Chapitre 33

Lorsqu'il se réveilla, Vestar eut l'impression que tout avait changé. Une atmosphère étrange régnait dans Ceramos. Le calme après la tempête. L'acceptation des nombreuses morts et des dégâts interminables.

Vestar n'était pas resté longuement à l'infirmerie. En dépit de ses blessures, il avait insisté pour sortir et aider son peuple à retrouver un peu de courage et d'entrain. Il repoussa son couronnement pour pouvoir parer au plus urgent : donner des sépultures décentes à tous les morts. Il voulait instaurer ce respect des sacrifices, donner cet honneur qui était le seul bien des soldats auparavant à tous ceux qui avaient combattu pour lui.

Ça avait été un grand choc dans tout le royaume lorsqu'il avait annoncé sa décision. Alrek l'avait soutenu sans rien dire. Il l'avait laissé faire les choix qu'il jugeait nécessaire pour son peuple. Il n'avait pas cherché à intervenir.

La présence des isstadiens n'était plus reçue de la même manière. Ils étaient toujours regardés avec méfiance et dégoût mais personne ne faisait la moindre remarque Ils étaient isolés mais c'était toujours mieux que ce qu'ils avaient vécu jusque là sur le territoire céraméen.

Le couronnement commença à être préparé dès la fin des enterrements. Cependant, Vestar refusa une cérémonie en grandes pompes. Il aurait parfaitement pu se le permettre. Le château en avait les moyens avec tout ce qu'Elina avait accumulé dans les caisses. Nonobstant, il ne pouvait pas infliger la vue d'un tel faste à des gens qui avaient été affamés et maltraités durant des mois. Il n'était pas sa mère.

C'était la seule décision qui n'avait pas plu à Alrek. Si le blond avait accepté tout le reste, il n'avait pas aimé que Vestar choisisse d'organiser une cérémonie qu'il définissait comme « pauvre ». Pour lui, ce n'était pas correct de ne pas avoir un couronnement digne d'un roi. Vestar, cependant, ne changea pas d'avis.

Il était plus calme face à l'approche du couronnement. Il avait une nouvelle vue sur tout ce qui se passait. Entre les dégâts qu'avait subi son royaume, sa mère enfermée dans une cellule des donjons, son couronnement et son futur mariage... Son esprit ne parvenait pas à s'inquiéter d'une seule chose parmi toutes.

Il faisait un froid polaire le jour de la cérémonie. Ce n'était pas un problème pour les isstadiens mais les céraméens étaient tous emmitouflés dans d'épais manteaux. L'escorte d'Alrek s'en amusait beaucoup.

La salle du trône était à peine décorée. La tenue de Vestar était sobre. Il n'avait réellement fait aucun effort pour marquer l'occasion. Il ne regrettait pas son choix. Au contraire, il était plutôt satisfait de voir que l'on avait suivi ses ordres. Le seul investissement de la journée était dans le buffet qui aurait lieu après.

La cérémonie se déroulerait étrangement. Comme son père était mort et sa mère emprisonnée, ce fut l'ancien du conseil royal qui lui offrit la couronne et le sacra sous les yeux du peuple. Il avait ouvert les portes du château à tout le monde. Les paysans étaient tous aussi mal fagotés les uns que les autres. Vestar s'en moquait.

Il s'agenouilla devant le conseiller Raimond et inclina la tête. Il sentait la présence d'Alrek à sa gauche, parmi les invités prestigieux. Il détonnait au milieu des envoyés des autres royaumes et des nobles. Savoir qu'il était là, à quelques mètres, le rassurait.

- Vestar de Ceramos, fils de Thorlack, vous êtes ici, devant notre assemblée, pour prendre cette couronne. Pensez-vous être capable d'en assumer le poids ?

- Oui.

- Jurez-vous d'être au service de ce royaume et d'en représenter l'honneur et les traditions ?

- Oui.

- Le conseil juge-t-il Vestar de Ceramos digne de monter sur ce trône ?

Vestar patienta avec un nœud dans l'estomac. Après quelques secondes, les voix graves des conseillers s'élevèrent, les unes après les autres, donnant leur consentement à son couronnement. Il relâcha un soupir tremblant de soulagement.

- Levez-vous, fils de la couronne, que je vous sacre comme notre nouveau souverain.

Il obtempéra, se hissant sur ses jambes pour faire face à Raimond. Le vieux conseiller récupéra la lourde couronne de métal sur le coussin de velours que portait un jeune page. Il la montra à l'assemblée qui scanda le nom de Vestar jusqu'à ce que le froid métal soit sur sa tête. Vestar tourna sur lui-même et affronta les regards en tant que roi pour la première fois.

