I. 15 novembre 1957 - le bijoutier

La sonette de la boutique sonna quand la porte vitrée s'ouvrit.

Callidora sentit la chaleur intérieure caresser agréablement ses joues. Elle retira ses gants en cuir avant d'inspecter ses environs. Harfang arriva derrière et plaqua sa main sur le bas de son dos.

- Monsieur et Madame Londubat ! s'exclama un vieux sorcier aux rides tombantes. Quel plaisir de vous revoir ici !

- C'est l'anniversaire de ma femme aujourd'hui, déclara Harfang en dissimulant vainement sa fierté. J'aimerais lui acheter un bijou.

Elle soupira intérieurement. Elle aurait mieux voulu ne rien fêter du tout. Quarante-deux ans et elle se sentait déjà plus vieille qu'un torchon usé. Lara répétait qu'elle était la plus belle femme qu'elle ait rencontré dans sa vie, mais Callidora mettait cela sur le compte qu'elle était sa mère et que si elle lui disait le contraire, elle aurait fini sur le palier avec ses valises à côté.

- Félicitations à Madame, souffla humblement le bijoutier. Veuillez choisir ce qui vous plaît.

Sa main tendue désigna la salle entière. Elle s'avança jusqu'aux premières propositions, balayant rapidement du regard tout ce qui était exposé. Banal. Simple sur celui-ci. Trop chargé de saphirs sur celui-là. Elle ne voulait pas des saphirs d'ailleurs. Ni des émeraudes. Les rubis étaient ce qui s'accordait de mieux à sa couleur de référence, le rouge. Elle ne l'avait même pas adopté parce qu'il s'agissait de la couleur traditionnelle des Londubat, elle le considérait juste à l'image de sa personnalité. Tâché de sang mais encore vif.

Harfang la suivait, inspectant les bijoux qu'elle venait d'ignorer. Après que le vieux vendeur ait remarqué que personne n'écoutait vraiment ses recommendations, il se contenta de rester à l'entrer, attendant qu'on le nécessite.

- Trouves-tu ton bonheur ? demanda-t-il quand elle eut fait le tour.

Elle s'arrêta pile à ce moment là sur le dernier collier proposé. Une cascade de perles avec, au-dessus et en dessous, deux fils fins de rubis. Les pierres précieuses étaient durement sculptés, aiguisées à la pointe ; ce détail lui plut.

- Lui.

Le bijoutier retira alors le couvercle de verre et prit de manière délicate le collier.

- Voulez-vous l'essayer ?

- Oui.

Elle le vit s'approcher avec et recula d'un pas. Rien que le fait d'imaginer ses mains ridées l'effleurer lui donnait des frissons. Elle se haïssait pour cette réaction. Dans quelques années, elle serait comme lui. Frippée, abîmée. Sa beauté, envolée. Harfang esquissa un sourire d'excuse.

- Laissez-moi faire je vous prie.

Elle retira sa cape et souleva son chignon. Le vieux propriétaire se contenta d'arriver avec son miroir antique, l'élevant assez haut pour qu'elle puisse s'y voir. Les perles se déposèrent sur ses clavicules. Leur température froide transperça sa peau. Pourtant, ce ne fut pas elles qu'elle regarda. Ce fut son visage. Ses joues creuses et le contour de ses yeux flétris, pourtant masqués par du maquillage. Elle avait inspecté sa chevelure le matin même et n'avait rencontré aucun cheveu blanc, merci bien. Mais plus le temps passait, et plus elle regrettait s'inspecter devant un reflet. Elle n'y voyait que défaite et laideur.

- Je sais bien que tu es une pierre précieuse à toi seule, mais ce serait bien que tu donnes ton opinion sur le collier plutôt, murmura Harfang à son oreille.

Elle croisa son regard dans le reflet. Sa main était posée sur son épaule. Ses yeux bleus exprimaient tout l'amour qu'elle n'avait jamais reçu de quiconque d'autre. Il connaissait la moindre de ses pensées sans même pratiquer de magie sur elle. Il le savait, c'était tout. Quand elle était revenue de chez les Rosier, vingt ans auparavant, elle n'avait pas parlé pendant des semaines. Et quand elle avait enfin ouvert la bouche, qu'elle lui avait confié tout ce qu'elle avait vécu, les horreurs qu'elle continuait encore de vivre quand elle fermait les yeux, c'était comme s'il s'y attendait déjà. Son assurance lui procurait un certain soulagement.

