5 : #D1D102

        Lucien restait fixé sur la fenêtre du salon, regardant le vague dehors, où le temps nuageux ne faisait pas plus rayonner son humeur. Il était fatigué de mal dormir, incapable de fermer l'oeil plus d'une heure ce week-end.

    Distrait, il observait lentement le soleil pénétrer dans sa chambre ce matin. Il s'était levé complètement zombifié, les cernes plus prononcées qu'avant, la bouche sèche et les paupières lourdes. Il aurait voulu dormir ! Malheureusement, ses blessures s'étaient manifestées. La douleur était réapparue.

    Pourtant pas appuyé contre l'étagère, ses omoplates l'avaient piqué lorsqu'il était arrivé au deuxième acte du livre. Au départ, il avait pensé que sa position en boule y était pour quelque chose. Néanmoins, malgré ses nombreux changements pour apaiser son dos, ça l'avait picoté et son teeshirt collait désagréablement dessus. Quand la douleur s'était faite plus intense, il avait demandé à Aheen s'ils pouvaient rentrer à la maison. Le neveu avait gentiment été emprunter le bouquin pour lui avant de récupérer leurs affaires et de filer. Lucien savait qu'Aheen avait vu son dos, il avait eu cette grimace qui ne trompait pas, pourtant le garçon n'avait émis aucun commentaire. Chose que Lucien avait apprécié, il n'aurait pas eu envie d'y répondre.

    Moins de dix minutes plus tard, après deux heures passées à la bibliothèque, ils étaient rentrés. Le docteur étant seul à la maison, ses amis étaient partis pour diverses raisons, ils n'avaient pas eu à déranger l'adulte dans ses conversations. Monsieur Zliot l'avait aussitôt emmené dans la salle de bain pour ausculter son dos. Désinfection par-ci, analyse par là, il était arrivé la conclusion qu'il ne comprenait pas le moins du monde comment cela s'était de nouveau déclenché. Lucien avait résumé en deux mots qu'il n'avait pas heurté son dos ni même appuyé quelque part. La raison restait donc en suspens.

    Aujourd'hui encore. Et cela travaillait l'adolescent qui contemplait les nuages avec plaisir. Il aimait les regarder.

    Jusqu'à samedi, ses blessures avaient été impeccables, presque totalement régénérées au point où, à partir de mercredi, ils avaient arrêté les bandages lourds. "Tu étais pourtant en bonne voie de guérison, je ne comprends pas", résonnait la voix de monsieur Zliot dans sa tête. Elle tournait en boucle comme un disque rayé. Parce que Lucien voulait savoir ce qu'il lui arrivait, pour aller mieux, pour s'apaiser l'esprit. Ça lui aurait permis d'éliminer une torture de sa caboche. Mais elle s'y était ajoutée et accrochée comme si toutes les autres n'étaient pas suffisantes.

    Sa douleur avait ranimé nombre de questions sans réponses. Le cherchait-on ? Le manquait-on ? Le connaissait-on ? Où était cette Maeve dont on lui avait parlé ? Est-ce qu'on l'attendait quelque part ? Ces interrogations résumaient son samedi soir, son dimanche entier ainsi que cette aube. Ils ne semblaient pas vouloir le laisser tranquille, se reposer. Il avait quelque peu dormi sur le canapé, après les soins du médecin. Allongé sur le ventre, il avait un temps soit peu réussi à trouver Morphée parmi ces ombres bavardes. Mais il n'était pas resté longtemps, on l'avait arraché à lui. Laissant Lucien avec ses douleurs et ses yeux grands ouverts.

    Dimanche, son dos avait arrêté de le picoter mais il tirait, ses omoplates lui faisaient l'effet de piqûres monstres dont il n'arrivait pas à se débarrasser, et ce malgré les différentes positions adoptées.

    Ce lundi matin, il était bien réveillé, de bonne heure, à contempler les arbres dehors, les bâtiments qui se dessinaient derrière, des passants marchant à différentes vitesses. Assis à califourchon sur une chaise du salon, les bras croisés sur le dos, le menton posé dessus, il respectait les instructions de monsieur Zliot. Ne surtout pas toucher du week-end ! Lucien était resté longtemps dans le silence et la contemplation vague. Tant qu'il avait réussi à entendre l'alarme du plus vieux de la maisonnée s'activer, le lit grincer et la porte faire de même. Il devait être six heures. Les pas sourds descendant les escaliers s'arrêtèrent au bout d'un moment, sûrement devait-il voir le jeune homme rester statique.

– Ça va, mon garçon ?; chuchota la voix de l'adulte.

    Lucien tourna enfin le regard mais ne répondit rien.

– Tu n'as pas dormi ?

    Lucien, déçu de ce fait, secoua doucement la tête avant de revenir à son état second, qui semblait plus le reposer que de rester allongé avec les yeux fermés. Il avait ensuite entendu le poivre-et-sel soupirer avant de finalement poser son pied sur le carrelage froid. Il s'était approché de l'adolescent en constatant que les bandages de bases blancs et crèmes étaient maintenant rouges. Il souleva les deux légèrement puis confia :

– Tu devrais revenir à l'hôpital, aller en cours dans cet état ne serait pas raisonnable.

    Lucien resta silencieux une fois de plus. À vrai dire, il n'avait pas considéré ce fait-ci. Néanmoins, il était sûr d'une chose : il ne voulait pas retourner là-bas. L'ambiance, l'odeur, le blanc interminable ne lui manquaient pas. Puis il commençait à apprécier d'aller au lycée, voir Rith. Lui au moins ne le regardait pas avec pitié. Suivre les cours, voir des gens même si ceux-ci n'étaient pas très chaleureux à son égard, se changer l'esprit, ne pas devoir penser à ce qu'il avait oublié. Ça lui plaisait de ne pas sombrer dans une humeur triste, qui ne le ferait pas pleurer mais le ferait se sentir coupable — pour ses proches qui l'avaient probablement perdu de vue et dont il ne se souvenait pas.

    Et cette Maeve, le nom qu'il avait apparemment prononcé en arrivant à l'hôpital. Il ne l'angoissait plus vraiment mais il lui semblait chaleureux. Était-ce sa famille ? Son amie ? Il n'en avait aucune idée et il faisait chaque fois face au noir de ses souvenirs, qui faisait barrière comme un mur indestructible, énorme et imposant. Lucien voulait se rappeler ! C'était comme si quelque chose de plus puissant que lui l'en empêchait. Pourtant s'il avait tout perdu, comment pouvait-il exceller en cours ? Il pouvait même dire quand les enseignants se trompaient.

    Dix minutes plus tard, il entendit les pas de l'adulte revenir, des bruits de froissement se faire entendre derrière lui.

– Si aujourd'hui ça recommence, demain tu reviens à l'hôpital.

    Désolé de cela, le médecin posa sa main sur son épaule encore dénudée avant de partir vers la porte d'entrée. Elle se ferma sur une salutation.

– Tu es bien silencieux ce matin.

    Du moment où le noiraud était descendu de sa chambre jusqu'à leur arrivée au lycée, Lucien n'avait pas émis le moindre son. Comme si toute force l'avait quitté pour lui répondre.

– Enfin... Je veux dire plus que d'habitude; précisa le neveu, à peine concerné par son comportement.

