Chapitre 1

Je cours depuis bientôt trente minutes, mes écouteurs dans les oreilles, le regard fixé droit devant moi, ne pensant qu'à mes foulées. Je me suis inscrite dans cette salle de sport depuis peu et je viens y courir plusieurs matins par semaine. La première semaine n’a pas été très simple, j'ai été abordé par différents membres masculin presque chaque jour, certains étant plus lourd que d’autre, plus insistant, mais ils ont vite compris que je n’étais pas là pour flirter quand je ne leur ai accordé aucune attention en retour.

Cette journée a commencé comme toutes les matinées précédentes, je suis arrivée parmi les premiers, quelques minutes après l'ouverture. Je me suis installée sur un tapis de course libre et j’ai commencé ma routine.
La salle s’est remplit peu à peu, les tapis sont désormais tous pris, je remarque un homme passer devant moi et toute la rangée des machines. Il en recherche sûrement une de libre, ou quelqu’un qui va descendre, mais personne n’a l’air d’avoir envie de bouger. Il reste quelques minutes en retrait puis décide finalement de se poster devant moi. Je continue à courir sans lui prêter attention, jusqu'à ce qu'il me fasse de grand signe de ses bras. Résigné, j'enlève mes écouteurs tout en continuant à courir, un peu plus lentement pour éviter la chute.

― Vous m'avez entendu ? demande-t-il d'un accent anglais. 

Cela fait maintenant presque un an que j’ai déménagé en Californie après avoir passé toute ma vie à l’autre bout du pays. Je me suis habituée à entendre un tas d’accent différents et celui-ci est facilement reconnaissable, tout comme l’homme en face de moi maintenant que je lui prête un peu plus attention. Je fronce les sourcils un instant avant de lui répondre.

― Non. 

― J'ai demandé si vous en aviez encore pour longtemps ? J'aimerais la place, si possible. 

― J'en ai encore pour une bonne heure. 

Un grand sourire se dessine sur ses lèvres, il avance d’un pas et me fixe curieusement avant de me lancer d’une voix qui doit se vouloir séductrice :

― Et vous ne voudriez pas vous arrêtez pour moi ?

― Non.

Mon ton est plutôt sec quand je lui réponds avant de remettre mes écouteurs sans même me demander s’il va me répondre. Il parait choqué, ne comprenant probablement pas comment je peux lui refuser et pensant sûrement que je ne l’ai pas reconnu. Même si je sais très bien qui il est : James Lemore, acteur principal dans une nouvelle série à sensation et à l'affiche de plusieurs films à grand succès. Grand, musclé, cheveux châtain et yeux bleus, en résumé un bel apollon qui attire forcément le regard sur lui. Je mentirais si je disais qu'il n’est pas à mon goût, mais j’ai décidé de tirer un trait sur les hommes. 

À côté, j’entends vaguement la femme sur le tapis à côté du mien lui proposer de lui laisser sa place. James la remercie d'un énorme sourire quand elle descend, je pense bien qu'elle est prête à s'évanouir. Maintenant qu’il a enfin un tapis, il ne m’observe plus, alors je me concentre à nouveau sur mes pas, et continue ma course jusqu'à la fin de mes deux heures habituelles. 

Quand j'arrête enfin la machine James s'arrête également, mais je l’ignore. Je récupère ma bouteille et commence à boire quand il se poste devant moi.

― Vous avez fini ? demande-t-il d’un sourire enjôleur.

― Pourquoi, il vous faut deux machines ?

Je lève un sourcil interrogateur en attendant sa réponse. Il a l’air surpris, son sourire s’envole un instant, mais il se reprend rapidement.

― Non, j'aimerais vous inviter à prendre un café. 

Je ne prends pas longtemps avant de lui répondre, lançant la même réplique que j’ai dû dire plusieurs fois quand on m’a abordé ici même. Que cet homme soit une célébrité reconnu ne va rien changer au fait que je n’ai pas envie de voir un homme et encore moins accepter ce genre d’invitation.

― Désolée, je dois aller travailler.

Je le plante là sans attendre et je pars aux vestiaires me changer et récupérer mes affaires. Je ne me retourne pas, je n’ai même pas pris le temps de voir sa tête quand je lui ai annoncé. Je souris en pensant à ce qu'il ne sait pas : je travaille de chez moi et que je n'ai aucun horaire précis. Mais c’est l’excuse idéale et totalement crédible que j’ai chaque fois que je dois refuser quelconque invitation non désiré.

***

Je recommence le même rituel dès le lendemain. Tout est exactement comme les jours précédents à l'exception de James Lemore. Je viens à peine de commencer à courir qu’il entre dans la salle et se dirige droit sur les tapis. Ils sont aujourd'hui tous libre, je suis d’ailleurs sûre qu’il est venu à cette heure-ci pour ne pas faire la même erreur que la veille. Pourtant malgré l’espace libre il décide, comme la veille, de s'installer à côté de moi. 

Je lui jette un coup d'œil rapide, légèrement curieuse, et vois ses lèvres bouger. Il est clairement en train de me parler, mais je n'entends rien avec ma musique dans les oreilles. Il le comprend quand je ne réponds pas et me fait signe d'enlever mes écouteurs. Ce que je me force à faire contrainte d'être polie. 

