Chapitre 4

J'ai décidé de ne pas aller à la salle le lendemain afin de veiller à nouveau sur Dorian. Il va mieux, mais mon instinct de maman m’oblige à rester avec lui encore aujourd’hui. Malgré le fait que je sois occupée avec mon fils, je me suis tout de même demandé toute la journée si James avait été à la salle aujourd’hui, et si oui, ce qu'il pensait de mon absence après notre rendez-vous. Je m’en veux un peu maintenant que le stress est passé de l’avoir planté seul là bas sans même lui donner la moindre explication. J’aurais au moins pu prétexter une urgence et lui demander à ce qu’on reporte notre discussion, mais j’étais bien trop concentrée sur Dorian pour penser à autre chose sur le moment.

C'est donc avec un peu d'appréhension que je retourne courir le mercredi. J’ai vraiment peur qu'il m'en veuille, mais mon fils passera toujours avant tout. Mon appréhension est peu à peu remplacé par de la déception puisque James ne prend pas la peine de venir aujourd'hui. J’ai donc couru en arrêtant de regarder sans cesse vers la porte pour voir s’il allait venir et je suis rentrée chez moi dès la fin de mes deux heures pour appeler le docteur Harrelson afin de prendre rendez-vous.

― Cabinet du Docteur Harrelson, bonjour, je vous écoute, dit-il dès la deuxième tonalité.

― Bonjour. Je suis Mademoiselle Lawran.
Je me présente pensant qu’il ne doit pas se souvenir de moi.

— J'aimerais prendre rendez-vous pour la visite mensuelle de mon fils.

― Aisling !

Sa voix beaucoup plus joyeuse à présent. Je suis surprise qu'il se rappelle de moi et encore plus qu’il se souvienne de mon prénom. Rare sont les personnes qui s’en rappelle en le prononçant correctement du premier coup.

― Quand souhaitez-vous ce rendez-vous ?

― Et bien il a eu cinq mois il ya presque deux semaines, mais je n’ai pas pu avoir de rendez-vous chez son pédiatre actuelle, donc dès que vous pouvez ça m’ira.

― Pourquoi pas dès samedi ? propose-t-il. J'ai un rendez-vous qui s'est annulé à onze heures trente.

J’accepte tout de suite, il m’annonce que c’est noté et me souhaite une bonne journée. Je lui souhaite de même avant de raccrocher avec le sourire, il avait l'air enjoué et c’est contagieux même après ma matinée décevante.

***

James, n'a pas remis les pieds à la salle une seule fois de la semaine, du moins pas au même moment que moi. J'ai peur qu'il m'évite, même si je ne vois pas pour quelle raison il le ferait, je penserais plutôt qu’il serait venu pour avoir une explication. J'ai tenté de ne pas y penser ces derniers jours, même si cela me trotte dans la tête, et j’ai continué de courir comme à mon habitude chaque matin jusqu’à ce que le samedi arrive finalement.

Je suis au cabinet du pédiatre avec quelques minutes d'avance. Je suis seule dans la salle d’attente et je somnole alors même que je lutte pour ne pas m’endormir sur la chaise. Dorian dort paisiblement dans mes bras et je l’envie réellement. Il s’est réveillé quatre fois cette nuit, je suis épuisée.

― Bonjour Aisling !

Je sursaute à la salutation du Docteur, je suis tellement fatiguée que je ne l'ai même pas entendu ouvrir la porte de la salle d'attente. Je réponds avec beaucoup moins d’entrain que lui quand je le salue à mon tour.

― Bonjour Docteur Harrelson.

― Appelez-moi Peter je vous en prie. Allez-y entrez.

Je le précède à l'intérieur de son cabinet et prends place sur la chaise devant le bureau en face de lui. Dorian ne bronche toujours pas quand je me déplace et termine tranquillement sa petite sieste.

― Laissez-moi deviner tout de suite, commence-t-il avant que je ne puisse dire quoi que ce soit. Il ne fait toujours pas ses nuits ?

Il me regarde avec un grand sourire et je ne peux que l'imiter, même si je ne suis pas vraiment en forme.

