VI. 28 décembre 1957 - le médaillon

Une silhouette féminine se dessina derrière le fin rideau de soie. Le bas de la robe en satin vert traînait sur le sol, produisant un subtil son de balaiement. Un masque tout fait d'émeraude, étincellant sous la lueur des bougies, dissimulait un visage fin et pur, aux yeux emplis de malice. Ses doigts jouèrent avec la soie, son bracelet de diamant brilla à son poignet. Tom était assis dans la chambre, faisant tourner autour de son doigt la bague des Gaunt. Il fixait attentivement la jeune fille qui jouait avec lui, ses courbes rendues si évidentes par sa robe fine mais habilement cachées derrière un filtre translucide.

— Combien de temps es-tu prêt à attendre ? demanda-t-elle d'un air envoûtant.

Sa mâchoire se contracta. Il songea à tout ce qu'il désirait lui faire, tout ce qu'il lui ferait, pour sûr. Son visage anguleux se pencha sur le côté comme pour réfléchir à la question.

— La patience n'est pas une de mes qualités.

— Vraiment ?

Elle fit un pas en avant et sortit de sa cachette. Ses cheveux châtains étaient lâchés et tombaient jusqu'en bas de ses reins. Son masque lui donnait un charme mystérieux, une pureté nouvelle. Sa peau ne comportait aucune marque ; elle ressemblait à un rêve. Le sang qui courait dans ses veines, songea-t-il, était ce qui faisait d'elle une Beauté. Elle s'avança encore, jusqu'à pouvoir toucher son torse nu. Il ne portait qu'un pantalon parce qu'il avait chaud. La cheminée réchauffait un peu trop.

Elle essuya du bout des doigts la sueur qui recouvrait sa peau.

— Tom Jédusor, souffla-t-elle comme s'il s'agissait d'un nom sacré.

Son regard se posa sur la bague qu'il triturait. Elle était d'une nature très curieuse, il l'avait appris à ses dépens. Mais cela ne faisait qu'agrandir son intérêt pour elle. Il emprisonna sa main dans la sienne et plaqua sa bouche contre ses lèvres. Elle en gémit de plaisir. Son corps se courba pour se coller contre lui, s'offrant toute entière entre ses bras.

— Lara Londubat, prononça-t-il à son tour entre deux baisers.

Elle se mit à sourire. Il posa ses mains sur ses hanches nues, l'agrippant fortement pour l'emprisonner contre lui. Les natures sauvages aimaient être tenues fermement. Elles se laissaient dominer seulement par celui qu'elles aimaient, et menaçaient de leurs griffes le reste du monde. Il trouvait cela presque mignon. Il ôta son masque, ennuyé de sentir les pierres précieuses s'enfoncer dans ses joues. Il n'y avait rien de plus parfait en ce monde que ce visage, regorgeant de jeunesse et de noblesse.

— J'ai entendu parler de ce qui s'est passé au bal de Noël, dit-il. Ta mère semble être une femme très puissante.

— Elle l'est. Mais c'est la douleur qui l'a rendue ainsi.

Il plongea son nez dans son cou et mordit sa peau. Elle sursauta, laissa un cri s'échapper, mais se détendit aussitôt la surprise passée. Il avait les bras entourés autour d'elle, la dévorant tout doucement.

— Tu aurais dû être invité, reprit-elle.

Il se redressa, contemplant avec plaisir la marque rouge qu'il avait laissé sur sa peau.

— Ce n'est rien.

— Il n'y a rien eu d'intéressant à part cet incident de toute manière. Mon frère est fou de joie maintenant que les Parkinson ont brisé les fiançailles avec Adeline.

— C'est une charmante fille.

— Mais elle ne l'intéressait pas. Trop timide.

Il saisit son menton et la força à le regarder dans les yeux. Ses pupilles luisaient d'une passion dévorante. Elle était amoureuse de lui. Et il se délectait du pouvoir qu'il exerçait sur elle. Dans peu de temps, elle obéirait à chacun de ses mots sans en demander la raison. L'amour était bien plus puissant qu'un Imperium, et ses pouvoirs pouvaient atteindre n'importe qui assez jeune pour se faire avoir. Une beauté si pure. Il caressa sa peau.

— Pas comme toi, n'est-ce pas ?

Il leva son pouce pour toucher sa lèvre. Alors lentement, elle entrouvrit la bouche. Il y glissa son doigt, savourant le moment où elle y passait sa langue comme si elle goûtait à une saveur exotique.

