Chapitre 25
Le couronnement d'Alrek prit tout le monde par surprise. La question n'avait jamais été soulevée et, d'un coup, le roi Caspar annonçait la date de la prise de pouvoir de son fils. Les préparatifs se lancèrent, les invitations s'envoyèrent et tout fit boule de neige.
Vestar était toujours avec Alrek tout en ayant la sensation d'être à des kilomètres. Il avait été autorisé à porter une arme sur lui pour être capable de protéger le futur roi. Comme prévu, Merken, Valdemar et Linus s'étaient faits soudain discrets. Une foule entourait constamment l'héritier et rendait toute attaque impossible. Surtout qu'ils se savaient surveillés. Vestar n'avait pas hésité à leur faire savoir qu'il avait connaissance de leurs projets et qu'il était bien décidé à les contrer.
Le plus dur, cependant, ce n'était pas de faire face aux adversaires et aux préparatifs mais à l'arrivée incessante de proposition de mariage. Elles venaient de partout. Rhesad, Udlica, des terres de l'autre côté de l'océan... Même de Ceramos. Ils ignoraient si Elina était au courant que certains de ses nobles tentaient de changer leurs alliances en mariant une de leurs filles au futur roi d'Isstad.
Alrek répondait négativement à la plupart. Les autres, les plus avantageuses, il s'obligeait à les garder. Vestar n'ignorait pas son avis sur le sujet. Il ne les gardait que parce qu'il y était obligé. En dépit de tout, il ne renonçait pas à une solution miracle qui le sauverait d'un mariage normal.
Vestar devait admettre être souvent distrait dans ses réflexions. Il passait beaucoup de temps à songer à leur plan et à en vérifier chaque tenant et aboutissant. Jusque là, tout fonctionnait comme prévu. Le changement du vent de Rhesad et Udlica quant aux mariages avec Elina et Anda avait fait l'objet de nombreuses conversations qui tournaient en dérision la reine auto-proclamée.
Il savait que sa mère en serait furieuse. Il avait attendu la lettre qui n'avait pas tardé à arriver. Il l'avait dissimulée à Alrek pour ne pas l'inquiéter. Sa mère ne pouvait pas réellement mettre ses menaces à exécution. Si elle en avait les moyens, Alrek et lui étaient bien trop protégés pour qu'elle puisse parvenir à eux.
Il fallut deux mois pour réussir à finaliser la cérémonie du couronnement d'Alrek. Son habit était glorieux. D'un vert émeraude profond et pur, il resplendissait sous la lumière du soleil. Les fils d'or et les ajouts de fourrure s'accordaient à la perfection. À côté, malgré son habit couleur de braises ardentes, Vestar avait l'air d'un courtisan. Il savait que ce n'était pas le cas, qu'il avait reçu un habit officiel de prince de Ceramos. Il avait reconnu la coupe des vêtements. Comment la couturière royale avait réussi à mettre la main sur un tel habit était un mystère. Alrek devait avoir été derrière la demande.
Dès le réveil, Alrek se montra nerveux et agité, prompt à l'envoyer sur les roses. Vestar dut faire appel à toute sa patience pour le supporter. Il l'aida à s'habiller sans répondre à ses attaques, lui tint la main pendant que la coiffeuse lui tressait une coiffure bien plus digne que tout ce que lui aurait pu créer, le serra tout contre lui avant qu'ils ne sortent de leurs quartiers.
Toute la garde princière escorta Alrek et Vestar jusqu'à la salle du trône. Les personnes venues assister au couronnement étaient si nombreuses que la salle n'était pas assez grande pour tous les contenir. Les invités les moins importants se déversaient dans l'entrée, formant une haie humaine qui s'agenouilla devant leur prince.
Vestar ne put qu'admirer la marée qui se déversa jusqu'aux pieds du dais. À chaque pas, les invités s'agenouillaient et bénissaient leur prince. Il prit le soin de garder la tête baissée, se cachant au maximum derrière ses cheveux qu'il avait laissé libres pour l'occasion. Il était céraméen et, comme au bal de Tindra, il apparaîtrait entièrement céraméen.
Lorsque Alrek arriva devant le dais, il s'agenouilla et Vestar s'écarta du lourd tapis rouge qui avait tracé le chemin du prince. Il trouva son coussin doré habituel et s'y installa. Il garda les yeux rivés sur son amant.
