𝐕𝐈. 𝐮𝐧𝐞 𝐧𝐮𝐢𝐭 𝐬𝐚𝐧𝐬 𝐟𝐢𝐧
Aujourd'hui, Séoul.
L'agent Kim toqua une nouvelle fois à la porte de la maison. Personne ne lui répondit. Il se tourna vers son collègue, un peu embêté. Les voisins avaient relevé une présence inconnue rôdant autour du quartier ces derniers jours et avaient alerté les autorités. Pour son chef, ce n'était que des commérages. Pour lui, une obligation d'aller rendre compte des faits. Il frappa une nouvelle fois à la porte et fit signe à son partenaire de s'éloigner légèrement. Le couple Hwang était censé être là.
– Nous devrions peut-être partir, souffla son coéquipier.
– Certainement pas, je ne la sens pas cette histoire.
– C'est un couple sans histoire, d'après les voisins, bien intégrés au quartier depuis des années...
– Ce ne sont pas eux qui me posent problème...
Et sur ces mots, il longea le muret pas et sauta pour essayer de voir par-dessus. Maudissant sa petite taille, il se tourna vers son coéquipier, les sourcils froncés.
– Il y a une fenêtre d'ouverte dans le jardinet, souffla-t-il. Viens par-là, aide-moi.
– Que je...
– Je veux essayer de les appeler...
Une fois sur les épaules de son collègue, l'agent Kim s'agrippa au muret. Sans doute les voisins étaient-ils en train de l'observer à travers les rideaux tirés de leur maison, mais il s'en moquait : il n'aimait pas sentir son mauvais pressentiment croître de plus en plus en lui.
– Monsieur et madame Hwang ?
Pas un bruit. Pourtant, il était certain de distinguer une masse de cheveux par-dessus le haut du canapé.
– Ils sont là... Ils sont là, mais ne répondent pas. Appelle les collègues.
Son coéquipier s'exécuta immédiatement.
L'agent Kim était un habitué des bureaux, pas du terrain. Il en avait pourtant rêvé, des années durant. Aujourd'hui, on lui avait confié une mission que tous avaient trouvée insignifiante. Désormais, la panique commençait le gagner doucement et il n'était plus tout à fait sûr de vouloir savoir ce qui se tramait à l'intérieur de chez les Hwang. Pourtant, son sens du devoir l'y poussa.
Quand il parvint à ouvrit la porte d'entrée sans l'abîmer, une odeur désagréable lui parvint. La maison n'était pas rangée, mais cela ne l'interpella pas réellement. Des maisons sens dessus dessous, il en avait déjà croisé et avait appris à en jamais trop s'en formaliser. Celle-ci était bien loin des pires qu'il avait eu l'occasion de voir lors de ses rares sorties en dehors des locaux de la police. Il progressa rapidement vers le salon où il lui avait semblé apercevoir la tignasse de cheveux sombres appartenant à monsieur Hwang.
– Monsieur Hwang ? Madame Hwang ?
Son cœur manqua de s'arrêter à l'instant même où il les découvrit tous les deux, assit sur leur canapé, la tête baissée, la peau livide. Un hoquet de stupeur lui échappa et il se reprit pour ne pas lâcher son arme dans la panique, avant de la baisser immédiatement.
– Mon dieu...
Il porta une main à sa bouche, comme pour se contenir de vomir et derrière lui, son coéquipier laissa échapper un cri de peur.
– Que... Ils sont...
Il agita frénétiquement de la tête, paralysé, incapable du moindre geste. Monsieur et madame Hwang étaient morts, et il n'avait pas besoin de faire un pas de plus pour s'en assurer. Les deux corps devaient être froids, figés dans leur canapé, une aiguille chacun dans l'avant-bras. Devant eux, une montagne d'aiguille cassées, de poudre et autres substances trônaient sur la table de leur salon. Son coéquipier bafouilla quelque chose à propos de renfort, de pompiers, mais il ne l'entendit que d'une oreille. Son regard refusait de quitter le couple sur son canapé. Il se demanda comment, pourquoi, quand. Quand un couple aussi banal avait-il pu basculer aussi bas, jusqu'à l'épuisement ? Un couple sans histoire, sans rien. Le tout ressemblait presque à une mise en scène grotesque, mais son cerveau fut incapable d'analyser en profondeur la scène atroce qu'il avait sous les yeux. Son regarda ne s'attarda pas sur leurs bras piqués ; il se figea sur leurs deux mains qui ne s'étaient pas lâchées.