― Bonjour, dit-il une fois qu'il est sûr que je l'entends enfin. 

― Vous m'avez demandé d'enlever mes écouteurs pour ça ?

Je ne cache pas mon agacement, j’aime être tranquille pendant ma course, c’est le seul moment où j’arrive à ne plus penser à rien, où tout les souvenirs laisse place à rien d’autre que le moment présent, où je dois juste me concentrer sur mes pas sur le tapis et à rien d’autre. J’ai besoin de ce moment à moi avant de commencer ma journée sur de bonne base afin d’éloigner les cauchemars qui submergent mes nuits.

― J'essaie simplement d'être poli, dit-il avec son sourire charmeur. 

Je soupire quand je commence à perdre le rythme de ma course. Il n’a pas l’air de voir qu’il me dérange alors je me force à répondre plutôt que de l’ignorer.

― Un simple geste de la main suffisait. 

― Je vois.

Il fait alors coucou de la main dans ma direction et même s’il le fait d’un geste totalement infantile, je ne peux pas cacher mon sourire, mon agacement s’étouffant légèrement.  Je décide donc de lui répondre un peu moins sèchement.

― Bonjour.

Son sourire s’élargit. Je sens qu’il va enchaîner la discussion, mais je ne lui laisse pas le temps et remet rapidement mes écouteurs. Je l’observe du coin de l’œil et le vois soupirer avant de commencer à courir et regarder droit devant lui.

À mesure que l'heure avance, de plus en plus de femmes s'agglutinent sur les différentes machines les plus proches de James. La vision de celui-ci en plein effort et transpirant ne les rendent absolument pas discrètes, elles le dévorent du regard sans aucune gêne et surtout sans discrétion. Il les a d’ailleurs remarqués, il leur fait de temps à autre un signe de la main, accompagné de son célèbre sourire charmeur, je suis presque certaine d’avoir vu l'une d'elle en baver. Je ne comprends pas cet intérêt à se faire remarquer d’un homme qu’elles ne connaissent qu’à cause d’un écran et ce regroupement autour de lui, donc de moi, m’exaspère. La foule me rend nerveuse et mon regard n’arrête pas de se porter sur chaque nouveau visage qui vient rejoindre les précédents, cherchant quelqu’un qui, je le sais, ne peut pas être là.

***

À la fin de mes deux heures, qui m’ont semblé beaucoup trop longues avec ces sangsues, je descends finalement de la machine après l'avoir essuyé. Plusieurs femmes se battent presque pour savoir laquelle l'aura et pourra donc avoir le privilège de courir à côté de James. 

Pathétique, je me mets à penser. 

Mais malchance pour la gagnante : il s'arrête de courir quelques minutes seulement après moi. Je peux clairement voir le visage de déception qu'elle n’arrive pas à cacher, tandis que je retiens mon rire. Je bois quelques gorgées à ma bouteille et détourne le regard quand je vois quelqu’un s’approcher. James se poste à nouveau près de moi comme la veille alors que je m’apprêtais à aller aux vestiaires.

― Vous avez terminé ? 

― Oui.

Je tente de le contourner pour continuer mon chemin, mais il n’a pas l’air d’avoir envie d’arrêter ce début de conversation. 

― Donc vous venez ici simplement pour courir deux heures ? 

― Exactement. 

J’espère qu’en répondant avec le moins de mot possible il comprendra que je ne suis pas intéressée, mais je me trompe à nouveau. Il insiste avec une nouvelle question.

― Tout les matins ?

― Pratiquement. 

Je vois bien que je commence à l'exaspérer avec mes réponses courtes, mais je ne veux en aucun cas qu'il pense que je puisse m'intéresser à lui comme toutes les groupies qui le collent. J'ai tiré un trait sur les hommes, peut-être qu’il ne sera pas définitif, peut-être que si, mais si je décide à nouveau de vouloir retenter l’expérience d’une relation ce sera pour quelque chose de sérieux. Et quand je vois un une personne comme lui, qui ne se cache pas pour draguer, qui en plus est connu du monde entier et dont la vie doit être scruté dans les moindres détails, c’est une question qui ne se pose même pas, c’est clairement un non ferme.

― Avez-vous déjà appris à faire des phrases complètes ? Vous savez, sujet, verbe, complément ? me demande-t-il cette fois.

― Non. 

Je ne peux pas m’empêcher de sourire cette fois ci quand je lui réponds. Il ne se démonte pas. Je dois avouer que je suis surprise par sa répartie, mais je ne lui montre pas. Il soupire en passant la main dans ses cheveux, mais toujours en souriant. 

Nombres de femmes ayant sûrement défailli face à ce geste ? Je ne dirais pas loin d'un million.

― Je peux vous inviter à nouveau à boire un café ? 

― Désolée je dois travailler, dis-je avant d’enfin le contourner. 

― Enfin une phrase complète !

Je lui ai déjà tourné le dos quand il me répond, je souris à nouveau, ne me retourne pas même si je sens son regard sur moi et entre enfin dans les vestiaires des femmes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top