- AU ROI VESTAR ! hurlèrent les spectateurs. LONGUE VIE AU ROI VESTAR !

Vestar jeta un regard vers Alrek qui arborait un sourire léger et discret, destiné uniquement à lui. Il ne put que répondre à son sourire avant de sortir de la salle du trône. Ceux qui n'avaient pas pu entrer remplissaient le hall et la cour. Ils scandèrent son nom et un fort sentiment de pouvoir et de fierté lui gonfla le cœur.

Il était roi. Il avait prit le trône, enfin. Il avait atteint son héritage. Ce pour quoi il était né. Il se sentait libéré. C'était étrange d'être au-dessus de tout ce monde. Il était celui qui allait devoir diriger et protéger tous ces gens. C'était une énorme responsabilité mais il avait hâte de s'atteler à cette tâche. Il avait attendu cet instant toute sa vie.

Voir le peuple l'accueillir aussi chaleureusement lui fit un bien fou. Il avait bien fait de choisir d'avoir une cérémonie très épurée et de tout miser sur un buffet ouvert pour pouvoir célébrer avec tout le peuple. Ce n'était pas commun d'ouvrir un couronnement aux paysans mais, après la bataille, il tenait à leur redonner un peu d'élan. Quoi de mieux qu'une véritable débauche de nourriture ?

Il prit la première bouchée et tout le monde s'élança sur les tables. Il se sentit sourire lorsqu'une main glissa dans le bas de son dos. Alrek apparut à côté de lui.

- Heureux ?

- Très, sourit Vestar.

- Je comprends mieux ton raisonnement, maintenant. Tu avais raison de faire quelque chose d'aussi... léger. Tu as su les atteindre, les attacher à toi. Tu as bien fait de ne pas m'écouter.

Vestar sourit et déposa un baiser sur sa joue. Le blond étouffa un rire.

- Et bien, et bien ! Tu as l'air libéré d'un poids.

- Je crois que je le suis. Je commençais à penser que je n'y arriverais jamais. Que ma couronne allait m'échapper.

- Elle est à toi, maintenant. Tu es roi, Vestar de Ceramos.

- Moque-toi. Je n'étais pas aussi glorieux que toi le jour de ton couronnement, Alrek d'Isstad.

- Tu es plus heureux que moi de l'avoir, cette couronne. Je n'avais aucune hâte de devenir roi.

Vestar se tourna vers son fiancé. L'aveu ne le surprenait pas. Il savait qu'Alrek aurait préféré ne pas avoir à prendre le trône s'il avait eu le choix. La meilleure place pour lui aurait été d'être un second fils ou même un troisième pour pouvoir entrer dans l'armée.

Contrairement à lui, Vestar avait tout fait pour atteindre son trône. C'était son destin, son héritage. Il était fait pour régner. Il ne pouvait pas imaginer faire autre chose. Il aurait préféré mourir plutôt que d'abandonner sa couronne.

Très vite, la foule se dispersa et Vestar entraîna Alrek vers leur chambre. Elle avait été aérée, les draps avaient été changés et un feu brûlait dans le cheminée. La décence et les règles de bienséance auraient voulu qu'ils dorment dans des chambres séparées. Néanmoins, Vestar n'avait aucune envie de briser leurs habitudes. Et Alrek non plus même s'il n'en dit rien.

Le lendemain, Vestar se retrouva happé par les affaires du royaume. Il eut à peine le temps de voir son fiancé. Il passa de réunions en réunions pour pouvoir saisir la globalité des dégâts qu'Elina avait causés. Et elle en avait causé un nombre.

Le plus difficile avait été d'organiser son exécution. Il n'avait pas eu le choix. Ça avait été la première lourde décision qu'il avait dû prendre en tant que roi et il n'avait pas pu faire autrement que de lui accorder un procès qui, évidemment, c'était mal terminé pour elle. Le peuple avait exigé une sentence plus sévère qu'une simple pendaison. Il voulait lui faire payer tout le mal qu'elle avait infligé à Ceramos. Le conseil avait été obligé d'écouter. Vestar n'avait pas eu d'autre choix que de suivre. Plutôt que de pendre au bout d'une branche, Elina avait été lapidée.

L'exécution avait duré des heures et Vestar en était ressorti tremblant et suffoquant. Il avait chassé tout le monde jusqu'à ce qu'il ait repris ses esprits. Il n'avait même pas laissé Alrek le voir dans cet état. Il avait refusé d'adresser le sujet depuis.

