4 : #EBFCC2

        Une nouvelle matinée, encore ce soleil à peine levé et les bruits de leurs chaussures sur le goudron. C'était sa cinquième journée dans ce qui s'appelait lycée, et dont les paroles qui y étaient dispensées intéressaient le jeune homme qui s'était vu poser moulte questions par le médecin lors de leur dîner, le premier soir. Lucien s'était plutôt fait discret, à vrai dire. L'idée de parler ne lui avait pas plus tapé l'esprit que cela.

    Face à ses une réponses sur cinq, le docteur s'était inquiété quant à son intégration, de la difficulté du niveau scolaire ou bien de ses potentielles lacunes dû à son amnésie. Alors il avait questionné son neveu pour s'assurer qu'il n'ait pas été seul pour son premier jour. "Nahara m'a dit que ça s'était bien passé" avait été la seule affirmation qu'Aheen avait sorti. D'un certain sens, Lucien appréciait l'inquiétude du poivre et sel. Il n'avait plus l'impression d'être seulement un patient en convalescence mais plus un adolescent dans un milieu inconnu.

    En revanche, ce qu'il ne comprenait pas c'était l'attitude d'Aheen à la sortie de l'établissement. Lorsque la fin des cours avait sonné, Aheen avait aperçu son nouveau colocataire avec Rith. Lucien avait croisé le garçon dans les escaliers et s'était retrouvé à écouter son récit de sa longue journée, malgré lui. Quoique ça ne l'avait pas plus dérangé que cela. Aheen s'était soudainement incrusté dans la conversation et avait froidement rejeté Rith. Lucien avait été choqué par son comportement, ainsi que par le regard de Rith, qui avait légèrement hérissé les poils de l'amnésique. Il n'avait réussi à cerner cette tension entre les deux. Et sincèrement, il ne voulait pas vraiment le savoir non plus !

    Aheen avait pris les devants par la suite et ordonné à Lucien de le suivre, qu'ils rentraient et qu'il ferait mieux de ne pas traîner. Ne connaissant pas le chemin du retour, il s'était dépêché de le suivre après avoir servi un fin sourire désolé au garçon. Pourtant, il n'avait pas questionné Aheen. À vrai dire, il n'avait pas eu besoin puisque le neveu s'était aussitôt empressé de qualifier Rith de "mauvaise fréquentation". Mais qu'est-ce que ça signifiait ? Jusqu'à présent, du moment où l'avait rencontré jusqu'à cet instant, il avait été sympa.

    Alors, lorsque cette nouvelle journée s'annonçait déjà comme la précédente, Lucien s'attendait à revivre la même que celle de lundi et celle d'hier. À retrouver les deux filles près d'arbres, à croiser le regard glacial de la rouquine et le sourire trop lumineux de l'autre. Pourtant, quand le neveu s'était éloigné de lui en lui demandant d'attendre, le temps que Nahara le rejoigne, il n'avait pas eût à rester seul bien longtemps. Lucien avait rapidement croisé le regard de Rith, le même machin dans les mains. Il n'avait toujours pas idée de ce que c'était mais apparemment, Rith y tenait. L'adolescent s'était rapproché du nouvel étudiant, qui n'avait pas bougé d'un poil.

– T'es quoi ?; commença-t-il en le regardant de haut en bas; son chien ?

    Lucien fronça les sourcils. C'était dégradant et méchant. N'avait-il donc aucun tact ?

– Et toi ?; voulut-il se défendre; il ne t'a pas dit de ne pas m'approcher ?

– Parce que tu crois que je vais l'écouter ? Lui ?

    Rith se mit à rire quelques instants comme si c'était absurde.

– Plutôt me couper la main !; d'une voix basse comme si cela était un secret.

    Il y avait un différent que Lucien ne comprenait pas. Pourquoi est-ce que les deux ne semblaient pas se supporter ?

    Un peu surpris par l'hyperbole de ses propos, Lucien eut un mouvement de recul en écarquillant les yeux.

– Je ne rigole qu'à moitié; précisa-t-il.

    Pas convaincu de cela, Lucien le toisa quelques instants avant de regarder le hall rempli d'élèves. À y réfléchir plus sérieusement, il n'avait eu aucune forme de familiarité avec le bâtiment dans son ensemble. Rien ne semblait lui dire quelque chose. Rien que le mot 'lycée' lui était précédemment inconnu. D'après ce qu'il avait compris du monologue de Rith de la semaine, les paroles dispensées par des adultes s'appelaient 'cours', leurs métiers étaient 'prof' ou 'professeur', et la pause repas était en grande partie dans la pièce appelée 'réfectoire'. Quatre nouveaux mots appris, Lucien se sentait un peu plus en confiance quant au fait d'entendre les autres parler. Il ne sentait plus en reste.

    Quant aux 'cours', il n'était pas aussi dépassé et affolé que monsieur Zliot pensait. À vrai dire, la majorité des choses lui paraissait intuitive. Ce qu'il n'expliquait pas vraiment.

– Lucien; l'appela Rith doucement.

