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Ses pieds ne cessaient de brutaliser les feuilles mortes, ses orteils accrochant des brindilles qui se collaient par la suite sur ses talons. Il titubait, boitait, il avait mal. Tout son corps lui criait de s'arrêter, ses muscles le suppliant de se reposer, il était déraisonnable.
Seul et frigorifié, même ses mains qui encerclaient ses coudes, pour tenter de maintenir une certaine chaleur dans le creux de son ventre, ne l'aidaient plus. Uniquement la pluie et sa mâchoire tremblante perturbaient un potentiel silence de mort à travers ces arbres qui l'entouraient, le dominaient. Il sanglotait parfois, en traînant sa patte folle qui le lançait chaque moment que son poids pesait dessus. Il se sentait si lourd. Il ne savait même pas où il allait, où il avait été emporté et où la chercher. Il avait peur de comment il allait la retrouver, où il la rencontrerait à nouveau. Pourtant, il partait à sa recherche, déterminé à rester tous les deux quoi qu'il arrive.
Il slalomait aveuglément entre les troncs ruisselant de petites gouttelettes, ses épaules venant parfois s'égratigner contre des écorces en perdant l'équilibre, lui rappelant que ce n'était pas un rêve. Que son corps meurtri n'était pas le fruit de son imagination, que son dos brûlant et picotant chaque fois que la pluie le touchait était bel et bien un cauchemar éveillé dont il ne se réveillerait pas. Elle n'était même pas là pour le rassurer, lui promettre qu'ils s'en sortiraient, qu'il n'avait pas à s'en faire.
Parce qu'ils avaient été séparés.
Cette fatalité eût raison de sa force et ses genoux flanchèrent. Ses mains heurtant presque aussitôt le sol glacé, des brindilles lui piquant involontairement la peau qu'il avait l'impression d'à peine sentir à côté de son dos. Incapable de reprendre son souffle, sa tête tournait, ses coudes lâchaient, son nez tapait la terre collante, et un nouveau sanglot lui bloqua l'arrivée d'air présente autour de lui. Il suffoquait et ça lui faisait tout drôle. Il n'avait jamais expérimenté une telle chose et il aurait aimé ne jamais avoir eu à le faire. Il l'avait perdu, il se retrouvait seul dans un endroit totalement inconnu, il avait mal et il se sentait impuissant. Incomplet fut le mot exact. Il avait bien tout perdu à ce moment-là.
Son corps s'effondra véritablement sur les feuilles fraîches, ses muscles tressaillant de manière incessante, ses poumons en constante recherche d'oxygène. Il n'entendit même pas les bruits de pas s'approcher, des voix s'élever ça et là tandis que ses paupières se fermaient d'elles-mêmes. Il savait que les sons étaient plus forts à mesure que ça se rapprochait de lui. Il eût vaguement conscience qu'on le touchait, le retournait sur le dos. Il était, de toute façon, incapable de bouger. Il se sentait si loin, comme s'il était spectateur aveugle de ce qu'il se passait, de ce qu'ils faisaient de lui.
– Il est viv...; féminin, masculin ? Aucune idée.
– Appel.. vit...
– On doit... depe... du nerf... un deux... douce...
Impossible d'entendre distinctement ce qu'ils disaient, impossible de déterminer à qui appartenait ces voix, il n'en connaissait aucune. C'était étrange, il ne se sentait pas en danger. Pourtant son instinct lui hurlait que c'était n'était pas normal. Mais qu'est-ce qui n'était pas normal ?
Puis il n'eut plus si froid. Ses oreilles ne bourdonnaient plus, c'était si reposant ! Et pourtant il était incapable de se détendre. Ses muscles restaient contractés, certains tremblant douloureusement. À un moment, long ou court, sa tête cessa enfin de tourner, sauf que cette fois-ci c'était sa gorge qui le brûlait affreusement. À s'y concentrer un peu plus, il cru sentir quelque chose d'inconnu passer à travers sa trachée, indolore et non solide. C'était sûrement la raison des brûlures. Enfin... Si c'en étaient.
