Chapitre 1
La reine était la grâce incarnée, son fin corps posé sur le trône avec élégance et désinvolture. Les bras posés sur les accoudoirs, la nuque droite et raide, le regard bleu droit vers les lourdes portes d'entrée. Sa longue chevelure d'un noir de nuit sans lune était relevée en boucles et en liens complexes sous sa fine couronne qui soulignait le teint pâle et rosé de sa peau. Sa robe rouge avait toute la tenue royale de son rang.
Debout à côté du trône, une esclave se dressait, le menton en avant. Une cascade de boucles blondes dévalaient dans son dos, s'accordant avec le jaune de sa robe. Elle se tenait droite mais manquait de cette allure royale que possédaient ceux qui avaient toujours vécu dans le château, au-dessus de tout le monde.
Il redressa la tête, laissant son regard courir sur le tapis rouge qui séparait la salle du trône en deux. Son regard s'arrêta sur la ligne de soldats en face de lui. Une ligne identique à la sienne. En face de lui, au pied d'un soldat en armure, la princesse. Vêtue de la tunique lâche d'un beige usé des esclaves, elle était assise à genoux, la tête baissée. Elle répliquait exactement l'attitude soumise des esclaves et, pourtant, elle détonnait. Il était visible qu'elle appartenait à la royauté. C'était dans ses cheveux, sur sa peau, dans son port de tête....
Dehors, le bruit des bottes résonna sur le sol en marbre du château. Il se rapprocha, de plus en plus fort. Il sentit ses épaules se raidir. C'était le moment pour lequel il se préparait depuis des mois. Il avait subi une préparation intense en vue de cet instant. Sa main partit vers son épée et se posa lâchement dessus. Autour de lui, les autres soldats firent de même. Les armures n'émirent aucun bruit.
Les portes s'ouvrirent violemment, bousculant les deux servants qui étaient censés les ouvrir. Une vingtaine d'hommes en armure pénétra dans la salle du trône. À leur tête, le prince de Isstad, le royaume du Nord, Alrek.
Il ne ressemblait pas à un prince. Pas de la façon dont il l'envisageait. Alrek d'Isstad ne portait pas d'armure. Il était vêtu de vêtements épais qui serraient son corps, marquant chaque courbe, chaque angle. Une lourde cape en peau traînait derrière lui. Il avait cette attitude et cette arrogance de tous les royaux, le menton relevé, le regard décidé, le pas alerte de vif.
Alrek d'Isstad était... différent. Il avait une peau d'une pâleur qui la rendait translucide, totalement dépourvue de la moindre trace de couleur. Cette blancheur de craie était relevée par la teinte sombre de sa tenue d'équitation. Ses cheveux étaient presque aussi pâles que sa peau, d'un blond frôlant le blanc. Ils étaient noués en un nombre impressionnant de tresses compliquées qui se rejoignaient une seule tresse épaisse qui descendait jusque dans le creux de ses reins. Même ses yeux paraissaient dépourvus de couleur avec leur nuance de gris léger, dilué.
Il s'arrêta au pied des marches menant aux trônes, son escorte armée derrière lui.
- Reine Elina, dit-il, la voix posée et douce, faussement respectueuse.
- Prince Alrek.
La froideur de la reine résonna dans toute la pièce. Elle demeurait respectueuse, comme il était de coutume dans la royauté. Cependant, il était évident qu'elle n'avait aucune envie de parler avec le jeune prince.
- Je suis ravi de voir que vous m'attendiez. Quel honneur pour moi d'être ainsi accueilli sur mon nouveau territoire.
- Ceramos n'est pas encore tombée, répliqua la reine.
- Je vous en prie. Vous savez aussi bien que moi que vous n'avez plus aucune chance. D'où tout ce... décorum.
La main frêle et gracile du prince engloba toute la pièce sans s'arrêter sur un endroit en particulier. Son regard ne lâcha pas la reine. Toutefois, Vestar savait que le prince ne manquerait aucun mouvement dans la pièce.
- Réglons donc les choses, voulez-vous ?
- Qu'est-ce que vous attendez de nous ?
Le prince Alrek se tourna, son escorte s'écarta devant lui pour lui céder le passage.
- Nous allons garder le contrôle de Ceramos. Vous resterez la figure de proue mais nos conseillers royaux...