    Attentif, le garçon tourna toute son attention vers lui.

– Mangeons ensemble ce midi; proposa-t-il avec un sourire content; ça me fera un copain avec qui discuter.

    Copain ? Discuter ? Jusqu'à présent il ne connaissait que son nom et le fait qu'il parlait plus qu'il ne respirait. Mais soit, il se sentait plus à l'aise avec Rith qu'avec le groupe d'Aheen. Pour toute réponse, Lucien hocha la tête.

– Cool. On se voit ce midi alors !

    Puis Rith disparut dans la foule d'élèves dans le hall. Il n'avait même pas précisé où ils devaient se retrouver. Lucien sursauta légèrement en entendant une voix féminine, presque glaciale :

– Pourquoi tu lui parlais ?

    Nahara venait d'arriver, comme l'avait dit Aheen. Avec ses cheveux attachés en haute queue de cheval, il ne savait pas trop s'il devait se méfier d'elle aujourd'hui ou non. Ça lui tirait les traits, et ce n'étaient pas ses lunettes rondes qui allaient les adoucir ! Lucien haussa les épaules. C'était si mal que quelqu'un d'autre qu'Aheen lui parle ?

    Et, effectivement, Lucien était beaucoup plus détendu que ce qu'il ne s'imaginait. Sa tête semblait moins peser sur ses épaules et ses trapèzes s'étaient inconsciemment relaxés, faisant presque tomber son sac maladroitement calé sur son épaule. Le trajet jusqu'à la salle de classe s'était fait en silence, cela ne dérangeait pas le jeune homme qui commençait la journée de meilleure humeur. Nahara aurait sûrement aimé une réponse à sa question mal venue, néanmoins elle ne l'aurait pas aujourd'hui.

    Même lorsqu'il s'était assis à une place encore libre, sous le regard des autres, il ne se sentait pas nerveux. Lucien avait tranquillement sorti ses affaires avant de les placer sur sa table de façon ordonnée et symétrique. Cependant, il ne fallait pas pousser le bouchon non plus, les murmures à son sujet le rendaient mal-à-l'aise. Il tenta distraitement de regarder le livre, qu'il voyait pour la première fois, qui indiquait "latin" dans une jolie police d'écriture. Latin ? C'était quoi ? Un nouveau sujet dont monsieur Zliot doutait des capacités du garçon ?

    Tournant les pages par curiosité, Lucien lisait moult sujets plus ou moins détaillés. C'était tout autant du charabia inexploré que les livres en Anglais d'hier. Il se fit gentiment déranger par une petite tape sur l'épaule, à laquelle il se retourna pour constater le même livre à hauteur de ses yeux, qui cachait le visage de la personne derrière. Vu sa position dans les airs, c'était le même camarade qu'hier. Il lui pointait le numéro de page de son index. Sa phalange grande et élégante ne trompait pas, la personne était certaine de son information.

    Immédiatement, Lucien se mit à chercher le bon sujet, faisant défiler devant ses yeux des images diverses et variées. Bingo ! Il tomba sur les mêmes mots que lui avaient montrés l'élève. Il n'avait aucune idée de qui était derrière lui, à vrai dire. Mais elle était plus sympa que les autres camarades.

    Se repositionnant sur sa chaise, il se mit à lire l'ouvrage jusqu'à ce que la sonnerie ne retentisse. L'arrivée du professeur avait été imminente et ce fût son camarade de classe, toujours Franck, qui l'avait sommé discrètement de se lever avant une potentielle réprimande de l'adulte. Ni une, ni deux, Lucien s'exécuta.

    Au devant de la classe se trouvait une petite femme qu'il avait croisé hier dans le secrétariat. Elle possédait une prestance qui avait cassé sa voix lorsqu'il avait demandé ses livres à l'employée de l'établissement. Était-ce ses yeux bleus, sous des lunettes rectangulaires, ou son tailleur noir souligné d'une grande chemise blanche qui lui mettaient le plus de pression sur les épaules ? Elle semblait aussi très stricte, c'était sûrement cette aura carrée qui le fit se tenir un peu plus droit et s'asseoir un peu mieux pour suivre le cours qui débutait déjà. Il y avait un silence impeccable tout le long du cours. Et, aussi surprenant pour lui que pour les autres, il semblait être le seul à ne pas être à la ramasse dans cet enseignement-ci. Il avait fini les exercices en un rien de temps et sans la moindre faute.

    Lorsque la troisième sonnerie de la quatrième heure de cours se manifesta, Lucien avait l'estomac dans les talons. Il avait donc rapidement rangé ses affaires, prenant quand même soin de bien les ordonner avant de sortir de la classe parmi le troupeau d'élèves, qui se ruait pour rejoindre la grande pièce d'hier. Aujourd'hui, il n'avait pas attendu Nahara, qui lui avait couru après pour lui demander où il allait. Il n'avait pas eu le temps de répondre, quoi que l'envie ne s'était pas présentée, puisque Rith venait d'arriver vers eux en descendant l'escalier. L'appellation de 'Lulu' utilisée par le garçon avait surpris Lucien, d'autant plus qu'il s'était permis des libertés à attraper son cou de son bras. La tronche que la blondinette avait tirée aurait pu être gravée sur une pierre blanche !