Caspar se leva, paré de son habit de roi, une lourde épée attachée au côté. Vestar n'avait jamais rien vu de tel. Il savait ce que c'était. Le sabre des ancêtres. Il était épais, récemment acéré, incrusté de pierres, majoritairement des émeraudes. Il était réputé pour avoir plusieurs millénaires et coûter une véritable fortune. Il était le symbole de la puissance et de la royauté isstadienne.
Quelques décennies auparavant, les princes, pour leur couronnement, devaient aller creuser la tombe d'un ancêtre pour récupérer leur épée. C'était un élément essentiel du processus de couronnement mais l'un des ancêtres d'Alrek avait choisi de changer les règles après être monté sur le trône. Il avait voulu éviter à son fils de faire ce que lui avait été obligé de faire. Ça avait été vu comme une preuve de faiblesse et il avait été l'un des rois les plus méprisés de la lignée. Toutefois, le rituel n'était pas revenu.
Pas en tant que tel. Il avait été remplacé. Désormais, chaque prince voulant ravir le trône devait affronter son père et lui prendre l'épée et la brandir devant la foule des spectateurs. S'il échouait, il mourait. S'il réussissait, un énorme banquet avait lieu qui s'étirerait jusque tard dans la nuit où il était obligé de finir par rouler sous la table à cause de l'alcool. Il était censé se prouver assez fort pour supporter une nuit de beuverie. Le lendemain aurait lieu le couronnement en lui-même.
Caspar descendit et s'arrêta devant son fils, si près qu'Alrek en était presque à lui embrasser les bottes.
- Déclare ton nom, toi qui veux mon trône, mon peuple et mes richesses.
- Alrek Caspar Iarlabanki Oddleif Svartkollr d'Isstad.
- Je te mets au défi de prouver ta valeur dans un duel. Es-tu prêt à mourir pour obtenir ce que tu désires ?
- Je suis prêt. S'il en est ainsi, je mourrai sous cette épée à votre côté.
- Si tu triomphes, es-tu prêt à en assumer les conséquences ? À chérir ce peuple comme si chacun de ses membres étaient ta chair et ton sang ? À le protéger, à le faire prospérer ? À toujours choisir ses intérêts en dépit des tiens ? À respecter les règles et traditions qui lui sont les plus chères ?
Vestar vit la profonde inspiration d'Alrek, devinant ses yeux fermés, la cruauté du choix qu'il devait faire.
- Je m'y engage.
Il ignorait si quiconque en dehors de lui avait perçu le trémolo douloureux dans la voix du prince. Il avait envie de le rejoindre et de le serrer contre lui. De le forcer à revenir sur ses mots, de le prendre par le bras et fuir. Ils auraient dû fuir. Tous les deux, loin après l'océan. Ils auraient dû faire ça si leurs royaumes n'avaient pas été tout ce qu'ils connaissaient.
- Lève-toi, Alrek Caspar Iarlabanki Oddleif Svartkollr d'Isstad. Et allons dans l'arène pour voir si tu es capable de servir et de protéger le glorieux royaume d'Isstad.
Il tendit la main à son fils qui la nia pour se relever seul. C'était le passage obligé. C'était l'un des premiers pièges, le plus basique et repérable. Côte à côte, père et fils sortirent de la salle du trône, tous deux au sommet de leur beauté et de leur fierté. Vestar se releva et suivit le prince, Asgeir marchant à côté de lui. L'animosité entre eux était au sommet de son intensité. Si Asgeir avait pu, il lui aurait sauté à la gorge.
L'arène était en vérité un champ à la terre encore dure malgré l'arrivée du printemps encerclé par des gradins de bois qui avaient été construits durant la semaine et qui seraient brûlés durant la nuit pour alimenter le feu.
Caspar partit d'un côté et Alrek demeura à l'opposé. Ils étaient séparés de la vue du public et de l'un l'autre par des tentes étroites qui parvenaient à laisser entrer quatre personnes maximum. Vestar chassa Hardan et le servant qui avait amené la tenue de bataille d'Alrek. C'était une version améliorée de sa tenue basique d'équitation avec des parties d'armures dissimulées dans le velours vert.
