Chapitre 18

Les mots résonnèrent dans l'esprit de Vestar. Il déglutit, mal à l'aise. Les connections qu'il faisait entre tout ce qu'il avait appris devenaient bien trop importantes et dangereuses pour qu'il puisse les étudier comme ça, sur le moment.

- Pourquoi... Pourquoi vous me dites ça ?

- Pour que tu continues ce que tu fais, énonça le plus âgé du groupe. Ton seul désir est de survivre et de partir, nous le savons. Tu n'as pas choisi cette vie. Mais Sa Seigneurie non plus et il a besoin d'alliés. Tu es la seule personne qui puisse l'aider. Tu dois te rendre compte de la position précaire dans laquelle il est. Il est entouré de vautours qui n'espèrent qu'une chose : se débarrasser de lui d'un moyen ou d'un autre pour faire tomber le règne de sa famille.

- Vous réalisez que c'est un atout pour Ceramos, cette guerre interne ?

- Ça n'en est pas un parce que les ordres que reçoivent les régents qui gèrent Ceramos viennent des hauts-culs. Or, ils peuvent affamer le peuple, brûler des villages, détruire entièrement ton royaume natal. Sa Seigneurie et le conseiller Linus sont les seuls à empêcher le roi de se retrouver à la merci de Merken. Et s'il n'a plus personne pour s'opposer à lui, il prendra le trône de Ceramos pour lui avant de répliquer contre Isstad.

- Comment vous pouvez savoir tout ça ?

La question était inutile mais était digne du personnage qu'il devait jouer. Il était censé être un soldat. Ce qui signifiait qu'il n'était pas censé connaître les mécanismes souterrains des servants. Les rares souvenirs de son enfance couplés à son entraînement lui avaient donné une plutôt bonne compréhension de leur système. Malgré tout, il devait poser la question.

- Ils nous voient comme des animaux de compagnie, Vestar. Dociles, aveugles, sourds et muets. Nous sommes des objets dont ils se servent pour chasser la solitude. Ils ne pensent pas réellement que nous puissions comprendre ce qu'il se passe entre eux.

- Ils ignorent que nous en savons plus qu'eux, la plupart du temps, ajouta la femme. Nous sommes des fantômes, dans ces murs. Surtout les plus jeunes. Personne ne se méfie des enfants alors que nous, les vieilles carnes, nous avons de l'esprit. Ils nous gardent parce qu'ils se sont trop habitués à notre présence pour se séparer de nous.

- Pourtant, il y a des clans parmi votre société transverse.

- Oui, comme partout. Certains ont peur. D'autres préfèrent fermer les yeux et garder leur vie telle qu'elle est en laissant les choses se passer. Mais d'autres, comme nous, tentent d'intervenir autant que possible.

- Il y a aussi les espions. Ils restent près de leur maître et ne font pas de vagues mais rapportent ce qu'ils apprennent à la première occasion.

Jostein, pensa Vestar. C'était un de leurs espions. C'était pour ça qu'il s'était rapproché de lui et qu'il lui avait parlé de la menace du poison. Il tenait avec la société transverse.

- Vas-tu nous aider ou non ? demanda l'aîné.

- Nous savons que ça doit être délicat de te demander ça, Vestar, ajouta une femme à sa droite. Tu n'as aucune affinité avec Sa Seigneurie mais tu dois te rendre compte que sa survie est essentielle pour toi.

- Je le sais déjà, admit Vestar. Pourquoi croyez-vous que je lui ai sauvé la vie depuis que je suis arrivé ? S'il meurt, je meurs. Et je n'ai aucune envie de mourir.

- Dans ce cas, sache que nous sommes là pour t'aider si jamais tu as besoin. Tu pourras toujours nous contacter. Tu peux passer par Viggo. Il nous le fera savoir lorsque tu demanderas à nous voir.