– Ils avaient de la famille ?
– J'en sais rien, souffla-t-il.
Rien dans le salon ne le laissait présager.
– Agent Kim ? Je vais attendre la venue des renforts, ne restez pas ici...
Mais il ne bougea pas, incapable de se mouvoir. Tout ici criait la solitude et le désespoir. Au fond de lui, il voulut se persuader que ces gens n'étaient pas ce qu'il avait sous les yeux. Les dires du voisin sur la présence suspecte autour de la maison lui revint à l'esprit et il frissonna. Sans même le réaliser, il s'était mis à pleurer.
Qui vous a assassiné, monsieur et madame Hwang ?
* * *
Tu as tué un homme Soobin.
Et Soobin aurait aimé hurler à cette voix qu'il ne l'avait jamais souhaité. La peur avait pris le dessus, tout comme sa volonté de vivre plus longtemps.
Je le sais, ne t'en fais pas.
Il releva la tête, le visage ruisselant de larmes et fronça les sourcils.
– Soobin ?
La voix de Dambi lui parvint à peine. Ce n'était pas elle qu'il regardait avec cet air éteint. Soobin n'en savait trop rien par ailleurs. La voix était de retour et quelque chose lui soufflait que cela n'était pas un bon signe. « Ne t'en fais pas » ? Que voulait-elle entendre par là ? Oui j'ai tué un homme, j'ai tué un homme, j'ai... Je ne pourrais jamais vivre avec ça sur la conscience. Et ça, Soobin le savait.
– Soobin tu saignes, bafouilla Dambi.
En cet instant seulement, il lui prêta toute son attention. Il baissa les yeux vers sa main en sang et la regarda ensuite sans comprendre. Il n'avait pas été blessé par les monstres, ni pendant leur poursuite... Avec lenteur, il souleva légèrement l'ourlet de son tee-shirt et écarquilla les yeux. Dambi hoqueta et Sangmin plaqua deux mains sur sa bouche. Il y avait une tâche étrange sur son ventre, comme un début d'impact. Suffisamment profond pour le faire saigner, mais pas encore suffisamment ancrée pour provoquer une véritable douleur. À cet endroit, sa peau était légèrement renfoncée, d'une couleur légèrement plus foncée que celle de son ventre.
– La balle, murmura-t-il.
Si sa voix demeurait calme, à l'intérieur, son cœur ne faisait que s'emballer de plus bel. Je suis en train d'y passer. Là-bas, dans la ruelle... Je suis en train de mourir. Et ici, tout semblait ralentit.
– Soobin, sanglota Dambi.
– Tout va bien se passer, parvint-il à articuler.
– C-comment ?
La voix de Sangmin lui donna un frisson. Il n'en avait aucune idée, voilà la vérité.
– Je ne vais pas y passer... Si... Si on trouve comment sortir d'ici, je ne vais pas y passer...
– Qu'est-ce que tu en sais ! glapit Dambi.
– La voix me l'a dit.
Qu'est-ce que tu racontes ?
– Tu l'entends de nouveau ? s'empressa de le questionner Sangmin.
– Oui je... à l'instant, mentit-il.
Soobin...
– On doit...
Il secoua la tête et la supplia de l'aider. Mais la voix ne répondit rien. Pense Soobin, pense plus vite. Tu joues contre la montre, c'est évident. Il n'en savait rien. Il ne comprenait rien à ses propres cartes. Si celles de Sangmin et Dambi faisaient sens, les siennes, elles... Le laissaient dans une profonde incompréhension. La porte et le chat ne trouvaient aucune signification à ses yeux et quant aux monstres...