De nombreux bruits se faisaient entendre, des plus forts que d'autres. Des voix parlaient de choses qu'il ne comprenait pas, comme si la langue lui était inconnue. Il se fit lentement retrouver par la chaleur, était-elle là ? Était-ce elle qui le réchauffait ? L'avait-elle retrouvé ? Il aurait tant voulu ouvrir les yeux pour constater qu'elle était bien présente, cependant son enveloppe charnelle ne répondait pas plus que précédemment.
Il sentait son corps être secoué par moment, quelque chose lui touchait la trachée parfois ou se posait sur son front, c'était tiède et rassurant. Et de loin désagréable, sec et collant. Intérieurement il grimaçait.
Cela dura un moment. Néanmoins, il se sentit revenir à son corps. Son écoute était plus attentive, ses sens fonctionnels. Il aurait soupiré si bouger n'était pas un défi bien trop élevé pour le moment.
– Tenez bon... bientôt... restez... respirez...
Respirer ? Pour quoi faire ? Ça voulait dire quoi ? Tenir bon ? Où allaient-ils ? Soudainement tout mouvement cessa et il finit par entendre des cris indescriptibles provenir d'un peu partout. Une se distinguait plus des autres. Celle qui lui avait dit de respirer. Qui était-il ? Le connaissait-il ? Savait-il où il était ?
Puis, de nouveau, il sentit secoué. Or, le plus désagréable était ce vent fort qui lui fouettait le visage. Une sorte de bourrasque similaire à lorsqu'il l'avait perdu. Avait-il perdu connaissance ? Elle devait être là, c'était évident.
–Maeve... Maeve; articula-t-il à voix basse en tentant de se relever, alors qu'il sentait son dos être plaqué contre cette chose dure sur laquelle il était allongé.
– Restez couché mon... on y... bientôt...
– Maeve...; persuadé qu'elle était là.
Finalement, l'adrénaline dans les veines, il reprît le contrôle de ses paupières. Il tentait d'observer quelque chose, de manière floue, par delà la lumière apparaître et disparaître sans cesse. C'était désagréable et il eut la nausée. Il apercevait avec difficulté des formes se présenter dans son champ de vision. Des visages ? C'était si incertain. Pourtant il était sûr d'une chose : il ne la voyait pas.
Au fond, il avait eu un maigre espoir de distinguer un visage familier, de se dire qu'elle allait bien et que ce n'était pas si désastreux que ça en avait l'air. Or si, c'était désastreux.
Au fur et à mesure qu'il essayait d'accepter ce fait-ci, son image commençait à disparaître de sa mémoire. Ses traits devenaient moins distincts, sa voix méconnaissable, sa présence impensable. Il commençait à paniquer, ayant peur de l'oublier, elle aussi.
– Maeve ! Maeve, non !; défiant la force des personnes qui le maintenaient allongé.
– Restez allon..., restez tranq...lle !; ordonna la voix masculine à laquelle il avait commencé à s'habituer; infirmière... appo... mainten.. !
Il s'agitait de plus en plus, se débattant contre les inconnus qui ne cessaient de lui donner des ordres qu'il ne comprenait guère. Sa vue était toujours brouillée comme si la pluie était restée coincée sous ses paupières, créant une barrière impénétrable sur ses yeux. Il sentait maintenant plusieurs mains le plaquer et le maintenir fermement sur la surface dure. On l'empêchait de se lever pour la retrouver. Mais pourquoi ?
Un détail froid et brumeux vint se poser sur son nez. Qu'est-ce que c'était ? Il n'avait jamais rien senti de pareil. À mesure que l'intangible s'insinuait dans son corps, il distingua vaguement la forme d'un visage se rapprocher du sien. Inconnu, ses traits lui étaient inconnus. Était-il en danger, finalement ?
Puis ce fut au tour de sa conscience de s'embrumer, il n'arrivait plus à lutter. Il finit par retomber dans cette pénombre qui l'avait séparé d'elle auparavant. Et il était tout aussi impuissant que sous la pluie.
Il ouvrît lentement les paupières. C'était une douce lumière, réchauffant agréablement son visage, qui l'avait réveillé. Lorsque sa conscience reprit le dessus, il constata qu'il n'entendait que des bruits qu'il ne connaissait pas. Des sortes de 'bip' sonores et aiguës à répétition, qui auraient pu lui taper sur le système s'il ne s'était pas retrouvé à fouiller dans sa mémoire à la recherche d'où cela pouvait provenir. Il fronça les sourcils après quelques longues secondes d'exploration mémorielle.