    C'était sans plus d'explication que Nahara avait accéléré le pas pour s'éloigner d'eux. "Elle est jalouse que je t'accapare pour déjeuner !" avait plaisanté Rith et Lucien avait de suite supposé que cela était vrai. Amusé de ses propres paroles, Rith s'était ensuite étiré. Il ne semblait pas le moins du monde perturbé qu'au moins deux personnes ne l'apprécient guère dans l'établissement. Il semblait même bien s'en moquer ! Lucien l'avait suivi jusqu'à de grandes portes vitrées, qu'il ouvrit sans mal, et continuait jusqu'à ce que Rith atteigne une table libre un peu cachée derrière un mur, sur la gauche de la grande cour.

– J'espère que tu as faim; jetant presque son sac sur la table de pierre; parce que moi je crève la dalle !

    Pour toute réponse, Lucien haussa les sourcils. Il crevait ? Il souffrait ? Pas le moins du monde inquiet par l'expression de Lucien, Rith s'affaira à fouiller dans son sac avant d'en sortir deux sandwichs et deux poires, qu'il prit soin de poser sur un petit bout de tissu gris.

    Intrigué, Lucien fixa la nourriture d'un drôle d'œil.

– Comme je supposais que tu n'as rien pris pour manger, je me suis permis de te prendre la meilleure marque de sandwich du pays.

    Lucien considéra son vis-à-vis comme si cela était la première fois qu'il le voyait. Tout content, Rith désigna les deux pains du menton.

– Vas-y, choisis.

    Peu sûr, Lucien observa les inscriptions sur les emballages avant de prendre le moins extravagant des deux. Sans plus attendre, le blond se jeta sur le deuxième pour immédiatement croquer dedans, soupirant d'une satisfaction qui amusait Lucien. Il fixa le garçon en se demandant comment se faisait-il qu'il soit si différent d'Aheen. Rith paraissait plus... simple. Même son mouvement pour retirer ses cheveux de son nez lui semblait inoffensif.

– Y'a rien à dire, la bouffe c'est vraiment la meilleure chose au monde !; mâcha-t-il, la bouche pleine.

    Curieux de ce fameux "meilleur sandwich du pays", Lucien croqua dans le sien. Et effectivement, il n'était pas du tout mauvais. Il découvrait un pain moue qui lui collait aux dents, du beurre qui rendait sa langue légèrement grasse et le jambon demandait du temps pour être assez déchiqueté. Cependant, il appréciait beaucoup le goût de ce que Rith lui partageait.

– Dis Lucien; commença le blond; tu viens d'où ?

    Lucien se figea. Il venait d'où ? C'était vrai ça, où était-il né ? Grandit ? Étudié ?

– Je parierais presque du sud; renchérit Rith. Tu as un petit accent chantant. Quoi qu'il est vachement discret !

    Il dévisagea le garçon quelques instants avant de baisser les yeux. Ah bon ? Les personnes venant du sud avaient un accent différent ? Il avait pourtant l'impression de parler comme lui. Or, à vrai dire, ce n'était pas ça qui avait piqué son cœur. C'était le fait qu'il n'y ait jamais pensé, réfléchi. À l'hôpital, il avait entendu des patients parler du fait que le nord était quelque chose, que les rumeurs étaient fausses et que la pluie ne les accueillait pas tous les jours. Quelque part, ils avaient eu l'air déçus. Lucien avait supposé qu'il se trouvait actuellement au nord du pays. Ça signifiait qu'il n'était vraiment pas du coin ? Mais comment avait-il atterri ici ?

    Le long silence qui anima Lucien fit relever les yeux de Rith sur lui, il l'avait senti.

– Quoi ? J'ai faux ?

    Le noiraud chercha longuement dans sa mémoire, à la recherche de la moindre parcelle d'information concernant son origine.

– Lucien, tu m'écoutes au moins ?

    Le garçon releva son attention vers lui, étonné qu'il ne l'interpelle ainsi.

– Ça ne sert à rien que tu te mettes dans un état pareil si ma question te met trop mal-à-l'aise. Laisse tomber j'ai pas besoin de savoir.

    Ce qui déboussola un peu plus Lucien.

– Je ne sais pas; avoua finalement le noiraud.

    Rith fronça les sourcils.

– Tu ne sais pas ? Tu as oublié d'où tu viens ? Tu n'es pas arrivé avec ta famille ?

    Honnête, Lucien secoua la tête. Jusqu'à preuve du contraire, il était on ne peut plus seul au monde qu'Aheen n'aimait pas Rith. C'était du quasi 100% sûr !

– Comment ça se fait ?

    D'après monsieur Zliot, cela était dû à la foudre ou il ne savait trop quoi. À vrai dire, Lucien avait eu du mal à tout retenir, ça avait fait beaucoup d'informations dès le premier jour.

