3 : #8CB923
Sa vie n'avait pas beaucoup changé depuis qu'il était arrivé.
De ce que lui avait dit Aheen, c'était le week-end et généralement ils ne sortaient pas. Sauf s'ils devaient faire des courses ou que l'adolescent partait voir des amis, ayant le permis et le véhicule pour se déplacer quand et où bon lui semblait.
Lors des repas, Lucien ne parlait pas plus, il écoutait plutôt ce qu'il se disait. Des potins sur des personnes que les deux relatifs connaissaient, quelques anecdotes que le noiraud racontait par-ci par-là, avec des noms qui revenaient souvent. Lucien assimilait les informations plus ou moins importantes, comme si elles allaient lui servir à quelque chose plus tard.
Puis, lors du dîner du dimanche, Aheen avait demandé à son oncle s'il lui en avait parlé. D'abord perdu face à la question floue du jeune homme, Lucien s'était mit à réfléchir à vitesse grand X de la moindre chose dont le docteur lui aurait, manifestement, touché un mot. Sauf que rien ne lui venait.
C'était donc comme cela que le jeune homme se retrouvait dans son lit, allongé sur le dos, à douter de la décision du plus vieux quant au fait de l'envoyer dans le lycée que fréquentait son neveu. C'était si soudain qu'il n'avait pas refusé. À vrai dire, il commençait à se sentir malade de devoir rester constamment enfermé dans les mêmes pièces. Il était nauséeux de ne pas savoir que faire, quoi penser, quoi se rappeler. Le pire étant qu'il commençait même à oublier le garçon qu'il avait vu. Ses traits devenaient moins distincts, son sourire partait en fumée. Son seul souvenir un peu positif se fanait. Et cela l'attristait.
Il soupira, se tourna sur le côté, cachant son nez dans son coude et ferma les yeux. Il se demandait ce qui allait se passer demain. S'il se rappellerait de quelque chose, si une personne allait lui évoquer un souvenir, une émotion, si un élève ou un enseignant allait se souvenir de lui. Comment allait-il réagir ? Comment allait-il expliquer sa vie oubliée, sa mémoire absente ?
On toqua à sa porte, alors que ses paupières commençaient à se fermer. Lucien alluma la petite lampe de chevet sur sa gauche avant que la personne n'entre. C'était le neveu, habillé de son jogging noir, les bras soutenant du tissu blanc, ainsi que foncé, il avait ouvert assez la porte pour pouvoir pénétrer dans la chambre d'invité.
– C'est un uniforme obligatoire; l'informa-t-il; comme on doit faire à quelque chose près la même taille, je te file celui-là en attendant qu'on t'en passe des nouveaux.
L'amnésique hocha la tête, signe de remerciement. Il déposa les affaires sur la chaise de bureau, à peine décalée de la table. Lucien entendit le jeune homme murmurer quelque chose, un "ok" certainement, avant de faire demi-tour. S'attendant à ce que celui-ci rejoigne sa chambre, Lucien s'apprêtait à éteindre sa petite lampe.
– Demain on part à 8h30.
Puis ferma définitivement le battant sur un silence.
Lucien se rappelait d'avoir éteint l'ampoule, néanmoins il ne se souvenait pas de s'être endormi, ni même de son rêve.
Et encore moins de quand le soleil avait commencé à pointer le bout de son nez, de la première minute où les oiseaux avaient commencé leur journée. La sienne débuta lorsqu'il entendit gratter à sa porte, et de distinguer son nom suivit d'une phrase lui indiquant qu'il valait mieux qu'il bouge son popotin dès maintenant. Lucien se sentait reposé mais stressé, son corps était relâché et détendu. Or son ventre avait commencé à prendre le dessus sur son agréable condition. Et ce, dès lors qu'il se rappela les plans de cette journée. Rien que le fait de rencontrer de nouvelles personnes lui tordait les tripes de bonne matinée.
Aheen lui avait indiqué la salle de bain où la porte entrouverte laissait échapper de la buée, qui pénétrait le plafond du couloir, lorsqu'il sortit de sa chambre. Les bras chargés des vêtements posés dans sa chambre la veille.