    Il ne s'était même pas rendu compte qu'ils entraient déjà dans le bâtiment. Lucien n'avait pas vraiment souvenir du chemin, qui ils avaient croisé, si les oiseaux volaient plus proche du sol, si la circulation était moins encombrée. Est-ce qu'il se rappelait même de ce qui lui était passé par la tête en dehors du "je veux dormir" ? Il avait moins mal certes. Néanmoins son temps de repos était passé, il allait devoir rester éveillé tout au long de la journée et ça l'épuisait d'avance.

    Ses pieds se traînaient sur le goudron de la cour, les yeux plantés dans le sol, ça en était presque hypnotisant. Il avait pris la peine de ranger ses mains dans ses poches mais seulement parce qu'il n'avait pas l'énérgie de les porter aujourd'hui. Lucien avait à peine fait attention de prendre son sac, enfilant sans entrain ses baskets que le docteur lui avait acheté comme cadeau d'encouragement pour le lycée et l'inconnu total. Il s'était d'abord senti mal, inconfortable de n'avoir rien en retour, il se sentait coupable de se faire aider de la sorte alors qu'il ne pouvait rien lui offrir.

    Zliot l'aidait, pansait ses plaies en dehors de ses heures de travail, l'abritait, lui laissant la chambre d'ami pour une durée indéterminée, le nourrissait. Tout cela faisait beaucoup trop pour que Lucien ne se sente pas honteux de profiter ainsi de leur hospitalité. Il se retrouvait là, amnésique et blessé, trop paumé pour refuser mais trop coupable pour accepter sans se dire qu'il le lui rendrait à l'avenir, quand la situation se serait arrangée.

– C'est toujours douloureux ?; s'enquit sans envie Aheen.

    Lucien allait secouer la tête. Non, cela s'était atténué lorsque les bandages avaient été changés. Or il fût stoppé dans son geste, sursautant et surpris par sa propre réaction. La raison était que Aheen venait de poser sa main sur son épaule gauche, près d'une de ses blessures. Lucien avait, par mégarde, bousculé des élèves auxquels il s'excusait d'un mouvement de tête.

    Le geste du garçon lui avait comme lancé une sorte de décharge électrique, qui avait hérissé ses poils. Lucien le toisa de travers, se méfiant sur la raison soudaine de sa tactilité. Lucien ne l'avait jamais autorisé à le faire, et ne le ferait sans doute jamais.

    Les mains vers le ciel, les yeux surpris, Aheen rigola de nervosité en lançant comme si cela était normal :

– Je t'ai à peine touché.

    Sur ses gardes, Lucien s'écarta légèrement, n'ayant aucunement l'envie qu'il recommence. Il avait détesté ce contact.

    La distance mit du mécontentement dans le regard d'Aheen. Ça n'avait duré que quelques secondes, au point où Lucien s'était demandé s'il ne l'avait tout bonnement pas imaginé, par manque de sommeil et d'une trop grande prudence.

    Les yeux reflétant de l'innocence, par la suite, il s'excusa :

– Désolé, je ne pensais pas te brusquer.

    Immobile sur le goudron, les pieds du convalescent refusaient de bouger tandis qu'Aheen s'éloignait. Sans l'attendre. Lucien ne réussit qu'à le considérer en se demandant quelle mouche l'avait piqué. Aheen semblait certes gentil et courtois mais quelque chose freinait Lucien, il ne le sentait pas très sincère et encore moins depuis la discussion qu'il avait eue avec ses amis la semaine dernière. Il ne lui inspirait rien de vraiment chaleureux.

    Son cerveau carburait à mille à l'heure lorsqu'il tenta de regarder son épaule, là où sa paume s'était posée sans consentement, aucun. Ça lui avait fait mal. Il en était certain. Pourtant, ce n'était pas la même douleur qui l'avait maintenue éveillée, pas celle qui l'avait mené en traître le week-end durant. Non, c'était plus comme de vives piqûres brûlantes, comme si un court instant un feu avait été directement en contact avec ses plaies, sa peau.

    Note à lui-même, ne plus jamais laisser Aheen le toucher lorsqu'il serait blessé.

– Qu'est-ce que tu fais ? T'as mal repassé ta veste ?; demanda une voix moqueuse.

    Lucien se redressa avant de sursauter. C'était juste Rith. Les cheveux toujours aussi peu ordonnés et le regard pleinement conscient, il le fixait avec amusement.

– T'en tire une tronche, il t'arrive quoi ?

    Devait-il lui confier ? Ou allait-il le prendre pour un fou ? Lucien haussa les épaules. Il n'avait pas grande envie de converser ce matin. Certainement conscient de cela, Rith ne tena pas compte de son énième manque de réponse et l'embarqua sans attendre jusqu'au bâtiment. Il ne l'avait pas touché à proprement parler, mais sa voix l'avait happé comme un poisson à un hameçon. Il avait commencé à parler de ses deux jours de repos, de la montagne horrible de devoirs et révisions qu'ils avaient eu, se plaignant que son dimanche avait été aussi amusant qu'un cours de monsieur Viron, professeur de mathématiques. Matière que Rith n'affectionnait aucunement et qu'il n'hésita pas à descendre dès que l'occasion se présentait.

    Puis il enchaîna sur d'autres points plus divers les uns que les autres, dont la plupart des objets échappait à Lucien qui ne savait même pas s'il devait hocher la tête, réfuter ou juste rester silencieux. La troisième réponse avait été immédiatement utilisée. Rith ponctuait chaque fin de propos avec des "je te raconterai plus tard", "ce n'est pas vraiment intéressant mais j'avais trop envie de t'en parler" et Lucien en passait ! Or le noiraud ne se souvenait déjà plus des premiers cités.

    Il marchait comme si son corps était en pilote automatique. À vrai dire, il ne sentait plus aucun de ses membres. Il eut l'impression que son conscient allait finir par s'échapper de sa prison de chair d'un instant à l'autre. Même lorsque le blondinet lui avait demandé s'il avait cherché des informations sur lui, grâce à internet toujours inconnu au bataillon, il ne lui avait aucunement répondu. Son écoute se perdait dans sa voix. Il essayait, malgré lui, de se nourrir de l'énergie débordante du garçon. Au moins pour tenir la matinée.

    Devant leurs salles respectives, ils se saluèrent, Rith lui donnant un nouveau rendez-vous pour la pause déjeuner. Puis ils se perdirent de vue très rapidement. Comme la semaine dernière, Lucien, seul, sentit des regards sur lui, et des messe-basses. Ne pas y prêter attention aujourd'hui était d'un simple grandiloquent ! Il était tellement crevé qu'ignorer les voix paraissait aussi facile que hocher la tête. Sa non-interaction avec ses camarades ne le dérangeait pas plus que cela. Le calme, il appréciait.

    Les yeux encore fixés au sol, il trouva rapidement sa place habituelle, vide évidemment, déposant son sac sur la table propre et s'asseyant dans le mutisme le plus total. Même sa respiration respectait cela. Son voisin de table n'était pas encore arrivé. Lucien en profitait pour fermer les yeux, récupérant quelques maigres secondes de sommeil.

– Ça va ?; retentit une voix sur sa gauche.

    Lucien ne répondit pas, pensant que cela ne lui était pas destiné. C'était une fille qui l'avait verbalisé un peu trop fort. Il ne sut trop comment il arriva à garder son soupir dans sa gorge.