Vestar hocha sombrement la tête en regardant autour de la pièce. Lady Rahel avait retrouvé sa place aux côtés d'Alrek qui paraissait plus blasé que jamais. Il était évident qu'il avait plus que hâte de se débarrasser d'elle. Si elle s'en rendait compte, elle se faisait un devoir de l'ignorer.

Jostein se tenait droit à côté de Lord Saga qui discutait avec plusieurs lords. Dont lord Valdemar. Lorsqu'il l'observait, Vestar ne parvenait pas à voir un homme capable de manipuler une reine telle que Tindra. Il était grand, dégingandé, grisonnant sur les tempes et tassé. Il était rond comme un tonneau, ses vêtements le serrant plus que raison. Son visage avait des traits plats et sans intérêt. Il n'avait rien de particulier si ce n'était les épaisses fourrures dont il était couvert et l'or qui pendait autour de son cou et de ses poignets.

Quel pouvoir avait-il sur Tindra ? Comment avait-il pu l'obtenir ? Il n'était qu'un lord. Que le conseiller Merken parvienne à avoir du pouvoir sur le roi paraissait presque logique. Il était dans le conseil, il avait de l'influence, il pouvait manipuler son environnement. Mais comment lord Valdemar y parvenait-il ? Recevait-il de l'aide de quelqu'un ? C'était la seule explication possible.

Ivika s'approcha timidement de lui, son regard passant sur chacun des knähund et väntan qui étaient autour de lui.

- Ça va être l'heure du dessert, murmura-t-elle. Il faut rejoindre nos maîtres.

Vestar lui offrit son bras avec un regard pour les autres qui hochèrent la tête en guise de salut. Il entraîna la compagne de lady Rahel jusqu'à elle et la relâcha pour se placer à côté d'Alrek. Rahel lui jeta un regard glacial et écœuré. Juste pour l'énerver un peu plus, Vestar se pencha pour murmurer à l'oreille du prince.

- Votre future fiancée me déteste. Elle va vouloir que vous vous débarrassiez de moi avant le mariage.

Les yeux d'argent se plissèrent alors qu'il luttait contre un sourire. Il inclina la tête pour pouvoir répondre sans que ses mots soient entendus par Rahel.

- Le jour où un mariage est annoncé, tu devras m'empêcher de sauter du haut de la cascade si tu veux que je reste en vie.

Vestar ne chercha pas à retenir son rire. Il put lire le sourire sur le visage d'Alrek bien que celui-ci ne le laisse pas apparaître. Il devait vraiment bon à lire ses expressions. Bientôt, le prince n'aurait plus aucun secret pour lui.

Le faciès renfrogné de lady Rahel faillit faire redoubler son rire. Sa haine de Vestar ne parut faire que croître. Il ne s'en préoccupa nullement. Au contraire, il s'en ravissait. Il était rare qu'il déteste une femme mais lady Rahel lui faisait horreur.

Un servant fit l'annonce de l'arrivée du dessert en salle de réception et toute la salle s'évacua en un brouhaha alcoolisé. Ils reprirent tous leurs places attribuées et Vestar retrouva Nicklas. Le knähund avait l'air fatigué et son maître était prêt à rouler sous la table. Il avait le visage rougi par l'alcool et ses mots se mélangeaient sur la langue. Le pire était qu'il ne sortait pas du lot puisque presque tous les hommes étaient saouls.

- Il est complètement saoul, confirma Nicklas, ayant suivi son regard. Tu prendras l'habitude.

- Et nous nous voyons interdire l'alcool, soupira Vestar.

- Certains, oui. Pour d'autre, c'est simplement une question de logique. Nous sommes censés nous occuper de nos maîtres. Si nous sommes aussi saouls qu'eux, nous ne pouvons pas remplir notre devoir.

- Je suis déçu qu'il ne boive pas. J'aurais adoré le traîner par les cheveux jusqu'à son lit.

- Fais attention à ce que ça ne t'arrive pas.

La voix sombre et menaçante du prince le fit tressaillir. Il lui offrit un sourire innocent en guise de réponse. Il l'en savait capable mais ça ne l'inquiétait pas plus que cela.