Les affaires installées sur la petite corbeille à linge près du lavabo, il fît couler l'eau quelques instants, le temps qu'elle reprenne la température précédente. Il en profita pour se regarder dans le miroir — comme si son reflet avait pu changer du jour au lendemain. Or non, il y retrouvait toujours ce jeune homme brun au visage long et au grand nez qui répétait tous les mouvements qu'il pouvait faire. D'une certaine manière, il ne se sentait pas totalement lui. Certes sa perte de mémoire y était probablement pour quelque chose, mais c'était une sensation plus mystérieuse que cela. Lucien ne se connaissait pas non plus, c'était comme vivre avec un inconnu à longueur de temps. Et personne pour l'aider à se découvrir.
Il mouilla d'abord son visage sous le pommeau, puis sur son corps encore un peu endormi. Il n'osa pas passer le liquide sur ses blessures, où il avait pris soin d'enlever ses pansements avant d'entrer dans la cabine, à moitié transparente de la salle de bain.
Comme à chaque fois, il redoutait le moment où n'importe quel fluide rentrerait en contact avec ses plaies, que cela le piquerait et serait désagréable pendant un certain moment. Il ne s'était donc pas éternisé et avait rapidement enfilé son uniforme d'emprunt aussitôt sa peau fût assez sèche pour ne pas coller le tissu. Les manches courtes lui frôlaient délicatement les bras. Sauf qu'il avait oublié de panser ses plaies, dans la précipitation, et il grimaçait aussitôt la douleur fit son apparition, suivit de frissons désagréables qui lui secouaient l'échine.
Il sortit donc de la pièce torse nu, le débardeur blanc sur un bras et la chemise, qu'il prenait soin de ne pas froisser, au bout de son index, et il descendait l'escalier. Zliot ne tarda pas à pointer le bout de son nez, finalisant de nouer sa cravate en tournant sa tête sympathique vers lui.
– Lucien ! Bien dormi ?
Lucien se contenta de hocher la tête pour toute réponse. Il ne tarda pas à s'asseoir sur une des chaises du salon, à califourchon, déposant ses mains sur le dossier froid de l'objet. Rituel depuis une semaine, Zliot vînt passer ses mains fraîches près de ses blessures. Il s'était lavé les mimines, il en était certain ! Puis Lucien senti un liquide froid, lui aussi, ainsi qu'un spray y être appliqué. Les pansements collés, l'adolescent se releva pour enfiler en vitesse sa première couche suivie de la deuxième en se dirigeant à l'étage.
– Aheen t'a descendu des cahiers et un sac hier soir; l'informa-t-il; ils sont dans l'entrée. Je pars bosser, on se voit ce soir !
Puis Lucien entendit la porte claquer.
Pourquoi le neveu ne lui avait-il pas apporté directement dans la chambre, comme il l'avait fait avec les vêtements ? Il gravit les marches, qui craquaient parfois sous son poids, laissant son regard divaguer ça et là sans réel but. En fait, il laissait plutôt son corps le guider jusqu'à sa chambre, où il y trouvait la porte déjà ouverte, qu'autre chose. Il se stoppa sur la dernière marche. Ne l'avait-il pas fermé en allant à la salle de bain ? Il avait dû oublier et se promit de faire plus attention à ce qu'il ferait.
Il attrapa la veste, que le lycéen lui avait aussi laissé sur la chaise, et ressorti de la pièce en l'enfilant, croisant le noiraud sortant de la sienne. Un sac pendu par une seule lanière, sur son épaule droite, sa chemise déboutonnée de deux boutons, Lucien ne connaissait pas les règles mais il trouva sa tenue peu formelle pour quelque chose d'obligatoire ! Cependant, pas sûr de son ressenti, il ne fit aucun commentaire. Peut-être se trompait-il.
Lucien suivit en silence le garçon jusqu'à l'entrée de la maison, apercevant rapidement le sac dont parlait le médecin. Il le chopa avant de se vêtir des chaussures qu'il portait depuis la sortie de l'hôpital. Puis il passa devant Aheen pour que celui-ci puisse fermer la porte.
Se tournant vers l'amnésique, rangeant sa clé dans la poche avant de son sac noir, Aheen dit :
– On habite pas très loin du lycée, on va y aller à pied puisqu'il fait beau aujourd'hui. Les prochaines fois tu prendras le bus.
Le quoi ?
Aheen verrouilla le portail avec assurance avant de le rejoindre. Il avait vu le regard perdu du garçon et rit :
– Les transports en commun si tu préfères.
Lucien laissa le silence peser, attendant la suite de son explication.
– Ce sont de grands véhicules dans lesquels tu peux monter contre une certaine somme. Tout comme d'autres passagers pour aller d'un point A à un point B prédéfinis.