– Eh, Lucien.

    Là, il ne pouvait plus donner d'excuses, il était le seul à porter ce nom dans la salle. Surpris, ainsi qu'agacé d'être dérangé le seul jour où il priait pour qu'on ne lui parle pas, il releva les prunelles sur une blonde aux cheveux mi-longs, bien maquillée, ainsi que ses copines. Il n'avait pas la moindre idée de pourquoi elle lui adressait la parole. Paniqué d'être le centre de l'attention si soudainement, il se recroquevilla inconsciemment dans ses épaules.

– C'est ça ?; s'inquiéta-t-elle.

    Il hocha la tête en tapant un droite gauche du regard, espérant qu'un miracle lui vienne en aide.

– Ça va ? Tu as l'air vachement fatigué.

    Vachement ? Il ressemblait à une vache ? Avait-il des tâches noires qui étaient apparues sur son visage pendant la nuit ? Il n'avait pas pris le temps de s'observer dans un miroir ce matin. Ou peut-être qu'il pensait trop et que 'vachement' n'était pas pour désigner quelque chose qui se transformait en vache ?

    N'ayant aucunement l'envie de poser la question, de peur de leur réaction, il opina de nouveau du chef avant de rapidement se détourner vers son sac, posé sur son bureau. Il entendait des murmures provenir de leurs directions mais il n'y prêtait pas l'oreille, peu désireux de savoir si elles parlaient de lui en bien ou en mal. Les deux cas ne l'intéressaient pas grandement.

    Ses affaires sorties, il tentait de faire abstraction de tous bruits aux alentours. Seule occupation véritable, il se mit à relire les mêmes paragraphes que samedi, les connaissant presque par cœur à force. En fait, il les survolait plus qu'il ne les lisait vraiment. Il avait donc à peine entendu la professeure entrer et la cloche retentir. Précédemment distrait de ses obligations d'élève, il se leva plus tard que les autres de sa chaise, la faisant grincer malgré lui un peu plus fort que le brouhaha des élèves environnants. Il remarquait le regard gentil de l'enseignante sur lui avant qu'elle ne demande à tous de s'asseoir.

    Elle débuta son cours en demandant qui voudrait bien résumer la lecture de la page qu'ils devaient étudier pour aujourd'hui. Puis de répondre aux questions, bien évidemment. Peu de mains s'étaient levées, deux pour être exact. Celle de Nahara, assise juste devant le bureau de l'enseignante, et celle d'un garçon au milieu de la pièce qu'il n'avait jamais vu auparavant. L'adulte interrogea d'abord Nahara, tandis qu'elle sortait son livre et ses notes de sa sacoche de cuir, écoutant la jeune fille qui traduisait de manière courte le texte. Son "étude" percutait parfois sur les oreilles du noiraud, qui refoulait des "elle à faux". En soit, l'élève avait compris mais il y avait des détails incorrects qui interpellaient Lucien. Pour être honnête, il l'avait fixée en se demandant comment elle pouvait se tromper sur des mots qu'il trouvait si facile de son côté. La femme notait le vocabulaire mal traduit au tableau, hochant parfois la tête sur les paroles de Nahara qui s'arrêtait à la fin de son résumé. À vrai dire, c'était elle qui l'avait arrêté d'un signe de main pour lui signifier qu'elle n'avait pas besoin de répondre aux questions.

    Elle désigna du menton le deuxième disciple, aux cheveux bien courts, qui se repositionnait sur sa chaise avant de lire les réponses marquées sur son cahier, ne relevant jamais les yeux avant d'avoir fini. Là encore, l'enseignante avait écrit sur le tableau blanc les questions mal répondues et les mots incorrects.

    Elle remercia les deux adolescents puis demanda à toute la classe s'ils pouvaient les corriger, s'ils avaient d'autres réponses plus correctes ou précises à fournir. Cependant, personne ne leva la main, tous avaient le regard fixé sur leurs bureaux. Seule la tête du nouvel élève était levée.

    Elle soupira, s'appuyant sur le tableau, ironisant :

– Je ne vais quand même pas demander au nouveau s'il connaît la réponse.

– Je sais.

– Hum ?; demanda l'enseignante qui n'avait pas entendu ce qu'il avait dit.

    Lucien ne s'était pas rendu compte qu'il avait parlé à voix haute. Ce n'était qu'en sentant tous les regards sur lui qu'il comprit qu'il n'avait pas seulement parlé dans ses pensées. Il se mordit la lèvre de panique, lui qui voulait passer inaperçu et ne pas être le centre de l'attention, c'était loupé ! Devait-il vraiment répondre ? Qu'allaient dire les autres ? Le trouveraient-il bizarre ? Tant pis, il voulait prouver aux enseignants qu'il était capable de suivre, de participer et d'être traité de la même manière que les autres.

    Sans regarder son livre, il commença à citer le premier mot, donnant sa bonne traduction, attendant que la professeure ne se mette à écrire, avant de continuer à corriger les erreurs de Nahara, qui devait sûrement l'observer de l'autre bout de la classe. Lucien répondit par la même occasion aux questions que le garçon avait raté. Il se sentait mieux d'avoir corrigé le tout, moins frustré de devoir se taire alors qu'il y avait erreur. Muet de nouveau, il tournait enfin les yeux vers les regards choqués et surpris de ses camarades. Il décelait parfois des sourires qui le faisaient stresser, se demandait s'ils se moquaient ou non. Mais celui qui lui procura le plus d'anxiété fut celui de Nahara. Il était impassible et dur. Elle le détailla de haut en bas avant de détourner son attention sur la femme au tableau, qui venait de fermer son feutre. Elle faisait face à Lucien qui se fit un peu plus petit sur sa chaise.

– Tu as appris le latin ?

– Je.. heu... je crois ?; espérant qu'elle ne le regarde pas de travers.

– Prenez exemple sur Lucien, vous aussi vous devez travailler à la maison...; avant de continuer un grand monologue sur le pourquoi ils devaient faire leurs devoirs avec rigueur !

    Soulagé que la plupart des têtes se soient détournées de lui, il soupira. Il avait entendu un "bien joué" chuchoté derrière, qu'il n'était pas sûr qu'il soit pour lui. Alors il l'ignora. Puis il attrapa un stylo dans sa trousse. Le garçon eut une telle nervosité restante qu'il se mit à fixer l'objet comme si celui-ci allait le faire disparaître de la vue de tous. Cependant, il ne put réprimer un sourire fier sur ses lèvres. Il avait réussi à participer en classe, avoir juste et s'être fait féliciter indirectement par l'enseignante. C'était d'un gratifiant sans nom !

    Lucien avait suivi les deux heures de cours avec un soulagement innommable. Il n'avait que peu regardé les traductions au tableau et s'était surtout concentré sur le savoir que l'adulte leur transmettait. Aujourd'hui, Lucien avait réussi à faire clouer le bec à tout le monde et personne n'avait pipé un mot le cours durant. Chaque mouvement de feutre s'était fait entendre en écho dans la salle. Tant que le garçon n'avait pas vu le temps passer et que la sonnerie avait bien vite retentit. Surpris, il avait sursauté, les yeux grands ouverts, il ne s'attendait pas à ce que cela se finisse si vite. L'enseignante les avait congédiés sans les retenir une minute de plus, et cela n'était pas tombé dans l'oreille de sourds. Le vacarme infernal qui s'ensuivit fit grimacer le garçon qui priait pour que tous se ruent le plus vite possible hors de la salle, qu'il ne soit pas retrouvé dans la première vague.



