Chapitre 17
Sarah est devant chez moi.
Rectification, Sarah et Griffin sont devant chez moi.
J’hésite à décrocher l’interphone. Ils ne m’ont pas prévenu de leur arrivé et je ne sais pas si je suis prête à les accueillir. Après tout ce temps je ne m’attendais plus à les revoir, encore moins sans qu’ils ne me préviennent avant. Les voir au dépourvu dans mon petit écran ne m’aide pas, j’aurais préféré pouvoir me faire à l’idée qu’ils allaient venir. Je décroche l’interphone, mais aucun son ne sort de ma bouche, je sais que le couple a entendu le bruit que cela a fait car ils se sont tout les deux tournés vers la caméra. Quand je ne dis toujours rien, Sarah se lance hésitante.
— Aisling ?
J’hoche la tête alors même que je sais qu’elle ne me voit pas, mais je suis toujours muette.
— Tu… On aurait dû te prévenir, mais on pensait que tu ne voudrais pas nous voir, ce qui est compréhensible, mais on s’est dit que si on était devant chez toi, tu ne refuserais pas. Enfin là je me demande si on n’a pas eu tord…
Je soupire et me frotte le visage de ma main libre, dans son parc Dorian commence à s’énerver et cherche de l’attention. Je dois réagir, dire quelque chose, au moins leur confirmer que c’est bien moi, mais je ne dis rien et me contente d’appuyer sur le bouton pour ouvrir le portail. Je vois Sarah légèrement sursauter puis se tourner vers le portail avant de se tourner de nouveau vers la caméra et de sourire en me remerciant.
J’ouvre ensuite la porte d’entrée et attends de les voir arriver, leur voiture avance lentement le long de l’allée. Van Gogh vient à mes pieds dès qu’il entend du bruit, son instinct de protecteur en marche, il grogne contre la voiture inconnu qui arrive, mais se calme quand je pose ma main sur son crâne. Leur véhicule s’arrête devant mon garage, j’aperçois le couple se regarder avant de sortir. Sarah attrape la main de Griffin avant que les deux ne s’approchent finalement du porche. Je ne bouge pas, les bras croisés j’attends qu’ils se postent devant moi. Van Gogh lui s’approche des deux et les renifle et leur tourne autour calmement. Puis comme s’il les reconnaissait il se met à japper et à sauter, visiblement heureux de retrouver les amis de son maître, on ne peut pas vraiment en dire autant de moi.
Griffin s’apprête à parler le premier quand Dorian se met à pleurer. Heureuse de cette distraction je m’excuse pour aller chercher mon fils. Je le prends dans les bras et l’embrasse, il se calme rapidement, ravie d’être enfin mon centre d’occupation, puis je prends une grande inspiration et me tourne pour rejoindre Sarah et Griffin qui n’ont pas bougé.
Sarah fond en larmes dès qu’elle aperçoit Dorian et Griffin lève la tête et regarde vers le ciel, probablement pour éviter à ses larmes de couler. Je n’arrive pas à rester de marbre face à cette scène, ils ont été mes seuls amis pendant longtemps, ils étaient les meilleurs amis de Jason depuis toujours, ça a été tout aussi difficile pour eux que pour moi, je ne peux pas leur en vouloir de m’avoir laissé seule alors qu’ils devaient me rejoindre. Je vois le regret dans leur regard et la tristesse sur leur visage et mes propres larmes se mettent à rouler sur mes joues quand je les vois dans cet état. Je m’approche de Sarah et la serre dans mes bras, Griffin se joint à nous et nous entoure de ses grands bras et parle le premier.
— On est tellement désolé, c’était tellement dur.
— Je sais.
On se recule, Sarah essuie ses larmes et me demande si elle peut prendre Dorian. Celui-ci part dans ses bras sans broncher et lui attrape les cheveux.
— Il lui ressemble tellement plus en vrai.
Je souris, mais ne dis rien, je le sais, Dorian est le portrait craché de Jason il n’y aucun doute la dessus. J’invite le couple à entrer et les dirige vers le salon où ils s’installent, je leur propose à boire et tente d’avoir l’air détendu quand je ne le suis pas vraiment. Après que je me sois à mon tour installé l’ambiance devient lourde, je ne sais pas quoi dire, je ne m’attendais plus à vivre cet instant un jour. J’hésite à briser le silence, à me lancer dans une conversation banale sur comment était le temps à New-York, comment s’est passé leur voyage dont je n’avais aucune idée. Mais je ne dis rien et Griffin prend la parole.
— On est réellement désolé, on n’a pas d’excuse valable pour ne pas être venu te rendre visite et rencontrer Dorian avant. Le fait qu’on n’était plus prêt à déménager ne voulait pas dire qu’on ne pouvait pas venir quelques jours ici. Tu étais seule alors qu’on avait promis à Jason de toujours prendre soin de toi. S’il nous voit je suis certain qu’il nous en veut.
— Il ne vous en voudrait jamais. Vous l’avez dit, c’était dur pour vous, il n’y avait pas que moi dans l’histoire. Vous le connaissiez depuis toute votre vie et tous vos souvenirs sont là bas pas ici. Je devais partir, j’avais besoin de changement, c’est ce qu’il voulait et il avait raison. Je suis bien ici, Dorian est heureux et ne manque de rien, on a tous ce qu’il nous faut. On avance chacun à notre rythme.