Il ne se souvenait de rien. Pas la moindre image, son ou esquisse d'un potentiel souvenir. C'était le noir total.
Il n'avait aucune idée de ce qu'il s'était passé. Pourtant il avait l'intuition puissante que quelque chose lui était arrivé, que le 'bip' n'était pas normal. Il était dans l'incapacité de dire quoi exactement.
Le garçon se sentait étrange, tout aussi inexplicablement. Il avait conscience que sa poitrine se soulevait et se décompressait de manière régulière, et que le fonctionnement lui faisait du bien. Mais cela lui paraissait aussi nouveau que l'odeur acide qui lui chatouillait désagréablement les narines. Voulant s'en débarrasser ou essayer de comprendre ce que c'était, il ne savait pas trop, il prit une grande inspiration. Et aussi surprenant soit-il, cela le détendit aussitôt.
Il avait besoin de savoir où il était, ce qu'il faisait là et pourquoi il était aussi vide de mémoire que le plafond au-dessus de lui était crème. Pourtant, il n'était pas si immaculé. Une lumière orangée baignait l'endroit. Orange ? L'odeur acide provenait-elle d'un feu?
Ayant un doute, et le cœur paniqué, il baissa les yeux sur une étendue de construction aussi blanche que les nuages. Il en fut presque hypnotisé, surtout par le soleil qui s'échappait de l'autre côté d'une colline, par-delà quelques bâtiments gris. Il emmenait avec lui toute la lumière naturelle. Il ne saurait dire pourquoi, mais il aimait cette vue. Cela semblait lui réchauffer le palpitant dans sa poitrine. Pourtant, c'était quelque chose qui ne lui disait absolument rien. Peut-être appréciait-il de profiter du moment présent avant de se retrouver ici.
Ici... Où était-il ? Quel était cet endroit ? Et surtout quel était ce 'bip bip' continue que ses oreilles n'affectionnaient pas ?
Il s'apprêtait à tourner la tête de l'autre côté lorsqu'un grattement sur sa droite lui fit détourner les yeux sur des personnes, vêtues de blancs par-dessus des habits bleu ciel. Était-ce ce qu'il se faisait ici ? Devrait-il s'habiller comme cela aussi ? La couleur bleu lui plaisait.
Le jeune homme se redressa légèrement, s'asseyant à peine en regardant deux inconnus se présenter à lui. Aussitôt, il les détaillait.
– Bonsoir; dit l'homme poivre et sel d'une voix douce et chaleureuse avant de sourire.
Ce fut lui qui s'avança en premier jusqu'au bout du lit. Tout aussitôt, le convalescent rétracta ses jambes pour se coller à la surface dure derrière lui. Il n'avait pas envie qu'il le touche ou ne s'approche comme il avait eu l'intention de le faire. L'homme était suivit de près par une jeune femme brune qui portait une planche marron entre ses mains. Sans lever les yeux, elle se mit à fixer en silence son stylo parcourant quelque chose, le bois sûrement.
– Je suis le docteur Zliot, voici l'infirmière Tiaj; désignant tour par tour leurs personnes; nos collègues vous ont amené ici après vous avoir trouvé en forêt en pleine tempête.
Tempête ? Collègues ? C'était quoi un collègue ? Il était en fôret ? Pour quoi faire ?
Il le fixait silencieusement, son esprit bouillonnant de questions sans réponses.
– Nous sommes à l'hôpital Saint Augustin.
Augustin ? Pourquoi cela lui était vaguement familier ? Et qu'est-ce qu'un hôpital ? Si son cerveau était assez logique, il en déduisit que c'était le bâtiment dans lequel ils étaient.
– Tu as été retrouvé inconscient, il y a deux jours.
Ça expliquait donc pourquoi il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait ici et de ce qui s'était passé. Le garçon entendait, mais ne répondait pas. Pourquoi le ferait-il ? Il ne connaissait aucunement l'homme en face de lui. Pourquoi lui disait-il tout cela ? Comment l'avaient-ils trouvé ?