Ce n'étaient pas ses parents, il le savait.
C'était ce que cette chose avait fait d'eux, quelques mois après le licenciement de masse dans la société où avait toujours travaillé son père.
* * *
Il y a un an.
Quand la nouvelle était tombée, sa mère lui avait immédiatement téléphoné et Soobin n'avait pas voulu y croire. Il était dans le salon avec Dambi et leur petit chat, devant leur série favorite, quand le monde s'était effondré sous ses pieds. Ce boulot, ce n'était pas le sien, mais il avait été celui de son père et lui avait permis de vivre la tête hors de l'eau depuis sa naissance. Ce boulot, c'était celui d'un père qui s'était donné à mille pourcent avec une augmentation minime au bout d'une dizaine d'année, et un licenciement sans remerciements. Ce licenciement, Soobin l'avait pris comme un crachat en pleine figure et se souvenait encore de sa colère ce soir-là, et de Dambi qui avait éclaté en pleurs pour eux.
Le soir-même, Soobin avait dormi chez lui, dans son ancienne maison, entre les bras de ses deux parents comme un enfant.
Aujourd'hui... Aujourd'hui tout lui semblait différent, rien pour acquis. Il y avait quelque chose de changé dans l'attitude de son père ces dernières semaines et dernièrement, dans celle de sa mère. Il les avait trouvé plus distants, plus secrets aussi.
– Soobin !
La voix de sa mère semblait enjouée quand elle ouvrit la porte d'entrée.
– Tu... C'est une visite surprise... !
– Oui, rigola-t-il.
– Depuis quand ne nous préviens-tu pas ?
Elle souriait, mais Soobin sentit sa gêne et en fut perturbé.
– Depuis quand est-ce que je dois ?
Et sans attendre, il entra, poussant un peu plus grand la porte d'entrée. Rien n'était rangé et ce détail le chiffonna légèrement. Ni sa mère, ni son père n'étaient de grands adeptes du ménage, mais ils avaient toujours eu à cœur d'entretenir comme il se devait l'endroit où ils vivaient. Aujourd'hui, l'endroit lui sembla plus sale que d'ordinaire.
– Attends chéri, commença sa mère.
Mais Soobin ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Son père était dans le salon, la tête renversée sur le dossier de son canapé. Il semblait dormir, ou entre deux eaux et sur l'instant, Soobin trouva presque sa posture effrayante. Il y avait une tonne de petits emballages plastiques sous ses yeux, des boites de médicaments et avant même qu'il ne puisse s'avança, sa mère s'empressa de tout débarrasser.
– Papa ?
– Ton père est très fatigué chéri...
Soobin se tourna vers elle, sans comprendre.
– C'était quoi ça ?
– Ton père prend quelques médicaments pour l'aider, tu sais, ce n'est pas facile depuis qu'il ne travaille plus. Personne ne veut de lui à cause de son âge et avec l'état de son dos, il ne peut plus faire certains métiers...
– Je peux vous aider, souffla-t-il.
– Mon chéri, non, garde tes ressources allons, nous nous débrouillons très bien.
Mais sa mère mentait, et Soobin le savait. Il n'eut pas le cœur de la reprendre ce jour-là, et se contenta de la prendre dans ses bras. Son père se réveilla à peine de sa sieste et Soobin peina à tenir une discussion de plus de trente secondes avec lui. Son père semblait sur le point de pleurer en le regardant et Soobin n'en mena pas large non plus. Il ne reconnaissait plus son père, l'homme souriant qui l'avait éduqué avec de belles et bonnes valeurs.
En partant, il leur laissa tout le liquide qu'il possédait sur la petite tablette dans l'entrée de leur maison. Ce geste, Soobin le regretta des semaines plus tard.
Si j'avais su.