Comme la voiture, la chose que possédait monsieur Zliot ?
– Tu n'as jamais pris de bus ?
Face aux haussements d'épaules de Lucien, Aheen fronça les sourcils avant de pouffer de rire.
– T'es vraiment un drôle de spécimen.
Il le toisa, perplexe. Une insulte ? Un compliment ? Une constatation ? Qu'est-ce que cela signifiait ?
– Drôle de gars, en gros; précisa-t-il avec une grimace.
Lucien se demandait s'il était si drôle que cela, et surtout il ne comprenait pas pourquoi il était amusant. Il n'ouvrait pas la bouche sauf en cas de nécessité, en quoi cela était-il marrant ? Était-ce une mauvaise chose d'être curieux de ce qui l'entourait ? Il ne savait même pas sûr quel pied danser.
Lucien avait, cette fois-ci, l'impression d'être né de la dernière pluie ! Et que ce n'était pas forcément une bonne chose. Il se demandait même si le lycée allait être similaire à l'hôpital ou la maison du docteur. Les autres allaient-ils être comme eux ou se sentirait-il dérangé comme avec l'infirmière ? Il espérait que non. Déjà qu'il s'efforçait à ne pas écouter ses intuitions lorsqu'il était à côté d'Aheen, s'il se méfiait de tout le monde il ne s'en sortirait sans doute pas !
Juste à la vue de la foule qui marchait sur les trottoirs comme eux, il se disait que le mettre en système scolaire en étant complètement amnésique n'était sûrement pas une bonne solution. Surtout quant aux faits de lui faire recouvrer la mémoire. Et pourtant, il avait toujours cette petite lueur de trouver quelqu'un, n'importe qui, qui saurait qui il est.
Il n'écouta plus vraiment le garçon à côté de lui, trop concentré sur ses interrogations et sa nervosité grandissante. Ce n'était que lorsque Aheen passa sa main devant ses yeux, dans le vague, qu'il revint au moment présent, tournant la tête vers lui.
– Ne t'endors pas, on vient d'arriver; avec un certain dédain dans la voix.
Lucien dévia donc son regard vers un immense bâtiment grisâtre qui se tenait devant eux, dont les fenêtres fermées et bien centrées le rassurait quelque part. Il apercevait une horloge qui trônait fièrement en haut, pile au centre. L'endroit lui paraissait aussi gigantesque que paniquant.
– Bienvenue dans mon lycée; dit-il, grand sourire avant de taper l'épaule de l'amnésique. Fais pas cette tête ! Tu verras, ça va bien se passer.
Il en était vraiment sûr ? Parce que ce n'était pas le cas du concerné, qui le jugeait avec grande méfiance. Que voulait-il dire par "ça va bien se passer" ? Qu'est-ce qui devait se passer, au juste ?
La peur au cœur, il affaissa ses épaules en scrutant les alentours. Non, il n'était pas le moins du monde rassuré.
– Nahara m'a dit que tu ne seras pas dans ma classe; l'informa-t-il sur un ton des plus légers; apparemment tu seras avec un effectif moindre.
Cette indication-ci le rassura un petit peu.
– On ne sait jamais, tu es peut-être agoraphobe; plaisanta le noiraud en faisant signe à un groupe d'adolescents portant le même uniforme qu'eux, assis sur une table extérieure un peu plus loin.
Agoraphobe ? Peur des foules ? Aucune idée, il a toujours été isolé.
– Ou anthropophobe.
Ce terme-là, l'infirmière Tiaj l'avait utilisé en dehors de sa chambre, un jour après la visite du docteur. "Vous pensez qu'il a peur des autres ?" avait été la seule question que Lucien avait pu entendre avant qu'ils ne disparaissent dans le couloir. Mais avoir peur des autres, ça signifiait quoi ?
Ils s'étaient assez approchés du petit groupe pour que Lucien ne les détaille plus précisément. Tous étaient différents de près ou de loin, mais il ne saurait déterminer, sur l'instant présent, s'il devait se méfier ou non. Il préférait se dire que si son instinct ne se réveillait pas, c'était peut-être parce qu'il se faisait un sang d'encre pour rien.
Ils étaient deux à avoir retenu son attention. Dont une à l'expression froide et l'attitude nonchalante qui faisaient, froncer le nez à Lucien. Et la seconde, ce fut pour les raisons contraires. Avec son visage rond et lumineux, elle lui fît l'effet d'un soleil personnifié ! Elles avaient l'air si opposées, Lucien se demandait comment elles étaient arrivées à devenir amies.
