𝐕𝐈𝐈. 𝐭𝐨𝐮𝐭 𝐥'𝐨𝐫 𝐝𝐮 𝐦𝐨𝐧𝐝𝐞
Il y a deux mois.
Dambi passa une main dans les cheveux de son meilleur ami ; Soobin dormait à ses côtés, un air paisible sur le visage. Il s'était endormi devant le film qu'ils regardaient tous les deux, les poings serrés sur le petit plaid à carreaux qu'il avait jeté sur leurs corps pour les réchauffer un peu. Ce genre de moment était ses favoris. Sans cesser les caresses dans ses cheveux sombres, elle baissa le son de la télévision, avant de se raviser, et de l'éteindre complètement. Au même instant, Soobin battit des cils avant de la dévisager avec lenteur.
– On finira demain, lui murmura-t-elle.
Soobin opina du chef, sans dire un mot.
– Tu veux aller te coucher ?
Soobin secoua à peine la tête et Dambi comprit qu'il souhaitait rester là un peu plus longtemps. Ils ne s'étaient pas retrouvés ainsi, devant un film à manger ensemble, depuis bien trop longtemps à son goût. Dambi voulait en profiter. Elle avait en mémoire ces soirées au lycée, quand ils se retrouvaient étalés sur le lit de Soobin à jouer à la console, ou devant leur série du moment. Souvent, sa mère avait eu coutume de leur apporter des gâteaux secs, spécialités de la région anglaise où elle avait grandi. Dambi avait toujours adoré ces gâteaux. Cette époque lui semblait à la fois lointaine, à la fois proche... Et la rendait immensément nostalgique.
Quelque part, elle se demanda comment la vie serait après. Dans quelques mois, quand le bébé serait là. Comment Soobin serait avec lui, avec elle, avec eux trois. Chaque jour qui passait lui donnait envie de tout lui dire, mais Dambi s'en empêchait : pas avant l'examen des trois mois. Par la suite... Dambi avait un milliard d'idées. Soobin serait le baby-sitter attitré, elle le savait. Elle voulait parler avec lui des couleurs de la chambre (quelque chose de très coloré, Dambi ne voulait pas de quelque chose de classique et triste pour son enfant), des jouets en bois qu'elle voulait lui acheter, du prénom (car elle en avait une idée précise et voulait à tout prix son avis à lui aussi)... D'à peu près tout. Elle se projetait peut-être trop rapidement, mais tant pis.
Soobin se redressa légèrement et étira ses bras en avant.
– Pouah, je suis désolé de m'être endormi comme une masse...
– Tu étais fatigué, être premier de sa classe ça épuise, rigola-t-elle.
Il leva les yeux au plafond, faussement agacé. Avec douceur, il porta une main à ses cheveux et tripota du bout des doigts une petite mèche de cheveux à la couleur fadée.
– Tu comptes recolorer tes cheveux ?
– Ouais, répondit-elle. Peut-être plus de rose.
Soobin esquissa un sourire.
– Dambi et ses aventures capillaires. Tu pourrais te reconvertir !
– Certes !
– Je suis étonné que Sangmin n'y soit pas passé, ajouta Soobin.
– Oh il tient trop à ses précieux cheveux et puis, il est persuadé qu'il commencera à les perdre avant ses trente ans !
– Oh la poisse...
– Ce n'est pas grave, je l'aimerai toujours autant, avec ou sans cheveux sur le crâne, ajouta Dambi.
– Tout comme il t'aime toi et tes extravagances qui feraient fuir n'importe quel mec un peu trop coincé de ce pays, rigola Soobin.
– Je sais, j'ai trouvé le mec parfait.
Soobin lui adressa un sourire teinté de tristesse et Dambi s'empressa de recommencer ses caresses dans ses cheveux.
– Sujet sensible, désolé.
– Non Dambi, arrête. Tu sais que je m'y suis fait.
Mais elle eut toutes les difficultés du monde à y croire.
– Et puis, j'adore ma relation avec Sangmin. J'adore notre relation. Ainsi que celle tous les trois : crois-moi, ça vaut tout l'or du monde.
Et on fera tout pour que ça le reste Soobin. J'ai si hâte d'un futur pour tous les quatre, tu le sais ça ? Parce qu'au fond, tu es de ma famille aussi.