          Ayant deux heures de trou, car le professeur suivant était absent pour cause de maladie, la majorité des élèves partaient se dénicher des places de choix dans les salles d'études avant le repas. Rith aussi avait du temps, sauf que c'était marqué dans son emploi du temps. Quelle ne fut donc pas sa surprise en croisant Lucien dans le couloir, peu pressé. Un grand sourire aux lèvres, il l'avait embarqué immédiatement au CDI. Sur le court chemin, le blond lui avait demandé s'il s'était renseigné sur ce qu'était internet ou une quelconque information reliée à celle-ci. Haussement d'épaules, non ce n'était pas le cas.

    Dix minutes plus tard, ils étaient assis côte à côte, devant un écran d'ordinateur, l'avait appelé Rith, où des images toutes différentes les unes des autres défilaient au fur et à mesure que le garçon expérimenté appuyait sur la souris. Lucien avait fixé l'objet où se trouvait la main de son camarade, se demandant comment diable les personnes avaient pu nommer une telle chose une souris. Ça ne ressemblait en rien à l'animal tout gris qui courait partout ! Sur le moteur de recherche, Rith sembla hésiter. Il tourna son regard vers lui, demandant d'un chuchotement :

– C'est quoi ton nom de famille déjà ?

    Ce n'était pas le week-end qui l'avait aiguillé sur ce fait-ci. Lucien haussa les épaules, son regard parlant à sa place.

– Bon, essayons juste ton prénom alors...; après un soupir.

"Lucien porté disparu" avait été écrit sur la petite barre blanche au milieu de l'écran. Rith appuya sur une touche du clavier et une nouvelle page s'afficha. De nombreux titres y étaient proposés : "Lucien, le prénom qui signifie lumière", "Lucien de Samosate". Mais rien concernant une disparition récente.

– Lucien de Samosate ?; tenta le concerné à voix haute.

– C'est un auteur grec du deuxième siècle; expliqua le blond.

    Vraiment ? Ça ne lui disait rien et ne débloquait pas le moindre souvenir à l'énonciation.

– Peut-être...

"Lucien cheveux noirs" qui ne rimait à rien mais que Rith essayait tout de même. À part une marque de bandana à bas prix, il n'y eut pas plus de résultat.

– Et tu m'as dit que tu n'avais pas de frère ni de sœur ?

    Il secoua la tête. Non, pas à son souvenir du tout.

– Monsieur Zliot à dit que j'avais appelé un nom, Maeve.

    Rith eut un instant d'absence, semblant perdu dans une réflexion soudaine.

– Comment tu l'écris ? Maeve ? Maheve ? Ma-Eve ?

    Aucune idée. Alors Rith chercha les trois. Mais à part les célébrités du monde, rien ne tapait dans l'œil du noiraud. Aucune des femmes présentes simultanément sur l'écran ne l'inspirait plus que cela. Alors Rith s'hasarda sur "Lucien et Ma-Eve", que le moteur de recherche transforma en Maeve. Pas d'avis de recherche, de choses recensant leurs existences. Sauf ce site en première ligne : "Lucien et Meve, les inséparables" qui titilla la curiosité du noiraud. Il tenta de cliquer dessus, de son doigt sur l'écran avant de se faire reprendre silencieusement par son ami qui lui intimait que ce n'était pas comme cela que ça fonctionnait. Ce fut le blond qui accéda au site.

    Du jaune doré et du blanc se présentaient en force pour faire ressortir des textes. "Introduction", "Lucien", "Maeve", il y avait différentes informations d'après ce qu'il voyait.

– "Il est raconté que Lucien et Maeve sont deux anges appréciés des leurs, et qu'ils sont une véritable force réunis."; cita Rith d'un murmure presque inaudible; "l'un est un des nouveaux fils préféré et l'autre la sœur d'âme". Le fils préféré ? Fils préférés de qui ?

– Ça existe les anges ?; s'étonna Lucien se redressant à peine.

– Hum, pas la moindre idée; haussant les épaules. Voyons voir ce qui est dit sur Lucien.

    Inconsciemment, Lucien avait froncé les sourcils et son ongle commençait à être rongé par la nervosité de ses dents.

- "Lucien, appelé aussi l'ange aux ailes d'or"; lu Rith en suivant les mots de la petite flèche noire. "La légende raconte qu'il a gagné sa place dignement, que sa force n'à d'égale que sa loyauté et son courage". La légende ? Jamais entendu parlé...

    "Lucien est l'un des anges guerriers les plus redoutables que l'au-delà ait connu. Victoires sur victoires, il impose le respect. Il est dit aimé des siens. Si l'on croise Lucien, on croise Maeve. Le bras droit et sœur de l'ange aux ailes d'or."

– Les gens sont d'un créatif, ça m'impressionnera toujours.

    Lucien s'était effectivement demandé comment avaient-ils eu de telles informations, comment avaient-ils entendu parler des légendes qu'ils citaient et comment les exploitaient-ils. Même Rith se mit à rire du site et de ses propos sortis tout droit de nul part. Lucien aurait bien ri aussi, si cela ne l'avait pas tant scotché.



        Lucien était revenu le lendemain à la bibliothèque. Le livre terminé en main, pénétrant dans la pièce après avoir vérifié qu'elle soit ouverte. Il découvrit l'endroit pratiquement désert, au vue de la pause déjeuner qui avait débuté depuis une bonne demi-heure déjà.

    Il avait attendu Rith dès que la sonnerie avait retenti mais il ne semblait jamais sortir de sa classe. Il avait tout de même patienter jusqu'à la dernière seconde. En voyant le professeur fermer la porte à clé, il lui avait demandé où pouvait-il être, il n'avait eu qu'un "il est allé à l'infirmerie". N'ayant aucune idée d'où elle se trouvait, Lucien avait préféré attendre en bas des escaliers, comme les dernières fois. Cependant, il n'est jamais venu. Lucien avait donc supposé qu'il était parti pour de bonnes raisons. S'il le croisait, il lui demanderait. Puis étrangement, il n'avait pas vraiment faim aujourd'hui. Lucien se trouvait donc avec pas mal de temps devant lui. Autant le rentabiliser.

    Il aperçut rapidement la bibliothécaire assise à son bureau, lisant un livre d'une couverture complètement différente de celui qu'il tenait contre sa poitrine. Les couleurs flashys et le titre marqué en énormes lettres roses sautaient aux yeux du jeune homme. Une fourchette en main, elle tâtonnait sa salade sur sa gauche, devant son ordinateur et son clavier, sans décrocher ses yeux de sa lecture qui paraissait plus que passionnée au vu de son ratage de bouche. Ça l'avait à peine sortie de sa concentration. Et Lucien s'était raclé la gorgé pour attirer son attention, ne l'ayant pas remarqué malgré le fait qu'il soit pratiquement collé au bureau. Elle avait levé le regard sur lui, récupéré le bouquin avec un pauvre "c'est bon, tu peux y aller".

