Chapitre 20
Je ne sais pas vraiment par où commencer, si je dois d’abord lui parler de Ben ou bien commencer directement par Jason qui m’a sauvé le soir de mes vingt et un ans. James ne me presse pas et attend que je sois prête à parler, sa main caresse la mienne lentement. J’expire puis me lance après ce qui semble une éternité. Je lui raconte d’abord à quel moment j’ai rencontré Ben, que j’étais déjà fragile mentalement à cette époque à cause de la perte de mes parents, je lui dis comment, petit à petit, je me suis coupée du monde à cause de lui et quand les premiers coups ont commencé à tomber avant d’être habituelle. Je lui raconte tout ça jusqu’au soir où je me suis retrouvée à l’hôpital une nouvelle fois le jour de mon anniversaire. À ce moment là, je fais une pause. Je ne sais pas si je vais être capable de continuer tout de suite. Je tourne la tête vers James qui pose ses lèvres sur les miennes aussitôt, un petit baiser qui ne dure pas longtemps, mais qui me fait du bien.
Avant de continuer mon histoire, j’ose lui poser une question, je ne suis pas sûre qu’il ait envie de me répondre après ce qu’il vient de m’avouer sur lui, mais j’ai besoin d’en savoir plus.
— Tu peux me parler de ta sœur ?
Je regrette d’avoir demandé à la seconde où je vois sa mine se décomposer, pourtant il n’hésite pas avant de me répondre.
— C’était une grande sœur en or, toujours là quand on avait besoin d’elle, avec une joie de vivre immense. Elle avait mon âge actuel quand elle est décédée. Elle a connu son mari quand elle avait dix huit ans et ils se sont mariés quelques années après. On n’aurait jamais douté un seul instant qu'il était violent avec elle. Ils semblaient heureux quand on les voyait ensemble. Il m'arrivait parfois de ne plus la voir pendant quelques semaines ou bien de la voir avec des bleus, mais elle nous a toujours convaincu que sa maladresse était la seule cause. Et je l'ai cru.
Il termine sa phrase avec rancœur. Je peux voir à quel point il s’en veut à voir ses yeux empli de tristesse. Je me serre contre lui quand je le vois les larmes aux yeux, il passe son bras autour de mes épaules et m’approche de lui avant de déposer un baiser sur mon crâne.
— J'aurais dû le voir, j'aurais pu la sauver.
— Si ta sœur ne voulait rien dire tu ne l'aurais jamais su, James. Les femmes battues sont les plus douées pour le mensonge.
Je parle en connaissance de cause et il le sait, j’espère que comme ça je pourrais l’aider à surmonter sa culpabilité, tout comme j’essaie de surmonter la mienne.
— Mais je ne comprends pas pourquoi, pourquoi elle ne nous a rien dit ? Est-ce que toi tu en avais parlé ?
— Je n'ai jamais rien dit.
— Pourquoi ? redemande-t-il encore ne comprenant pas.
Je pousse un soupir et réponds en repensant à ce passé qui me détruisait.
— À cause de la honte et de la peur. On a honte de ne pas être forte et de ne pas savoir se défendre, que ça nous arrive alors qu'on pensait être à l'abri. Peur des représailles si on en parle, peut-être qu’il menaçait ta sœur de s’en prendre à sa famille, à tes parents, ton frère ou toi. Tu sais c’est largement suffisant pour ne rien risquer et se taire, moi, il menaçait de me tuer, au début j’ai eu peur et je n’ai rien dit.
— Comment tu t'en es sortie ?
— Jason.
Je réponds comme si c’était la plus simple des explications, mais je sais que c’est le moment de raconter la suite de mon histoire. James le comprend et se permet de me poser une nouvelle question sur ce sujet.
— Comment est-ce qu’il l’a su ?
Je me replonge doucement dans cette soirée il y a quelques années en arrière et me remémore la première fois où j’ai perçu Jason, la première fois où il m’a adressé la parole.
— Il travaillait pour les forces de l’ordre et il s'en est rendu compte en me rencontrant.
— Comment ça c'est passé ?