En s'arrêtant devant elles, il sentit immédiatement le regard glacial de la rousse ne pas le lâcher, tandis que la voix scintillante de la souriante parvenait à ses oreilles :
– Tu nous as trouvé une recrue ?
– Ne dis pas n'importe quoi !; alors que leurs mains se touchaient plusieurs fois dans une sorte de danse familière. Mon oncle l'héberge quelque temps et comme on ne sait pas d'où il vient, il l'a inscrit ici.
Pour résumer sa situation idéale.
Le neveu se tourna vers la rouquine, non sans continuer à regarder la blondinette. Son opposée n'avait toujours pas décroché un mot, mais elle eut droit à la même salutation.
– Encore un convalescent ?
– Oui mais c'est différent cette fois.
Lucien tiqua sur cette phrase. Différent dans le sens amnésique et qu'il était le premier ou voulait-il signifier autre chose ?
Tous trois continuèrent cependant leurs conversations sur Lucien, qui ne se sentait pas forcément de se présenter. Cependant, il ne les écoutaient déjà plus, trop occupé à tenter d'oublier le regard insistant de la rousse sur lui. Il se demandait si elle avait cligné des yeux. Lucien s'interrogeait sur le si c'était normal, pour les autres, d'observer les inconnus de la sorte. S'il devait se méfier d'elle aussi, l'ignorer ou bien se forcer à parler pour lui montrer qu'il n'était pas hostile.
Quelques secondes, plus tard il entendit une sonnerie qui le fit sursauter, au même moment où la voix du neveu se fît plus grande, et surtout plus autoritaire :
– Lyssa; tous deux tournèrent la tête vers le noiraud; on y va.
L'expression menaçante du garçon fit renaître l'instinct qui lui intimait de se méfier de lui. Quel genre de personne fallait-il être pour parler à son amie de la sorte ? Il se demandait quelle mouche avait pu bien le piquer.
Lucien détourna le regard vers la fameuse Lyssa, qui fit de même pour lui, avant de marcher aux côtés du neveu dont le corps tendu fît légèrement grimacer le jeune homme. Il était étrange.
– On y va ?; proposa la blonde d'un ton enjoué. J'ai vu qu'on était dans la même classe.
Pour simple réponse il se contenta de hocher la tête puis de suivre l'adolescente qui lui sourit gentiment.
– Aheen ne m'a pas présenté; commença-t-elle, tandis qu'ils rentraient dans le bâtiment; je suis Nahara.
La fameuse qui avait informé le neveu de sa classe.
– Ça signifie lumière; toute contente de donner la définition de son nom.
Et pourtant, ça ne le choqua pas. Son sourire rayonnait à des kilomètres, il n'avait aucun doute là-dessus !
– Je suppose que tu es Lucien, du coup; tenta-t-elle. Aheen m'a demandé des informations pour toi hier. Je ne pensais pas que tu serais le nouvel habitant de chez les Zliot.
Et lui donc ! À vrai dire, il ne pensait à rien avant de se réveiller, dans cette chambre d'hôpital.
– Tu n'es pas un grand bavard, je me trompe ?
Ils venaient de finir de monter l'escalier. Et il n'avait pas décroché un mot, pas un bruit. Il la regardait quelques instants avant de hausser les épaules. Aucune idée de ce côté-ci non plus, il n'avait pas envie de parler. C'était aussi simple que ça.
Nahara eut un sourire à teinte compréhensive avant de recommencer à bavarder. Les informations suivantes étaient : ils avaient exactement le même emploi du temps, que ses examens à lui ne seraient pas comptés s'il ne le souhaitait pas. Elle avait même précisé, avec un petit rire, qu'elle se doutait que recevoir une mauvaise note alors que ce n'était pas de notre faute, ne devait pas être amusant du tout. Lucien se demandait ce que ça signifiait "passer des examens" et "recevoir de mauvaises notes". En fait, ça ne lui faisait rien.
Avant d'entrer dans la salle remplie de tables, elle essaya de le rassurer sur le fait que les camarades n'étaient pas méchants mais juste curieux. Ils n'avaient jamais eu à faire à un convalescent qui venait temporairement dans leurs classes, alors ils le regarderaient sûrement en se demandant ce qu'il faisait là.