― Laissez-moi devinez à mon tour, j'ai une tête tellement horrible que vous avez pu vous en rendre compte facilement ?

Il rit et se lève pour demander l’autorisation de me prendre Dorian des bras, quand j’accepte il part l'installer sur la table à ausculter.

― Pas vraiment, répond-t-il enfin, à vrai dire pour une jeune maman vous avez l'air plutôt en forme.

― M...merci.

Depuis quand est-ce que je bégaie et rougis ?! Je me surprends moi-même quand je sens mes joues chauffer, cela ne m'est plus arrivé depuis… longtemps, la fatigue n'a vraiment pas de bon effet sur moi. Je tente de faire abstraction de ma gêne ne continuant la conversation.

― Comment vous le savez alors ?

― Vous étiez totalement « out of space » quand je vous ai salué et cela se voit simplement à vos yeux pas sur tout votre visage, dit-il avant de me faire un clin d'œil.

J'essaie d'ignorer le fait que mes hormones sont en totale ébullition et réponds à toutes les questions que Peter me pose sur Dorian les unes après les autres. Mon fils n’a pas l’air le moins du monde perturbé par le fait d’être remué pour que Peter l’ausculte correctement.

― Dernière question et je vous libère, lance-t-il finalement après une dizaine de minutes.

J’attends en silence qu’il me pose la prochaine, même si je ne vois pas ce qu’il peut me demander d’autre sur mon fils. Je pense avoir répondu à toutes les questions possibles sur un bébé de cinq mois.

― Vous êtes mon dernier rendez-vous de la matinée. Alors je me demandais si vous accepteriez de venir déjeuner avec moi ?

― N'est-ce pas à l'encontre de la loi des docteurs /patients ?

Je ne m’attendais absolument pas à cette question, mais je pense réussir à cacher ma surprise. Je me fiche légèrement de la loi, si elle existe vraiment, entre les docteurs et leurs patients, je pense que sortir avec mon fils accompagné de quelqu’un d’autre me ferait le plus grand bien. Quoi de mieux en plus que d’aller manger avec quelqu’un qui sait s’occuper des enfants et qui pourra peut-être me donner un coup de main, je n’ai pas été mangé au restaurant depuis une éternité. Je ne sens pas de drague venant de lui, je n’ai pas l’impression qu’il m’invite parce qu’il souhaiterait peut-être plus ensuite, je me sens plutôt bien en sa présence, je ne m’inquiète donc pas de devoir peut-être le repousser.

― Et bien, techniquement Dorian est mon patient pas vous, dit-il sans se départir de son sourire.

― Alors techniquement rien ne m'empêche de refuser.

― Parfait. Je vous invite, je suis affamé !

Il m’indique que l’on peut marcher jusqu’au restaurant, je le suis hors de son bureau et me dirige vers ma voiture afin de récupérer la poussette de Dorian. Peter la sort du coffre et l'ouvre pour moi, il a l’air de bien s’y connaître ce qui facilite les choses. J'installe mon fils avant de le suivre jusqu'au restaurant qui ne se trouve pas loin de son cabinet. Je devrais être contente de sortir avec Peter, il semble vraiment gentil et attentionné, mais bizarrement la seule personne à qui je pense est James. J’aurais dû déjeuner avec lui mardi dernier si j’avais eu le temps d’accepter.

Peter et moi sommes rapidement installés à une table que Peter a choisit de sorte à ce qu’on ait suffisamment de place même avec Dorian. Sa poussette est à mes côtés, j’observe mon fils et je n'ose plus rien dire. Je ne comprends pas pourquoi, mais James accapare mes pensées depuis que je suis avec Peter.

― Aisling.

― Pardon, vous disiez ?

― Je demandais comment vous alliez. Mais je pense avoir ma réponse, continue-t-il en riant. Vous avez vraiment l'air épuisé. Personne ne se lève pour Dorian durant la nuit pour que vous puissiez dormir ?