- Je le trouve magnifique, dit-elle en touchant les rubis du bout des doigts.

- Vraiment ?

- Oui.

Elle contempla alors le collier pour la première fois et ne regretta pas ses mots. Il mettait son long cou en valeur, tout en soulignant la blancheur de sa peau. Le rouge des pierres ressortaient admirablement bien.

- Celui-ci dans ce cas, trancha Harfang en activant ses doigts dans sa nuque pour le détacher.

- Madame peut le garder, indiqua le vieux avec un air enchanteur. Les perles ont besoin d'être portées pour ne pas mourir, et voilà longtemps que personne ne les as mises.

Harfang hocha la tête puis s'en alla vers le comptoir pour payer. Callidora se recouvrit à nouveau de sa cape et dépassa les colliers pour aller observer les objets de valeurs qui s'accumulaient dans le recoin de la pièce. Des obsidiennes, des chevalières ayant certainement appartenu à un membre d'une famille noble. Des boucles d'oreille de diamant, des miroirs dont la magie les avait rendus noirs avec le temps. Elle parcourut le reste d'un simple regard désintéressé quand, soudain, ses yeux tombèrent sur quelque chose.

Une dague. Avec un manche en cuir pourvu d'un corbeau et d'émeraudes incrustées. Malgré les années passées et les souvenirs enfouis, elle s'en souvint comme si tout ce cauchemar s'était passé la veille. Des images l'assaillèrent : le placard tremblant sous la force du monstre, impatient de sortir. Perseus qui lui prenant la main et la conduisant vers la sortie. Il lui avait confié ce poignard, elle lui avait demandé ce qu'elle en ferait. "Tu tues".
Et ce soir-là, Alander Rosier s'était étouffé dans son propre sang.

C'était cette lame qui avait tranché sa gorge.

Elle eut tout à coup du mal à respirer. Elle ne comprenait pas ce que cette dague faisait ici. Elle l'avait rendu à Perseus après être retournée chez elle. Pourquoi la retrouvait-elle ici ?

- Callie ?

Quand Harfang prit sa main, elle s'y accrocha de toutes ses forces. Il n'eut qu'à suivre la direction de son regard.

- Tu te souviens de ce poignard ?

Elle l'entendit respirer lourdement, n'obtint que son silence pendant plusieurs secondes. Jusqu'à ce qu'il lâche un simple "oui".

- Cet objet n'est pas vraiment à vendre ! s'exclama le vieillard en accourant vers eux.

- Comment l'avez-vous obtenu ? demanda-t-elle d'un ton sec.

Il observa tour à tour la dague et le poignard, la mine peu à peu sombre.

- Des employés de Gringotts sont entrés chez les Lestrange pour saisir plusieurs objets de valeurs afin de rembourser les dettes accumulées depuis la guerre. On m'a juste généreusement offert la dague pour que je puisse réutiliser ses pierres et son matériel.

- Depuis quand les Lestrange doivent se faire saisir leurs biens pour payer des dettes ?

Elle sentit la colère s'accumuler sous sa poitrine. Elle n'avait pas parlé à Perseus depuis l'enterrement de Cassiopeia. Elle n'avait jamais su ce qu'il était devenu, ayant juste appris la naissance de Rodolphus sept ans auparavant, puis de son fils cadet, Rabastan, deux ans plus tard. Et celle qui le lui apprit ne fut que Dalia Avery qui était une très proche ami d'Emma Lestrange.

Quand Cassiopeia était morte, Perseus était mort avec elle. À croire qu'elle avait raté ses funérailles et qu'il était décédé sans qu'elle n'en sache rien.

- Je le veux.

- Mais il...

- Qu'il soit à vendre ou pas, je le veux quand même.

Le vieillard pouvait dire tout ce qu'il voulait, il n'avait pas la force de résister face à elle. Harfang se tourna vers lui.

- Combien ?

Le bijoutier se tortilla les doigts, gêné. Il contempla la dague avec peine, comme si cette objet comptait à ses yeux. Mais il n'y voyait que l'opportunité perdu de récupérer de jolies émeraudes.

- Deux cent mille gallions, annonça-t-il après un certain temps de réflexion.

Harfang grogna.

- C'est presque aussi cher que le collier et ça n'a que trois pauvres pierres.

- C'est le prix auquel je le vends, persista-t-il en relevant dignement son menton.