Il s'interrompit pour laisser apparaître quatre hommes, mûrs, à l'air sévère. Ils étaient tous habillés richement, les épaules couvertes de peaux de bêtes chaudes et poussiéreuses.
- ... feront tout le véritable travail. Évidemment, nous avons déjà décidé de quelques nouvelles règles à mettre en place. La première, toutes vos ressources iront au royaume d'Isstad. Vous ne garderez que le strict nécessaire pour la survie de votre peuple.
La reine ne répondit pas, les mâchoires subtilement serrées.
- Vos armées seront démantelées et remplacées par les nôtres.
- Évidemment, grinça la reine Elina. Vous allez nous laisser sans défense.
- Bien sûr que non. Nos frontières seront protégées, seulement, ça ne sera plus par vos armées. Vous ne pensez tout de même pas que nous allons laisser nos nouvelles terres à la merci de leurs ennemis.
- Vous êtes l'ennemi.
- Plus maintenant que nous sommes au pouvoir.
Le prince Alrek demeura calme et retourna face à la reine.
- Ces deux règles ne sont que le commencement. Les autre suivront. Vos nouveaux conseillers vous les feront connaître.
- Je suis ravie de savoir que vous ne resterez pas à Ceramos. Ce serait bête de finir la gorge tranchée.
- N'est-ce pas ? répondit-il avec un calme glacial.
La- reine le fusilla du regard, le laissant discourir.
- Je m'attendais à un peu plus d'hospitalité. Après tout, n'êtes-vous pas un royaume cordial et accueillant pour les voyageurs et les étrangers ?
- Nous n'accueillons pas les envahisseurs avec les bras ouverts.
- Je n'aurais donc pas droit à un festin ou à un cadeau ? Vais-je devoir me servir seul ? Après tout ce voyage, je meurs de faim.
Il se tourna vers le premier esclave qu'il trouva.
- Toi. Va dire aux cuisines de préparer le dernier festin de la reine. Et vous deux, escortez-la, ajouta-t-il pour deux de ses gardes.
La jeune esclave se releva prudemment et disparut hors de la pièce avec autant de discrétion qu'elle put. Les deux gardes la suivirent, raides.
- Ordonnez à vos soldats de jeter leurs casques et leurs épées.
- Pourquoi ferais-je ça ?
- Parce que vous n'avez pas le choix.
- Vous ne pouvez pas m'y forcer.
- Vous croyez cela ?
Le prince Alrek claqua des doigts et l'un de ses gardes sortit de la pièce. Pour revenir quelques secondes plus tard avec une femme débraillée, aux cheveux en bataille. Vestar la reconnut aussitôt. La sœur de la reine, Aura.
Le jeune prince s'écarta pendant que le garde faisait s'agenouiller Aura devant sa sœur et appuyait la lame de son poignard contre sa gorge.
- Pouvons-nous reprendre notre discussion de manière censée, désormais ?
La reine pinça les lèvres.
- Faites ce qu'il veut. Jetez vos épées et vos casques.
Il y eut un frisson parmi les soldats mais aucun n'obtempéra aussitôt. Depuis qu'il s'entraînait avec la garde royale, Vestar n'avait pu que remarquer la résistance qu'ils manifestaient face à la reine. Ils avaient obéi au doigt et à l'œil au roi mais, désormais qu'il était mort et que sa femme tenait la régence, ils questionnaient chacune de ses décisions. Ils doutaient qu'elle sache gérer la guerre qui opposait leur royaume à celui d'Isstad.
- Tout de suite ! tonna-t-elle.
Leur capitaine fut le premier à céder à l'ordre de leur reine. Il retira son lourd casque de bronze et le jeta aux pied du prince. Son épée ne tarda pas à suivre. Ses gardes les plus proches l'imitèrent, laissant leurs casques et leurs armes s'empiler sur les bottes du prince. Vestar fut parmi les derniers à céder à l'ordre. C'était le moment de vérité.
- Maintenant, faites sortir les esclaves.
D'un geste de la main, la reine congédia les esclaves qui s'enfuirent à toute vitesse.
- Je suppose que nos esclaves ne sont pas assez bien pour vous, dit-elle froidement.