Je commence à lui raconter l'histoire telle que je m'en souviens. Elle est gravée dans ma mémoire à jamais, l’un de mes souvenirs les plus forts puisque c’est là que tout à commencer avec lui. Je me rappelle de chaque détail et raconte tout à James qui m’écoute patiemment.
James passe alors son doigt sur la fine cicatrice toujours légèrement visible à mon arcade au moment où je lui raconte pourquoi je me suis retrouvée à l’hôpital ce soir là. Puis je lui raconte le reste, Jason dans la salle d’attente qui était là pour Griffin, son entrée dans la salle de soin pour venir me dire qui il était, son discours pour me convaincre de dénoncer Ben et mon accord. Je m’arrête à la fin de cette soirée. James reste muet quelques instants face à mon récit. Il est visiblement tendu et je n'ose plus le regarder dans les yeux ayant peur d'y lire des sentiments que je n'ai pas envie de voir, comme la pitié. Puis il pose finalement la question fatidique, celle auquel j’ai encore honte de répondre, mais qui je le sais est importante pour continuer à avancer et pour qu’il comprenne tout.
— Qu'est-ce qui est arrivé à Jason, comment est-ce qu'il est mort ?
Je réponds sans passer par quatre chemins et sincèrement afin de ne plus avoir à redire cette phrase que j'aurais voulu ne jamais prononcer.
— Ben l'a tué.
J'ose relever la tête pour voir la réaction de James. Il est encore plus tendu désormais, ses yeux me fixent incrédule tandis qu'il essaye clairement d'assimiler cette nouvelle.
— Depuis tout ce temps, je me dis qu’il est mort à cause de moi.
À cet aveu James sort enfin de son mutisme, m'attrape doucement le visage en coupe et m'oblige à le regarder.
— Il n'est pas mort à cause de toi, Aisling. Tu n'es pas la cause de la folie de ce Ben !
— Je sais, je l’ai compris que très récemment. Mais je me suis attachée à Jason. Je suis tombée amoureuse de lui, si ça n'avait pas été le cas, c'est moi que Ben aurait tué et personne d'autre. Jason ne méritait pas de mourir.
— Tu ne le méritais pas non plus, je suis sûr que Jason ne regrette en rien de t'avoir protégé jusqu'au bout.
Je hoche la tête, je le sais maintenant, enfin je commence à le comprendre à force qu’on me le répète et après avoir découvert le mot de Jason dans l’écrin. James hésite avant de poser une nouvelle question, mais il doit se dire que c’est le moment d’en profiter pour tout savoir car il se lance.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Je lui raconte d’abord le début de ma nouvelle vie avec Jason. Le fait que j’ai repris confiance en moi à ses côtés et suis tombée amoureuse rapidement. Je lui parle de nos projets de partir de New York pour venir vivre ici puisque Ben n’avait écopé que de quatre ans avec sursis. Rien ne m’échappe, je lui dis tout maintenant pour ne plus avoir à le raconter un jour. Puis j’arrive à ce soir fatidique où Ben m’a retrouvé.
— Comment est-ce qu'il a pu te retrouver ?
— Je ne sais pas, je ne l'ai jamais su. Il est arrivé un soir chez nous avec une arme.
Les larmes commencent à couler, j'ai de plus en plus de mal à parler. Me souvenir de cette soirée est très dure, je n'en ai jamais parlé depuis que c’est arrivé. Je n’ai même jamais pu en parler avec Sarah et Griffin, mais pour James c’est différent. Ce dernier tente d’ailleurs de me rassurer.
— Tu n'as pas à m'en parler maintenant si tu ne te sens pas prête.
— Si je ne le fait pas maintenant, je ne le ferais jamais.
— Alors prend ton temps.
Je tente de calmer ma respiration et je sèche mes larmes avant de reprendre à nouveau. C’est le moment le plus difficile à expliquer pourtant je n’épargne encore une fois aucun détails et lui raconte le déroulement de ces quelques minutes qui m’ont paru des heures et qui ont scellé le destin de Jason et le mien. J’en arrive au moment où il a tiré et je vois rouge, comme à mon réveil à l’hôpital. Je sais que je suis chez moi, loin de l’appartement, loin de cette soirée, pourtant je ne pense plus qu’à ça, à ce rouge. J’hyper ventile, j’ai mal au cœur, ma cicatrice qui ne m’a pas fait souffrir depuis des mois se réveille et me fait souffrir le martyr.