Pas sûr d'avoir saisi toutes les nuances, Lucien ne fît que hocher la tête, la suivant dans la pièce éclairée. Comme prévue, des têtes s'étaient tournées vers lui en taisant leurs conversations. Incompréhension, curiosité, ou encore surprise étaient les mots qui pouvaient majoritairement s'employer pour les différentes expressions qui lui étaient servies.
Nahara lui conseillait de s'asseoir à l'une des tables, où une chaise encore vide se désignait sous son indication. Puis elle partit au devant de la salle pour saluer une autre jeune fille, blonde aussi.
Peu à l'aise, Lucien déglutit avec difficulté avant de partir s'installer vers la place indiquée. Son voisin de table, un grand baraqué, cheveux nuances tronc d'arbre, accepta avec un sourire timide qu'il ne prenne place à sa table aujourd'hui. Même s'il paraissait un temps soit peu sympathique, Lucien n'était pour le coup toujours pas rassuré. Et pour dire, jusqu'à la chaise, il avait marché tête basse !
L'estomac retourné, il hésita à sortir des choses du sac. Il se doutait qu'Aheen avait placé des affaires pour lui. Cependant, il n'était pas sûr d'être autorisé à les découvrir sur la table. Alors il laissait son regard vagabonder autour, constatant que tous avaient des cahiers et des stylos étalés devant eux. Ce ne fut que lorsque le professeur entra qu'il ouvrit sa mallette pour en sortir des affaires simples et basiques.
Il sursauta en entendant la grosse voix de l'enseignant boudiné. Puis une fanfare de grincements de chaise sur le sol le fit paniquer. En pilote automatique, il suivit le mouvement à son tour. Au devant de la salle se tenait un homme menu qui laissait son regard parcourir chaque rang, avant de les inviter à se rasseoir dans le silence. Il fut à peine perturbé par quelques murmures ci et là.
L'adulte, avec plus de vêtements sur ses épaules que de poils sur la tête, se mit à énumérer des noms, divers et variés. Des "là", "ici", et "présent" répondirent à leurs suites. Trop rapide pour que Lucien ne puisse retenir ou bien trouver les visages associés. Sauf celui de Nahara, le seul qu'il connaissait.
– Lucien ?; relevant les yeux globuleux et baissant ses lunettes sur le bout de son nez pour observer la masse en face de lui.
La pression au ventre, Lucien regarda autour de lui avant de lever timidement la main, peu certain de ce qu'il devait faire.
– Je ne vous connais pas, vous.
Super, ça lui faisait une belle jambe ! Lui non plus ne se connaissait pas, et pourtant il était bien présent à cet instant. Sauf qu'au lieu d'essayer d'expliquer, il ne savait même pas comment s'y prendre, Nahara prit les devants pour donner des informations que même lui n'avait pas.
– Il vient d'arriver, c'est un élève transféré et temporaire.
– Ah transféré ? Et transféré d'où ?
Nahara haussa les épaules. Manifestement, elle non plus ne savait rien de lui. Inconnu aux bataillons. Des chuchotements s'élevèrent dans la salle, certains le fixaient, d'autres comméraient à son sujet. Lucien ne comprit pas ces réactions.
– Il a été inscrit par le docteur Zliot.
– Ah, je vois. Bien; dit-il plus fortement avant de poser le cahier qu'il avait précédemment dans les mains sur son bureau; on va commencer.
Tout le brouhaha cessa aussitôt et tous baissèrent la tête. Le professeur, dont il ne connaissait pas le nom, demanda à Franck, son voisin de table, de passer dans les rangs pour récupérer les devoirs. Devoir que Lucien n'avait évidemment pas.
Ledit Franck fit glisser un manuel sur le centre de la table en lui demandant de l'ouvrir à la bonne page, le temps qu'il ne revienne. Soit il n'était pas très fute-fute, soit il venait à l'instant d'oublier que c'était son premier jour officiel. Perdu, Lucien se contenta d'observer furtivement les autres élèves comme si un éclair de génie allait le frapper et qu'il allait deviner la page. Mais non.
Après quelques secondes, le garçon sentit qu'on lui tapait l'épaule et il se retournait pour tomber face à un livre dressé devant ses yeux, dont l'index de la personne tapait la couverture, lui indiquant que c'était celle-ci.
– 96; chuchota une voix masculine légèrement enrouée.
