Chapitre 18
Sarah et Griffin s’apprêtent à partir dans moins d’une heure pourtant je vois bien qu’ils sont réticents. La semaine est passée trop rapidement et ce n’est pas suffisant pour pouvoir profiter pleinement de Dorian et rattraper le temps perdu. Pendant que Griffin profite d’ailleurs d’un dernier moment de complicité avec mon fils, Sarah s’installe avec moi dans le salon pour parler une dernière fois avant leur départ.
— Je te remercie encore de nous avoir accueillis, tu n’étais pas obligée après ce qu’il s’est passé.
— Vous vous êtes excusé, je ne pouvais pas être rancunière pour ça et puis Jason n’aurait pas aimé que je vous mette à la rue.
— Tu plaisantes ? Jason nous aurait foutu dehors un coup de pied au cul dans le cas inverse.
Je ris et mes yeux s’embuent encore pour la énième fois cette semaine en repensant à lui. Sarah m’attrape la main et la serre fort dans la sienne.
— Tu es très forte Aisling. Tu t’en sors tellement bien malgré tout ce qui s’est passé. Tu pourrais être en colère contre la vie, mais ce n’est pas le cas. Jason l’a tout de suite vu en toi, ta force et ton envie de te battre est ce qui l’a fait tomber amoureux de toi. C’est ce qui ferait tomber n’importe quel homme à tes pieds.
Je la regarde, mais je ne trouve pas les mots pour lui répondre, cela ne l’empêche pas de continuer sur sa lancée.
— Je ne sais pas si on t’a empêché de voir quelqu’un pendant qu’on était là, je ne sais pas si tu n’oses pas nous en parler parce qu’on t’a blessé ou bien si c’est parce qu’on connaissait Jason, mais sache qu’on est heureux pour toi tant que tu l’es. Alors si tu es avec quelqu’un comme on le suspecte ça ne nous dérange pas, on ne te jugera pas.
— Tu as vu les photos c’est ça ?
Elle sourit et acquiesce, mais ajoute aussitôt :
— C’est ce qu’on a vu en premier, oui, mais pour moi ça ne voulait rien dire, je ne crois pas à tout ce que je vois sur internet. J’ai surtout vu les fleurs quand on est arrivés et puis la carte qui l’accompagnait. Je ne l’ai pas lu je te rassure.
— James et moi, on… on n’est pas ensemble. Enfin pas…
— Pas pour l’instant ?
Sarah termine pour moi quand je ne dis plus un mot. Je hoche la tête, mais ne rentre pas dans les détails. J’ai envie d’être avec lui, j’attends juste qu’on se parle et qu’on mette enfin tout au clair.
— Tu mérites d’être avec un homme qui te traite bien, un homme qui sera un bon papa pour Dorian, un homme qui vous rendra heureux. Tu sais que Jason le voudrait, on le sait tous, alors j’espère que tu te lanceras sans te sentir coupable, relis sa lettre si tu ne penses pas le mériter. Je suis sûre que tu la rangé et jamais ressortis.
Elle a raison sur ce point. J’ai lu la lettre de Jason une seule fois, le jour où je l’ai eu, puis je ne l’ai plus jamais ouverte. C’était trop difficile pour moi de voir ses mots et son écriture couché sur du papier et de ne jamais pouvoir les entendre à nouveau. Elle est soigneusement cachée dans mon dressing accompagné de la bague de fiançailles que je n’ai jamais eu le courage de regarder. Ça ferait trop mal de revoir ça à nouveau.
Sarah prend mon silence comme une confirmation et n’en rajoute pas plus. Elle me prend dans ses bras quelques secondes avant d’annoncer qu’elle part profiter encore quelques minutes de mon fils avant de devoir partir.
***
Après une semaine accompagnée je me retrouve à nouveau seule chez moi avec Dorian et Van Gogh. Ces deux la sont en train de paisiblement dormir alors que je réfléchis à ce que Sarah m’a dit. Je devrais peut-être relire la lettre de Jason, juste une dernière fois, je ne suis plus dans le même état d’esprit que je l’étais la première fois que je l’ai lu. Même si sa mort me fait toujours aussi mal ce n’est plus aussi récent et je verrais peut-être ses mots différemment.