Puis je sens des mains sur mes joues, peu à peu le rouge s’estompe et le visage de James apparaît devant moi. Il me parle et je commence à peine à déchiffrer ce qu’il dit : « Respire ». Je l’écoute et ma respiration redevient à peu près normal, les battements de mon cœur se calment et les tremblements que je ne sentais pas jusque là s’arrêtent. James est à genoux devant moi et s’excuse de m’avoir demandé de lui raconter, mais je ne lui en veux pas. Il le fallait, autant que ce soit maintenant, je ne peux qu’avancer désormais. L’avoir près de moi m’a rapidement calmé alors que je mettais des heures à me remettre de crise comme celle-ci dans les semaines qui ont suivis cet évènement. Je pose mes lèvres sur les siennes et me recule avant de n’avoir plus le courage de terminer mon histoire.
— Il m'a intentionnellement épargné. Il voulait que je vive avec ça jusqu'à la fin.
— Pourquoi est-ce que tu penses ça ?
James me pose la question, mais je ne le sens plus calme du tout, les faits commencent à l’atteindre.
— J'ai appris plus tard par les enquêteurs qu'il était entraîné au tir et qu'il était très doué. Il n'a pas raté Jason et il ne pouvait pas me rater non plus, il n'a pas voulu me tuer, il a préféré que je souffre toute ma vie.
— Qu'est-ce qu'il s’est passé pour lui, qu’est ce qu’il est devenu ?
Je vois bien qu'il a du mal à me parler et qu'il fait un effort monstre pour se calmer. S’il envisage que Ben est toujours en vie je peux comprendre son état d’esprit.
— Des voisins ont entendu les coups de feu et ont appelé la police, Sarah et Griffin vivaient dans l’immeuble et l’ont entendu aussi. Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé après ça, je n’ai jamais voulu le savoir. Tout ce que je sais c’est que Griffin a abattu Ben alors qu’il tentait de s’enfuir.
James pose son index sur la cicatrice encore une fois puis pose sa main à plat dessus comme pour la faire disparaître.
— C’est là qu’il t’a tiré dessus ?
J’acquiesce et pose ma main sur la sienne. Nos regards se croisent, James à l’air bien plus calme maintenant qu’il a appris que Ben n’était plus là et ne pourrait plus jamais m’atteindre.
— J'ai appris à mon réveil à l’hôpital que j'étais enceinte. C'est ce qui m'a donné envie de vivre, sans ma grossesse je n'aurais jamais eu la force de m'en sortir.
James se redresse et me serre dans ses bras fortement avant de m'embrasser les lèvres, puis la joue et l'oreille où il chuchote une phrase que je ne m’attendais pas à entendre.
— Heureusement que tu t'en es sorti, car j'ai pu te rencontrer et tomber amoureux de toi.
Je ne réponds pas pendant un instant, surprise par son aveu, mais je me reprends rapidement et le serre dans mes bras avant de l’embrasser puis de me reculer. J’hésite à lui avouer moi aussi mes sentiments avant de me jeter à l’eau, après tout quel est l’intérêt de le cacher plus longtemps.
— C’est réciproque, James.
Son sourire s’agrandit quand je lui avoue à mon tour, aucun doute que ça lui fait plaisir. Il nous fait tomber à la renverse dans le lit et m’embrasse encore avant de se reculer.
— Je te promets que tout ce que tu m’as dit ne sera jamais découvert, je me charge de tout dès demain, d’accord ?
J’acquiesce en hochant la tête.
— En attendant si on dormait ? Je vous emmène demain, Dorian et toi, au zoo si tu n’as rien d’autre de prévu.
J’accepte sans hésiter, ayant hâte de pouvoir faire cette sortie qu’on aurait dû faire il y a des semaines déjà si les évènements avaient été différents. On se couche donc correctement dans le lit et c’est naturellement que James passe son bras sous moi pour que je me couche sur son torse. Le sommeil ne prend pas longtemps avant de me porter, surtout sous les caresses le long de mon bras de celui-ci.
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