– Attends, mais tu habites où ?; voulut-il savoir en fixant Lucien comme s'il était une bête de foire.

– Chez Aheen; sonnant plus dépité qu'il ne l'était vraiment.

– Sacrée de colocation, dis moi !

    Vu son ton et l'expression même pas amusée qu'il avait eu naturellement sur le visage, Rith ne pensait pas un mot de ce qu'il disait.

– Mais ça veut dire que tu es sous le même toit que le docteur Zliot ?; déduit-il aussitôt. C'est mon médecin traitant depuis que je suis arrivé.

    Tout s'explique.

– Tu sais, paraît qu'il a fait déménager son bureau à l'hôpital pour éviter d'utiliser trop sa voiture; confia Rith en finissant sa bouche; il est vachement à cheval sur l'écologie d'après les rumeurs.

    Écologie ? Quel rapport avec son engin de fer ? Perdu dans sa réflexion sur un potentiel souvenir du mot "écologie", il ne se rendit même pas compte de fixer sans ciller Rith.

– Me regarde pas comme ça ! Je suis aussi contre les voitures !

    Alliant parole à preuve, il attrapa sa planche noire et dure sous son sac, ayant lâchement abandonné son sandwich au profit de son objet bizarre. Pour le coup, il ne se rappelait pas plus de ce qu'était un téléphone que ce que lui montrait son camarade. Les quatres petits cercles ressemblaient un peu à ce qui était accroché à la machine de fer du docteur, qui roulait sur eux-mêmes pour faire avancer le véhicule. Sauf que là, c'était tout petit et d'une couleur qui agressait les yeux.

    Lucien n'était pas convaincu que comparer l'information sur monsieur Zliot et la chose dans ses mains aient vraiment un rapport.

– Un skate-board c'est tellement plus pratique qu'une caisse. Même pas besoin d'essence !

    Lucien plissa les yeux. Non, définitivement il ne comprenait pas un traître mot de ce qu'il disait.

– Tu n'as pas l'air de me croire; lâcha Rith déçu.

    Son visage convaincu s'évanouissait.

– C'est quoi ?

    Rith fut tout bonnement choqué. Bah quoi ? S'il s'attendait à ce que le noiraud acquiesce tout bêtement, c'était aussi futile que se mettre un doigt dans l'œil. Lucien n'avait aucune idée de ce qu'était cette chose, il n'allait tout de même pas dire amen à n'importe quoi ?

– Comment ça 'c'est quoi' ? C'est la meilleure invention de notre siècle !

    Persuadé de ses dires, Rith se précipita hors de la table pour se mettre debout un peu plus loin, à deux pas. Et ce, sous le regard d'incompréhension du garçon qui avait sursauté à ses mouvements rapides. Il l'avait à peine vu se décaler autant. Avait-il couru ? Son empressement était inattendu.

    Rith déposa sa planche sur le goudron sec de la cour, rattrapant une extrémité de son pied pour la maintenir à moitié en l'air. Il n'allait tout de même pas jongler avec, si ? Elle paraissait assez solide et lourde pour engendrer des blessures. Interloqué, Lucien considéra son amical, ayant eu un mouvement de recul dès lors que l'objet eut touché le bitume.

– Tu n'as jamais vu personne en faire ?

    Lucien secoua la tête. Non. Et si ça avait été le cas, cela s'était effacé de sa mémoire.

    Une demi-seconde plus tard, Rith prit de l'élan, ledit skate-board dans la main, avant de se mettre à courir et de grimper sur l'objet. Choqué, Lucien s'était levé d'un bond en regardant l'adolescent glisser sur l'asphalte sans que ses pieds ne bougent de la planche. Les roues tournaient à une vitesse impressionnante et le bruit était conséquent. Il résonnait dans toute la cour.

    Lucien ne réussit aucunement à détourner les yeux du garçon. Il avait l'impression de le voir voler. En fait, il ne savait pas trop comment décrire ce qu'il se passait devant lui. Rith progressait avec aise dans l'espace vide du bâtiment comme si cela était aussi facile que de marcher ou respirer. Il slalommait sans que Lucien ne comprenne pourquoi. Il tournait, prenait de la vitesse grâce à son pied raclant le béton. C'était tout bonnement bluffant !

    À un moment, quelques minutes après, Rith tourna son regard dans sa direction pour lui sourire. Il était apparemment content de montrer cela au nouvel élève. Mais ça ne dura pas longtemps...

– Skater en pleine cour et dans l'établissement est interdit; tonna une voix masculine.

    Elle était éloignée et avait fait tourner les deux garçons dans sa direction. C'était l'inconnu, un livre à la main et son sac sur une épaule, qui venait de réprimander Rith. Lunettes sur le nez, il dégageait quelque chose que Lucien n'aurait su expliquer, car il n'arrivait pas à cligner des paupières ou à se détourner jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le bâtiment.

– Je ne l'avais même pas vu, lui; se plaint Rith.