Je me dirige avec appréhension vers mon dressing et remet rapidement la main sur la lettre ainsi que l’écrin qui contient la bague que Jason voulait m’offrir. Je le prends aussi sans vraiment savoir si je vais l’ouvrir. Pour le moment je me contente d’enlever la lettre de l’enveloppe où elle se trouve et de prendre une longue inspiration avant de déplier la feuille.
Mes yeux s’embuent dès que je vois son écriture et je me demande si je vais vraiment réussir à la relire et surtout si c’est une bonne idée. Mais quand je vois ce premier mot « princesse » je sais que je veux la lire, je veux voir encore une fois sa déclaration, quitte à en souffrir après.
Ma princesse,
J'écris cette lettre pendant que tu dors. Si tu savais pourquoi je le faisais, je sais que tu m'en voudrais. Penser au pire alors qu'on vit le meilleur... Mais tu sais aussi bien que moi tous les risques auxquels je fais face chaque jour quand je passe la porte pour aller travailler.
Alors, cette lettre, c'est juste un « au cas où », que, je l'espère, tu n'auras jamais à lire, ou bien dans une cinquantaine d’années au minimum.
J’espère que tu sais à quel point je t’aime, tu m’as apporté le bonheur qui me manquait et tu as fait en sorte que ma vie vaille la peine d’être pleinement vécue. Je suis tellement heureux avec toi, plus que je ne l’aurais jamais imaginé et je ne pourrai jamais assez te remercier pour tout ce que tu m’as apporté. Tu es la femme que je veux épouser (en espérant qu’au moment où tu liras cette lettre ce sera déjà fait depuis des décennies), la femme que je veux avoir comme mère pour mes enfants (en espérant également qu’il y en ait une dizaine qui t’entoure au moment où tu devras lire cette lettre), tu es la femme que j’aime tout simplement, celle avec qui je veux vieillir.
Alors, si ce n’est pas le cas, si on n’a pas l’occasion de vieillir ensemble pour n’importe quelles raisons injuste, j’aimerais que tu continues d’être heureuse. Que tu sois aussi gentille, attentionnée, généreuse… Je veux que tu continues de vivre, je ne veux pas que ta vie s’arrête en même temps que la mienne. Je veux que tu continues d’avancer même si je ne suis plus à tes côtés. Je ne veux pas que tu te prives de quoi que ce soit. Si tu veux te remarier, fais-le. Si tu veux d’autres enfants, fais-en. Continue les projets qu’on avait faits si tu en as toujours envie. Ne te prive de rien pour moi de peur de penser que tu ne le mérites pas juste parce que je ne suis plus là. Tant que tu gardes une petite place dans ton cœur pour moi, alors je serai heureux pour toi. Tu mérites de continuer à être heureuse, tu l’as toujours mérité et j’espère que tu l’étais pendant le temps qu’on aura partagé.
La plus belle chose que j’ai faite dans ma vie, c’est de t’aider ce soir-là, celui de tes vingt et un ans. Je ne regretterai jamais d’être venu te voir dans cette salle d’hôpital et de te sortir de la situation dans laquelle tu étais. Depuis ce jour, ma vie a commencé.
Je t’aime, Aisling, ne l’oublies jamais.
Je suis en larmes, comme je l’avais prévu, mais je n’avais pas prévu que je redécouvrirais ses mots. J’ai l’impression que j’avais oublié la moitié des choses qu’il m’a écrite. Pourtant je me souvenais du principal, d’être heureuse, de continuer nos projets, mais j’ai oublié qu’il m’avait dit de me priver de rien, j’avais oublié le principal surtout. Ce dernier passage que j’avais dû lire en étant beaucoup trop ému pour vraiment l’assimiler, ce passage où il me dit que la plus belle chose qu’il ait faite est de m’aider, qu’il ne regrettera jamais d’être venu à mon secours.
Mes larmes redoublent quand je réalise enfin. Jason voulait être avec moi, il n’a jamais regretté m’avoir aidé, je pense qu’il ne le regrettait pas même quand il a compris qu’il allait mourir. Ce n’est pas à cause de moi qu’il est mort, il était heureux à mes côtés et ne l’aurait peut-être pas été si on ne s’était jamais rencontré. Ben est coupable, pas moi. Je ne suis pas responsable de la mort de Jason, Ben l’est.