Il ne comprenait rien, pas plus qu'il ne trouvait d'explication à tout ce qui était de nouveau ici, autour de lui. Et la panique revient d'attaque, il se sentit soudain comme pris au piège quelque part et nulle part à la fois.
– Tu te souviens ?; demanda-t-il en penchant légèrement la tête sur le côté.
S'il voulait mettre à l'aise le garçon, ce fut un succès tué dans l'œuf. Parce que non, il ne se souvenait pas de ce dont il parlait. Et pourtant, il était persuadé de vouloir se remémorer. Mais quoi ? Il ne savait pas qu'il avait été en forêt, et la raison lui échappait complètement.
Face à son silence à rallonge, l'homme grisonnant tenta une autre technique.
– En arrivant ici, tu as appelé un nom; il marqua un petit temps avant de continuer; Maeve.
La sonorité de ce nom lui fit tourner la tête vivement. Et ça, ce fût étrange. Le nom résonnait aussi profondément qu'un sentiment net et précis naissait dans le creux de son estomac. Non, il ne s'en souvenait pas, de la personne ou d'une quelconque information la concernant. Pourtant, il était certain que ça lui était familier. Et cela l'angoissait bizarrement.
Il cherchait, aussi durement que possible, dans sa boîte crânienne, ce que cela lui signifiait. Il en plissa les yeux comme si l'homme en face allait lui donner une réponse dans l'immédiat.
– Peut-être est-ce l'une de vos proches ?; essayait la femme à queue de cheval brune, remontant ses lunettes rondes sur le bout de son nez.
Un proche ? Quelqu'un de connu ? Qui ?
– Serait-ce un parent ? Une amie ?
Aucune des propositions ne l'inspirait plus que cela. Les qualificatifs étaient aussi vagues que la salutation présentée par l'homme en entrant.
Perdu, le garçon secoua lentement et imperceptiblement la tête.
– Je vois; fit Zliot, avec un sourire sans joie; peut-être pourrais-tu nous donner ton nom ? Nous chercherons des inf...
– Lucien; l'avait-il coupé.
Ce nom, il n'était même pas sûr de s'en souvenir. Pourtant, quelque chose au fond de lui le persuadait que c'était cela. C'était la seule certitude qu'il avait jusque là. Et elle sortait de nulle part.
– Lucien; répéta-t-il, soulagé d'avoir au moins une réaction; un nom de famille ?
Le garçon le regardait sans comprendre. Un nom de famille ? En avait-il un ? Si oui, il était tout aussi inconnu que celui de Maeve pour lui.
– Ce n'est pas grave; un peu déçu.
Lucien ne savait pas vraiment comment réagir. Devait-il s'excuser ? Ne rien dire ? Lui mentir ? Mentir sur quoi ? Il ne savait même pas ce qu'était un nom de famille.
– Il y a deux jours tu as été amené d'urgence ici après que quelqu'un ait signalé des parachutistes pris dans une tempête; ré-expliqua l'homme d'une voix posée.
Lucien, bien que perdu dans ses pensées, écoutait attentivement, tentant de se rappeler à l'aide de mots clés.
– En arrivant sur place on t'a trouvé complètement nu allongé en plein milieu de la forêt; Lucien tourna légèrement la tête sur le côté; les ambulenciers t'ont embarqué d'urgence car tu avais été très certainement frappé par la foudre. Ton dos était gravement touché mais il est à présent hors de danger.
Son dos ? Foudre ? Ça sonnait comme dangereux dans sa bouche. Devrait-il avoir peur ?
Maintenant qu'il en parlait, il était vrai que Lucien présentait de légères douleurs vers ses omoplates. Cela tiraillait et pouvait sûrement devenir désagréable à force du temps.
– Tu as deux profondes marques au niveau de tes omoplates, sûrement dû au fait que ton parachute a pris feu et que tes épaules ont été touchées rapidement.
Parachute ? C'était quoi un parachute ? Manifestement, d'après ses dires, cela s'était enflammé. Quelle idée avait-il donc eût pour prendre ou faire de ce parachute ? En avait-il eût même l'idée ? Était-ce la vérité ? L'homme utilisait des mots de suppositions. "Sûrement", ça ne l'avançait pas.