La vie ne se vivait pas avec des « si », cette phrase, Soobin se l'était dit de nombreuses fois. Pourtant, il s'était répété cette phrase de nombreuses fois. S'il avait su que cet argent servirait à détruire un peu plus les personnes qu'il aimait le plus au monde. S'il avait su que jamais l'argent n'avait été placé sur un compte en banque. Qu'après ce geste et après toutes les autres visites qui suivirent, l'argent n'avait fait que manquer peu à peu. Il n'avait plus jamais vu les médicaments sur la table de leur salon et Soobin avait compris trop tard que quelque chose d'autre l'avait remplacé. Pourtant au début, il s'était senti soulagé. Avant de réaliser, et de sentir à nouveau sa vie basculer. Le mal avait grignoté son père doucement, avant de s'étendre jusqu'à sa mère. Ce jour-là, Soobin avait pleuré aux pieds de ses deux parents inconscients avant d'appeler les pompiers.
* * *
Les images terribles de ses parents inconscients, puis trop dans leur monde pour réaliser que plus rien n'allait chez eux, lui revinrent en mémoire et un nouveau sanglot lui échappa.
– Soobin, murmura Dambi.
– Mes p-parents...
Mais les mots refusaient de sortir. Et une minuscule pointe de douleur à l'endroit de la balle le fit frémir. Il avait tout fait pourtant. Tout fait pour les rendre fier : devenir le premier de sa classe, réussir ses études, se voir offrir un avenir brillant, être le fils le plus présent possible... Rien de tout cela n'avait réussi à contrer le mal qui s'était installé. Il les avait vus de ses propres yeux, le regard vague, s'enfoncer des aiguilles trop longues dans le bras et lui sourire comme si de rien n'était. Les soirées en famille étaient devenues des cauchemars où il tentait de tout brûler, de tout jeter sans laisser de traces. Des soirées où ses parents pleuraient comme des enfants, avant de se reprendre et de s'excuser. Si cela était venu à se savoir, le pire serait alors arrivé. La seule et unique fois où les pompiers étaient arrivés, Soobin avait menti. Il s'en était sorti in extremis pour eux, pour leur réputation, avait payé des frais d'hospitalisation exorbitants, y faisant passer toute sa paie du mois. Il n'avait rien dit à personne, incapable de partager ce fardeau à une autre personne. Pas même à Dambi. Pas même à Sangmin. Il avait commencé à mettre de côté pour eux, pour les aider et puis... Tout était devenu ingérable.
– Depuis quand se droguent-ils ? demanda Sangmin.
Il n'y avait pas de froideur ni de jugement dans sa voix, simplement de la tristesse. Sangmin pleurait lui aussi ; peut-être parce qu'il avait toujours considéré ses parents comme un autre pan de sa famille.
– Je ne suis pas sûr...
– Soobin...
La voix de Dambi lui réchauffa le cœur. Elle passa une main froide contre sa joue et Soobin la constata en train de pleurer elle aussi.
– Quand on sortira de là, nous allons les aider, tous les trois...
Soobin avait envie de lui dire que tout était certainement trop tard.
– Ta blessure..., murmura Dambi.
– Je vais bien, je ne la sens pas, mentit-il.
En réalité, elle le picotait comme une piqûre d'insecte trop forte. Comme des prémices à la véritable douleur.
– On va s'en sortir, tous les trois.
Il essaya de se redresser, aider de ses deux amis.
– Je suis inquiet pour toi Dambi...
– Pour moi ? Soobin, tu saignes. Tu es blessé. Je vais bien.
– Elles t'ont fait du mal, souffla-t-il.
– Mais je vais bien, elles ne sont plus là. Les créatures en revanche...
– Nous n'avons aucune idée de l'endroit où elles se trouvent, murmura Sangmin.
C'était sans doute cela qui le terrifiait le plus. Son propre cauchemar le suivait toujours, vivait, quelque part dehors.
– Il faut bouger d'ici..., grommela-t-il.