    Lucien non plus, ça l'avait surpris de le revoir aussi vite. Lorsque la porte se ferma derrière lui, Lucien entendit enfin que Rith l'appelait. Le regard malicieux et étonné que lui servit le blond lui fît froncer les paupières.

– Quoi ?; dit-il sur la défensive, tandis que Rith posa son skate sur le petit banc qu'ils occupaient plus tôt.

– Non, rien; rit-il, levant les mains en l'air.

    Or Lucien ne comprit pas et resta planté debout alors que Rith s'asseyait pour reprendre son sandwich en main. Il ne l'avait en aucun cas laché du regard.

– Arrête de me fixer, Lucien. Je vais finir par rougir !

    Lucien suivit son mouvement à peine une trentaine de secondes plus tard, reposant son postérieur sur le froid de la pierre, regardant à nouveau en direction de la bâtisse pour voir si le garçon y était toujours. Il entendit à peine pouffer Rith, trop concentré à tenter d'apercevoir sa silhouette.

– On est intéressé par Neeve ?

    Lucien se retourna vers l'adolescent qui souriait en coin, sûr d'avoir visé juste.

– Je t'ai vu le regarder comme ça, l'autre fois aussi.

– Comment ?; demanda le noiraud en fronçant les sourcils.

– Je ne sais pas, à toi de me dire !

    Le clin d'œil complice qu'il lui offrait fit tourner la tête de Lucien sur le côté. Mais que racontait-il ? Il se demandait juste qui il était. Puis avec son manque cruel de souvenirs, il n'allait pas essayer de faire ami-ami si le garçon le connaissait. Et s'il disait une bêtise ?

– Par contre tu n'as pas l'air de savoir que c'est genre le meilleur ami d'Aheen; accentuant la particule comme si c'était l'information de l'année.

    Le visage du noiraud s'était décomposé. Il avait senti tous ses muscles s'affaisser vers le sol comme si un poids inexplicable s'y était posé. Donc Aheen était proche de lui ? Ça expliquait sûrement le fait qu'il ait croisé le neveu le même jour que ce Neeve, la première fois que Lucien était descendu de sa chambre. S'il les avait qualifiés de meilleurs copains, ça signifiait qu'Aheen était quelqu'un de suffisamment sympa pour avoir une telle relation avec quelqu'un, non ?

– Quoi que, Neeve est un million de fois plus fréquentable qu'Aheen.

– C'est quoi le problème avec lui ?; demanda l'amnésique à qui la question commençait à sérieusement démanger les lèvres.

    Rith se figea. Était-ce l'interrogation à ne pas poser ? Vu ses traits durcis, cela n'était pas une partie de plaisir de se remémorer le pourquoi ça n'allait pas avec lui.

    Se remémorer... C'était toujours aussi douloureux ? Ou agaçant ? Peut-être que c'était agréable, au contraire ? Lucien aurait aimé savoir, et comprendre pourquoi Rith avait soudain dramatiquement levé les yeux sur lui. Le dégoût qui s'y reflétait interpella Lucien.

– Disons que c'est compliqué, qu'en parler ne ferait que...gâcher notre délicieux repas.

    Répondre pour ne pas le faire. C'était si complexe qu'il le disait ? Et qu'est-ce qui venait obscurcir cette relation ? Était-ce grave ?

    Ne voulant pas que Rith ne soit désagréable dans ses futures prises de paroles, Lucien hocha seulement la tête avec un regard désolé.

– Mais passons; plus détendu qu'il y a deux secondes; j'ai encore plein de choses à te demander ! Comme... hum, je ne sais pas ? T'as des frères ou sœurs ?

    Haussement d'épaules.

– T'es né quand ?

    Nouvelle réponse négative.

– Ton sport préféré ?

    Lucien secoua la tête.

– Tu ne sais que dire "j'en sais rien" ?

– Parce que je ne sais pas; dans un soupir qui reflétait toute sa peine.

– Comment ça "tu ne sais pas" ? T'es amnésique ?

    Il opina du chef cette fois-ci.

– Dément !; souffla-t-il tandis que sa bouche s'ouvrait en grand.

    Dément ? Non, il n'était pas fou d'après les médecins. Juste perdu et sans mémoire, rien de très maladif dans cela.

– Et genre, tu ne sais vraiment rien ?

    Non, toujours rien. Et c'était agaçant au possible. Handicapant aussi.

– Ils t'ont pas fait d'hypnose à l'hosto ?

    Depuis le moment où il s'était réveillé jusqu'à maintenant, non il n'en avait pas le souvenir. Et lui seul savait bien qu'ils étaient moindre et qu'il s'en rappellerait.

– Hum, étrange. Et t'as déjà cherché sur internet, genre en tapant ton nom et ton prénom ?

– Internet ?

    Silence. L'un regardait son voisin comme s'il sortait tout droit d'un vaisseau spatial, tandis que l'autre le considérait dans l'attente d'une définition sur ce qu'était ce 'internet'.

– T'es un phénomène, Lulu.

    Lulu ? Encore une fois ? Était-ce une sorte de surnom affectif qu'ils se donnaient entre eux ?