- Il va vous falloir attendre que mes cheveux poussent si c'est un jeu qui vous tente.

Alrek roula simplement des yeux.

Le dessert arriva et le prince se redressa. S'il y avait une chose qu'il adorait, c'était les pâtisseries. Il prétendait le contraire mais il ne pouvait pas résister au pjatze que Viggo mettait tous les jours sur son plateau de petit-déjeuner. Il adorait le sucre. C'était pour cette seule raison qu'il avait acheté les cactus sur le marché.

Vestar baissa les yeux vers sa propre part, ridiculement petite comparée à celle d'Alrek, comme tout ce qui lui avait été servi depuis le début. Il fronça les sourcils, l'avertissement de Jostein lui revenant à l'esprit. Si quelqu'un tenait à empoisonner le prince, c'était le moment. Et ils l'avaient saisi.

Sa main jaillit. La petite cuillère d'Alrek tomba au sol dans un claquement, le morceau de gâteau explosant sur le pavé.

- Ne mangez pas ça.

- Pourquoi ?

- Regardez. La crème commence à se décolorer. Pour les autres, elle reste blanche. La vôtre a été mélangée à du poison.

Aussitôt, Alrek repoussa son assiette. Tout le monde l'imita et recracha le gâteau en toussant, horrifié. Vestar prit sa propre assiette et ne put que remarquer que la crème de sa part changeait aussi de couleur, prenant une teinte jaunâtre écœurante. Il n'y avait probablement que deux parts empoisonnées et elles leur avaient été destinées.

Cette fois, lui aussi avait été visé. La tentative n'avait pas atteint que le prince. Pourquoi ce changement ? Parce qu'il avait déjà sauvé Alrek plusieurs fois ? C'était probable. C'était risqué d'empoisonner deux parts et de les faire servir. La personne qui avait mis le poison devait avoir été certaine que les deux parts seraient servies à Alrek et Vestar et à personne d'autre. Ce qui était pratiquement impossible.

Vestar ignora les murmures et la famille royale qui tentait de savoir ce qu'il se passait. Il se leva et ouvrit le gâteau, dévoilant la crème qui semblait désormais avoir tourné. Il abattit sa main sur celle d'Alrek pour qu'il n'y touche pas. Il tourna la tête en voyant une vieille femme armée d'un chiffon qui se penchait pour ramasser le gâteau qui maculait le sol.

- Non ! cria-t-il.

C'était trop tard. La pauvre femme s'était déjà saisie de la cuillère couverte de pâtisserie. Surprise, elle la relâcha. Mais les effets du poison commençaient déjà à apparaître. La peau de la vieille femme se boursoufla et elle commença à crier de douleur. Ses veines se noircirent le long du bras à une vitesse ahurissante. Vestar connaissait ce poison et il savait que ça ne servait à rien d'essayer. Il se propageait dans le sang et même sectionner un membre entier ne serait d'aucune aide à la vieille servante.

Ce poison était un fléau à Ceramos. Il provenait d'une plante qui poussait abondamment dans les plaines du nord. Elle paraissait innocente avec ses grandes fleurs d'une jaune éclatant et ses longues feuilles vertes. Cependant, aussi jolie et éclatante que soit cette fleur, c'était la plante la plus mortelle de Ceramos. Il suffisait d'un contact pour que la peau se mette à brûler. Si elle était broyée et infusée, elle était transformée en poison qui s'infiltrait dans le sang après avoir brûlé le point de contact.

La vieille femme s'effondra, une mousse blanche coulant entre ses lèvres, les yeux sans vie. Un choc secoua toute la salle. Les hommes, tous aussi saouls les uns que les autres, se levèrent et commencèrent à faire un bazar de tous les diables. Vestar se contenta de tirer Alrek en arrière avec lui. Il le plaqua contre le mur, lui évitant la ruée vers le corps.