La nuit était infinie. Le jour était-il inexistant à ce point ? Pourquoi la pluie ne cessait-elle donc jamais ? Ces questions, Soobin n'en trouverait jamais la réponse, et le savait. Ils marchaient presque à l'aveugle, lui une main sur sa blessure, Dambi collée à son petit ami. Sangmin n'avait pas posé plus de question à propos de la drogue, Dambi non plus. En avaient-ils besoin de toute façon ? Tout le monde avait compris et Soobin n'avait pas la force de tout leur dire. Ils marchaient d'un bon pas, si concentrés, que Sangmin manqua de s'étaler de tout son long en trébuchant sur quelque chose de métallique au sol.
– Qu'est-ce que...
– Ce sont des rails, souffla Dambi.
Soobin scruta lesdits rails et les suivit légèrement du regard. Le train avait toujours été son moyen de transport favori et l'espace d'un instant, il se demanda si cela avait un véritable rapport avec les rails qu'ils avaient sous les yeux.
Oui.
La voix. Il ouvrit de grands yeux, mais se garda bien de réagir à voix haute.
Tu décides.
Il décidait ? Mais de quoi ?
Je me forme avec toi. Pour toi. Contre toi. Tu m'as attiré à toi.
Il fermant les yeux, chancelant.
– Soobin ?
– Je...
– Elle est de nouveau dans ta tête, c'est ça ?
Il acquiesça en silence.
Je n'avais pas eu de visite depuis si longtemps...
Il secoua la tête et reprit sa marche en suivant les rails.
Tout est presque fini Soobin.
– Non..., gémit-il.
– Soobin ?
– Je dois les suivre, je le sens, lança-t-il.
Et dans l'obscurité et l'humidité, ils marchèrent encore. Dans sa tête, se succédèrent une flopée d'images toutes plus horribles les unes que les autres. Ses parents. Ils voulaient revoir ses parents une toute dernière fois. Les serrer dans ses bras et leur dire qu'il les aimait une dernière fois. Dans le vrai monde, celui où l'homme dans la ruelle avait tiré sur lui et Dambi, ils étaient morts. Soobin le savait. C'était inévitable, la dure vérité, celle qu'il refusait de s'admettre. C'était trop injuste, trop dur à réaliser. Ils étaient ses parents, ils ne pouvaient pas mourir. Les parents ne mourraient pas. Jamais. Pas pour Soobin : cette vérité humaine n'avait jamais eu sa place dans ses pensées. Ses parents devaient aller visiter l'Europe. Il avait mis de côté un peu pour eux. Pour leur offrir ce voyage à la fin de ses études. Ils devaient retourner là-bas, d'où venait sa mère et...
Ils étaient morts. Et ici, sur cette île, ils s'étaient mués en d'affreux monstres, en tout ce que Soobin avait détesté d'eux pour la seule fois de sa vie. C'était la seule part de ses parents qu'il n'avait jamais voulu accepter réellement, la seule qui le terrorisait vraiment.
– Les gars... C'est la cabane..., murmura Dambi.
Dambi avait raison. Les rails passaient derrière la cabane. La cheminée toujours fumante. Mais la porte fermée, comme si jamais rien ne s'était passé à l'intérieur.
– Ce n'est pas la même... si ? demanda Sangmin.
Pourtant, elle semblait identique en tout point. Soobin s'approcha, la douleur le lançant de plus en plus dans le bas de son ventre. Il poussa la porte sans se poser de question. À l'intérieur, la cabane était identique à l'autre. Même âtre fumant, même meuble, même table nappée au centre de l'unique pièce. Il s'avança, bouche bée, les jambes encore flageolantes de sa marche. Derrière lui, ses amis laissèrent échapper un soupir de soulagement en constatant que l'endroit était vide également.
Épuisé, Soobin se laissa tomber sur l'une des chaises et laissa échapper un souffle plus bruyant que les autres, qui alerta immédiatement Dambi.
– Soobin ?
– Tout va bien, croassa-t-il.
Non, au fond, rien n'allait. Il ne comprenait rien.
Tu peux réussir Soobin. Tu décides.
Il ferma les yeux, las, incapable de retenir ses larmes de douleur de tomber.
Il y a deux mois.