- Je n'ai que faire de vos esclaves. Ils n'ont aucune utilité pour moi.
- Qu'est-ce que vous voulez, dans ce cas ? Nous avons tendance à offrir nos meilleures esclaves à nos invités. Mais je suppose que, en tant qu'envahisseur, vous n'avez que faire de cela. Vous prendrez ce que vous voulez.
- Vous êtes plus intelligente qu'il n'y paraît, semblerait-il. Votre mauvaise réputation serait-elle un mensonge ?
La reine Elina ne releva pas. Elle fit un geste de la main.
- Choisissez. Je ne peux pas vous en empêcher, n'est-il pas ? Et dites à votre garde de lâcher ma sœur.
- Je compte bien choisir, ne vous en faites pas.
Les yeux gris pâle coururent sur les visages des soldats sans s'arrêter. Il virevolta brusquement pour ramener son attention sur la reine.
- Oh, j'ai failli oublier ! Ceci est la dernière journée que vous passez avec votre fille. Je ne suis pas idiot. Si je n'ai pas de point de pression, vous vous retournerez contre moi dès que j'aurais le dos tourné. Donc, votre dernier enfant en vie viendra avec moi. Et nous savons tous à quel point vous l'aimez et combien vous travaillez dur pour lui assurer un avenir. Ça serait tellement dommage qu'elle meure parce que sa chère mère n'a pas suffisamment réfléchi avant de prendre une décision.
- Vous ne pouvez pas... !
- Si. Je peux. Et je le ferais après avoir mangé.
Le prince Alrek bougea, glissant sur le tapis, pour regarder chaque soldat autour de lui. Il passa de l'un à l'autre, lentement. Cependant, il y avait quelque chose dans son attitude qui donna l'impression à Vestar que le prince savait déjà devant qui il allait s'arrêter. Il y avait une intention dans chaque pas, subtile, à peine perceptible.
- Laissez ma fille. Elle n'a rien à voir là-dedans.
- Au contraire. Elle a tout à voir là-dedans. Avec la mort de votre fils aîné, le prince héritier, c'est votre seule descendante. Celle qui aurait repris le pouvoir une fois en âge. C'est votre dernier enfant et vous la chérissez plus que tout. C'est pour ça que je vais vous la prendre.
Le prince Alrek traversa le tapis, venant du côté gauche de la pièce, commença à passer en revue la rangée dans laquelle se tenait Vestar.
- Vous savez, c'est vraiment dommage de vous être séparée d'elle aussi vite. Faire passer une princesse pour une esclave... C'est pathétique. Vous auriez pu au moins tenter de rendre ce déguisement crédible.
La reine bondit hors de son trône, les yeux enflammés, les lèvres entrouvertes. Les poings de Vestar se serrèrent contre ses hanches alors qu'une vague de frustration secouait le reste des soldats. Cette partie de leur plan avait échoué. Il était leur dernière chance. Il n'y avait plus que lui qui pouvait encore faire réussir leur stratagème.
Il se raidit un peu plus lorsque le prince s'approcha de lui. Il ne se détourna pas lorsque les yeux gris se plongèrent dans les siens.
Deprès, le visage de l'héritier d'Isstad était une œuvre d'art. Sa peau était fine, délicate. Aucune veine n'était visible. Aucune marque, aucune cicatrice, aucune imperfection. Il avait des traits marqués dont les angles étaient adoucis par un petit gras de bébé qui s'accrochait. La seule véritable couleur venait de sa bouche, à peine rosée.
- Toi.
Vestar cilla, feignant de ne pas comprendre. Il avait travaillé son rôle. Il ne devait pas se trahir. Il fallait que le prince le voit comme un jeune soldat et comme rien d'autre.
- Quel est ton nom, soldat ?
Il jeta un regard vers le capitaine qui hocha la tête.
- Vestar... Votre Altesse, ajouta-t-il avec contrition.
- Vestar... répéta calmement le prince.
Il s'éloigna en faisant un signe à ses hommes.
- N'est-ce pas aussi le nom de votre défunt fils ? demanda-t-il à la reine.
Vestar fut saisi par les bras et obligé de suivre les pas du prince. Un garde lui donna un coup dans l'arrière du genou pour le forcer à s'agenouiller.
