III. 28 novembre 1957 - la viande
Callidora haïssait les dîners chez sa sœur. Pas pour la présence de cette-dernière, bien au contraire. Mais plutôt pour celle de son mari. Un véritable idiot. Charis insistait souvent pour qu'ils viennent chez eux, parce que ça lui permettait de connaître quelques heures de répit. Son fils et sa fille aînée étaient partis à l'étranger étudier dès qu'ils avaient eu dix-sept ans, profitant de la première occasion pour fuir la maison. Il ne restait que sa fille cadette, une adolescente aux airs effrayés qui n'adressait même pas la parole à Lara ou Asler. Caspar Croupton se ventait depuis plus d'une heure sur les nouvelles responsabilités que lui avait assigné Régulus au Ministère, se prenant pour son Premier Conseiller. Il regardait en particulier Harfang, parce que Callidora, pour lui, n'était pas concernée par la politique ou les affaires "d'hommes" comme il aimait les appelait.
Comme elle disait, un vrai idiot.
Harfang se taisait, faisant remuer silencieusement le vin dans son verre. Il prenait son mal en patience, tentant de hocher la tête chaque fois qu'il s'y sentait obligé, afin de ne pas paraître impoli. Il aurait aimé ne pas venir et elle en était consciente. Mais sa sœur semblait avoir besoin de leur présence. Elle ne fuirait pas devant un appel à l'aide.
— Je veux dire, beaucoup de documents que l'on reçoit sont compliqués à traiter, répétait-il avec un air supérieur. J'y passe parfois des heures à les trier et les examiner. Heureusement que c'est moi qui suis à la tête du Département, je n'imagine pas le chaos sinon.
Il piqua dans la viande de son assiette que les elfes de maison venaient de servir, coupa un morceau, se réservant un silence pour avaler un morceau. Mais si tôt qu'il goûta à l'aliment, une grimace déforma ses traits.
— C'est froid, dit-il durement en regardant sa femme.
— Que veux-tu que j'y fasse ? répliqua celle-ci en mesurant le ton de sa voix.
— Ramène-moi un plat chaud par Merlin ! s'exclama-t-il, prêt à frapper la table de colère.
Callidora sentit Harfang se tendre à ses côtés, et Lara l'observer avec dégoût. Elisa, leur fille, ne disait rien. Muette comme une tombe, immobile comme un tableau servant de décoration. Charis claqua des doigts et un elfe de maison apparut.
— Réchauffez-le, ordonna-t-elle sans grande conviction en désignant l'assiette.
— Non, pas du réchauffé, grinça-t-il.
Elle soupira.
— Débrouillez-vous pour que ce soit chaud, c'est tout.
L'elfe, perdu par tant de demandes, finit par prendre l'assiette et disparaître à nouveau. Callidora goûta à sa viante. Elle n'était pas brûlante, mais pas froide non plus, ni même tiède.
— Tu devrais travailler au Ministère, reprit Caspar. Nous aurions besoin d'un homme de valeur comme toi.
— Non merci, refusa Harfang.
— Ce serait mieux que traduire des vieux texte inutiles.
Les muscles de son bras se contractèrent. Elle dut poser sa main dessus pour qu'il se détende légèrement. Elle voulait éviter un drame ce soir.
— Nous n'avons pas besoin de travailler, déclara-t-elle à sa place avec un sourire diplomate. Traduire d'antiques ouvrages en latin n'est qu'une passion.
— Pour qui, d'ailleurs ? s'intéressa Charis.
— Les universités anglaise, répondit Harfang d'une voix calme. La plupart possèdent dans leurs archives des grimoires qu'ils n'ont pas ouverts depuis des siècles et qui contiennent pourtant des informations de grande valeur. Ils leur manquent des sorciers pour les traduire.
— Le latin, souffla Charis avec un sourire admiratif. À part quelques formules pour les sorts, je ne saurais pas comprendre une seule phrase.
— Le latin utilisé dans la pratique de la magie est assez différent, expliqua-t-il. Il a été utilisé depuis le Moyen-Age et n'a jamais été modifié depuis. Tandis que le latin écrit, il a évolué dans le temps.
— Est-ce compliqué de l'apprendre ?
— Cela dépend de tes motivations.