– Viens !; lança-t-il en rangeant ses affaires de manière désordonnée dans son sac. Suis-moi, on a encore du temps avant que ça ne sonne.

    Pris dans la tourmente de sa précipitation, Lucien se trouva à bêtement le suivre. Il avait attrapé son sac à la volée et le talonnait au pas de course. Il n'avait pas la moindre idée d'où ils allaient, mais si Rith partait en lui demandant de venir avec lui, il ne voyait pas pourquoi il refuserait.

    Le blond ouvrit la porte avec une force extraordinaire avant de se ruer vers l'escalier du hall, vérifiant bien que Lucien le suivait. En deux temps trois mouvements, ils étaient arrivés devant un battant jaunâtre juste en face des marches. Pourtant assez imposante, Lucien ne l'avait jamais remarqué. Sans la moindre hésitation, Rith actionna la poignée. Néanmoins le battant ne s'ouvrit pas. Surpris, il recommença deux fois avant d'abandonner. Elle était fermée, et ce ne fut que lorsqu'il se décala que les deux purent voir le minuscule post-it sur la porte de gauche, discret, où il était dit 'documentaliste en congé maladie, fermé aujourd'hui'.

– Mais non ! Pas aujourd'hui ! Ce n'est pas cool ça; se lamenta Rith avant de se tourner vers Lucien. Je suis désolé je ne peux pas te montrer maintenant.

– Montrer quoi ?

– Comment fonctionne internet, on aurait même peut-être pu trouver quelque chose aujourd'hui ! Tant pis, on verra lundi.

    Lucien fixait avec perplexité son vis-à-vis venu lui tapoter l'épaule avant de faire chemin inverse. Sans un mot, Rith venait de partir juste un peu avant que la sonnerie ne retentisse, la première sur deux. Et d'après sa mémoire, Lucien avait cours à treize heures. Pourtant, il avait bien mis une vingtaine de longues secondes avant de bouger de son état statique. Il était encore en train de réfléchir à comment fonctionnait le cerveau du garçon et comment se faisait-il qu'il soit si tout feu tout flamme.

    Et il avait voulu chercher quoi, au juste ?



        Lucien était penché sur ses bouquins. Ils s'étaient installés dans la bibliothèque adjacente du lycée, qui restait ouverte aussi le samedi pour les élèves qui cherchaient du calme. C'était du moins ce que Aheen lui avait expliqué en lui proposant d'aller les faire là-bas. Son oncle organisait une petite fête dans la journée avec ses amis. Le neveu n'avait pas envie de prendre part à cela et avait emmené le jeune homme avec lui. "Je te sauve de curiosités inintéressantes" avait-il prétexté pour tenter de le convaincre. Lucien l'avait seulement suivi parce que Nahara avait proposé de l'aider pour son retard.

    Au départ, Lucien n'avait pas compris ce que lui disait le noiraud, de quels devoirs il parlait et surtout de quelle matière. 'T'inquiète pas, ce n'est pas énorme' ainsi que son explication de sauvetage. Une heure plus tard, ils s'étaient donnés rendez-vous devant la porte de la bibliothèque, et effectivement tous étaient à l'heure convenu par le neveu. Trois heures de l'après-midi, si Lucien avait bonne mémoire. Ce n'était pas qu'il l'avait espionné mais Aheen l'avait dit à voix haute dans un petit boitier noir étrange qu'il avait porté à son oreille. Téléphone portable, l'avait-il appelé. Apparemment ça servait à tout et à rien à la fois. Lucien n'avait pas compris le concept, pour être honnête.

    Arrivés sur place, Lucien avait remarqué Lyssa, qui lui servait le même regard que les dernières fois. Aussi meurtrier que le dégoût de Rith lorsque le sujet Aheen était abordé. Comment mettre à l'aise le garçon qui avait aussitôt détourné le regard. Inconfortable. Ils étaient ensuite entrés dans l'immense pièce qui abritait nombre de livres sur d'immenses étagères de bois brillant, elles bordaient les murs. Les tables et chaises, parfois occupées par des élèves plongés dans la lecture ou à gratter sur des cahiers, étaient placées au centre en entrant. Il n'y avait aucun bruit, ou presque. Ce fut ce qui choqua Lucien en premier lieu. Sans compter le fait que ce soit très lumineux et gigantesque.

    Le petit groupe s'était assis à une table vide, tachant de faire le moins de bruit possible. Aheen lui avait expliqué qu'il valait mieux se taire pour éviter de déranger les autres, c'était un lieu de silence. Pour essayer de détendre Lucien, qui avait hoché la tête comme si sa nuque était devenue une pierre, il avait plaisanté en comparant l'endroit au réfectoire. Pour toute réponse, non ça n'avait pas amusé Lucien.