Si Jason m’a vu tout ce temps me sentir responsable de sa mort il devait avoir envie de venir me secouer pour me faire comprendre que ce n’est pas le cas. Si on était dans le cas contraire je n’aurais jamais pensé qu’il est responsable, j’aurais aimé qu’il vive sa vie en continuant de m’aimer et de penser à moi, mais en refaisant sa vie avec une autre femme et en étant heureux.
J’attrape l’écrin posé devant moi et caresse la boîte avant de me décider à l’ouvrir, je crois qu’il est temps. Je découvre d’abord une magnifique bague en or blanc serti d’un diamant, mais ce qui m’intrigue le plus est un bout de papier roulé dans l’anneau. Je sors la bague et enlève le papier que je déroule. J’y découvre à nouveau l’écriture de Jason dans un mot que je n’avais jamais vu.
Princesse,
Si ce mot est toujours dans cet écrin alors que tu l’ouvres c’est parce que je n’ai pas eu le temps de te mettre la bague au doigt. Il a dû m’arriver quelque chose et je n’ai pas eu le temps de te faire mienne officiellement. Mais je n’ai jamais eu besoin que ce soit officiel aux yeux de la loi pour t’aimer comme un fou jusqu’à mon dernier souffle, j’espère que tu le sais.
Comme je ne suis plus là, je ferais tout pour t’envoyer quelqu’un qui t’aimera autant que moi (je ne dirais pas plus que moi parce que c’est impossible), je ferais en sorte que tu le reconnaisses, promis ce sera facile, il t’appellera princesse et viendra à ton secours comme je l’ai fait, sauf que cette fois personne n’aura porté la main sur toi j’en fais mon affaire, je te protégerai même de là haut. Je t’enverrai un homme qui fera tout pour toi, qui te dira que vous êtes fait pour être ensemble et qui comprendra ton passé sans même que tu es à lui en expliquer les moindres détails, tu verras tu seras heureuse.
Trêve de plaisanterie, je ne sais pas où je serais vraiment, mais tant que tu vas bien et que tu es heureuse, alors je le serais aussi.
Je t’aime, je t’ai aimé chaque jour et je continuerais de t’aimer.
Je ne regrette pas de ne pas avoir ouvert cet écrin avant, je n’aurais pas été prête. Mais maintenant ? C’est exactement ce dont j’avais besoin, les mots qu’il me fallait. Jason me fait sourire, mes larmes qui coulent ne sont plus que des larmes de douleur, c’est des larmes de soulagement. Je me sens libéré d’un poids qui ne me quittait plus depuis trop longtemps, je me sens respirer librement et je me sens bien.
Je relis encore ce mot et la vision de James me vient en tête. James qui m’a appelé princesse après m’avoir aidé quand je me suis tordu la cheville. Je secoue la tête, je ne crois pas aux esprits ou à la vie dans l’autre monde, Jason plaisantait et ça s’est réalisé, mais ce n’est qu’une coïncidence.
Je sursaute quand je sens mon téléphone vibrer dans ma poche, je regarde l’écran et voit un message que j’attendais de voir depuis longtemps.
James : Bonsoir. Je ne sais pas trop si tu veux me parler, je veux te laisser du temps, mais Peter m’a parlé rapidement de tes amis qui étaient avec toi et m’a forcé à t’envoyer un message pour t’inviter à sortir. J’aimerais vraiment te voir, tu me manques beaucoup. Si tu es libre demain on pourrait se voir ? Sortir avec Dorian. On pourra parler aussi, j’ai beaucoup de chose à te dire. Bonne nuit, princesse.
Mon cœur rate un battement à ce dernier mot et je ne peux pas faire autrement que de me répéter sans cesse « coïncidence » à voix basse. Je tape rapidement une réponse sans réfléchir, je crois que j’ai suffisamment attendu.
Aisling : Pourquoi pas ce soir ? J’ai besoin de te voir, s’il te plaît.
La réponse ne prend pas plus de quelques secondes, je pense qu’il attendait impatiemment son téléphone à la main.
James : J’arrive.
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