XXI. 20 mars 1958 - les secrets

Irma lui ouvrit la porte seulement quelques seconde après qu'il ait frappé. Elle l'inspecta des pieds à la tête d'un air sévère, sans même un sourire ou un salut. Orion demanda s'il pouvait entrer.

— Pourquoi faire ? demand-t-elle sèchement.

— Je veux parler à Pollux.

Ses yeux se plissèrent de manière soupçonneuse. Il ne comptait pas lui donner plus de détails. Il ne savait pas même lui ce qu'il faisait là, il n'était pas sûr de son objectif. Il paraissait calme à l'extérieur, mais il était effrayé intérieurement. Les mots qu'il avait lu sur la lettre continuaient de tourner en boucle dans sa tête. Et il se disait "je dois faire quelque chose". Chaque fois qu'il apercevait Walburga, cette voix martelait son crâne.

Irma le laissa finalement entrer. Elle avança dans le long couloir sombre et, faute de savoir quoi faire, il la suivit. Il haïssait cette maison. Les ténèbres s'y étaient installées, siégeant telles des reines entre ces murs gris. Les portraits paraissaient morts, avec leur peau pâles et leurs lèvres violettes. D'ailleurs, aucun d'entre eux ne bougea à son passage. La maîtresse de maison s'arrêta devant une porte qu'elle ouvrit en grand. Elle lui fit signe d'attendre et entra la première.

— C'est Orion, l'entendit-il annoncer.

— Fais-le entrer.

Pollux le fit asseoir face à son bureau. Les manuscrits que lui et Cygnus avaient rangé étaient restés à la même place. Le feu brûlait faiblement dans la cheminée, subsistant entre les morceaux de cendres. Son oncle avait un parchemin à moitié rempli face à lui, la plume posée à côté. Il ne parut en rien ennuyé. Seulement très curieux de ce qu'il avait à lui dire.

Orion hésitait encore. Pollux serait capable de le faire taire par un quelconque moyen. Il n'avait jamais été connu pour sa cruauté, mais il était un homme de pouvoir. Certains disaient que c'était lui qui avait ordonné à ce que l'on pousse sa soeur du haut d'une tour. Par jalousie. Par colère. Il existait une multitude de versions pour la même histoire, et Orion préférait les prendre en compte pour mieux cerner l'homme face à lui.

Pollux attendait. Son doigt tapotait l'appui de son fauteuil dans un rythme régulier. Il y régnait un certain confort, et c'est ce qui l'engouragea peut-être à se lancer.

— Avez-vous planifié le futur de Walburga ?

Il haussa un sourcil, surpris par la question.

— En quoi le futur de ma fille te concerne ?

Sa fille. Ta tendre soeur. Il essaya de ne pas y penser. S'il était là, c'était justement pour prendre avantage de sa découverte.

— Votre fille. Mais pas celle d'Irma.

Tout à coup, ses traits se durcirent. Ses yeux devinreint deux jets de flamme, des armes de guerre. Il avait touché juste. Et profond. Orion sentait le pouvoir lui piquer les doigts et il se redressa sur sa chaise.

— Je te demande pardon ?

— Alphard est né seulement neuf mois après Walburga. Le temps minimum entre la naisssance de deux bébés. C'était crédible. Incontestable. Et pourtant, Irma a passé sa vie à maltraiter Walburga, alors qu'elle voue un amour inconditionnel à ses fils.

— Les relations entre mère et fille sont toujours plus complexes, se força-t-il à dire, avec un sourire tendu.

Il ne l'aurait pas. Pas comme ça.

— Nous savons tous les deux qu'il ne s'agit pas de cela.

Pollux arrêta de tapoter l'appui de sa chaise et ferma sa main en un poing. Son visage était devenu livide. Jusqu'à ce qu'il ne prononce pas les mots blessants, jusqu'à ce qu'il continue à jouer avec lui, son oncle ne lâcherait pas le morceau. Il s'agissait d'une vérité trop laide pour être si facilement avouée.

— Je te déconseille fortement de jouer à cela, le menaça-t-il d'une voix basse.

Orion n'eut pas peur. C'était lui qui avait les cartes en main, lui qui allait gagner.

— Je ne suis pas un homme de chantage. Je ne vais pas vous demander l'impossible juste pour cacher aux yeux du monde entier votre ancienne relation incestueuse. Je veux juste quelque chose.

— Comment l'as-tu appris ?

— Pendant que nous rangions, avec Cygnus, je suis tombé sur une lettre. Elle datait de 1931, écrite par Cassiopeia.

Pollux ferma brièvement les yeux. Il connaissait le contenu. Il n'y avait aucune erreur, aucune ambuiguïté. Cassiopeia et Pollux s'étaient aimés, et ils avaient eu un enfant. Et malgré leur tentative de le dissimuler, la vérité avait fini par s'échapper.

— Cassiopeia n'a jamais eu d'enfant, déclara fermement Pollux.

— Qui est la mère de Walburga alors ? Une de vos amantes de jeunesse ?

— La mère de Walburga est Irma, grinça-t-il. Personne d'autre.

— Ne me prenez pas pour un idiot.

La colère irradiait de son regard. Il plaqua une main sur le bureau et avança son corps, comme pour réduire la distance entre eux et mieux l'affronter du regard.

— Tu maudirais ton nom si tu connaissais le quart des secrets de cette famille. Essaie de les déterrer, et tu finiras par tomber dans le trou à ton tour. Il y a des choses, en ce monde, dont il vaut mieux ne pas connaître leur nature.

Orion demeura silencieux. Son père lui avait toujours donné l'impression de connaître le fonctionnement de cette famille. Ses relations compliqués, ses jalousies, ses joies aussi. Il lui avait dépeint une lignée parfaite. Pure. Et c'était ce qu'il avait cru pendant des années.