Tout s'enchaîna très vite. Le corps fut évacué, le gâteau débarrassé, les invités congédiés. Il ne resta plus que la famille royale et les rares hommes encore sobres. Vestar ne put que remarquer que le conseiller Merken était encore là. Il n'était assurément pas entièrement sobre mais il était là. À veiller sur ses intérêts.

- Comment du poison a-t-il pu arriver ici ? tonna le roi Caspar. Qui a préparé ce gâteau ?

- Le cuisinier royal, Majesté. Comme toujours.

- Amenez-le-moi ! Immédiatement !

Vestar secoua la tête.

- Viggo n'y est pour rien, murmura-t-il au prince. Si c'était lui qui l'avait fait, il n'aurait jamais pu prévoir exactement quelle part atterrirait devant qui. Il aurait pu empoisonner n'importe qui et pas vous. Il aurait été vraiment été idiot de prendre un tel risque. Ça n'a aucun sens.

- Je pensais la même chose, admit-il. La seule option qui puisse assurer que je sois ciblé, c'est qu'il me serve en personne.

- Ma part était empoisonnée aussi.

Alrek tourna vivement la tête vers lui.

- La tienne aussi ?

- Oui. Jusque là, ils ne s'en étaient pris qu'à vous mais on dirait qu'ils en ont assez que je contre leurs plans.

- Ça change la donne. Nous n'avons pas été servis par la même personne.

- C'est justement ce qui m'inquiète. Il n'y a aucun moyen de savoir si nous étions tous les deux visés expressément. Nous pouvons supposer que vous l'étiez mais moi ? C'est impossible de savoir s'ils voulaient s'en prendre à moi où si la seconde part n'était qu'une assurance.

- T'est-il venu à l'esprit que je n'étais pas visé ? Que, depuis le début, ce n'était pas à moi qu'on en voulait ?

Vestar ouvrit la bouche, surpris par cette possibilité. Elle ne lui était pas venue. La flèche s'était fichée dans la selle du prince. Pour lui, il n'y avait qu'une seule éventualité : quelqu'un avait tenté d'assassiner le prince.

Néanmoins, maintenant qu'il y songeait, l'idée n'était pas si folle. Quelque peu tirée par les cheveux mais pas impossible.

Viggo fut poussé dans la salle de réception et tomba à plat ventre aux pieds de son roi. Il était épuisé et totalement perdu. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui lui arrivait. Vestar put lire la peur dans son regard.

- Père, ça ne peut pas être lui, énonça Alrek. Il n'aurait jamais pu attribuer les parts.

- Il a très bien pu ordonner au serveur de vous donner la part empoisonnée ! objecta le conseiller Merken. Ce n'est pas compliqué !

- Avez-vous déjà mis les pieds dans les cuisines, conseiller ?

- Bien sûr que non ! Pourquoi irais-je dans un tel endroit ?

- Voyez-vous, moi, j'y suis allé. Ne soyez pas aussi choqué. C'est la vérité. Cette expérience m'a ainsi appris qu'il était simplement impossible pour le chef cuisinier d'ordonner quoi que ce soit aux serveurs. Les commis sont les seuls à avoir un contact direct avec le personnel de service. Et même là, il est plus qu'improbable qu'un tel ordre ait pu être exécuté correctement. Toutes les assiettes sont réunies sur une table où les commis les installent pour les serveurs. Plusieurs arrivent en même temps. Donc, si un commis avait exigé qu'une certaine assiette me soit destinée, les remarques et les questions se seraient soulevées et la méfiance aussi. Cette idée n'a donc que peu de crédibilité.

- Que suggères-tu, dans ce cas ? questionna Tindra. Comment cette part est-elle arrivée devant toi ?

- Il n'y a qu'une option : la personne qui m'a servi a rajouté le poison entre les cuisines et la salle de réception. C'est le seul moyen pour que la part empoisonnée arrive bel et bien devant moi.

- Il suffit de retrouver cette personne, dans ce cas.

- C'est trop tard, assura le roi Caspar. Quiconque tenterait une telle chose fuirait le château aussitôt son méfait accompli. Il n'attendrait pas. Nous ne pourrons pas le retrouver. Pas avant son prochain essai.