    C'était donc comme cela qu'il se retrouvait à côté de la blondinette de sa classe, elle aussi plongée dans la concentration. Lucien lisait parfois des choses qui lui étaient inconnues, si cela n'était pas expliqué en cours il était perdu. Il griffonnait sur ses feuilles des mots clés et les pages où ils les avaient trouvé, dans l'intention de demander des renseignements plus tard. Hier, en retrouvant Rith à la sortie des cours, il s'était précipité de lui proposer son aide s'il en avait besoin. Qu'avec le manque considérable de mémoire qu'il avait, Lucien devait être perdu et devait se sentir seul. Cela était ses propres réflexions, en aucun cas le concerné n'avait parlé d'un tel isolement au garçon. Cependant, il l'avait remercié silencieusement de se porter volontaire.

    Cela faisait environ une semaine qu'il était entré dans cet établissement, qu'il suivait divers cours avec différentes personnes, et toujours entouré des mêmes camarades de classe. Lucien avait appris beaucoup de choses en si peu de temps, il se demandait même s'il pourrait tout retenir. Les professeurs leur conseillent de bien apprendre tous les soirs les informations données le jour même. Lucien, quoi qu'exempté un temps soit peu, avait l'impression de devoir rattraper un retard énorme. Et pourtant, d'un autre côté, il avait cette sensation de déjà connaître ce que les adultes dispensaient. L'histoire et géographie paraissaient quelque peu intuitives, les langues aussi simple que de respirer, il n'avait aucune difficulté avec l'Anglais ou le latin que le lycée enseignait. Nahara avait dit que cette matière n'était pas principale, que les élèves étudiants cette langue morte n'étaient pas nombreux, et que c'était à cause de cette raison qu'il s'était retrouvé dans cette classe-ci. Le docteur Zliot et les professeurs lui avaient assuré qu'il n'avait pas besoin de suivre cet enseignement puisqu'il n'était que temporaire. Ses présences ne seraient donc pas comptabilisées pendant ces cours-ci.

    Pourtant il était allé à toutes les heures qui avaient été dispensées jusque là. Et il n'avait fait face à absolument aucune difficulté quant à la compréhension et au suivi des leçons. Étrangement Lucien ne prenait pas de notes dans ceux-ci, car il pouvait presque prédire ce que dirait le professeur en histoire, écoutait la géographie avec ce sentiment de répétition, répondait en Anglais sans soucis et sans fautes, et lisait latin comme s'il bouquinait un livre pour enfant.

    Ce qui lui posait plus de difficultés était la littérature et la politique dont le cours facultatif ne serait pas non plus compté dans ses examens. Néanmoins la compréhension était essentielle au jeune homme, qui ne voulait pas se sentir à côté de la plaque et distancé par les autres juste parce qu'il était arrivé en 'milieu d'année'.

    Malheureusement les seuls devoirs donnés pour la semaine, il les avait déjà bouclé en deux-deux, répondant parfois plus que nécessaire pour gagner un peu de temps sur le moment où il allait devoir attendre les autres. En relevant les yeux vers eux, ils lui semblaient être au beau milieu du travail donné et que la fin serait plus lointaine que ce qu'il s'imaginait.

    Après dix minutes de maintes vérifications, Lucien ne pouvait plus faire semblant, il avait déjà fini. Se redressant complètement, son regard tombait sur les têtes baissées de ses camarades. Visages en direction de leurs cahiers, stylos à la main, ils étaient muets de concentration. Lucien ferma le manuel d'histoire, pensant à bien retirer le crayon qu'il avait placé sur l'entre-page, le rangeant par la suite dans la petite trousse qu'Aheen lui avait prêté.

– Tu as déjà fini ?; demanda Nahara dans un chuchotement bien bas, auquel Lucien n'osa pas répondre à haute voix, se contentant de hocher la tête. Tu peux aller chercher un livre pour lire si tu veux.

– Je peux ?

– Chut !; retentirent en chœur les voix des deux autres de la table, le regard de Lyssa lançant des éclairs noirs dans sa direction.

    Lucien ne s'était pas rendu compte que sa voix avait été aussi forte que cela, mais vu les regards levés des autres étudiants, il comprit que ce n'était définitivement pas une bonne idée pour lui de parler dans un tel endroit.

    Il se leva donc en pinçant les lèvres, prenant soin de soulever sa chaise, qui grinçait quand même sur le sol. Ni une ni deux il s'enfuit entre deux étagères plus loin, soudain stressé et paniqué. Il s'en voulait d'avoir dérangé les autres et aurait aimé rester caché ici jusqu'à ce que tout le monde s'en aille, et sûrement même après. La main sur le cœur, comme si cela allait le calmer de son soudain rush, il tentait de se changer les esprits en laissant son regard parcourir les tranches de livres de toutes tailles dont les couleurs et les matières divergeaient de manière presque aléatoire. Comment étaient-ils rangés ? Quel était l'ordre ? Comment s'y retrouver ? Des numéros étaient collés contre le bois sur le côté de chaque étage, séparé par une épaisse planche du même matériau. C'était aussi intriguant que vertigineux, il ne savait plus où donner de la tête.