Aussitôt, Lucien chercha la page avant de poser le livre sur la table et de regarder ce que l'homme rondouillet écrivait au tableau. Par miracle, le titre correspondait à celui du chapitre indiqué. Heureusement qu'il l'avait aidé ! Soulagé, Lucien ne perdit pas une seconde à se concentrer sur les paroles du professeur. Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire, mais il écoutait attentivement. Comme les autres, pour être honnête.
Aussi surprenant soit-il, il fût aussitôt plongé dans ce qu'il racontait. Il se trouvait intéressé par ce qu'il entendait et lisait à ce moment précis.
– Il est toujours aussi lourd, lui. Qu'est-ce qu'on s'en balance !
Lucien mâchait ses pâtes sans goût servies dans son assiette, au même titre que les autres plats sur son plateau. Il s'était installé dans cette géante pièce où tous les élèves semblaient s'être réunis pour manger et piailler dans un brouhaha incessant. Cela lui tabassait les oreilles. Il n'avait fait que suivre la blondinette rencontrée ce matin, et ce même jusqu'à la table qu'occupait déjà les deux autres, dont celle qui ne semblait pas très commode. Lyssa, si sa mémoire était bonne, le regardait toujours froidement avant de détourner les yeux sur son repas ou ses amis.
Lucien ne prenait certes pas part à la conversation, mais n'appréciait guère la tournure que celle-ci avait prise. Partant d'une simple question, à regarder des élèves passer et ne dire que des choses peu flatteuses sur leurs sujets, lançant parfois des "j'ai entendu dire que..." qui faisait sans cesse froncer le nez au brun. Il n'était pas à l'aise face aux méchancetés dites par les trois personnes.
Sous ses airs adorables, Nahara n'était pas mieux !
Les plus silencieux étant Lyssa et Lucien, ils ne discutaient pour autant pas entre eux. Lucien se retrouvait chaque fois les lèvres pincées, la fourchette en suspens au-dessus de son assiette, par le simple fait qu'il se recevait inexplicablement des regards meurtriers. La rouquine, pour on ne savait quelle raison, ne semblait pas le porter dans son cœur. La seule technique de défense du noiraud avait été de feindre l'ignorance, tournant son attention sur son repas entre ses coudes. Lucien se demandait bien ce qui lui passait par la tête. Qu'avait-il bien fait pour mériter un tel regard ? Il avait beau se repasser tous les moments de ce matin à l'esprit, dans aucun il ne se souvenait d'avoir ouvert la bouche.
– Il paraît qu'il à des vues sur l'autre là..; semblant chercher un nom.
– Peggy, la brune ?
– Non, non, elle lui ressemble trop, non... hum... Ah ! Kami.
– Kami ? C'est pas celle qui avait essayé de te pécho ?; essayant d'attirer l'attention de la blonde en face du nouvel élève, sans succès; elle ne la regardera jamais, elle peut toujours rêver !
– À qui le dis-tu ?
Lucien trouvait cette discussion ignoble. Et bien qu'il ne connaisse pas les fameuses personnes citées depuis le début, il ne comprenait en rien quel était l'intérêt de parler comme cela des autres.
Ce sujet lui ayant complètement coupé l'appétit, il se leva sous le regard de ses camarades. Il n'avait pas envie de s'expliquer. Son plateau en main, il se dirigeait jusqu'à un petit encadrement dans le mur, que Nahara lui avait indiqué pour rendre son plateau. Et ce, en silence. Il finit par enfin sortir sous le chuchotement, et parfois les rires mal cachés, des gens autour de lui. Il savait que ceux-ci parlaient de lui puisque toutes les voix s'étaient baissées en murmures, gloussements compris, lorsqu'il passait. Il ne comprenait pas non plus leurs intentions, leurs propos sachant que lui, ne les connaissait pas.
Les battants de portes se fermant derrière, il respira un bon coup, constatant le calme présent dans le hall presque vide. La pause de midi devait sûrement être le moment qui laissait toute cohue absente. Lucien appréciait cela. Et après le vrombissement précédent, c'était aussi bien différent de l'ambiance en classe. Suite à une nouvelle inspiration, il repositionna la bretelle de son sac et commença à se diriger vers l'escalier plus loin dans le hall principal. Croisant des visages inconnus, qui ne le regardait pas plus que cela, il se dépêchait de gravir les marches tout en détaillant le plan qu'avait mis le neveu du docteur dans son sac. Nahara avait tenté de lui expliquer avec des précisions à la volée, comme des marques visuelles qui l'aideraient à se retrouver s'il se sentait perdu. Concentré, Lucien pointait du doigt l'escalier dessiné en rond et suivit l'un des chemins tracé jusqu'à un carré marqué 'bureau principal', presque à côté de l'infirmerie. S'il ne se trompait pas, il devrait tourner sur la droite quand ses pieds auraient enfin trouvé le sol plat de l'étage.