Au-delà de la pauvreté, Elina avait réattribué des terrains qui avaient été hérités par des familles depuis des millénaires. Elle avait élevé les impôts et coupé le commerce avec les royaumes de l'autre côté de la mer. Pour obtenir des promesses de mariage de la part de Rhesad et d'Udlica, elle leur avait cédé des avantages et des richesses qui allaient être difficiles à récupérer.

Comme pour le prouver, le prince Vanker en personne arriva deux semaines après le couronnement avec toute une délégation udlicanne. Il s'y était préparé. Forcément, il allait exigé des réparations pour le changement de plans. Il était censé obtenir une princesse qui allait être bannie de son royaume Vestar n'avait aucune envie de gérer ce prince outragé.

Il laissa Alrek assister à l'entrevue. Ce n'était que correct puisqu'il était son fiancé. Il était installé à l'écart, face aux nobles qui le fixaient avec méfiance. Alrek n'y prêtait pas la moindre attention. Il se tenait droit, fier et royal.

Le prince Vanker entra, encadré des siens. Il était fier et bronzé, les yeux verts, massif et plutôt petit. Tassé, même. Il n'était pas laid à proprement dire. Toutefois, il était atrocement banal. Seule sa tenue le désignait comme un prince. Les lourds pans de velours pourpre et les fils d'or soulignaient sa silhouette. Son pantalon collait à ses jambes et était encore sali de poussière. Il n'avait même pas pris la peine de se changer après son voyage. Si Vestar avait été susceptible, il aurait pu en concevoir un certain outrage.

Il resta assis dans son siège alors que Vanker s'inclinait à peine.

- Roi Vestar, merci de me recevoir, dit-il.

- Vous ne m'avez pas laissé le choix, répliqua-t-il calmement. Votre arrivée est soudaine et très inattendue.

- Je m'en excuse. Cependant, il faut que nous discutions de sujets importants.

- Sans surprise. J'ai appris que ma mère vous a promis un mariage avec ma sœur. Malheureusement, il est évident qu'il n'aura pas lieu puisque ma sœur est bannie de la lignée.

- C'est ce que j'ai entendu dire. Votre histoire est assez... romanesque.

- En effet. Si nous passions au sujet pour lequel vous êtes là ? Je doute que cette discussion sans intérêt soit la raison pour laquelle vous êtes descendu d'Udlica.

Vanker parut surpris qu'il soit aussi direct. Vestar n'avait aucune envie de tourner autour du pot. Il savait que les udlicans aimaient prendre leur temps pour amener les sujets pour pouvoir manipuler leurs interlocuteurs. S'il forçait Vanker à parler, il risquait moins de se faire avoir. De toute façon, il préférait en terminer au plus tôt.

- Très bien. Puisque c'est ce que vous voulez. Quel dédommagement vais-je avoir pour ce mariage ? Parce que mon royaume a déjà offert à Ceramos les hommes et les richesses que votre mère a exigé. La moindre des choses est de remplir la part du marché.

- Nous pouvons vous rendre ce que vous nous avez donné et ajouter quelque chose pour compenser.

- J'étais censé obtenir un mariage et une alliance. Nous rendre ce que nous avons donné ne sera jamais suffisant. Vous devez rembourser cette partie.

- Et que voulez-vous ?

C'était quitte ou double. Soit Vanker était insensé et la discussion allait devenir compliquée, soit il était réfléchi et ils pourraient vraiment discuter. C'était un mouvement risqué de sa part mais il était prêt à prendre le risque.

- Un mariage, évidemment. Je suis censé unir nos royaumes et il n'y a que cette solution.

- Il y a nombre de ladies qui seraient ravies de vous donner une chance.

- Une lady ? On m'a promis une princesse et je devrais me contenter d'une lady ?

Vestar fronça les sourcils.

- Où voulez-vous en venir ?

- Vous le savez très bien. On m'a promis une princesse, je ne descendrais pas à moins.

- Vous ne pouvez pas exiger de telle chose ! objecta le chef du conseil royal. Il est connu que Sa Majesté est déjà fiancé à son Altesse Alrek d'Isstad.

- Sauf que sa mère m'a promis un mariage et que si je ne l'obtiens pas, ça sera la guerre.

- Votre désir ne pourra pas atteindre la moindre complétion, énonça froidement Alrek. Comme le chef conseiller Raimond l'a dit, Sa Majesté est et moi sommes fiancés. Ce n'est pas quelque chose que vous pourrez rompre. Quant à une guerre, vous y perdriez plus que vous n'y gagnerez car vous ne feriez pas face uniquement à Ceramos mais à Isstad aussi.