* * *
Le tisonnier ardent dans les mains, Dambi ouvrit la porte de la cabane. Tout ça était Soobin. La forêt, les arbres, la nuit sans fin, la pluie, la cabane... Tout émanait de son meilleur ami. Il entendait la voix de cet endroit. Il avait toujours une longueur d'avance sur eux. Alors si tout venait de lui, si la source était son propre esprit, quand bien même il n'en possédait pas le contrôle, Dambi était confiante. Peut-être plus qu'elle ne l'avait jamais été. Je sais qui elles sont. Rien n'est vrai. Tout est dans nos têtes. Je peux le faire. Derrière elle, Sangmin s'apprêta à lui lancer quelque chose, mais elle lui intima de rester avec Soobin. On va te sauver Soo. Combattre ces monstres un à un, te soigner et retourner à nos vies. La porte claqua derrière elle et le silence de la forêt se fit plus assourdissant.
Elles l'attendaient, tout comme Soobin l'avait prédit. À ses pieds, les petits insectes noirs déguerpirent, sentant le vent tourner. N'y prête aucune attention. Elles ne sont pas vraiment là. Et comme si cette seule réalisation avait suffi, les araignées dégagèrent encore plus vite à chacun de ces pas. L'une des « filles » s'approcha, mains plantées sur ses hanches squelettiques.
– Alors Dambitch, on vient seule cette fois-ci ?
– Oui.
La vérité était que Dambi n'avait aucune idée de quoi faire, simplement la volonté de les surpasser. Ne pas se laisser distraire par leurs regards noirs comme la nuit, ne pas s'attarder sur les uniformes de ce lycée qui l'avait tant marqué, à vie. Ne surtout pas leur donner l'impression d'avoir gagné. Dambi le savait déjà, elles savaient tout. Tout de ses moindres peurs, de ses moindres envies ou rêves.
Plus elle avançait, plus son corps s'engourdissait, devenant froid et rigide. Ce n'était pas la nuit ni les bois, s'étaient-elles. Son corps appréhendait, mais son esprit se battait. Et c'était tout ce qui comptait. Elle brandit un peu plus haut son tisonnier, dont le bout avait déjà commencé à se refroidir à cause de la pluie très fine. Dambi ne savait pas se battre. Encore moins faire du mal aux gens. Et Dambi n'avait jamais voulu en venir jusque-là. Ce n'était pas elle et elle haïssait cette minuscule part de son esprit qui s'était retrouvée acculé au point de tordre le cou à tous ses principes.
Au fond, avait-elle réellement réussi à passer au-dessus de tout ?
Non.
Leur présence en était la preuve vivante.
– Alors approche-toi, siffla l'une d'entre elles.
Comme des automates, les autres rigolèrent à leur tour. Il n'y en a qu'une. Les autres ne sont que des copies. Comme autrefois. Elle fait, elles imitent. Elle demande, elles font. Abats la cheffe, abat le groupe, pensa-t-elle. Elle la vit lever sa main dégarnie, menaçante, et Dambi fronça les sourcils. Un flash de souvenirs désagréable lui remonta à l'esprit et elle essaya de garder la tête haute, les yeux ouverts, sans serrer les dents.
Une odeur de bonbons, ce même chewing-gum à la menthe qu'elle mastiquait tous les jours, remonta dans ses narines et elle se sentit frémir. Le même qu'elle collait dans ses cheveux pour plaisanter. Dambi détestait la menthe à cause de ça. L'odeur lui-même donnait la nausée et elle n'avait tout simplement jamais osé en parler, ni à Sangmin, ni à Soobin. Elle avait coupé un nombre innombrable de ses mèches de cheveux, inapte à pouvoir les laver au cours de sa journée, ou d'y retirer la pâte gluante et encore pleine de salive. Parfois, l'autre les collait dans ses cahiers, et Dambi préférait presque.
– Ça te rappelle des souvenirs ?
L'autre avait les mêmes visions qu'elle, elle le savait.
– De très bons souvenirs, lâcha-t-elle sans même réfléchir.
En face d'elle, l'abomination inclina la tête, surprise. Ses yeux entièrement noirs semblèrent rétrécir un peu, et les autres derrière elles l'imitèrent : sept têtes penchées sur le côté, curieuses de la tournure que prenaient les événements.
– Les meilleures journées de ma vie, continua-t-elle.
– Menteuse !
Oui, Dambi mentait. Et mentir à ce point lui coûtait, lui brûlait presque la langue. Mais mentir lui faisait perdre ses moyens, elle le voyait. Elle avança d'un pas et l'autre l'imita, les bras désormais ballants.
– Tu aurais même pu y aller plus fort. Je suis très déçue.