Ses yeux se mirent à briller. Elle redressa ses épaules. Avant même qu'elle ne formule sa question, Callidora devina son intention.
— Tu pourrais m'apprendre ?
Charis n'avait jamais eu aucun intérêt dans l'apprentissage. Ni des langues, ni des métamorphoses ou des potions, ni dans rien du tout. Devenir une élève d'Harfang lui permettrait juste d'échapper à son mari pour plusieurs heures. Et il fut suffisamment intelligent pour le comprendre lui aussi.
— Bien sûr.
Mais Caspar n'était pas dupe.
— Pourquoi faire ? C'est inutile.
— Je pourrais rendre service à ces universités comme il le fait.
— Si les universités avaient besoin de toi pour se développer, tu l'aurais su depuis longtemps, dit-il avec un sourire moqueur.
Les épaules de Charis commençaient à retomber ; alors Callidora reprit la parole.
— Si elle en a envie, je ne vois pas ce qui l'en empêche.
— Et cette maison ne va pas se nettoyer et s'organiser toute seule, répliqua-t-il avec, cette fois-ci, un air mauvais.
— Les elfes peuvent se débrouiller sans elle pendant quelques heures je crois.
— C'est beaucoup mieux si elle les supervise.
Elle allait lui sauter à la gorge pour l'étrangler.
— Laisse-la faire ce qu'elle désire pour une fois dans sa vie.
Il éclata d'un rire amer.
— Que connais-tu de ses désirs ?
— Elle est ma sœur, je la connais mieux que quiconque.
— Je suis son mari, je suis mieux placé que toi.
Elle s'apprêtait à répondre quand Harfang saisit brusquement sa main. Son regard lui hurlait de lâcher l'affaire. Caspar ne démordrait pas. Il connaissait l'intention de Charis et ne comptait pas la laisser partir. Celle-ci, voyant tout espoir s'envoler, plongea ses yeux dans son assiette pleine.
— Nous trouverons un autre moyen dans ce cas, interrompit-t-il. Je peux venir ici par exemple.
— Non, ce n'est pas la peine, refusa Charis, c'est bon.
Caspar eut le genre de sourire que Callidora aurait plus que tout souhaité lui faire ravaler par le trou de son postérieur. Elle dégagea sèchement sa main de celle d'Harfang. Il n'avait fait aucun effort pour aider Charis. Il ne savait pas ce que c'était que de voir sa propre sœur souffrir devant ses yeux. Celle-ci était au bord des larmes. Elle recula alors brusquement la chaise puis s'excusa, prétendant être fatiguée. Sa fille, tel un automate programmé, fit exactement la même chose.
Sa sœur partit sans même lui dire au revoir.
L'elfe revint avec le plat chaud de Caspar, mais elle n'eut pas le cœur à le voir manger sans rien dire. C'était soit elle lui arrachait les yeux de ses orbites, soit elle s'en allait pour s'empêcher de tâcher cette nappe de sang. Elle opta pour la deuxième option.
— Je suis fatiguée moi aussi, déclara-t-elle, et Lara est un peu malade. Alors nous ferions mieux de rentrer.
Sa fille lui renvoya un regard interrogatif et Asler retint un rire. Mais Harfang s'était déjà levé.
— Merci pour le dîner, dit-elle.
Ce fut les seuls mots qu'elle lui adressa avant de partir, laissant derrière elle un silence froid. Mais il semblait assez satisfait avec sa viante chaude pour prendre cela comme une impolitesse.
— Pourquoi ne divorce-t-elle pas ? demanda Asler quand ils furent rentrés chez eux.
— L'assassiner serait une mesure beaucoup plus simple, répondit-elle d'un air sombre.
Elle nageait dans un brouillard noir. Chaque fois qu'elle revenait de ce genre de dîner, elle entendait à nouveau les paroles déchirantes que sa sœur lui avait une fois avoué. "Il m'a violé pour toutes les fois où j'ai conçu un enfant. Je ne peux pas les aimer, je me hais pour ça, je le hais plus encore." Elle avait consulté Arcturus pour savoir si ce genre de crime n'était pas puni par la loi, mais il avait affirmé que tant que cela concernait le ménage, personne ne pouvait intervenir. Elle n'avait pas précisé qu'il s'agissait de Charis. Sa soeur tenait à conserver son image de femme respectable au sein des Black.