- Nous ne pouvons rien faire, donc ?

- Absolument rien, confirma Alrek.

Vestar observa le visage du conseiller Merken se durcir face à la victoire du prince. Il était évident qu'il avait voulu la mort de Viggo. Pourquoi ? Faisait-il partie de la société transverse ? Avait-il quelque chose contre Merken ? Ou était-ce encore quelque chose ?

Alrek lui fit signe d'aller aider le cuisinier. Il n'hésita pas. Il regarda le conseiller droit dans les yeux en passant devant lui. Il tendit la main à Viggo qui s'en saisit et se remit debout. Silencieusement, Vestar lui assura qu'ils parleraient le lendemain. S'il pouvait obtenir la moindre information, il n'hésiterait pas. Il ne le mettrait pas en danger. Kerry avait besoin de son père. Toutefois, si Viggo détenait quelque chose contre Merken, il en avait besoin.

Le cuisinier sortit de la pièce et il ne resta plus que la famille royale, Merken et les knähund et l'unique väntan. Asgeir paraissait se moquer de ce qu'il se passait mais Vestar n'était pas assez idiot pour y croire. Il devait écouter chaque mot. La compagne de la reine était recroquevillée, comme elle l'avait été toute la journée. Il était le seul à affronter la situation de plein fouet aux côtés de son maître.

- Il n'y a plus rien à faire, décréta Tindra. Bonne nuit, messieurs.

Elle partit dans un tourbillon de taffetas. La tension monta de plusieurs crans lorsque la porte claqua derrière elle.

- Nous ferions tous mieux d'aller nous coucher, dit le roi Caspar. Nous verrons tout cela sous un œil neuf après un peu de repos. Après vous, conseiller.

Le roi Caspar savait que Merken se jouait de lui. C'était évident. Il refusait de le laisser seul avec son fils. Alrek suivit et partit de son côté sans un mot.

Vestar lui fit face lorsqu'ils furent seuls dans leurs quartiers.

- Que vouliez-vous dire, tout à l'heure ?

- Ne trouves-tu pas cet assassin étrangement maladroit ? Chaque tentative contre ma vie a été hasardeuse. Tirer une flèche en pleine foule, ce pain que je ne mange jamais, ces parts de gâteaux... C'est trop fluctuant. Ça n'a pas de sens. Personne n'utiliserait ces méthodes.

- Vous pensez que quelqu'un tente de me tuer ? Pourquoi ?

- C'est ce que je pense, en effet. J'ignore pour quelle raison, encore. Tu es un être énervant, un ennemi qui gravite autour de moi... Il y a de nombreuses raisons de vouloir ta mort.

- Depuis que je suis ici, la seule personne que j'ai énervée était votre fervent admirateur, Skuti. Or, je doute qu'il ait pu organiser tout cela.

Alrek s'installa dans le sofa et croisa les jambes. Vestar prit place contre la fenêtre.

- Il n'a rien à voir avec les deux premières attaques. Il n'a jamais touché à un arc de sa vie et il n'aurait pas su approcher un serpent sans se faire mordre. Par contre, je ne serais pas étonné s'il avait participé à ce nouvel essai.

- Il ne vous aurait jamais fait cela.

- Détrompe-toi. Sa... passion à mon égard a très sûrement fait des dégâts lorsque je t'ai ramené. Désormais, il se sent trahi et n'hésitera pas à s'en prendre à moi aussi.

Le raisonnement était logique. En tout cas, jusqu'à un certain point. Vestar pouvait imaginer le serviteur se mêler aux serveurs et leur donner les parts empoisonnées. C'était plus ou moins faisable. Au demeurant, ça ne s'accordait pas avec le reste.

- Je peux accepter qu'il ait participé à cette tentative d'empoisonnement. Mais les précédentes ? Pourquoi pensez-vous qu'elles ne vous étaient pas destinées ? Si je n'étais pas intervenu, vous auriez fini planté sur cette flèche.