Je lui explique rapidement que je vis seule avec mon fils qu’il n’y a personne pour nous, je lui parle juste de la nounou qui est là le matin pour que je puisse aller courir et qui vient quand j’ai des visioconférences importante. Je ne l’ai pas engagé pour qu’elle m’aide la nuit, elle le supporterait probablement moins que moi et puis c’est mon rôle en tant que mère de me débrouiller. J’avoue ça sans gêne à Peter ne lui cachant pas non plus que même pour des courtes périodes de temps comme ça j’ai dû mal à laisser mon fils et à partir loin de lui.

― C'est votre premier et il encore très jeune c'est tout à fait normal, dit-il en souriant avant de regarder Dorian dormir. Vous n’avez pas de famille ou des amis qui pourraient venir de temps en temps pour prendre un peu le relais ?

Je secoue la tête et sens les larmes venir, mes yeux me piquent, mais je baisse rapidement la tête et tente de penser à autre chose en respirant calmement. Les seuls amis que j’avais sont Griffin et Sarah, les meilleurs amis de Jason, devenu aussi les miens. Eux qui devaient tout comme nous venir vivre en Californie et qui m’avait promis de me rejoindre pour ne pas me laisser seuls ont en fin de compte changé d’avis et ont décidé de rester à New-York pour le moment. Je ne peux pas vraiment leur en vouloir, je pense encore que c’est de ma faute que l’homme qu’ils ont connu toutes leurs vies et qu’ils considéraient comme leur frère est mort. Ils m’ont pourtant assuré que je n’y étais pour rien et qu’ils ne m’en voulaient pas, mais je doute que ce soit vrai. J’ai encore Sarah au téléphone presque toutes les semaines, elle me demande toujours des nouvelles de Dorian, elle s’attarde toujours pour savoir si je vais bien et comment se passe ma vie. Et avant de raccrocher elle me promet qu’ils viendront bientôt, quand ils seront prêt, mais j’ai appris à ne plus y croire, tout comme je n’espère plus qu’il vienne me rendre visite pour rencontrer en vrai mon fils, le fils de leur défunt ami, plutôt que de se contenter de le voir simplement en photo ou vidéo.

— Et le papa ? demande Peter me sortant des mes pensées.

Je vois bien qu’il marche sur des œufs à la façon dont il pose sa question, il doit facilement se douter qu’il n’y a pas de papa dans le tableau, mais je ne lui en veux pas d’être curieux de savoir pourquoi.

― Il... Il est décédé.

― Je suis navré. Il a connu Dorian ?

― Il n'a même pas eu le temps d'apprendre que j'étais enceinte.

Je redresse enfin la tête quand je lui avoue ça. Peter a l’air surpris et s’apprête à dire quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps. Ce sujet-là est encore tabou pour moi, je préfère enchaîner la conversation pour ne pas qu’on s’y attarde. Je tente donc de retrouver un peu de bonne humeur quand je change de sujet.

― Et vous doc, vous vous occupez des enfants des autres, mais est-ce que vous en avez à vous ?

J’espère qu’en portant le sujet sur sa vie plutôt que la mienne il ne posera plus trop de questions que j’aurais à éviter. Un grand sourire apparait sur son visage à ma question, apparemment c’est un bon sujet.

― Ça ne saurait tarder.

― Votre compagne est enceinte ?

Il se met alors à rire sans que je ne comprenne pourquoi. Avant de lentement se calmer et de m’apprendre qu’il est gay. Je deviens à nouveau rouge, mais cette fois ci de honte. Je ne m’en serais jamais doutée, j’aurais pu imaginer qu’il tentait de me draguer. Finalement ce n’est que de la gentillesse pur et simple, très rare aussi et ça me rassure. Je lui demande tout de même si c’est une blague, juste pour être sûre, puisque j’étais à mille lieux de m’imaginer ça. Peter me confirme qu’il est sérieux et je me mets à rire avec lui de ma bêtise.

― Bon sang. Je pensais que vous me draguiez à force de me complimenter.

― Désolé, c'est ma façon d'être. Vous n'êtes pas déçue ?

― Soulagée serait plutôt le mot.