— J'ai un cadeau pour toi, annonça-t-il avec un sourire discret.

Elle retira son pouce de sa bouche et releva les sourcils de curiosité. Il plongea alors sa main dans sa poche pour en sortir un médaillon. Sa pierre brillait de mille feux, tenue par une structure de métal. Une chaîne en argent la maintenait. Un S apparissait derrière la sculture de l'émeraude, élégant et fier. Elle resta muette.

— C'était le médaillon de Salazar Serpentard, expliqua-t-il. Notre aîné.

— Où l'as-tu trouvé ? murmura-t-elle en le touchant délicatement du doigt.

Mais il le retira aussitôt.

— Tu l'auras seulement si tu me satisfais cette nuit. Penses-tu pouvoir le faire ?

Un air de défi recouvrit son expression. Il savait comment la modeler à son goût. Faire d'elle sa femme idéale, une image parfaite construite pour répondre à ses désirs. Il ne regretterait pas de lui offrir ce médaillon. Ainsi, il pourrait la marquer comme sienne et personne d'autre ne pourrait conquérir son coeur.

— Tu doutes de moi ?

De sa main libre, il tira lui-même sur le lacet qui retenait le devant de sa robe. Sans se faire attendre, elle défit le reste et passa le tissu au-dessus de sa tête. Son corps était encore plus exquis. Et il était à lui. Seulement à lui. Il désigna le lit d'un geste de la tête.

— Attends-moi là-bas.

Elle disparut presque aussitôt. Il déposa le médaillon sur le meuble, attardant son regard un peu trop longtemps sur l'objet. On ne l'avait pas invité au bal parce qu'il ne portait pas un nom de sang-pur. Mais il prouverait bientôt au monde qu'il valait bien plus que ce qu'ils ne croyaient. Il prouverait à Callidora qu'elle n'était pas la seule à dégager une puissance magique extraordinaire. Et elle se rappelerait de cet exploit.

Il tourna la tête vers Lara qui l'attendait, allongée sur les draps.

Oh oui elle s'en rappelerait.

***

Dorea regardait par la fenêtre d'un air absent. Le ciel était d'un blanc éclatant, se confondant au paysage enneigé des collines. Un voile recouvrait son regard, quelque chose de sombre et de profondément triste à la fois. Plus les années passaient, plus elle se sentait vieillir et plus son coeur se durcissait. La haine contrôlait chacun de ses gestes, transformait chacune de ses pensées. Et elle devenait quelqu'un d'autre, petit à petit. Aussi mauvaise que sa défunte sœur. Leur fratrie partageait les mêmes défauts, les uns étaient juste plus doués pour le cacher que les autres. Sauf Marius, peut-être. Le seul qui n'ait jamais rien fait de mal, mort le premier. Tellement de temps était passé depuis sa disparition qu'elle ne se souvenait même plus à quoi il ressemblait.

Des pas résonnèrent dans le vestibule. Puis des voix. Irma lui avait permis d'attendre Pollux, mais n'avait pas osé lui adresser la parole. Cette femme était une fontaine de larmes, de toute manière. N'importe quelle conversation menait à son pauvre sort, et Dorea n'avait pas envie de mimer la pitié.

Pollux fit son entrée, habillé en ministre. Elle se détourna de la fenêtre pour le regarder. Ils ne se voyaient que très peu, il ne cacha donc pas sa surprise. Leurs entretiens étaient si rares qu'ils ne surent quoi dire pendant un moment. Pollux déboutonna juste sa veste, histoire de s'occuper les mains.

— Je veux que tu ailles voir Callidora, se lança-t-elle tout à coup, et que tu lui dises qu'elle n'est plus la bienvenue à aucune des réceptions, ni aucune réunion de la communauté.

Il s'immobilisa. Quand il tourna la tête, elle eut l'impression de se recevoir un couteau dans la poitrine.

— Tu n'es pas sérieuse.

— Si. Très sérieuse. L'affront qu'elle m'a fait ne...

— Par Merlin, Dorea ! s'exclama-t-il.

Il retira sa veste par des mouvements colériques et la jeta sur la chaise en face de lui.

— Tu lui as jeté un Doloris ! reprit-il. Et tu lui as dit je ne sais quoi d'assez stupide pour l'énerver, tu sais comment elle est ! C'est toi qui a commencé, alors ne commence pas à jouer ta victime.