- C'est vrai. Mais n'as-tu pas remarqué dans quelle position était la flèche ?

Vestar tenta de se souvenir exactement de cet instant où la flèche s'était fichée dans le cuir de la selle. Tout ce dont il se souvenait, c'était qu'elle aurait transpercé le prince de part en part s'il ne l'avait pas tiré de là.

- Lorsque tu tires à l'arc, que vises-tu ?

- La tête ou la poitrine.

- En l'occurrence, tu aurais visé la tête, n'est-ce pas ? Il y avait très peu de vent, j'étais encore à cheval... J'étais une cible parfaite.

- Oui, je suppose que j'aurais visé la tête. Où voulez-vous en venir ?

- Si cet assassin avait visé la tête, la flèche n'aurait pas atteint ma selle. De même que s'il avait visé la poitrine. Elle se serait plantée dans la croupe de mon cheval. Et notre flèche, c'est non seulement plantée dans la selle mais elle n'était pas au centre. Elle était pointée de ton côté.

Vestar cilla. Il ne parvenait pas à conjurer une image mentale de la selle et de la flèche.

- Je ne parviens pas à me souvenir, admit-il. Mais si vous êtes sûr, pourquoi n'avoir rien dit ?

- Parce que je ne suis pas infaillible. Hardan songeait la même chose que moi. Le serpent nous a confirmé que je n'étais pas la personne visée.

- En quoi ? Certes, vous adorez les pjatze mais ça ne rend pas impossible l'idée que vous mangiez ce pain.

- Je ne peux pas manger ce type de pain sans être malade. La personne qui a mit ce pain sur le plateau savait cela.

- Et elle savait que, même si vous ne me le laissiez pas, je l'aurais mangé dans votre dos.

- Effectivement. Mais cette personne ignorait que tu étais en partie immunisé au venin.

- Si j'avais mangé ce pain dans le dos tout le monde, j'aurais pu mourir. Mon immunité n'est plus ce qu'elle était. Je n'ai plus toute la force que j'avais à Ceramos pour lutter contre le venin.

Alrek détourna la tête. De la honte ?

- C'est sûrement ce qu'il espérait. Il n'a pas compté sur ta capacité à déceler le danger. Tu es très dur à tuer.

- J'ai été élevé pour être impossible à éliminer.

Le regard d'orage du prince revint sur lui. Ce fut à son tour de se détourner. S'il y avait un sujet qu'il refusait d'aborder, c'était son enfance. Son père. Il connaissait l'histoire qu'il était censé raconter si on lui posait la question. Cela n'empêchait pas les souvenirs de venir s'en mêler.

- Nous allons garder cela pour nous. C'est plus sûr pour toi. Si tout le monde croit que c'est à moi que l'on en veut, la garde restera sur le qui-vive.

- Pourquoi tenez-vous tant à me protéger ? Pour la plupart, je serais devenu un fardeau dont ils préféreraient se débarrasser.

- J'ai mes raisons de te garder en vie. Ne cherche pas à les deviner. Tu ne pourras jamais les imaginer.

Vestar le considéra alors qu'il se levait et disparaissait dans sa chambre. Il laissa échapper un long soupir. La fatigue pesait sur lui et les dernières révélations n'aidaient pas. Contrairement à tout ce qu'il avait cru jusque là, ce n'était pas Alrek qui était visé mais lui. Quelqu'un voulait l'assassiner. S'il en découvrait le motif, il pourrait remonter jusqu'à la personne. Sauf qu'il n'avait pas le moindre indice.

Il partit dans sa chambre pour ne pas éveiller les soupçons du prince et se changea. Sa tenue était trop reconnaissable, au cas où il serait pris dans les couloirs. Il espérait que Nicklas n'en avait pas pour longtemps parce qu'il avait vraiment besoin de dormir.

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NdlA : encore une attaque envers Alrek ! Ou... envers Vestar ? Qu'est-ce que vous en pensez ?

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