― Vous me fendez le cœur, plaisante-t-il, je vous déplais à ce point ?

― Pas du tout. Vous êtes charmant et je suis sûre que vous le savez. Mais j'avais peur de devoir vous brisez le cœur, car je ne suis pas être prête pour une relation.

― Je comprends, me répond-t-il sincèrement.

― Et sinon vous invitez souvent les mamans de vos patients à sortir ?

J’enchaîne rapidement la question de peur que le sujet du père de Dorian revienne.

― Pour être honnête vous êtes la seule, quelque chose m'a tout de suite attiré chez vous et j'ai eu raison de le faire.

J’ose lui demander la raison, ne comprenant pas pourquoi moi et pas une autre. Qu’est-ce qui fait qu’il en ait eu envie pour moi. Son visage exprimant vraiment la sincérité me rend un peu plus curieuse.

― Parce que vous êtes seule, avoue-t-il franchement sans me cacher ce qu'il pense. Avez-vous d'autre contact autre que votre nounou ?

Je secoue la tête en signe de négation, je ne vois pas l’intérêt de lui mentir et je ne veux pas lui en dire plus pour le moment, mais je sais que je serais amenée à le faire un jour, j’ai ce pressentiment que Peter ne va pas se contenter de me voir seulement aujourd’hui. Je devine que j’ai raison quand d’un grand sourire il tend sa main dans ma direction et me demande :

― Alors Aisling, accepteriez-vous que nous devenions amis ?

― Avec plaisir Peter, mais seulement si on se tutoie.

― Marché conclu.

Il me sourit toujours et je l’imite en serrant sa main. Je pense vraiment qu’on va créer de vrais liens d’amitié et pour être honnête je pense en avoir réellement besoin car je me sens de plus en plus seule, les appels n’ont rien à voir avec avoir un vrai être humain, adulte et qui a de la conversation en face de soi avec qui l’on peut sortir et partager plus longuement que quelques minutes.

― Donc tu as dit que ça ne saurait tarder sur le fait d'avoir un enfant. Et tu n'es visiblement pas enceinte, alors tu m'expliques ?

Il m’apprend que son mari et lui sont en pleine procédure d’adoption et même si on ne se connaît pas encore très bien, je suis sincèrement heureuse pour eux.

― J'ai vraiment hâte, m’avoue-t-il, une femme nous a choisis il y a une semaine et dès qu'elle accouche nous serons officiellement parents.

― C'est une très bonne nouvelle. Je pourrais me moquer à mon tour quand tu ne dormiras plus et que tu ne réagiras plus à ce qui se passe autour de toi tellement tu seras fatigué.

Il sourit à ma remarque. Je lui demande ensuite des détails sur son mari et lui. Ils se sont rencontrés il y a déjà sept ans, son mari, Josh, est anglais et ils se sont croisés lors des vacances que ce dernier était venu passer aux États-Unis. Ils se sont mariés il y a un an et sont visiblement très heureux. Une pointe de jalousie me parcourt, mais j’y suis désormais habituée, chaque couple que je croise, chaque famille qui se balade ensemble me pince le cœur et me serre la gorge. Parce que j’ai eu le droit à cela aussi et ça m’a été arraché brutalement.
Nous continuons à discuter pendant un long moment, apprenant à nous connaître davantage. Après avoir fini son repas, Peter se porte volontaire pour donner un biberon à Dorian pendant que je finis mon assiette. Je lui en suis vraiment reconnaissante, je n'ai jamais eu personne présente pour prendre la relève pendant un repas. Devoir manger froid parce que mon fils a besoin de mon attention au moment même où je m’apprête à avaler quelque chose est devenu une habitude et ça fait du bien de changer un peu.

Une fois terminé et après avoir payé, Peter me raccompagne à ma voiture. On s'échange rapidement nos numéros et je l'invite déjà, lui et son mari à venir dîner chez moi le mardi suivant. J’ai envie de ce changement dans ma routine, besoin peut-être de parler et de raconter certaines choses, de me sentir un peu moins seule tout en sachant qu’il n’y aura pas d’attente de sa part.

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