- C'est un prénom très populaire dans tout Ceramos. Beaucoup d'enfants nés durant la même année que mon fils portent ce prénom.
Ce qui était une réalité. Vestar savait qu'un garçon de cuisine portait le même prénom que lui, ainsi que nombre de fils de nobles et de fermiers de Northedge, la capitale du royaume, et parfois même au-delà. C'était la seule raison qui lui avait permis de le garder. Sans quoi, il aurait dû en changer.
Le prince du nord ne répondit pas, hochant vaguement la tête. Il se plaça pour faire face à Vestar qui était maintenu à terre par une main puissante sur sa tête.
- Il fera un parfait... knähund. Je n'ai pas le mot dans votre langue.
Vestar connaissait la langue d'Isstad. Il l'avait apprise dès l'enfance par obligation. Contrairement à la reine qui n'était jamais censée monter sur le trône. Elle venait d'une famille de puissants seigneurs, avait été élevée pour organiser des soirées et soutenir le roi, pas pour régner. C'était exactement pour ça que les soldats se refusaient à la suivre aveuglément.
À l'entente de ce mot si particulier dans la langue isstadienne, il sentit une vague nausée soulever son estomac. Il connaissait ce mot. Il n'avait pas de traduction en ceraméen, pas d'équivalent. Rien n'était comparable à un knähund.
À Isstad, il n'y avait pas d'esclaves. Pas en tant que tels, toutefois. Personne ne pouvait avoir plus d'un knähund et ils n'étaient pas vendus dans des marchés ni en privé. À Isstad, et surtout parmi les nobles, les knähund étaient prisés. Cela ne voulait pas dire qu'ils étaient mieux traités que les esclaves de Ceramos et des autres royaumes.
Vestar avait toujours compris ce système comme un système de propriété malsain. Les knähund étaient volontaires. Techniquement. C'était souvent des gens sans le sou qui, pour nourrir leur famille, laissaient leurs parents les vendre à qui cherchait pour obtenir une rente suffisante pour leur permettre de vivre confortablement. En échange, les knähund étaient... plus ou moins correctement traités.
Lorsque son précepteur le lui avait expliqué, Vestar n'avait pas vu de différence si flagrante entre les esclaves de Ceramos et les knähund d'Isstad. Il lui avait expliquéque les knähund étaient là pour la compagnie plus que pour le service. Ils accompagnaient leurs maîtres partout, répondaient à leurs demandes... La seule comparaison que son précepteur avait trouvé, ça avait été avec des chiens de compagnie.
Les knähund étaient des animaux de compagnie.
Ce n'était pas ce qui était censé se passer. Ils avaient préparé ce plan durant des mois. Un espion du roi à la cour d'Isstad avait envoyé une lettre peu après la mort du roi et c'était ce qui avait tout mis en marche. Évidemment que Isstad allait profiter du changement de pouvoir pour tenter une attaque. Évidemment que le roi d'Isstad allait envoyer son fils faire sa sale besogne. Évidemment que le prince allait ramener avec lui de quoi faire pression sur la reine – la princesse. Évidemment qu'il allait vouloir un prix – Vestar.
Tout avait été mis en œuvre pour que Vestar soit emmené comme prisonnier de guerre à Istapp, la capitale du royaume. Pour qu'il puisse s'y faufiler et trouver le moyen de chasser les isstadiens des terres de Ceramos.
Comme pour le tester, le prince Alrek fit glisser ses doigts dans les cheveux de Vestar qui se rejeta en arrière, lui jetant un regard mauvais. Un très léger rictus étira les lèvres rosées de son ennemi alors que le garde qui le tenait assenait un coup dans l'épaule de Vestar avec le pommeau de son épée.
- Toi pas regarder le prince, avskrap ! cracha le garde dans un céraméen approximatif.
Il força Vestar à reprendre sa place à genoux devant son prince qui ne se préoccupa pas de ce qui venait de se passer.
- Si nous allions dîner ? furent les seuls mots qui passèrent ses lèvres.
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NdlA : Comme certains d'entre vous n'étaient pas contre l'idée que je poste cette histoire en attendant le tome 3 du Grand Royaume, en voici le premier chapitre ! J'ai hâte de savoir ce que vous en pensez ! Dites-moi tout !
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