Vanker regarda Alrek avec froideur. Vestar détesta cela. Il était certain que le prince étranger avait autre chose en tête. Il n'aurait pas demandé un mariage aussi controversé en sachant pertinemment que Vestar et Alrek étaient déjà fiancés. Il devait avoir un plan plus sérieux en lequel il avait confiance. Forcément.

- Ceramos n'acceptera jamais une telle union, rétorqua Vanker. Déjà que vous soyez du même sexe rend les choses pratiquement impossibles mais Ceramos et Isstad alliés ? Ils ne pourront jamais accepter une telle chose. Pas après la guerre. Quitte à avoir un mariage controversé, ils préféreront assurément le voir survenir avec un allié.

- Je pense que vous surestimez la haine des céraméens à l'égard d'Isstad. Il se trouve qu'ils reconnaissent leur rôle dans la prise de Northedge. Ils savent aussi que c'est entièrement grâce à Son Altesse Alrek que j'ai survécu assez longtemps pour revenir à Ceramos. Donc, je pense que mon choix ne changera pas. Il ne sera jamais question de mariage entre nous. Si vous voulez absolument obtenir un mariage, il vous faudra choisir parmi les ladies de la cour. À moins que vous ne préfériez épouser ma sœur comme cela était prévu.

- Ne m'insultez pas !

- Je ne fais que vous exposer les possibilités qui vous sont ouvertes. Celle que vous semblez vouloir à tout prix ne l'est pas. De plus, soyez honnête, voudriez-vous vraiment m'épouser ? D'après les rumeurs, vous êtes un homme à femmes. Ce que votre père n'approuve pas plus que cela, d'ailleurs.

- Je ne dois pas penser à mes préférences personnelles mais à ce qui est le mieux pour mon peuple.

Vestar se leva et rejoignit le prince. Il posa ses mains sur ses épaules pour l'obliger à le regarder. Les iris verts hésitèrent avant de se figer face aux siens.

- Croyez-moi, ce mariage ne protégerait pas Udlica s'il arrivait. Parfois, se sacrifier n'est dans l'intérêt de personne. Une union entre nous serait désastreuse car nous finirions par nous haïr et nous finirions par nous entre-tuer. Ce qui, sans conteste, enclencherait une guerre d'une toute nouvelle ampleur. Une guerre qui ravagerait Udlica.

Il garda son regard rivé dans celui de son vis-à-vis, observant les rouages s'activer dans son crâne. Vanker semblait très mal à l'aise, presque perdu. Il était connu que son père aimait le contrôle et qu'il ne laissait pas à son fils beaucoup de marge de manœuvre quand on en venait au royaume. Devoir prendre une décision par lui-même allait être complexe car il devait avoir à l'arrière de la tête la colère dans laquelle son père allait exploser.

- Il est vrai que je n'ai aucune envie de vous épouser, admit Vanker. Absolument aucune. Mais ce n'est que de la politique. Contrairement à ce qu'il se passe entre vous deux. La rumeur dit que votre histoire a commencé dans l'enfance.

- La rumeur dit vrai.

- Sans surprise. Ça se voit tout de suite.

Un silence tomba entre eux et Vestar se recula.

- Le vrai sujet d'importance est l'alliance. Elle est possible même sans mariage. Je ne pense pas qu'il faille absolument se marier pour parvenir à un accord.

- N'est-ce pas en partie pour cela que vous allez épouser Son Altesse d'Isstad ?

- Même si je ne lui avais pas demandé de m'épouser, notre alliance aurait été certaine. N'est-ce pas ?

- Tout à fait, approuva Alrek. Il y a plus à la politique et aux alliances que des échanges entre familles influentes. Quel intérêt pour vous d'épouser une quelconque personne de Ceramos si la confiance et l'échange n'existent pas ? Si Sa Majesté Vestar m'a appris quelque chose durant son séjour à ma cour, c'est qu'une alliance sans confiance est précaire et ne tiendra pas sur le long terme.

- Que proposez-vous, dans ce cas ?

- Pour aujourd'hui, joignez-vous à nous pour dîner, répondit Vestar. Discutons et tentons de devenir amis. Nous avons tous besoin d'amis quand nous avons autant de responsabilités que nous.

Pour la première fois, Vanker esquissa un sourire et accepta gracieusement la proposition.

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NdlA : Et voilà l'avant-dernier chapitre ! Saurez-vous deviner ce qu'il va se passer dans le prochain ?

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