— On s’en veut quand même, ajoute Sarah.
— Et je m’en veux pour la mort de Jason, pourtant vous avez toujours essayé de me déculpabiliser.
— Parce que tu n’es pas responsable Aisling ! s’exclame Griffin. La seule personne responsable est ce connard sur lequel j’ai tiré ce soir là. Toi, tu n’y es pour rien, tu n’as pas demandé à ce que cela arrive, tu n’as pas souhaité la mort de l’homme que tu aimes, tu voulais vivre avec lui. On te le répétera autant qu’il le faut, aussi longtemps qu’il le faudra, tu n’es pas responsable de sa mort, il faut que tu arrêtes de t’en vouloir parce qu’on ne t’en a jamais voulu nous.
Je baisse les yeux et pince les lèvres, il me faut encore du temps pour que cela s’imprègne vraiment en moi. Je tente alors de changer de sujet, leur demandant combien de temps ils restent et un tas d’autres banalités. Au fil des heures qui passent j’ai l’impression de revenir en arrière et de retrouver les amis que j’avais avant que Jason ne disparaisse. Les conversations redeviennent naturelles, comme avant et le temps passe vite, au point où j’en oublie mon portable et que je devais répondre à James.
Sarah et Griffin restent seulement quelques jours, je les invite à rester ici plutôt que de prendre un hôtel ce qu’ils acceptent rapidement. Ils s’occupent de Dorian avec plaisir ce qui me laisse l’occasion de respirer un peu et de prendre du temps pour moi, j’ai même l’opportunité de faire enfin plusieurs nuits complètes d’affilé quand ils m’assurent qu’ils s’occupent de lui la nuit. Cela me fait un bien fou autant physiquement que mentalement, je ne pense pas m’être senti aussi en forme depuis longtemps.
Pourtant il me manque tout de même quelque chose. Je n’ai pas recontacté James depuis le matin de son message et de ses fleurs il y a six jours maintenant. J’ai envie de lui parler, de le voir, mais je n’ose pas le faire alors que mes amis sont là. Je ne pense pas qu’ils diraient quoi que ce soit sur le fait que je commence à voir quelqu’un, mais c’est tellement nouveau pour moi aussi que je ne sais pas si je suis prête à leur en parler. Je continue donc d’ignorer mon pincement au cœur et me contente de sortir avec Sarah et Griffin et de leur faire découvrir la ville dans laquelle je vis.
J’envoie quelques messages à Peter dans la semaine et annule notre dîner hebdomadaire du samedi en le reportant à la semaine suivante. Je ne veux pas imposer deux têtes de plus chez eux alors qu’ils ne se connaissent même pas. Mais Peter s’inquiète et m’appelle rapidement, je décroche pendant que je suis seule dans mon bureau. Après les banalités d’usage Peter enchaîne rapidement sur mon annulation.
— Est-ce que c’est parce que James sera là ? Tu ne veux toujours pas le voir ?
— Non, ça n’a aucun rapport. J’ai envie de le revoir.
Je sens le sourire de Peter quand il me répond.
— Tu veux le revoir hein ? Pourtant tu ne lui donnes plus de nouvelle. Je le sais parce qu’il se plaint tout les jours que tu lui en veux et que tu ne voudras probablement plus jamais le voir.
— Ce n’est pas le cas. Je… Les meilleurs amis de Jason sont venus me rendre visite.
Je n’ai pas besoin d’en ajouter plus pour que Peter comprenne aussitôt, je lui ai raconté un tas de choses sur mon passé, Sarah et Griffin en font partis.
— Je vois. Tu ne leur as rien dit ?
— Ce n’est pas vraiment venu dans une conversation, non. Je ne sais même pas quoi leur dire, je ne sais pas ce qu’il se passe entre James et moi. Et puis c’est difficile d’avouer aux meilleurs amis du père de ton fils décédé que tu tombes amoureuse d’un autre homme.
Le silence se fait à l’autre bout du fil et je me rends compte aussitôt de pourquoi. Je viens de dire à voix haute que je tombe amoureuse de James, quelque chose que je ne m’étais même pas avoué à moi-même jusque là. Pourtant je sais bien que c’est vrai. Je ressens avec James ce que je n’avais pas ressenti depuis Jason, je me sens en sécurité quand il me serre dans ses bras et je me sens tellement bien quand il est près de moi.
— Peter ?
Il se marre, mais ne répond pas.
— Ferme-la.
— Je n’ai rien dit, se défend-t-il.
— Je sais ce que tu penses, je sais tout ce que tu as envie de dire, mais s’il te plaît ne dis rien. Laisse-moi y penser par moi-même pour le moment.
— Je ne dirais rien… pour l’instant. Quand est-ce que tes amis partent ?
— Dans la journée de dimanche.
— D’accord. Attends-toi à avoir une invitation de la part de James lundi. Prends soin de toi, à bientôt.
— Quoi ?! Peter, non ! Allo ?
Il a déjà raccroché alors que j’essaie de comprendre. Je tente de le rappeler, mais il ne décroche évidemment pas, ni ne réponds à mes messages, quel enfoiré. Je suis sûre qu’il va parler à James, reste à savoir ce qu’il va lui dire. C’est ça que je crains le plus car le fait de penser à revoir James me donne plutôt des papillons dans le ventre.
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