    Encore vingt-cinq minutes à tuer, et il n'avait plus de but pour les combler ! C'était donc ainsi qu'il se retrouva entre deux nouvelles étagères, où les planches pleines à craquer l'impressionnèrent toujours. Il passa ses doigts distraitement sur les dos de matières différentes, encore peu inspiré pour en prendre un et le feuilleter. Peut-être devrait-il s'y intéresser plus que par les titres. Roméo et Juliette l'avait pas mal intrigué. L'histoire avait été touchante et émouvante, et quand il n'avait pas réussi à dormir c'était à ça qu'il pensait. Il s'était longuement dit que la décision de Juliette était un peu extrême, peu certain que ce soit effectivement la bonne solution pour se libérer de sa famille. Et en effet ce n'était pas ce qui l'avait réuni avec Roméo.

    Son esprit avait ainsi de suite vagabondé jusqu'à se trouver à la même question qui le tourmentait : est-ce que quelqu'un l'attendait quelque part ? Le nom Maeve était encore apparu dans son esprit. Il avait tenté de le murmurer, seul dans le noir pour voir ce que ça faisait. Toujours un sentiment bizarre, tellement familier et c'était comme s'il le prononçait souvent. Sûrement devait-il rencontrer de nouvelles personnes régulièrement dans son ancienne vie. Et son nom de famille alors ? C'était comme si le prénom venait uniquement isolé, qu'il se suffisait à lui seul. Il avait aussi regardé le plafond, imaginant une forme humaine. Il avait tenté de l'appeler, utilisant différents tons. Celui qui lui faisait grincer des dents était le colérique, ça sonnait un peu faux dans sa bouche.

    Pour faire bref, il n'était même pas plus avancé qu'avant. Ça devenait juste de plus en plus familier.

– Tu trouves ton bonheur ?

    Sursautant, Lucien s'éloigna de l'étagère comme si elle l'avait brûlé. Il avait de suite tourné son attention sur la provenance de la voix. C'était Neeve, dans son uniforme, la cravate parfaitement repassée et bloquée sous son petit veston brun, caché d'une veste d'un bleu similaire à la couleur de son pantalon. Même ses petites lunettes rondes, sur le haut de son nez, laissaient voir des verres plus que propres, comme si elles étaient neuves.

    Neeve fit paniquer le jeune homme qui laissait ses mains s'essuyer de nervosité sur sa chemise, détournant le regard d'affolement, les joues légèrement chaudes d'un début de honte d'avoir eu si peur pour rien.

– Je.. hum, oh.. oui.. enfin non, je.. bah..

    Lucien l'entendit rire sur le côté. Quelque chose de pas très fort mais d'assez audible pour capter de nouveau l'attention du noiraud, qui s'arrêtait de bouger pour le regarder cacher son beau sourire derrière ses doigts. La cicatrice en dessous de son œil droit se plissait autant que ses épaules se secouaient. C'était étrange mais Lucien eut envie de la toucher. Lui faisait-elle mal ? De quand datait-elle ? Ça avait l'air assez profond vu la marque que cela lui avait laissé.

    Lucien ne se rendît pas compte qu'il n'avait pas cligné des yeux, jusqu'au moment où le jeune homme remontait de son doigt ses montures, serrant un peu plus le livre qu'il avait dans la main gauche. Que racontait-il, son bouquin ?

– Tu t'es perdu ?

– Oui; soupira-t-il.

– Voyez-vous ça ? Tu as déjà mangé ?

    Hypnotisé, Lucien secoua la tête, il ne voulait pas vraiment aller manger seul ou rejoindre les autres dans le réfectoire. Patienter pour se sustenter ce soir ne lui semblait pas une si mauvaise idée ! Puis il n'avait rien prévu pour se restaurer, c'était tout le temps Rith qui lui passait la moitié de ses repas.

– Je prends ça; dit Neeve, levant le petit objet qu'il avait; puis on y va ? Enfin, si tu veux bien manger avec m...

– Oui; se précipita-t-il, plus lumineux.

    Neeve ouvrit grand les yeux avant de rigoler à nouveau. Il lui demanda de lui laisser le temps d'aller enregistrer son emprunt puis partit en direction du comptoir. Peu certain de comprendre ce qu'il venait de lui proposer, et encore moins ce que venait d'accepter le noiraud, Lucien restait planté au même endroit, regardant le brunet sans le quitter des yeux. Venait-il de proposer qu'ils déjeunent ensemble ? Et Lucien venait-il vraiment d'accepter ? Il se demanda si cela était bien réel, s'il ne rêvait pas.

    Neeve se plantait devant la bibliothécaire, qui levait le nez avec un grand sourire. Elle était enjouée et leur conversation avait autant l'air banale que lorsqu'il discutait avec Rith. Étaient-ils amis ? Le sourire jusqu'aux oreilles du garçon faisait sourire inconsciemment Lucien, qui ne savait même pas s'il avait de nouveau cligné des yeux. Un bruit sourd se fit soudainement entendre derrière lui, il en sursauta avant de se retourner pour constater qu'il avait fait tomber un livre sûrement mal rangé. Néanmoins sa distance de lui l'intriguait. Il était l'autre bout de l'étagère. Lucien alla quand même le remettre à sa place.

    Ça faisait beaucoup de petites frayeurs en peu de temps ! Ses muscles commençaient à trembler de tension. Et la douleur de ses omoplates refaisait surface par la même occasion. Refusant catégoriquement de poser un lapin blondinet, Lucien préférait mettre de côté ses petits problèmes.

    En se redressant, il sentit un frisson lui chatouiller l'épaule. Il fronça les sourcils avant de faire volte-face. Il ne tomba que sur Neeve qui lui fit signe de tête de le suivre. Lucien aurait presque pu parier qu'on l'avait effleuré pourtant... La fatigue devait lui faire imaginer des choses. Il secoua le nez avant de, ni une ni deux, se dépêcher de rejoindre la porte, retrouvant rapidement le garçon qu'il dépassait d'une bonne demi-tête environ. Il l'avait attendu quelques instants avant de le mener en direction de l'escalier. Le plus petit avait même légèrement ralenti son rythme afin de se caler sur celui du convalescent, qui avait l'impression que ses omoplates lui faisaient payer la douleur comme s'il avait touché ses blessures, dans la bibliothèque. Lucien lutta pour ne pas grimacer.

    À trois marches du sol du hall, ce fut Neeve qui prit la parole :

– Alors ? Tu en as pensé quoi ?

    Pensé quoi de quoi ? À vrai dire, son cerveau avait fait le vide de tous souvenirs ou toute pensée dès le moment où les notes de sa voix avaient tapé ses tympans. Lucien n'en revenait pas qu'ils parlent.

– De Roméo et Juliette; l'éclaira-t-il, le sourire dans la voix.

    Oh, ça ? Nerveux, Lucien se pinça les lèvres avant de baisser la tête vers ses pieds.

– C'était bien.

    Bref, court et concis. Ce qui résumait pas mal son état d'esprit sur l'œuvre du dramaturge. Bien que dramatique au possible, il avait apprécié la lecture dans son ensemble. L'histoire n'était pas mauvaise, les personnages ont pu évoluer un minimum dans le manuscrit, il s'est plongé dans l'aventure sans une seule fois penser que cela était barbant.

    Du coin de l'œil, Lucien avait remarqué que sa réponse n'avait pas été suffisante.