Une fois seuls, Vestar le rejoignit et l'aida à se débarrasser de la cape et des multiples couches de soie, de lin et velours. Il laissa Alrek enfiler sa seconde tenue avant d'oser le regarder. Il brûlait de lui demander de fuir, de simplement partir. Il ignorait comment il en était arrivé là. Il était arrivé à Isstad avec l'intention de réduire la famille royale en cendres et maintenant, il voulait fuir le monde qu'il avait toujours connu et pour lequel il avait toujours combattu pour arracher Alrek au monde qui tentait de le lui voler.
- C'est trop tard, murmura le prince. Je dois le faire. Et au banquet, tu devras révéler qui tu es réellement. Nous devons arrêter tout cela, unir Isstad et Ceramos. Pour cela, il faut que nous soyons sur nos trônes. Il nous faut le pouvoir.
- Je sais.
- Je vais gagner contre mon père, comme prévu. Ça sera plus un spectacle qu'un réel combat mais j'aurais cette épée et, demain, je serais couronné. Je serais roi et...
Vestar le coupa, incapable de supporter l'idée de ce qui allait se passer demain. Il plaqua ses lèvres sur les siennes pour étouffer les mots qui seraient forcés de sortir durant le couronnement. Pour le moment, il vivait chaque minute après l'autre.
- On s'en sortira, lui promit Alrek en lui caressant le visage, les cheveux. Il y a forcément une solution.
Vestar ne répondit pas et réajusta les lacets qui nouaient le devant la tunique du prince. Dehors, la foule s'impatientait. Le roi Caspar devait être entré dans l'arène.
- Juste... Fais attention à toi, d'accord ?
Alrek dut sentir qu'il n'était pas le seul à subir cette longue cérémonie car il hocha la tête sans rien ajouter. Il lui ravit un court baiser avant de sentir de la tente. Vestar dut se forcer à sortir derrière lui, son masque de cour tenant absolument à tomber.
Il s'installa à côté de Nicklas. Ce dernier tenta de lui parler mais Vestar ne parvint pas à répondre. Il observa le père et le fils se tourner autour, arme au poing. Il connaissait déjà l'issue du combat mais il ne pouvait s'empêcher d'imaginer quelque chose tournant mal, Caspar trahissant son propre héritier devant toute l'assemblée. Il suffisait de peu de choses pour que ce combat tourne mal.
Et puis, d'un coup d'un seul, la lutte s'engagea. Vestar n'avait jamais vu Alrek se battre. Il n'avait jamais paru prendre de leçon. Toutefois, il manipula son épée avec aisance, parant les attaques de Caspar avec force et intelligence. Il était rapide et agile, ce qui compensait amplement son manque de force brute. Là où le roi donnait des coups à briser les os, Alrek glissait et contournait pour frapper comme un serpent.
Quand bien même n'était-ce censé être qu'un spectacle, il était visible qu'Alrek avait l'avantage. Il parvenait à épuiser son père en ayant l'air aussi frais qu'au début. Après trois quarts d'heure, il devint évident qu'il s'était amusé à le faire tourner en bourrique. Il lui fallut moins de trois coups pour mettre Caspar à terre, la lame sur la gorge. Alrek lui prit son épée et la brandit en l'air. La foule explosa en hurlement de victoire et Vestar relâcha un long souffle de soulagement.
Sa poitrine se contracta à l'idée que, dans quelques heures, Alrek serait roi. S'il ne trouvait pas d'échappatoire, il lui échapperait complètement et il le perdrait une seconde fois.
Alrek retourna dans sa tente avec l'épée battant sa hanche. Vestar l'y rejoignit et vit le sourire en coin que le blond arborait. Il était fier d'avoir vaincu.
- Majesté, dit simplement Vestar en s'inclinant.
- Idiot. Tu devrais me féliciter au lieu de te moquer.
- Félicitations.
Le sourire d'Alrek ne faillit pas alors qu'il se laissait enlacer.
- Où as-tu appris à te battre comme ça ?
- Si ton talent, c'est la politique et l'instinct, le mien, c'est le combat. J'ai toujours eu un don pour manier des armes. Ma mère m'a obligé à apprendre les jeux de politique pour que je survive sans elle pour me paver le chemin. Si je pouvais, je réglerais tout d'un coup d'épée.