Définitivement à la ramasse, il se contenta de hocher la tête en baissant le regard, plus certain qu'ils parlent la même langue. Et quel langage parlaient-ils, au juste ? Il avait cette intuition que ce n'était pas ce qu'il utilisait en temps normal. Et pourtant, il le comprenait.
Lucien commençait à être frustré. Il avait beau fouiller dans sa mémoire, à la recherche de la moindre esquisse d'informations qu'il avait, rien ne venait. Le pire fût qu'il commençait à sentir ses tympans le lancer et un mal de crâne arriver. Il était aussi angoissé. De ne rien se souvenir, de cette Maeve dont on lui parlait, de sa soi-disant sortie avec ce truc, parachute. Mais le sentiment le plus fort restait sur l'appellation Maeve.
Qui pouvait-elle être ? Une amie ? Sa sœur? Sa mère ? Cette fameuse Maeve était-elle à sa recherche en ce moment même ? Que faisait-elle ? Où était-elle ? Est-ce qu'il appréciait cette Maeve ou ne l'aimait-il pas ?
Beaucoup de questions se bousculaient dans sa boîte crânienne. Il ne se rendit pas compte qu'à cause de ses efforts vains, il violentait sa couverture fine de ses doigts faibles. Oui, il se sentait faible, il tremblait aussi. Tant qu'il n'entendît pas la femme lui parler.
– Lucien ?; en posant sa main proche de son pied, sous la couverture.
Comme par réflexe, il ramena rapidement son genou contre sa poitrine, qu'il avait inconsciemment détendu, regardant la dame brune de peur qu'elle ne lui fasse mal. Elle était pourtant gentille jusque-là, pourquoi réagissait-il ainsi ?
Le regard perplexe des deux autres ne rassurait pas le jeune homme qui se recroquevillait un peu plus sur lui-même.
– Pardon, je ne voulais pas te faire peur; en la retirant calmement avant de revenir à son papier et de demander : as-tu de la famille qu'on pourrait appeler ? Une adresse à nous donner ?
Déboussolé, il secoua de nouveau la tête, resserrant ses bras autour de ses genoux. Il eût cette soudaine, et forte, envie qu'ils s'en aillent dans l'immédiat, où tout du moins que la femme ne parte. Sans savoir pourquoi, elle ne le rassurait aucunement.
– Ce n'est pas grave, Lucien; tenta de le rassurer Zliot, qui se levait lentement; nous te laissons te reposer.
Méfiant, Lucien ne cligna plus des paupières. Lisaient-ils dans les pensées ? Ils partaient si précipitamment... alors qu'il n'avait rien dit ?
– Si tu as besoin de quoi que ce soit; commença-t-il en poussant légèrement la femme vers la porte; tu peux utiliser le téléphone sur la commode. Si tu te souviens de quoi que ce soit, demande-moi ou l'infirmière Tiaj, d'accord ?
Ne lâchant pas le grisonnant du regard, il ne répondit rien jusqu'à ce qu'ils disparaissent, et même lorsque la porte fût fermée il ne se détendit pas. La panique ne semblait pas vouloir le quitter.
Cela avait été si fulgurant ! Lucien ne comprenait pas pourquoi il réagissait comme cela. Au fond, il supposait qu'il avait pris peur pour x ou y raison dont il ne se souvenait pas mais que son corps gardait une séquelle. De la violence ? Traumatisme ? Aucune idée et ça le désolait.
Alors il tenta de se préoccuper d'autre chose, pour essayer de détendre ses muscles tétanisés. Lucien se raccrocha donc à la seule chose qui l'avait vraiment marqué dans la courte discussion avec monsieur Zliot. Maeve.
Si son silence ne donnait rien, peut-être qu'en le verbalisant il trouverait quelque chose. Il le répétait quelquefois à haute voix, comme pour voir si quelque chose allait lui revenir en mémoire. Il tenta, maladroitement, différentes intonations et manières de le dire. Pourtant rien ne vînt, même après de longues minutes à essayer de gratter sa mémoire. Agacé, il finit par abandonner. Il avait l'impression de faire face à du vide profond, sans rien devant, ni autour.