– C'est tout ?

    Le noiraud eut l'impression d'être aussi intéressant que le professeur de mathématiques était dans le cœur de Rith. Ça lui fit une petite pique intérieure. Neeve lui adressait la parole, essayait de communiquer tant bien que mal et pourtant le nouvel élève n'arrivait pas à dépasser ce stade des phrases brèves.

– Non.

    Mais comment pouvait-il formuler sa pensée ? Comment Neeve pouvait-il essayer de comprendre ce qu'il tentait d'expliquer avec des mots bateaux ?

– Je pense que; hasarda-t-il; l'histoire est intéressante, mais la fin...

    Neeve l'avait guidé discrètement vers l'extérieur. N'avait-il pas proposé d'aller manger ? Pourquoi allaient-ils dehors ? Il ne faisait même pas beau ! Le ciel était d'un gris terne, pourtant la pluie n'avait pas pointé le bout de son nez. Cela faisait un moment que Lucien n'avait pas vu les pleurs du ciel.

– Mais ?; puisque la suite se tardait.

– Il devait y avoir d'autres solutions; admit-il.

    Neeve l'avait ensuite emmené au-delà des tables auxquelles il s'installait avec Rith. Se rappelant ne toujours pas avoir aperçu le garçon, il fixa la pierre quelques instants, espérant qu'il aille bien de son côté. Il ne détourna son regard que lorsque le petit muret cacha sa vue.

– On ne vit pas leur situation; renchérit Neeve. Ça doit être assez dur à gérer, surtout qu'ils peuvent à tout moment se faire attraper.

    La tension durant les scènes avait effectivement happé Lucien, se détacher du livre avait été dur. Il l'avait terminé en une nuit, puisqu'il n'arrivait pas à fermer l'œil.

– Mourir c'est un peu extrême; argumenta le noiraud qui regardait l'adolescent s'asseoir dans l'herbe.

    Lucien l'imita sans se poser de questions, déposant son sac à sa droite. Neeve sortit un objet ovale entouré de papier cellophane, ainsi qu'une pomme rouge. Il se tourna vers l'adolescent en désignant la pomme du menton. Il lui offrait le fruit sans l'ombre d'une hésitation. Et ce fut très timidement que Lucien accepta.

– Juliette ne s'était pas vraiment suicidée en premier lieu; par-dessus le bruit métallique désagréable.

– Certes, mais elle a suivi Roméo dans une mort certaine, parce que sa décision n'a fait que provoquer la disparition de son bien-aimé. C'est... stupide.

    Il ne savait pas trop comment formuler le sentiment étrange qu'il avait dans la poitrine. Il n'avait en aucun cas compris leur décision, elle était tout bonnement irrationnelle et immature !

– Tu penses que mourir par amour est stupide ?

    Intrigué qu'il l'ait tourné ainsi, Lucien posa un regard perplexe sur lui. Oui, sûrement. Il n'en savait rien à vrai dire ! Était-il vraiment d'accord pour dire cela ? Au fond, il pensait vraiment qu'elle avait choisi le pire des moyens parmi tous ceux qui se présentaient à elle. Pour faire court, ça revenait à dire qu'elle avait tué Roméo malgré elle. Ça, Lucien ne cautionnait pas.

– Plutôt vivre pour aimer, que mourir par amour, non ?

    Lucien n'avait pas la moindre idée de ce qu'il racontait. Mais il était comme persuadé de ce fait. Inexplicablement certes, mais il se disait que vivre en parlant de la personne, faire perdurer son être à travers sa pensée était une meilleure solution. La mort n'avait pas résolu leur problème pour autant. Ils sont morts sans jamais se réunir, n'était-ce pas ça le plus tragique ? Unis dans la mort mais séparés dans la vie. Qu'est-ce qui disait qu'ils s'étaient vraiment rencontrés dans l'au-delà ? Et s'il n'y avait pas d'au-delà ? Ils avaient sûrement gâché leur temps ensemble.

    En parlant de mort, la leur devait être sans douleur. Et à cet instant, Lucien aurait bien aimé être en paix comme eux. Il commençait à sérieusement souffrir de son dos. Pas qu'il veuille perdre la vie, mais il voulait se débarrasser de cet inconvénient-ci.

– Il ne pouvait pas vivre sans elle; défendit Neeve, qui finissait sa bouche pour parler; c'est une preuve d'amour, en quelque sorte.

– Mais elle s'est réveillée, elle à tué Roméo, non ?

– Quel cœur de pierre !

    Son exclamation n'avait pas été méchante, pourtant ça avait touché le palpitant du concerné. Était-il si mauvais que cela, pour que Neeve ne le verbalise ? Lucien fixa la pomme encore parfaitement intact en se demandant si son cœur ressemblait à ça ou s'il était aussi gris qu'un caillou. De si Neeve pensait vraiment ce qu'il disait.

– Désolé.

    Immédiatement, Lucien releva la tête vers lui. Le regard navré, il avait l'air de vraiment penser ce dernier mot. Lucien fronça les sourcils. Désolé ? Mais pour quoi ?

– Je ne pensais pas que tu le prendrais premier degré.

– De quoi ?

    Amusé peut-être, Neeve le considéra un moment avant qu'un minuscule sourire en coin naisse sur sa bouche, que ses paupières se baissent légèrement en couché de soleil et qu'il n'abaisse son sandwich sur ses genoux. Cet échange de regard fît apparaître une dizaine d'émotions à la fois. Lucien avait eu l'impression que tout son sang s'était dirigé vers son coeur, le faisant battre d'une vitesse soudaine et folle, ça lui réchauffait le devant du corps. Le bout de ses doigts fourmillaient subtilement, et sa gorge s'était asséchée comme s'il avait couru un marathon avant de se poser. Un temps soit peu, la douleur disparue.

    Déboussolé, Lucien détourna le regard pour regarder la cour. Il avait besoin de se distraire avec quelque chose d'autre avant de passer pour un fou à fixer Neeve de la sorte.

    En parlant du loup, il s'était mis à rire doucement.

– Je te gêne ?

    Incapable de parler pour le moment, Lucien secoua la tête en s'éclaircissant la voix. Il avait du mal à recommencer à respirer normalement, comme si cela n'était plus du tout naturel. Inconsciemment, il porta une de ses mains à son ventre, la pomme toujours dans l'autre. Il tentait tant bien que mal de ne pas lui faire mauvaise impression.

– Mange avant que ce ne soit froid; plaisanta Neeve avec un discret gloussement.

    Suivant le conseil de sa voix, il baissa ses yeux vers l'aliment entre ses doigts. À cet instant précis, Lucien eut l'impression que le fruit était recouvert et imbibé de sang, aussi vif que le sien pouvait l'être. Une nausée avait assailli son abdomen et il détourna les prunelles tout aussi tôt.

– Promis, elle est fraîche d'hier.

    Or il ne l'écoutait plus vraiment. En détournant son attention, il avait aperçu furtivement une ombre près du mur du bâtiment, enfoncée dans la pénombre de l'escalier. La personne ou la chose semblait pressée, ou du moins courait. Sur le coup, Lucien eut un long frisson qui parcourait chaque poil, aussi petit soit-il, sur sa peau. Relançant la douleur sur ses omoplates.

– Tu n'aimes pas les pommes ?; demanda le garçon sur sa gauche.