Mais il n'en était rien. Et il se sentait naïf de le découvrir seulement maintenant.

— Vous ne pourrez pas me convaincre de votre mensonge. Walburga est peut-être votre fille naturelle, mais elle n'est pas celle d'Irma.

— Et en quoi cela t'importe-t-il ? cracha-t-il, visiblement irrité.

Ils en venaient au fait.

— Je ne veux pas épouser n'importe quelle fille stupide de la haute. Je veux une famille plus pure qu'aucune qui n'ait pu exister jusqu'ici.

— La perfection cause bien des ravages, l'avertit-il.

— Ce n'est pas la perfection que je veux.

Il se fichait des relations parfaites. Il se fichait de l'amour, de ces sentiments traîtres qui conduisaient des hommes à se perdre pour des femmes. Il se fichait de l'apparence irréprochable de sa famille. Il ne voulait qu'une chose.

— Quoi donc, alors ?

— La pureté.

Il avait grandi dans la pureté. Et il voulait y demeurer. Peu importe ce que cela lui coûterait. On se souviendrait de lui comme celui qui n'avait jamais accepté d'autre nom que le sien. Les Black perdaient de leur prestige, alors il le leur rendrait. Et il le ferait par le moyen fondamental de leur lignée : le sang.

— Je ne te donnerai pas ma fille.

Ses mots lui firent l'effet d'une gifle. Il avait pensé qu'il envisagerait cette possibilité. Walburga n'aurait pas à supporter une famille étrangèrent à la sienne. Elle resterait dans le cercle restraint des Black, à jamais. Lui permettre une telle chose n'était-ce pas contribuer à son bien ?

— Pourquoi ?

— Tu es son cousin.

— De second degré seulement. Notre union renforcerait l'image de...

— Non.

Orion avala son refus de travers. La colère se déversa peu à peu dans ses veines.

— Je pourrais tout dévoiler.

— A qui ? rit-il. Personne ne te croiera.

— Régulus me croiera. Mon père me croiera. Notre famille me...

— Ne perds pas tout temps, jeune homme. Tous ceux à qui tu penses le savent déjà. Comme je t'ai dit, cette famille porte plus de parts d'ombres que tu ne le crois.

Son père ? Le savait-il vraiment ? Aurait-il accepté une telle chose ? Pollux voulait peut-être lui faire croire que c'était le cas, juste pour le faire taire.

— C'est ce que nous verrons.

Il ne perdait pas espoir. D'une manière ou d'une autre, il obtiendrait ce qu'il voulait. Et il ne passera la bague au doigt à aucune autre femme qu'à Walburga. Il prendrait soin d'elle, comme aucun autre ne saurait le faire. Et il la rendrait amoureuse de lui, si bien que Pollux n'aurait d'autres choix que d'accepter leur union. Il se leva de sa chaise, les yeux fixés sur ceux de son oncle. Si Pollux resterait sur ses positions, Orion le forcerait à tomber.

— Me menacerais-tu ?

— Je vous menace depuis le début, au cas où vous n'auriez pas remarqué.

Il allait peut-être trop loin. Mais l'imprudence le charmait. Il n'avait rien à perdre de toute façon, juste à gagner.

— Deux Black ne peuvent se marier.

— Deux Black se sont aimés autrefois. Et si personne n'a rien dit, c'est que cela doit donc être autorisé.

— Tu ne sais rien de ce qui s'est passé, tu parles dans le vide.

— Walburga n'est pas née du vide.

Un bruit sourd le fit sursauter. Les pots à crayon se soulevèrent quand Pollux asséna son poing sur le bureau.

— Walburga est d'une naissance légale ! cria-t-il, une veine palpitant sur son front. Cassiopeia est tombée enceinte, certes, mais son bébé a été tué ! Demande donc à ton père ce qu'il en a fait, alors que Mélania était encore enceinte ! Il te racontera la manière dont il a jeté un Avada Kadavra sur un nourrisson !

Il retint sa respiration. Un mensonge. Pollux se défendait avec ce qu'il avait, mais la vérité ne faisait pas partie de ses propos. Son père n'aurait jamais été capable d'une telle chose. Aucun homme sain d'esprit n'aurait fait une chose pareille.

Le voyant destébilisé, Pollux se mit à sourire.

— Tu veux déterrer la vérité ? Je peux te la fournir, si ça te fait plaisir. Mais jamais tu ne verras de la même manière ceux que tu aimes le plus. Parfois, mieux vaut rester ignorant.

Sa gorge était si sèche qu'il lui fut difficile de parler.

— Comment est morte Cassiopeia ?

Il lui proposait la vérité. Il la voulait. Il voulait savoir ce dont il héritait, la vraie histoire de sa famille et non celle qu'on lui avait raconté enfant.

— Je t'assure que tu ne veux pas le savoir.

— Il faut connaître les erreurs pour ne pas les reproduire. Un jour, je ferai partie des aînés Black et je devrai bien enseigner quelque chose aux descendants.

— Il n'y a rien à enseigner. Il n'existe rien de plus imparfait que la nature humaine, et ni le temps, ni la gloire n'effacera ses vices.

— Peut-être que vous confondez la nature humaine de la votre.

Sa face se tordit en une grimace haineuse.

— Sors de ce bureau. Maintenant.

Orion ne se fit pas prier et tourna les talons. Intérieurement, il sut qu'il avait gagné cette partie-là. Mais il restait encore bien des parties pour gagner le jeu entier. Avant d'atteindre la porte, il prononça :

— Walburga et moi nous marierons. Nous représenterons tout ce que les Black ont aspiré à être durant des siècles.

Il n'eut aucune réponse à cela. Alors il tourna la poignée et considéra la conversation terminée.

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