sa tristesse. Il forme Alphard à son image. Cygnus commence également à intégrer ses idées. Un des deux prendra la relève.
Son coeur se serra à la mention de son filleule.
— Cygnus a toujours été contre Régulus.
— C'était avant qu'il s'affiche comme son protecteur. Cygnus se sent redevable de son aide, il fera tout ce que Régulus lui demande.
Elle comprit où ils venaient en venir.
— Vous voulez contre-attaquer.
Adonis esquissa un sourire fier.
— Suis nous.
Il disparut de la pièce. Perseus prit sa main pour la forcer à avancer. C'était trop tard pour faire marche arrière de toute façon.
Des voix lui parvinrent alors qu'ils traversaient un couloir. Il y eut une autre porte qu'ils passèrent. Des canapés étaient organisés autour d'une table basse. Un feu flambait dans l'âtre. Une seule fenêtre opaque diffusait une lumière rouge dans la pièce.
Teignous Nott. Ellina Greengrass et son mari. Cinq autre sang-purs qu'elle avait connu lors des réceptions et des bals de fin d'année. Tous réunis autour d'un complot. Elle venait de plonger dans la délinquance. Mais étrangement, elle y trouva un certain réconfort. Une sorte de vengeance pour un monde qui avait été détruit, remplacé par une société hypocrite et malsaine.
Elle salua silencieusement Teignous. Celui-ci l'accueillit d'un sourire chaleureux.
— Où est-il ? questionna alors Perseus.
Callidora vit quelque chose bouger derrière la cheminée. Un homme apparut, son costume bien différent des autres. Un visage aiguisé, des pupilles froides et vidées de bonté. A côté, un autre s'afficha, moins puissant physiquement mais dont l'expression brillait d'une soif absolue de pouvoir. Elle ne mit pas longtemps à les reconnaître.
— Atlas Fawley, nomma-t-elle. Et Alexis Dolonov. Votre Altesse.
Quelle ironie que deux jeunes hommes, amis d'enfance de Cygnus et protégés de Régulus, souhaitent aujourd'hui la chute des deux.
— Je croyais que la Russie était en paix avec l'Angleterre.
— Mon père a signé la paix, certes, répondit Alexis. Mais pas moi. Et quand, à la mort de mon père, j'occuperai le trône, cette paix n'aura plus lieu d'être.
— Une autre guerre ?
— Avons-nous le choix ?
Mais elle n'était pas idiote. Elle connaissait l'histoire.
— Il y a déjà eu trop de morts pour des conflits familiaux. Vouloir la mort de Régulus et de Cygnus ne ramènera pas votre sœur à la vie. Mais ça entraînera des milliers de sorciers au tombeau.
— Nous n'avons pas l'intention d'inicier la même guerre que celle de Grindelwald, contesta Atlas. Tout ce que nous voulons, c'est renverser le gouvernement et en placer un autre, plus juste et hors contrôle des Black.
Les Black. Toujours les Black. Ces ennemis du monde. Ils avaient cherché le pouvoir pendant des années, et maintenant qu'ils l'avaient, ils se retrouvaient encerclés d'ennemis. En valait-il la peine ? Et si c'était leur ambition qui les mènerait à leur perte ?
— C'est courageux.
— Ton aide nous serait précieuse, parla pour la première fois Teignous.
— En quoi ?
— Ton affront avec Dorea a prouvé ta puissance magique. Tu es plus respectée que tu ne le crois, et Régulus est conscient qu'il n'est pas dans son intérêt de faire de toi son ennemie. Ta position nous permettrait d'accéder à des systèmes internes auxquels aucun de nous n'a accès.
— Je ne suis plus une Black. Tous les privilèges que j'avais, ils...
— On naît Black, et on meurt Black. C'était ce que tu avais dit à Harfang, n'est-ce pas ?
Elle se souvenait. Ils étaient encore à Poudlard à cette époque là, pas encore mariés. Elle l'avait dit et le pensait encore.
— C'est vrai.
— Alors agis comme une Black et affirme ton pouvoir sur ce monde ignoble. Sois crainte par les plus grands, deviens une légende. Deviens une seconde Cassiopeia.
— Cassiopeia est morte.
— Ramène-la à la vie.
Tous l'observaient. Ils croyaient en elle. De son plus fidèle allié jusqu'à son grand ennemi, ils étaient tous réunis pour ériger un monde meilleur. Et elle était leur pièce manquante.
Ce fut peut-être la décision la plus stupide de son existence,
mais elle accepta.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top