Vomir. S'évanouir. Pleurer. Dambi avait envie de tout à la fois. Mentir à ce point faisait tout remonter, lui donnait envie de s'enfuir. Mais en face d'elle, la chose perdit son sourire. D'un seul coup, la créature se téléporta devant elle, les autres à sa suite et porta une main à sa gorge. Ses doigts froids se pressèrent dans sa peau et Dambi laissa échapper un cri de surprise, son bras se figea, incapable de bouger son tisonnier. Bat toi, bat toi pour lui...
– N'importe quoi...
– Tu sais ce jour-là, dans les toilettes ? Tu aurais pu y plonger ma tête. Pas juste mes affaires.
La chose crachota en face d'elle et des dizaines de petites araignées velues s'extirpèrent de sa chevelure en paquet. Aucune ne grimpa sur elle, comme si Dambi était devenue une personne à fuir. La chose le remarqua et son visage devint encore plus mauvais et menaçant. Autour de son cou, ses doigts se resserrèrent un peu plus et, les larmes aux yeux, Dambi reprit, d'une voix étouffée :
– Non, tu sais quoi ?
– Ferme la Dambitch...
– Tu aurais juste pu me tuer.
Sonnée, la chose la lâcha. Juste une fraction de seconde. Parce que je venais d'énoncer une chose que tu n'aurais jamais faite au fond, hein ? Tu voulais juste t'amuser ? Pourtant, moi, j'ai longtemps cru que tu m'en voulais d'exister. Profitant de cet instant de faiblesse, elle lui balança un coup de tisonnier avec toutes les forces qu'il lui restait. Presque à terre, elle releva son visage de furie vers elle, le nez retroussé, et son visage infâme plus sombre qu'il ne l'avait jamais été. Autour d'elle, les autres s'étaient éloignés progressivement, apeurées.
– Pourquoi, hein ?
Elle brandit de nouveau son tisonnier, haut au-dessus de sa tête et l'abattit juste à côté d'elle en hurlant.
– DAMBI !
La voix de Sangmin l'interpella. Il était là, juste sur le pas de la porte de la cabane, supportant Soobin comme il le pouvait.
– Elles ne peuvent pas réellement me faire du mal, hein ?
Dambi lâcha un rire nerveux.
– Parce que cet endroit, c'est à Soobin, hein ? J'ai compris, ha ha. Tout compris. C'est pour ça qu'il entend des voix, qu'il sait ce qu'il va se passer, que les choses ne vont jamais jusqu'au bout, c'est... Complètement fou...
Par terre, la chose laissa échapper un gémissement.
– Il n'y a plus de Dambitch qui tiennent, hein ? Tu n'as plus envie de mettre des punaises sur ma chaise et de me forcer à manger les plats dont tu ne voulais pas ?
Elle agita la tête et essaya de se relever, et Dambi agita de nouveau son tisonnier.
– Pourquoi, hein ? Pourquoi tu m'as fait tout ça ?
Elle lui cracha au visage et Dambi rafla de nouveau son visage du bout de ferraille qu'elle tenait entre les mains. La chose hurla, mais autour d'elle les araignées s'enfuirent de plus bel, incapables de l'atteindre.
– Pourquoi est-ce que tu étais si embêtée que j'existe à tes côtés, hein ?
Sa voix s'était faite plus douce, presque trop pour s'adresser à la chose qu'elle avait sous les yeux et qui grognait comme un chien d'attaque. Elle lui pointa son tisonnier sous le menton, les lèvres tremblantes.
– Réponds-moi, s'il te plaît. Dis-moi pourquoi tu étais aussi odieuse avec moi...
La Dambi du lycée ne vivra jamais en paix sinon. Tu es bien là pour ça hein, être une épreuve ? Mon propre passé que je dois affronter ? Alors réponds-moi.
– Je...
La voix n'était pas celle du monstre. Elle était celle de son bourreau, de la fille qu'elle avait craint et fuis pendant des années. Et l'espace d'un instant, elle crut la revoir pour de vrai. Pas la chose abominable et à vomir sous les yeux, mais véritablement elle. Cette fille qui avait pourtant tout : du physique aux notes, en passant par les amies. Cette fille qui avait été parfaite, que beaucoup avait même jalousé pour ce qu'elle représentait. Cette fille qu'au fond, tous avaient craint de se mettre à dos. Cela sembla lui écorcher la gorge de continuer.
– J'étais malheureuse.
Ce murmura lui glaça le sang. Dambi la dévisagea sans comprendre. Malheureuse ? Elle baissa son arme de fortune, sans même réaliser qu'elle s'était mise à pleurer.
– J'ai souffert parce que tu étais malheureuse, énonça-t-elle.