Obnubilé par son bout de papier, tenu comme si sa vie en dépendait, il percuta quelque chose de son bas ventre, ce qui lui tira une plainte. Il avait tout de même essayé d'étouffer le son alors que son souffle s'était lui aussi coupé, en baissant les yeux sur ce qui l'avait brutalement arrêté. C'était un objet étrange et complexe, plus ou moins, noir aux bords rond. Il remarquait deux petites boules solides jaunes fluorescents, collées en dessous.
– Tu devrais faire plus attention; dit une voix masculine à peu près au niveau de sa tête.
Déconcerté, Lucien releva les yeux vers le propriétaire. Lui aussi était aussi inconnu que les autres. Il avait cette attitude qu'Aheen pouvait avoir par moment. Machonnant un petit bâtonnet blanc, Lucien se surprit à le fixer en fronçant les sourcils.
– Quoi ?; le toisant comme si le jeune homme lui avait manqué de respect; tu veux ma photo ?
Désabusé de son ton insolent, Lucien fît une petite grimace avant de se détourner pour reprendre son chemin. Il paraissait agaçant.
Son premier jour rimait beaucoup avec le mot 'catastrophique'. Il n'était pas à l'aise et ne faisait que rencontrer des élèves particuliers qu'il ne supportait pas dès lors qu'ils ouvraient la bouche. Ce n'était définitivement pas l'idée de l'année de l'avoir inscrit ici ! Lucien ne se rappelait toujours de rien et commençait à fortement détester cet endroit. Il ne tarderait pas à dépasser l'hôpital à cette vitesse.
Le jeune homme insolent l'attrapa par le poignet, l'obligeant à s'arrêter. Mais plus que ça, Lucien se retourna vivement en le poussant, plus sur la défensive qu'il ne l'avait jamais été. Même l'infirmière Tiaj ne l'aurait pas touché. Surprit, l'inconnu fît les gros yeux. Son bâtonnet s'était échoué lâchement au sol.
– Wow; ne réussit-il qu'à dire; désolé, je ne pensais pas te brusquer.
Lucien le toisa, méfiant. Son instinct ne lui disait absolument rien. Pas même la moindre petite hésitation concernant ce garçon. Se méfier ? Se détendre ? Que devrait-il faire, à cet instant ?
– Je ne voulais pas... enfin, tu as l'air perdu; enchaîna-t-il; t'es nouveau, non ?
Toujours dérouté, le noiraud recula d'un micro pas, déglutissant avec beaucoup moins de panique qu'il n'aurait imaginé. Il n'avait pas la moindre idée de pourquoi il désirait tant se méfier de tout le monde. Sauf de lui.
– Je ne suis pas d'ici non plus; continua-t-il; je crois que tu es le premier que je vois aussi chamboulé de te retrouver en terrain ennemi.
Ennemi ? De quel ennemi parlait-il ? Lucien tourna légèrement la tête sur le côté, tout ouïe.
– Je suis Rith, au fait.
Lucien avait eu un léger mouvement de recul lorsque ledit Rith, blond comme la paille, s'était avancé en présentant sa main. Affolé, Lucien ne réussit pas à détourner son regard de sa paume. Quelques secondes passèrent où une mouche aurait pu se faire entendre à des kilomètres avant que le garçon ne reprenne son invitation.
– Ok, hum...; se grattant la nuque. Désolé pour ça. Je ne pensais pas que tu serais si... perturbé par...
– Lucien; lâcha-t-il finalement.
Si son fort intérieur ne prenait pas de décision quant au fait de se méfier ou non, Lucien préférait prendre les rênes avant de vraiment fondre de panique.
Ça n'y échappa pas, cela troublait d'autant plus Rith. Il cligna plusieurs fois des paupières.
– Hein ?
– Je m'appelle Lucien.
Étonné, le sourire qui naquit sur ses lèvres était plus une représentation de son soulagement qu'un véritable heureux.