    Lucien tourna lentement sa tête dans sa direction. La pomme ? Quelle pomme ?

– J'aurais dû te laisser mon sandwich, je n'ai pas très faim de toute façon...

    Neeve avait approché sa main pour récupérer le fruit. Or Lucien stoppa son geste en attrapant son poignet avant de l'atteindre. Un pilote automatique. Il n'avait jamais pensé à faire cela ni même n'aurait osé. De plus, le noiraud tremblait malgré lui.

    Interloqué, le blondinet releva les yeux vers lui en haussant les sourcils.

– Ça va ? T'es bien pâle.

    Relâchant sa prise, Lucien se recula légèrement avant de se frôler le visage. Il ne sentait même pas ses doigts sur sa joue. Et la douleur ne le lâchait pas d'une seconde. Pire, elle commençait comme à lui lancer des sortes de piques vives à travers ses plaies. Comment restait-il impassible relevait d'une question non élucidée. Peut-être ne voulait-il pas effrayer Neeve avec ses problèmes de santé non résolus ?

– Eh...

– Ça va; mentit-il. Ça passera.

    Sauf qu'il ne commençait plus tout à fait à voir net. Il avait beau cligner plusieurs fois des paupières, ça ne changeait rien. Coup de chaud, frissons, les deux alternaient comme des harpies !

– Je ne pense pas que tu devrais te lever maintenant; l'arrêta Neeve avant qu'il ne soit réellement sur ses pieds.

    Docile, et surtout fébrile, Lucien se laissa guider vers sa précédente pose. Il commençait à perdre notion de ce qui l'entourait, à l'exception de la voix du garçon qui lui demandait plusieurs fois si ça allait.

– Tu as mangé ce matin ? Tu as besoin d'eau ? C'est juste une chute de tension ou tu me fais un malaise, là ?

    Non, non et le malaise apparemment. Dans cet ordre-ci. Les symptômes ressemblaient étrangement à ce qu'il avait déjà vécu à l'hôpital. Ça ne lui avait pas manqué et il s'en serait volontiers passé ! Surtout à ce moment-là. Consciencieux que Lucien n'ouvrirait pas la bouche pour lui décrire exactement comment il se sentait, Neeve l'incita à s'allonger, glissant son sac sous sa tête.

    La cœur battant au rythme de celui d'un furet surexcité, il n'arrivait pas le moins du monde à se calmer. Le sang battant dans ses tempes l'obligeait à fermer les paupières dans une tentative vaine de les diminuer. À cet instant, Lucien se trouvait pitoyable. Il se dit même qu'il aurait dû écouter le docteur lorsqu'il lui avait conseillé de retourner à l'hôpital pour sa santé et la bonne guérison de ses blessures. Peut-être qu'en l'ayant écouté, il ne se retrouverait pas à se faire prendre à pitié par la seule personne à qui il voulait faire bonne impression. Et pourtant, il n'y pouvait rien. Il ne pouvait pas essayer de fuir pour retrouver ses esprits lui-même puisque son corps n'était pas d'accord pour le traîner plus loin ! Il avait la gorge trop sèche pour lui assurer que ça allait, qu'il ne devrait pas s'inquiéter mais vu son visage consterné, cela serait une perte de salive considérable.

– T'es malade ? Tu as mal quelque part ? Tu t'es tapé le petit doigt de pieds dans la chaise ce matin et les symptômes d'une facture n'arrivent que maintenant ?; demanda Neeve pour essayer de détendre Lucien.

    Ça fonctionnait, un peu. Le noiraud avait souri à sa tentative maladroite. Non, il ne s'était aucunement cogné dans un pied de tabouret ou de chaise. Non, il n'était pas malade. La douleur était juste un peu trop forte pour son état de faiblard. Tout de même inquiet que le nouvel élève soit dans un tel état, Neeve remonta sa manche le long de son avant-bras avant de poser son poignet sur son front. Une sorte de décharge électrique passa de sa peau à la sienne, que seul le noiraud sembla sentir. Il fixait intensément le garçon qui finit par dégager les cheveux rebels du front de Lucien.

– Je ne sais pas si c'est toi qui à de la fièvre ou si c'est moi qui est trop stressé.

– Désolé; dit Lucien, embarrassé de la situation.

– On ne s'excuse pas parce qu'on est malade !

    La réprimande aurait presque pu le faire rire, mais il était trop occupé à respirer lentement pour se le permettre. Son cœur ne s'était même pas ralenti. Alors il ne fit que hocher la tête avant de fermer les yeux, grimaçant comme si cela allait l'aider à aller mieux.

    Ce qu'il se passa par la suite, il n'en eut aucune idée. Il ne s'était en au cas senti perdre conscience. Il savait juste que l'immense mal de crâne tambourinait chaque partie de sa tête comme si elle allait exploser dans la minute. Il n'était pas sûr qu'on lui parle, de qui se trouvait à son côté avant de tomber dans un tel mal. À vrai dire, il n'avait plus bien conscience de l'extérieur à cet instant. De plus, il se sentait raidi, comme si tout son corps était en alerte. Défense préparée inutile puisqu'il était bien incapable d'ouvrir les paupières. Ou alors n'étaient-elles pas fermées ? De toute façon, le noir majoritaire l'empêchait de voir quoi que ce soit.

    Il avait honte de s'être évanoui de la sorte. Bien qu'un instant, il ne se souvint plus du pourquoi il était ainsi et devant qui.

    Lucien ne se rendit compte de sa froideur que lorsqu'une source chaude se colla à son bras, contre son flanc droit et sa hanche gauche. Le manipulait-on ? Pourquoi n'était-il que peu rassuré de ce fait ? Lucien avait comme l'impression de voir, de ressentir des choses face à l'écran de ses paupières immobiles. Des lumières vives, allant et venant, du brouhaha aussi silencieux qu'il était persuadé qu'il n'était constitué que de hurlements. Et puis cette envie de s'éveiller, de bouger, de se sentir en vie. Il savait bien qu'il n'était qu'inconscient, il s'en doutait au fond, mais il avait une peur minime de se dire qu'il ne reviendrait peut-être pas à ses esprits comme il l'entendait. Étrange, non ?

    Puis plus rien. Plus de sensation. Juste la pénombre en face de lui. Pouvait-il enfin ouvrir les yeux ? Il y mettait pourtant toute sa force !

– A... qu... il ?

– ... di... j'en...

    Malgré l'effort, impossible de savoir d'où ça venait, ce que les deux voix distinctes disaient et à qui elles appartenaient. Proches ? Lointaines ? Connues ou jamais rencontrées auparavant ? Il ne saurait dire.

    Oppressé dans son inconscient, il puisait tout ce qu'il pouvait pour grandement inspirer, espérant trouver autre chose que le noir et l'isolement. S'il avait prié, ses adjurances avaient été entendues ! Il sentait enfin quelque chose. Il avait autant eu l'impression d'avoir attendu une éternité que le moment était passé en un claquement de doigts. Une sorte de feu interne s'était éveillé près de son poignet avant qu'il ne stoppe immédiatement au profit d'une sorte de brûlure glaciale qui lui pétrifia tous muscles endormi. Bon point, il sentait des choses. Point négatif, ce n'était pas forcément agréable.

– Je vous... je... passé.