Il se dirigea vers l'armoire, en sortit une bouteille de Whisky qu'il se servit dans un verre de cristal. Elle avala de travers ses mots.

— Si s'aurait été Cassiopeia à ma place, tu te serais plié en deux pour lui obéir.

Sa voix était devenue aussi froide que la neige qui recouvrait les jardins. Il était de dos, alors elle ne put contempler son expression. Mais elle le connaissait assez pour la deviner.

— Ne parle pas d'elle, dit-il d'une voix rauque.

— Mais c'est vrai. Cassiopeia, toujours Cassiopeia. Tu ne remettais même pas en question ses ordres. Mais moi ?

Elle échappa un rire sans joie.

— Moi, tu t'en fiches royalement. Et tout ce que je dis, tu trouves un moyen de le contredire. Tu me hais c'est ça ? Tu aurais voulu que ce soit moi qui meurt, et pas elle.

Il tourna juste sa tête, assez pour qu'elle aperçoive son profil. Et il resta silencieux. Il ne nia rien. Elle aurait pu en rire. Pourquoi demandait-elle, après tout ? C'était si évident. Cassiopeia avait été son amante, son héroïne, une légende qui verrait son histoire écrite dans les manuscrits familiales. Mais elle ? Son nom s'oublierait quand on l'enterrerait. Elle n'avait rien réalisé d'admirable, avait passé sa vie à gambader, observer, rester dans l'ombre de sa famille. Elle était une ruine.

— Ne te dérange pas, alors, je le lui dirai moi-même, déclara-t-elle d'une voix amère.

Elle traversa le salon. Ses talons parurent briser le sol tellement leur écho frappaient bruyamment les murs. Ce fut quand elle arriva près de la porte qu'il prononça son nom.

— Dorea.

Elle se retourna. Une lueur dangereuse vacillait dans ses yeux. Une flamme faible, vulnérable, si différente de la colère qu'il avait éprouvé seulement quelques minutes auparavant.

— J'ai fait de nombreuses erreurs dans ma vie. Je ne veux pas que tu en sois un.

— C'est trop tard.

Et elle savoura sa position, le pouvoir que lui conférait ces mots dénués d'émotions. Elle voulait le voir souffrir et regretter ses choix. Elle ne s'en voulut même pas de penser une telle chose. Il le méritait.

Alors elle sortit du salon, s'empara de sa cape pour recouvrir ses épaules et récupéra sa baguette sur le meuble du salon. Elle ne s'en était pas rendue compte en la posant, mais juste derrière se trouvait un portrait miniature. Celui d'une jeune femme à l'expression ambitieuse, le regard étincellant. Sa chère sœur. Sa poitrine se mit à brûler. Elle avait pensé qu'après sa mort, elle reprendrait sa place dans la fratrie. Mais son fantôme hantait toujours cette maison, et Pollux ne faisait rien pour la chasser. Elle prit le cadre et le jeta contre le mur de derrière. La vitre se brisa. Les éclats s'écrasèrent au sol dans un vacarme soudain. La photo fut recouverte de morceau de verre, intacte. Cassiopeia souriait toujours.

La silhouette de son frère se dessina dans l'ombre du couloir. Il y eut un bref silence durant lequel Dorea s'efforça de ne pas ramasser la photo pour la déchirer. Réduire en bouillis le moindre ses souvenirs paraissait la solution idéale pour la tuer définitivement.

— Tu n'obtiendras rien en agissant comme une enfant capricieuse.

Elle voulut répliquer quelque chose de méchant, mais la douleur fut telle qu'aucun mot ne put franchir ses lèvres. C'était ainsi qu'ils la voyaient tous. Une gamine. Elle avait quarante ans, un fils, un mari, mais elle restait la cadette, la petite fille qu'on avait gâté trop tôt, et qui en demandait toujours plus. Et si elle leur prouvait le contraire ?

Elle en avait les moyens. À présent, plus rien ne l'en empêchait.

— Les enfants sont capricieux parce qu'ils finissent toujours par avoir ce qu'ils veulent.

Elle lui offrit un sourire innocent tout en rangeant sa baguette sous sa cape. Son air méfiant ne lui échappa pas.

— Nous nous reverrons prochainement, grand frère.

— Ne tente rien d'absurde.

— L'enfant a grandi depuis, tu sais. Et elle sait parfaitement ce qu'elle fait.

Elle ouvrit en grand la porte.

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