    Lucien admira quelques secondes, laissant ses doigts vagabonder sur les tranches, s'arrêtant parfois pour lire les titres, jusqu'à en trouver un qui l'intriguait plus que les autres. En le sortant de son logement, il n'y trouva pas plus d'inscription que précédemment, seulement du cuir brun semblant neuf qu'il effleurait de la pulpe de ses doigts. En ouvrant le bouquin, il y vit d'abord une page blanche immaculée qui cachait l'écriture sur la feuille suivante, il lu en même temps qu'une voix inconnue :

– Roméo et Juliette.

    Sursautant légèrement, Lucien vrilla son regard vers la personne qui s'était aussi intéressée au livre. Et la présence fût surprenante. Neeve se tenait là, un roman contre son torse, une veste de costard couvrant légèrement le coin haut de son livre qui lui allait comme un gant, il était plus proche qu'il ne le pensait.

– William Shakespeare; cita-t-il, un fin sourire aux lèvres.

    Juste cette expression-ci paniquait le cœur, déjà violenté, de Lucien. Neeve paraissait aussi délicat et joli qu'une boule de coton. Autant admirable qu'un nuage dans le ciel. Sa cicatrice, près de son sourcil étant la plus visible, peignait l'ensemble d'une sorte de rayon de soleil.

    Il était encore plus beau que dans la cour hier ou que les autres fois où il l'avait vu.

– Tu vas le relire ?; demanda-t-il en plaçant son livre sur une étagère.

    Trop sous le choc, Lucien ne put que l'admirer en silence. Il était tout bonnement subjugué. Lucien savait-il même parler à cet instant ?

– Je t'ai fais peur ?; s'étonna-t-il à peine.

    Ne voulant pas qu'il pense qu'il le dérangeait, le noiraud secoua vivement la tête, se reculant d'un demi-pas pour ne pas perdre l'équilibre vers l'arrière. Sûrement amusé de sa réaction paniquée, Neeve rit doucement avant de passer son index sur deux trois tranches devant lui.

– Je ne pensais pas être si terrifiant.

– Ce n'est pas le cas; défendit aussitôt l'adolescent.

– Merci; souffla-t-il.

    Lucien venait-il de lui faire un compliment ? Ce fût plus fort que lui, il le fixait comme si cela n'était pas étrange.

– C'est gentil de confirmer que je ne ressemble pas à un grand méchant; renchérit le garçon avant de rigoler doucement.

    Lucien à son écho. Oui, il avait aussi doucement pouffer, le rouge sur le bout du nez, timide. Il avait trouvé les sonorités de son amusement extraordinaire ! C'était beau à entendre.

– Mais du coup; lorsqu'ils se calmèrent un peu; tu vas le lire ?

– Je... je ne sais pas; fixant le bouquin qu'il voyait pour la première fois.

– C'est un de mes livres favoris; confia-t-il; tu m'en diras des nouvelles si tu le prends.

    Puis, avec un fin sourire de sympathie pure, Neeve s'en alla d'un pas tranquille pour quitter les étagères aux milles bouquins. Hypnotisé, Lucien le suivit du regard sans ciller. Il admirait chacun de ses gestes, son élégance lorsqu'il s'approchait de la table d'Aheen et des deux autres filles. Cette finesse lorsque sa main s'était tendue vers le neveu, attrapant une feuille qu'il lui donnait. Cette distinction quand Neeve s'était mis à parler à voix basse, paroles que Lucien ne pouvait entendre.

    Ce ne fut que lorsque le blondinet disparu derrière le mur de la réception que Lucien s'était rendu compte d'avoir retenu sa respiration. Il ne réalisait pas qu'il venait de lui parler, de rigoler avec un inconnu et encore moins se dire qu'il allait lire un livre parce qu'on venait de lui conseiller, sur des goûts purement subjectifs.

    Un instant, le regard du noiraud s'était décalé vers la table des trois autres encore assis. Aheen aussi l'avait regardé partir. Mais sans doute pas pour les mêmes raisons. Peut-être que Neeve lui avait dit quelque chose de surprenant ? S'était-il demandé ce qu'il faisait là ou où partait-il ? Peu importait la raison, ça avait un temps soit peu affecté les émotions du convalescent. Lucien se cacha rapidement derrière l'étagère, le livre contre sa poitrine, son cœur avait drastiquement perdu de sa cadence et son sourire s'était évanoui à la vitesse de l'éclair.

    Qu'est-ce que Aheen lui avait donné ? Que s'étaient-ils dit ? Pourquoi l'avait-il regardé ainsi ?

    Lucien fit la moue, un léger sentiment triste dans le poitrail avant de regarder le livre de Shakespeare entre ses mains. En fait, peu importait ce qu'il s'était passé là-bas, Neeve lui avait adressé la parole et lui avait donné une information précise. Il appréciait cet ouvrage. Et à cet instant, Lucien voulait vraiment savoir pourquoi. Il ouvrit donc la couverture pour retomber sur le titre, s'y arrêtant quelques instants avant de commencer sa lecture. Début du premier acte, Lucien s'assit à même le sol, alignant les premiers mots imprimés dans une curiosité grandissante.

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