    Deuxième partie concrète, il décernait un peu plus de mots compréhensibles. Et la voix n'était pas inconnue. Par contre celle féminine, oui. Il aurait pu parier à sa verbalisation qu'elle posait une question. À qui et sur quoi ?

    Elle finit par rassurer la première, la familière, alors que Lucien eut conscience qu'on le fit rouler doucement sur le dos, légèrement relevé en une sorte de position assise. L'avait-on couché sur le côté précédemment ? Et s'il se posait la question, c'était que sa conscience avait été sympa et était revenue, non ?

    Contact sur son biceps, le serrant à mesure du temps, sur son front d'une température banale, plus ça allait plus il sentait. Sûr de ce fait-ci, il inspira longuement en espérant que cela n'aide à ouvrir ses paupières.

– Il a mangé ce matin ?

    Il savourait chaque syllabe qui atteignait son oreille. Comprendre tout ce qui se disait le rassurait plus qu'il ne l'aurait imaginé.

– Aucune idée, je ne l'ai rencontré qu'avant de quitter la maison.

    Aheen. Lucien en était certain ! Et pour répondre à la question, non il n'avait pas mangé. Il n'avait pas eu faim ce matin ni même réellement ce midi.

– Il saigne beaucoup; précisait la voix féminine. Aheen, viens avec moi, on va appeler ton oncle. Il à sa garde, non ?

    Aucun son ne parvint aux oreilles de Lucien avant qu'un bruit de porte ne se fasse entendre. Instruction donnée à quelqu'un, la personne devait rester avec le noiraud allongé jusqu'à ce qu'il revienne. Puis silence. Plus rien ne se fit entendre avant un soupir sur son côté droit, indépendant de Lucien.

– J'aurais dû te laisser manger la pomme; s'apitoya légèrement la voix; au lieu de te poser toutes ces questions.

    Neeve, donc. Se sentait-il responsable de son état ? Lucien aurait pu lui dire que non, mais déjà qu'ouvrir les paupières relevaient du défi, alors parler, n'imaginons même pas ! Parce que oui, il avait réussi à amener la lumière naturelle à ses pupilles et il distinguait de nouveau des choses. Dont le jaune canari de la pièce, les meubles blancs en métals qui faisaient actes de présences comme s'ils n'était pas vraiment ici. Ce rideau transparent et immaculé qui volait légèrement au rythme des petites poussées de vent. La fenêtre était ouverte.

– Ah ?; s'étonna la voix, le soulagement dans les teintes de son souffle; tu nous reviens ?

    Papillonnant quelques micro-secondes pour adapter ses pupilles à la clarté de l'endroit, Lucien se demandait ce qu'il voulait dire par là mais surtout ce qu'ils faisaient ici. N'étaient-ils pas à l'extérieur juste avant ? Il n'avait aucune notion du temps qui était passé. Confus, Lucien fronça les sourcils avant de tourner son regard dans la direction de Neeve. Le garçon, assit bien droit sur une chaise, lui souriait de manière compatissante, le regard tout de même empli d'un "désolé". Malgré son visage détendu, il montrait des signes de stress qui ne trompait pas. Les mains entre les genoux, sa cuisse gauche tressautait, et ses épaules étaient trop raides pour cacher son inquiétude.

– Fallait me le dire si tu voulais visiter l'infirmerie, Lucien; plaisanta-t-il en tâchant de se détendre.

    Lucien lui aurait bien répondu que ce n'était pas le cas, cependant son esprit s'était soudainement blanchi de toute pensée. Ce fût pile au moment où il avait entendu son nom. Interloqué, le noiraud fronça les sourcils.

– Tu connais mon nom ?

    Neeve opina du chef avant de désigner la petite plaquette sur le haut gauche de sa chemise. Lucien baissa donc ses yeux sur l'objet froid et blanc quand il comprit qu'une part de lui aurait aimé que le garçon le connaisse autrement que par un écriteau sur sa poitrine. Pourtant en y réfléchissant bien, comment aurait-il pu le connaître autrement ? Déçu malgré lui, Lucien hocha lentement la tête en se pinçant les lèvres.

    À peine une minute plus tard, la porte s'ouvrit, faisant sursauter Neeve qui se tourna immédiatement vers une femme vêtu de blanc, les cheveux attachés en queue de cheval basse, en aucun cas la couleur rouge ne rassurait Lucien qui la toisa, se demandant ce qu'elle voulait et qui elle était.

– Réveillé ? Parfait; commença-t-elle en faisant le tour du lit sur lequel il reposait. Je suis l'infirmière du lycée.

    Une réponse validée, manquait plus que la deuxième.

– Neeve et Aheen t'ont amené car tu aurais fait un malaise dans la cour, tout à l'heure.

    Non, il n'avait pas envie de lui parler. Alors il tourna la tête vers Neeve qui hocha seulement du menton. Lucien l'imitait aussitôt.

– En cas de simple malaise, je t'aurais seulement donné un sucre et du pain; l'informa-t-elle en tenant un petit sachet blanc entre ses doigts; mais ton cas dépasse mon matériel scolaire. On a appelé le docteur Zliot, il ne devrait pas tarder.

    Il la considéra quelques instants avant qu'elle ne se lève et ne lui demande d'ingurgiter le sucre. Suite à ça, elle sortit de la salle, Aheen sur ses talons. Assimilant le fait qu'il n'avait plus le choix de retourner à l'hôpital, il fixa distraitement le sachet dans sa main, déglutissant avec difficulté. Comme il aurait tant aimé mal entendre ! Il était pourtant certain d'avoir parfaitement compris ses mots. Le deal n'était plus d'actualité, n'est-ce pas ?

– Je savais que je te gênais; tenta Neeve pour rompre le silence pesant.

    Il n'avait pas remarqué que le blondinet n'avait pas suivi les deux autres, il tourna vivement son regard vers lui.

– On peut dire que ma beauté t'a littéralement fait tomber dans les pommes; avec un rire faussement sérieux, bousculant son épaule très légèrement.

    Mais Lucien ne fît que le toiser. Sincèrement il l'avait entendu, mais il n'était plus vraiment d'humeur à se prêter à ses plaisanteries. En fait, Lucien était plus désolé que le garçon se retrouve dans cette histoire alors qu'il voulait juste manger. Quelle heure était-il ? Il devrait peut-être finir son repas de fortune.

    Le sourire de Neeve s'atténua lentement à mesure qu'il prit conscience que Lucien ne rirait pas. Embarrassé par le manque de réaction du garçon, Neeve se racla la gorge doucement en baissant les yeux.

– Tu n'as pas dit que tu ne te sentais pas bien; à voix basse.

– J'aurais dû ?

    Manifestement pas la réponse qu'il désirait entendre. Neeve se mit à rire de nervosité avant de se gratter la nuque.

– Non, peut-être pas, j'en sais rien; hésita-t-il, puis il trouva les pupilles noires de Lucien; mais j'aurais pu t'aider.

– Comment ?

    L'échange de regard qui s'ensuivit ne semblait pas plus donner de réponse. Neeve n'aurait de toute façon rien pu faire, si ? Le blondinet finit par hocher la tête avant de se lever, sous le regard interloqué de Lucien qui se demandait où il allait ?

    En fait, Neeve s'en était tout simplement allé, fermant la porte sans un regard en arrière.

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