Nouvelle solution pour tenter de se calmer, il inspecta son corps, intérieurement. Quelle ne fût pas sa surprise de se rendre compte que sa vessie était pleine. Quelque chose d'aussi inconnu que presque naturel. Plus naturel que de respirer, apparemment. Alors, du regard, il chercha un endroit où il pourrait se vider et y vit une pièce ouverte dans le fond où une sorte de pot y trônait. Un pot de chambre ?
Miracle, son corps répondit à son envie ! Il se détendit assez pour se lever. Cela était sans compter sur quelques difficultés. Il finit par avancer vers l'endroit. Mais, comme rien ne semblait aller dans son sens, Lucien sentit une petite douleur lui agrippant le bras. Surpris, il fit volte-face pour voir la machine à 'bip' le suivre. Ce truc avait-il une conscience ?
Intrigué comme effrayé, Lucien suivit du regard un tube transparent qui le reliait à lui. Déjà pas mal stressé, il grimaça et tira violemment sur le tube, sentant un mal sur l'intérieur de son coude. Perplexe, il observa une perle de sang en sortir. Qu'est-ce ce que cette chose lui avait fait ? Et pourquoi ces gens n'avaient-ils rien dit ? Était-ce eux qui l'avaient relié à une telle chose ? Pour quelle raison ?
Un énorme son le fit sursauter, si violemment qu'il s'en retrouvait presque complètement au sol. Quasiment contre le mur, il aperçut la dame brune de tout à l'heure se présenter quand la porte s'ouvrît. La coiffure en bourrique, la poitrine se soulevant bien rapidement, que lui arrivait-il ? Il était sûr d'une chose, son instinct ne voulait pas qu'elle l'approche.
– Lucien ?; demanda-t-elle paniquée.
Il fronçait les sourcils, toujours en position lui permettant de fuir au cas où elle s'avancerait de trop près. Qu'est-ce qu'elle voulait ?
– Tu t'es débranché ?
De quoi ? Ce truc était peut-être dangereux et la seule chose qu'elle trouvait à lui demander était si c'était de sa faute ? Il l'avait comprit à l'intonation de sa voix.
Voyant l'incompréhension naissante sur le visage du jeune homme, elle posa son regard sur la chose 'bip', qui émettait un son continu et désagréable qu'il aurait voulu arrêter de suite. En se penchant pour ramasser le tube, elle regardait étrangement le jeune homme en soupirant et éteignant la machine, avant de demander pourquoi il avait fait ça.
Sur la défensive, il la toisa de travers en se reculant un peu plus, tandis qu'elle replaçait sa veste blanche sur ses épaules. Il était hors de question qu'il lui réponde, quelque chose lui soufflait de ne pas le faire. Elle ne lui inspirait pas confiance.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? Quelle est l'urgence ?; arriva en trombe monsieur Zliot.
N'ayant pas de réponse à cela, l'infirmière, de son statut, haussa les épaules, fourrant ses mains dans ses poches avant de se tourner de nouveau vers Lucien.
– Lucien ?; demanda-t-il en s'approchant.
La peur au ventre, le garçon se recula de nouveau, commençant à faire le tour du lit. L'homme poivre et sel se stoppa. Manifestement, il ne savait pas ce qu'il lui prenait. Tout comme Lucien, mais ça, il supposait qu'il le savait. Malgré tout, monsieur Zliot semblait inquiet, et cela peinait Lucien. Le garçon s'était légèrement détendu lorsque le docteur avança lentement ses mains devant lui pour lui signifier qu'il était inoffensif.
– Ok, tout va bien; calme et apaisé; tout va bien...
Sauf que Lucien s'était de nouveau mis en alerte lorsque l'infirmière s'avançait elle aussi. Il la regardait comme si elle portait une arme dans sa main, le tuyau transparent pour être précis. Attentif, Zliot fit signe à la femme de s'arrêter dans l'immédiat.
– Tiaj; sans détacher ses yeux de Lucien; vous pouvez retourner à votre patient.
– Mais, monsieur...
L'homme leva le pouce. Alors, sans demander son reste, elle s'en alla, ne fermant pas complètement la porte blanche en sortant. Lucien n'avait pas détaché son regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement.