En quoi cela les dérangeait-ils puisqu'ils étaient presque aussi riches que le Ministre lui-même ? Ils ne verraient même pas l'absence de ces pièces d'or dans leur coffre tant celui-ci débordait. Harfang était économe, c'était ce qui leur avait permi d'entasser tant de richesses, mais donner deux cent mille gallions à ce pauvre homme qui priait tous les soirs afin de pouvoir manger, ça ne leur faisait pas de mal.

- Très bien, céda-t-il à contrecœur.

Ce fut ainsi qu'elle sortit de la boutique avec le poignard protégé dans un petit coffret de velours noir et un collier de perles serti de rubis au cou. Elle toucha la joue de son mari et l'embrassa avec ardeur, si passionément qu'il en vint à fermer les yeux et soupirer de plaisir.

- Merci, fit-elle en détachant ses lèvres des siennes.

- Joyeux anniversaire mon amour.

Elle esquissa un sourire triste. Il toucha alors son menton et caressa une parcelle de sa peau avec son pouce.

- Tu restes la plus belle femme que je connaisse et je suis fier d'être ton époux, même après toutes ces années. Et je continuerai de l'être pendant des siècles.

- Tu crois que tu vivras des siècles ?

- Si ça me permets d'être avec toi, oui.

Il avala son sourire dans un second baiser encore plus brûlant. Elle était consciente d'être vue publiquement, et peut-être critiquée par certaines femmes pour son comportement outrageux, mais elle n'en avait rien à faire. Cette société rigide qu'avait construit Régulus n'était pas capable de la destituer. Callidora et Harfang faisaient partie des puissants, de l'élite. Il pouvait bien l'embrasser pendant des heures dans la rue que personne ne leur dirait rien.

- Rentrons maintenant, prononça Harfang en glissant son bras autour de sa taille, avant que nos enfants ne mettent le feu au Manoir.

- Ils n'ont plus l'âge pour ça.

Il releva un sourcil, en rien convaincu.

- Rappelle-moi qui a détruit un portrait de ton arrière arrière grand-père ?

- Il était en colère ce jour-là.

- Sur le moment, tu n'étais pas d'humeur à le défendre.

Elle fit la moue et ne dit rien jusqu'à ce qu'ils ne transplanent.

Grand heureusement, le Manoir était resté intact en leur absence. Lara descendit en vitesse les escaliers pour contempler le cadeau de sa mère, et elle en eut les yeux remplis de lumière quand elle aperçut le collier à son cou. Asler mit plus de temps à apparaître, marmonnant un simple "très beau" avant de s'affaler sur le canapé. Il était donc toujours en colère, que ce soit son anniversaire ou pas. Était-ce d'elle qu'il tenait ce caractère si rancunier ?

- Et ça ? questionna Lara en apercevant la boîte.

- Ça ne te concerne pas, contesta immédiatement Harfang en s'en emparant.

Asler se redressa, pris par la curiosité.

- Qu'est-ce que c'est ?

Mais leur père venait déjà de disparaître avec. Lara s'apprêtait à le suivre quand le regard noir de Callidora l'arrêta dans son élan.

- C'est un objet de valeur que j'ai retrouvé, et que je compte rendre à quelqu'un. C'est tout.

- À qui ? répliqua Lara.

Callidora retira la cape de ses épaules et plia soigneusement ses gants.

- La curiosité finira par vous tuer.

- Si vous ne m'achevez pas avant, déclara dramatiquement Asler.

- Si un mariage t'achève alors je ne donne pas cher de ton avenir, répliqua-t-elle avec agacement.

Cela eut le mérite de le faire taire. Elle prit ses affaires et monta dans la chambre matrimoniale. Harfang n'y était pas, il avait du faire un tour dans son bureau pour régler quelques affaires avant le repas. Il avait déposé le poignard sur la table de la coiffeuse. Délicatement, elle sortit la dague de son abri. La lame brilla sous la lumière du soleil. Cette lame l'avait sauvée autrefois. D'une part parce qu'elle lui avait permis de se défendre. D'une autre parce que c'était Perseus qui l'avait placée entre ses mains. Et que sans Perseus, elle serait peut-être morte à l'heure qu'il était. Ou rendue aveugle et sourde par le monstre, comme Marianne.

Elle irait le chercher. Elle lui rendrait ce qui lui appartenait.

Et elle apprendrait peut-être comment diable une des familles les plus prestigieuses d'Angleterre s'était soudainement écroulée.

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