- Tu n'y parais pas mais tu es un vrai barbare !
Ils sourirent. La tristesse entre eux était palpable mais ils se forçaient à se mentir pour tenter de l'oublier. Il ne leur restait plus que quelques heures. Ensuite, ça serait fini.
- Ta cour t'attend, finit par souffler Vestar. Il faut que tu y ailles, Majesté.
Avec un lourd soupir, ils quittèrent la tente, épaule contre épaule. La foule les attendait et les acclama. Un feu de camp géant avait été créé au bord du lac et de la musique commença à jouer dès qu'ils arrivèrent.
Le banquet fut différent de tout ce que Vestar avait déjà connu. Il n'était pas question de rester assis durant des heures. La nourriture était installée sur une longue table et tout le monde s'y servait avec les mains, criant et chahutant tandis que l'alcool coulait à flots. Vestar parvint à éviter de nombreux verres, buvant les siens avec lenteur pour garder toutes ses facultés. Hardan et ses hommes demeuraient toujours près d'Alrek. Cependant, ce n'était pas ce qui l'agitait le plus.
Il ne cessait de penser à ce que le nouveau roi lui avait dit. Unir Ceramos et Isstad. Une seule chose pourrait accomplir cela : un mariage. Or, Vestar préférait mourir que de voir Alrek épouser Anda. Elina devait déjà avoir imaginé cette hypothèse. Elle semblait décidée à le faire souffrir de tous les moyens possibles.
Pris d'une intuition, il posa sa chope sur un tronc renversé qui servait de banc et de table en même temps et partit vers le château. Il gagna la bibliothèque et commença à passer en revue tous les livres installés sur les étagères. Il devait y en avoir un. Isstad était connu pour tout consigner sur papier, ce qui avait causé nombre de problèmes.
- Qu'est-ce que tu cherches ?
Il ne broncha pas à l'entente de la voix de Sakari. Il l'avait vu le suivre. Il n'était pas étonné. Pour sauvegarder les apparences, le garde lui était désigné. C'était aussi pour le protéger puisque son bras était encore fragile et qu'il ne tiendrait pas durant un affrontement.
- Le livre des règles.
- Pourquoi ?
Vestar ne répondit pas, continuant de passer les titres en revue.
- En haut, à ta droite.
Il se décala selon les instructions de Sakari et trouva l'épais volume contenant toutes les règles qui avaient existé à Isstad. C'était un véritable amas de lois sans ordre apparent, notés au fur et à mesure.
- Et si tu me disais ce que tu cherches, je pourrais peut-être t'aider.
- Je ne crois pas que tu veuilles l'entendre.
- Dis toujours.
Vestar se tournavers Sakari et tenta de déchiffrer son expression.
- Les lois sur les mariages royaux. Quelles sont-elles ?
- Les princes doivent se marier dans les trois mois après leur couronnement.
- Quels sont les mots exacts ?
- Je n'en sais rien. Qu'est-ce que ça change ?
- Ça change beaucoup de choses. La politique repose sur les mots. Choisis le bon et ça passe mais si tu choisis le mauvais ou un mot trop imprécis et tu ouvres des portes qui auraient dû rester fermées.
Sakari parut comprendre où il voulait en venir. Il pâlit et s'approcha.
- Tu veux l'épouser ?! siffla le garde, choqué.
- Baisse d'un ton !
- Tu n'es pas sérieux ? Ça ne fonctionnera jamais ! Personne ne pourra accepter ça !
- Si la loi est imprécise, je n'y suis pour rien.
Il continua de tourner les pages et lire les lois. Il lui fallut presque une heure pour trouver la bonne. Sakari resta là, refusant de l'aider. Il tenta de lui montrer pourquoi tous ses efforts étaient inutiles et qu'ils le feraient tuer. Sauf que Vestar avait promis à Alrek de tout tenter pour trouver une solution. Il comptait bien tenir sa promesse, quoi qu'il lui en coûte.
Son cœur battait un rythme effréné dans sa poitrine alors que son doigt passait sur les mots.
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NdlA : Oh ! Se pourrait-il... ? Vous croyez que les choses vont aller dans le sens de Vestar ? Dites-moi tout !
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