– Tout va bien; murmura-t-il doucement; elle est partie.
Lucien tourna vivement son attention vers lui, le toisant quelques secondes avant de s'autoriser à respirer à nouveau. L'homme le remarqua et hocha faiblement la tête avec un fin sourire.
– Ok; se redressant au même rythme que le convalescent, et si tu me disais qu'est-ce qui t'a fait peur comme ça ?
N'ayant pas la moindre idée de comment ce truc se nommait, Lucien fixa instantanément ses yeux sur la machine. Réactif, Zliot tourna la tête dans la direction indiquée par Lucien.
– Le cardioscope ? Tu ne sais pas ce que c'est ?
La mine perplexe du convalescent répondit à sa place.
– C'est juste pour vérifier que tu es en vie et que tout va bien.
Quelque chose disait au jeune homme qu'il utilisait du vocabulaire simple pour lui expliquer.
Pas vraiment plus confiant que précédemment, Lucien fît une petite grimace avant de hocher la tête.
– Et tu allais où comme ça, mon grand ?, détendant ses épaules au passage.
Lucien, plus par réflexe qu'envie, baissa son regard vers le bas de son corps. Comment exprimer son besoin quand il ne savait pas quels mots utiliser ?
– Besoin de faire pipi ?; tenta l'homme.
Lucien opinait du chef. Oui, ça devait être ça. Zliot lui libéra donc le passage pour qu'il puisse accéder à la salle à toilette. Lucien s'était dépêché de vite le fuir et s'enferma rapidement dans la pièce. Il plaqua sa main contre la battant comme pour la retenir au cas où l'homme tenterait de pénétrer dans l'endroit étroit.
Puis il finit par se tourner lentement avant de trouver du regard l'objet convoité. Ni une ni deux, il s'y dirigeait pour faire son affaire. Comme prévu, cela soulageait considérablement son bas ventre. Mais était-il plus détendu que précédemment ?
Son besoin terminé, il remonta son futal avant de se tourner de l'autre côté. Curieux, il s'approcha de quelque chose de gris et brillant, dont deux extrémités l'intriguait. Lucien actionna l'une d'elles et sursauta. De l'eau. Ce truc desservait de l'eau ! Il passa sa main sous le faible jet en fronçant les sourcils. C'était intriguant comme la sensation était agréable. Et pourtant son cœur s'était accéléré. Adrénaline ? Appréhension ? Peur ? Il ne savait pas mais il remonta la manivelle à son maximum puis se redressa.
Le sursaut qu'il eut juste après lui avait presque arraché un cri. Quelqu'un était en face de lui et il ne l'avait pas vu ou entendu rentrer. Enfin, ce n'était pas quelqu'un. C'était lui. Parce que la personne reproduisait exactement les mêmes mouvements qu'il effectuait. La main droite levée, approchant sa joue lentement. Alors c'était à ça qu'il ressemblait ? Il était brun ? N'était-ce pas la même couleur que son esprit actuel ? Noir profond ?
Intrigué par son reflet, il fît progresser ses doigts vers son nez. Il prenait beaucoup de place sur son visage. Long et droit, il lui plaisait d'un certain sens. Il l'aimait bien, il s'harmonisait bien avec ses grands yeux. Il avait des grandes mirettes aussi intenses que sa chevelure.
Lucien avait l'impression de se connaître. Pourtant, d'un autre côté, de rencontrer aussi un inconnu. Il se détailla, découvrant des dents blanches et un pointues comparées à celle des autres personnes qui lui avait parlé. Il n'osa pas les toucher.
Avant d'avoir pu observer son dos, la voix de l'homme à l'extérieur l'appela doucement. Lucien fronça les sourcils, fixant la porte. Il l'avait un temps soit peu oublié, pour être honnête. Déboussolé par sa contemplation, il se dirigea vers le battant avant de l'ouvrir prudemment. En pointant le bout de son nez dans la chambre, Lucien tomba sur le médecin qui consultait des feuilles puis se tourna vers lui, rangeant un objet rigide dans la poche sur sa poitrine. C'était quoi ? Une arme ?
– Ça va mieux ?; demanda-t-il, d'une mine plus lumineuse que tout à l'heure.