Tout lui sembla incroyablement stupide. Mais au fond, véritable. En face d'elle, la chose ne prononça pas un mot de plus et Dambi comprit qu'elle venait de lui révéler la vérité. Malheureuse. Tout simplement. C'était absurde. Et injuste. Et Dambi eut envie de lui hurler qu'elle n'en avait jamais été responsable. Elle renifla et recula d'un pas, dégoûtée. Les autres monstres semblèrent se tasser légèrement et soudain, Dambi réalisa qu'ils disparaissaient peu à peu. À ses pieds, la chose était piteuse, ridicule. Son physique sinistre n'avait finalement plus rien de terrifiant. Elle n'était qu'une chose insignifiante et mauvaise qui venait de perdre toutes ses forces et tout ce qui la rendait épouvantable à ses yeux.
– Merci de me l'avoir dit.
Non, elle ne méritait ni son merci, ni son indulgence. Mais Dambi tourna quand même les talons, dépitée, abattue, avant de croiser le regard de Soobin et Sangmin. Derrière elle, la chose laissa échapper un bruit immonde, proche du vomi. Avait-elle trouvé la paix, aujourd'hui ? Avait-elle enfin cessé d'être malheureuse ? Où était cette fille ? Ou avait-elle continué de ruiner les gens autour d'elle pour se sentir exister ?
– DAMBI, DERRIERE TOI !
Avant même de la sentir sauter sur elle, Dambi se retourna et frappa sans réfléchir. Elle frappa si fort dans son visage qu'il explosa sous ses yeux. Le geyser de sang pourpre lui arriva en pleine figure et elle hurla en même temps que la chose qui tenait entre ses mains les bouts de son visage décomposé. Aveuglée, elle frappa, une seconde fois, de crainte de la sentir repartir à la charge. Cette fois-ci, l'abomination s'écroula au sol. Son corps resta là, au sol, sans disparaître. Le cauchemar abominable resta là, gisant au sol sans donner le moindre signe de vie. Penchée vers elle, Dambi hurla de terreur. Le visage couvert d'hémoglobine elle lâcha le tisonnier poisseux et hurla de plus belle, sentant ses jambes sur le point de la lâcher.
L'instant d'après, Sangmin l'avait attiré contre lui et elle fondit en larmes.
– Malheureuse, couina-t-elle. Elle était simplement malheureuse...
Soobin attrapa son visage entre ses mains. Elle se demanda si ce qu'elle voyait dans son regard renvoyait à une profonde fierté, ou une peine immense.
– Je sais Dambi, je sais, murmura Sangmin pour la rassurer.
– Pourquoi moi... pourquoi...
– Ce n'est pas de ta faute, chuchota Soobin sans lâcher son visage. Dambi, ce n'est pas de ta faute.
– Je n'ai j-jamais cru que c'était l-le c-cas...
Sangmin secoua la tête, les larmes aux bords des yeux et Soobin secoua la tête.
– Si... ? bégaya-t-elle.
Cette nuit, elle le réalisait. En cet instant, comme si le monde avait soudainement décidé de se montrer plus clément, elle cligna des yeux et comprit.
– C'est pour ça qu'elles...
Soobin acquiesça. Pour ça qu'elles ne l'avaient finalement jamais quitté. Parce que des années durant, Dambi avait fini par croire à leurs mensonges, faute de comprendre la source de ses propres malheurs.
– Ce n'était pas de ma faute, murmura-t-elle. Ce n'était pas de ma faute.
Pour la première fois depuis le commencement de tout son clavaire, ces mots résonnèrent enfin commevrais dans son esprit.
[𝐤𝐮𝐤𝐢𝐡𝐢𝐦𝐞 𝐭𝐢𝐦𝐞]
(Le numéro 3020 est celui dédié aux personnes victimes de harcèlement scolaire.)
J'ai écris ce chapitre d'une traite, faut croire que dès que ça touche à un côté un peu psychologique je n'ai pas de mal à écrire... Malgré tout, c'est un des sujets qu'il est toujours le plus compliqué pour moi de traiter dans mes fictions. Quand bien même le format de ce chapitre essentiel est assez court, je suis satisfaite d'avoir pu (je l'espère) le proposer sans trop de lourdeurs et j'espère, avec les bons mots, les bonnes émotions et surtout faire ressortir ce que j'avais envie de faire ressortir.
J'espère que ce chapitre vous aura plu et, vous l'aurez deviné, on approche de la fin ! merci pour vos lectures, vos votes et vos précieux commentaires <3
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