Asler et Lara partirent vers la bibliothèque pour finir la partie d'échec qu'ils avaient commencés. Callidora voulait juste dormir pour oublier tout ça. Elle prit un long bain brûlant, prit soin de ses cheveux et les brossa en prenant son temps. Puis elle ressortit de la salle de bain en robe de chambre. Harfang lisait, couché sur le lit. Il reposa l'ouvrage quand elle apparut.
— Tu ne pouvais pas gagner contre lui, déclara-t-il en la voyant s'asseoir face à sa coiffeuse.
— Si. Ce n'était qu'une histoire de quelques heures.
— Callie, soupira-t-il, on a cherché toutes les solutions et il a toujours tout refusé. Ce soir ne fait pas l'exception.
Elle plongea ses doigts dans le pot de crème puis l'appliqua sur sa peau.
— Je ne veux plus parler de ça.
Le sujet de sa sœur devenait quelque chose de sensible au fur et à mesure des années. Son impuissance la rendait folle. Elle termina de nourrir sa peau puis attrapa délicatement la dague que Perseus lui avait renvoyé quelques jours après leur rencontre. Elle n'avait aucune idée du pourquoi, mais depuis ce jour, elle faisait une liste des personnes qui mériterait d'avoir la gorge tranchée avec cette lame. Caspar Croupton était le premier.
Elle planta la pointe dans le bois et le fit tourner sur lui-même, songeuse. Cassiopeia n'aurait pas hésité. Elle l'aurait étranglé dans son sommeil pour libérer Charis du poids qui l'accablait depuis des années. Mais elle, elle était trop faible pour ça. Elle avait peur de représailles. Le viol n'était pas puni par la loi, mais le meurtre si, malheureusement.
Une main s'inséra sous le tissu de sa robe. Harfang se tenait debout derrière sa chaise, penché en avant pour plonger son nez dans le creux de son cou. Sa langue goûta à sa peau, ses dents la mordillèrent doucement.
— Qu'est-ce que tu ferais si c'était Lara qui se trouvait à sa place ?
Il se redressa et la regarda à travers le miroir.
— Je ne serais pas assez bête pour marier ma fille à un idiot pareil.
— Mais s'il apparaît en premier comme un jeune homme charmant ?
— Mon amour, les gens sont ce qu'ils sont. Et je ne me suis jamais trompé sur la nature de personne.
Elle n'était pas réellement de cet avis mais se tut. Il descendit sa main à sa taille pour dénouer le noeud qui retenait sa robe de chambre. La soie glissa sur sa peau jusqu’à la dénuder entièrement.
— Il y a des gens qui savent parfaitement dissimuler.
Il prit sa main pour la lever. Puis il passa ses mains sur son visage, retirant toute ses mèches de cheveux. Il maintint sa tête ainsi, être ses mains, comme si elle était son trésor.
— Lara tient trop de toi pour se laisser faire. Maintenant arrête de penser à ça parce que ça ne t’avancera à rien. Contente-toi de m’embrasser.
Elle se contenta d’esquisser un sourire avant d’obéir. Elle toucha à peine ses lèvres qu’il la dévora complètement. Rien n’avait changé depuis leur premier baiser dans le couloir de Poudlard. Il se débrouillait toujours pour consumer un peu d’elle chaque nuit, prendre un morceau avec lui sous le regard froid de la lune. Il avait le contrôle, il la guidait dans la nuit noire. Ses mains parcoururent sa taille puis ses cuisses, jusqu’à ce qu'il ne la soulève. Elle échappa un cri de surprise mais atterrit immédiatement sur le matelas. Il se releva, la contempla de haut en bas avec une satisfaction étincellante.
Puis il se pencha sur elle, la recouvrant de son corps.
— Tu sens bien trop bon pour que je te laisse tranquille ce soir.
— Je ne voulais pas rester tranquille de toute manière.
Il sourit et se mit à embrasser son cou, puis son épaule d’un air empressé. Ses mains, tout en meme temps, débouclaient sa ceinture et caraissaient ses jambes. Elle tourna la tête sur le côté, en proie à un plaisir immense. Mais elle tomba sans le vouloir sur la dague, posé face au miroir.
Et comprit seulement à ce moment là que si Perseus la lui avait renvoyée, c’était qu’il voulait la revoir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top