Lucien ne répondit rien, le fixant sans bouger de l'antre de la salle aux toilettes.
– Approche; l'invita-t-il.
Il sortit à peine de la pièce, gardant la poignée dans la main, sans aller vers lui. L'homme devina qu'il ne viendrait pas plus près et sourit, compréhensif.
– Je voudrais te parler du cardioscope; s'asseyant sur le lit derrière lui; tu sais la machine dont tu as peur.
Méfiant, Lucien lança un regard dans la direction de l'objet avant de revenir à l'humain.
– Cette machine n'est pas dangereuse, c'est juste par précaution.
Quelle précaution ?
– Nous ne sommes pas toujours à côté de ta chambre pour s'assurer que tu vas bien; lui expliqua-t-il; cette machine nous transmet des informations à distance comme le fait que ton cœur aille bien.
Pourquoi n'irait-il pas bien ? Et comment ça à distance ? Comment cela fonctionnait ?
– C'est important pour nous de nous assurer que tu es toujours en vie, tu comprends ?
Pas vraiment, mais Lucien ne dit rien, ne fît aucun geste autre que cligner des paupières.
– Il faut que nous désinfections ton bras avant de te remettre...
S'il s'était levé pour commencer à exécuter ses dires, Lucien secoua vivement la tête, à se tendre comme un arc. Il pensait avoir deviné ce que l'homme voulait dire et il refusait.
Surpris, Zliot s'arrêta net pour le fixer.
– Elle te fait vraiment si peur ?; s'inquiéta monsieur Zliot.
Même si cela relevait de lui révéler une faiblesse, chose qui ne le rendait pas forcément très confortable, Lucien hocha la tête. C'était toujours mieux que de se retrouver associer avec un tel truc.
– Tu sais, je tiens vraiment à ne pas te pister et te...
– S'il vous plaît; d'une voix faible.
Entendre sa voix pour la deuxième fois lui fît un petit quelque chose. Elle était grave, sans trop en imposer. Elle sonnait bien.
Face à son visage anxieux et suppliant, le médecin finit par soupirer.
– Ça va à l'encontre de la procédure, Lucien. Si ton pouls baisse et que tu es en situation d'urgence, je ne pourrais pas le savoir.
Cependant, le noiraud continuait de le fixer, sans ciller. N'y avait-il pas un autre moyen ? Zliot marmonna dans sa barbe avant de se pincer l'arête du nez.
– Bon, je t'accorde la nuit. Tes constantes sont plutôt régulières; à contre-cœur, cela se voyait; mais une infirmière passera régulièrement pour surveiller ton état. Ça te va ?
C'était mieux que rien, alors Lucien abaissa les épaules, signe d'acquiescement. Pas le choix, il n'avait manifestement que ces deux options de disponible.
– Je reviendrai demain matin pour changer tes pansements; l'informa-t-il en gribouillant quelque chose sur sa feuille.
Lucien l'examina quelques instants. Il se trouvait bien calme comparé à son attitude avec la femme. Il était quelque part rassuré, sans savoir pourquoi.
– Vous êtes gentil; dit-il après un long silence.
Zliot rigola doucement, levant les yeux vers lui. Lucien était sincère dans ses paroles, il espérait seulement que le médecin l'ait compris aussi. Manifestement, ses mots ne le rendaient pas indifférent.
– Merci, j'apprécie; avec un sourire.
Deux minutes plus tard, il était parti. Ses conseils étaient clairs : Lucien devait se reposer. Puis il lui avait dit quelque chose d'étrange comme "la nuit porte conseil". Mais conseil sur quoi ? Lucien n'avait pas saisi ce qu'il voulait dire par là. Même après qu'il se soit assis sur le bord du lit, à regarder l'horizon déjà assombri du crépuscule, il y méditait. À vrai dire, il s'était aussi introspecté. Pour être totalement honnête, il se sentait vidé. Il avait l'impression d'avoir couru un marathon et que tous ses muscles lui hurlaient de se reposer. Il ne s'était pas réveillé il y a bien longtemps, si ?
En fermant les yeux, il tenta de détendre tous ses muscles un par un. Tant qu'il ne se rappelait même pas avoir rejoint Morphée.
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