– Eh bien, enchanté Lucien. Je suis ravi de me dire qu'on parle la même langue; rigola-t-il doucement.
Parce que ce n'était pas le cas de certains ?
– Tu cherchais quelque chose ? Je peux t'aider à t'orienter, j'aurais aimé qu'on le fasse pour moi...
Lucien le coupa en lui pointant le mot 'secrétariat' sur son plan. Rith leva les sourcils avant de s'approcher pour regarder.
– Quoi ?! Mais il est erroné ton plan, le secrétariat ce n'est absolument pas là !
Bon, au moins avait-il quelqu'un qui s'y connaissait plus qu'une pauvre feuille plus ou moins explicite. Et dire que Nahara ne lui avait pas dit que ce n'était pas le bon... Peut-être ne l'avait-elle pas remarquée ? Il lui laissait le bénéfice du doute. Après tout, elle ne l'avait qu'à peine observé.
– Viens, suis-moi c'est par-là.
Il suivit Rith en direction de l'escalier, qu'il venait à peine d'emprunter, pour faire le chemin inverse. Il préférait remettre sa confiance à ce garçon. qui ne lui semblait aucunement hostile.
– À mon avis, ton plan doit dater de deux ans; commença Rith en calant son rythme sur celui du noiraud. arait qu'ils ont fait des travaux à cette période. Je ne sais pas qui t'a donné ça, mais il ne devait pas être très attentif.
Manifestement non. Néanmoins, Aheen avait été assez gentil pour tout lui fournir du jour au lendemain sans se plaindre. Alors il ne rejeterait pas la faute sur lui, il n'avait pas fait gaffe et c'était compréhensible.
– Les secrétaires sont plutôt autoritaires, je n'aime pas aller les voir; grimaça-t-il. Elles me foutent une de ses pétoches !
Pire que l'infirmière Tiaj ? Il en doutait. Mais il ne dit rien.
Les mains dans les poches de son pantalon cintré bleu nuit, Rith désigna du menton une porte jaune près de la principale du bâtiment, celle qui menait à l'extérieur.
– C'est ici, je n'y rentre pas. Bon courage.
Le sourire presque moqueur qu'il lui servait ne fit qu'accroître son appréhension quant auxdites dames. Étaient-elles si sévères ? Lucien hocha la tête et s'avança jusqu'au battant. Sa main avait légèrement tremblé en se soulevant pour frapper. Le papier collé sur la peinture immonde lui indiquait qu'il devait attendre qu'on ne l'invite à entrer. Si ce n'était pas le cas, il devrait repasser plus tard. Heureusement, ou malheureusement, il ne savait pas encore, une voix forte et autoritaire le conviait à se présenter. Lucien avait tourné son regard en direction de Rith, qui ne lui fit signe que du pouce pour le soutenir, puis il appuyait sur poignée de plastique froid. Or ce ne fut pas lui qui ouvrit le battant. Quelqu'un de l'autre côté l'avait tiré à sa place.
Son cœur avait loupé un douloureux battement.
C'était lui. Le garçon de l'hôpital qui avait disparu. Il se trouvait là, devant lui, une tête de moins que sa taille, le regard surprit. Lucien ne pensait jamais le revoir. C'était bête, pourtant il y avait vraiment cru !
De près, il eut le loisir de voir des détails plus nets. Comme des tâches de rousseurs sur les joues, telle une galaxie s'y étant peinte pour l'éternité. Cette cicatrice qui barrait son sourcil droit et une sorte de griffure qui passait bien près de son œil, dans la continuité de la balafre plus haut. Même de près il était à couper le souffle, il n'en revenait pas.
– Pardon; s'excusa timidement le blondinet après s'être raclé la gorge.
L'inconnu se faufilait pour sortir de la pièce et s'échapper rapidement dans le couloir dans une démarche élégante et détendue. Et Lucien n'avait pas réussi à détourner son regard, trop sous le choc pour penser à quoi que ce soit d'autre. Et ce, même si l'inconnu s'était retourné juste avant de passer le mur.
Il aurait voulu lui courir après, lui demander son nom, n'importe quoi pour lui parler mais son corps restait figé. Il était comme paralysé sur place.
Puis la réalité le rappela à l'ordre.
– Jeune homme ? Veuillez entrer ou fermer la porte.
Lucien eut du mal à déporter son attention pour pénétrer dans la salle. Son corps était en autopilote depuis que son palpitant avait décidé de battre un peu plus fort dans sa poitrine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top