Soobin dévisageait son reflet depuis de longues minutes maintenant. Dambi passait la soirée chez Sangmin et ses parents. Ce soir, il était seul. Plus que jamais pourtant, il avait eu besoin d'eux à ses côtés. Mais Sangmin et Dambi étaient enfin tous les deux pour une soirée, dans une famille que Dambi aimait, et Soobin refusait de ruiner cela. Lui, en rêvé tous les soirs. De rentrer chez ses parents et de tout retrouver comme avant. De ne plus faire face à deux personnes qui ne vivaient que pour des doses qu'elles ne pouvaient plus se payer. Deux zombies dans leurs pires journées. Il plongea son visage sous l'eau tiède pour essayer d'oublier l'image du visage émincé de son père.
Lentement, sa famille se détruisait et il ne pouvait rien y faire.
– Reprends-toi Soobin, allez.
Il arrosa son visage une nouvelle fois. Ce visage qui n'avait jamais été assez pour ce pays, mais sans doute trop étranger pour l'autre. Soobin n'en savait rien, il n'avait jamais posé un seul orteil en Grande-Bretagne. Il frotta un peu ses taches de rousseur : avec l'âge, elles avaient pris légèrement plus d'ampleur sur le sommet de son nez. Dambi avait toujours trouvé cela très mignon. Elles avaient été au goût de certaines filles de son lycée aussi, il le savait, et de l'université aussi. Soobin brillait par ses notes, s'était révélé dans des études qu'il aimait plus que tout et cela avait attiré de nombreux regards.
Il n'en avait retenu aucun.
Il n'était pas comme ça Soobin, il avait appris à faire avec.
Parfois, de rares fois, comme en cet instant devant son miroir où il remettait tout en question, il se demandait ce que cela faisait d'être un peu plus comme tous les autres, de pouvoir se fondre dans la masse. Ne pas être dévisagé par certains, sentir son cœur battre plus fort pour une autre personne qui n'était pas seulement une amie... Soobin ne savait pas, et ne saurait sans doute jamais.
– Tout va bien se passer, tu vas gérer ça.
Ça quoi, Soobin ne savait pas vraiment. La vie, ces derniers temps, lui semblait surréaliste. Un miaulement doux à ses pieds le fit sursauter et il baissa les yeux vers son petit chat noir qu'il attrapa dans ses bras. Le caresser l'apaisa immédiatement et Soobin eut enfin le courage de quitter des yeux le reflet de son visage humide dans le miroir. Il déposa son chat dans son petit abri en feutrine et esquissa un sourire tendre en le regardant se rouler en boule, les yeux clos. Brave bête... À l'abri des problèmes humains. Loin des problèmes de drogues de ses parents, loin des problèmes d'argent, loin d'un monde qui peinait à accepter les différences... Parfois, Soobin rêvait d'un endroit où tout serait enfin calme et paisible.
* * *
Être ici lui donnait une impression de déjà-vu. Ils connaissaient la cabane. C'était le même endroit, avec les mêmes meubles, la même configuration... Mais cette fois-ci, les cartes n'étaient plus sur la table mais dans leurs poches respectives.
Soobin, elles s'approchent...
Il releva la tête, le visage humide de pluie et de larmes. À ses côtés, Dambi était blême comme un linge, les yeux rivés sur la tâche pourpre de son haut.
– Soobin ?
– Vos cartes... Elles ne sont pas toutes effacées, hein ?
Sangmin le regarda d'un air interdit. Sans doute avait-il comprit rapidement de quoi il retournait.
– Tu veux dire qu'elles vont revenir... ? balbutia Dambi.
Il acquiesça avec lenteur et une nouvelle pique de douleur lui envoya un frisson le long de la colonne vertébrale. Il avait vu, tout comme Sangmin, les choses en question. Elles avaient fait remonter en lui tout un tas de souvenirs graves et désagréables. Tout un tas de non-dits aussi, que Dambi avait gardé pour elle, sans doute pour lui épargner un peu de peine ou éviter sa colère envers ses camarades de classe. Mais avec le temps, les regards et les gestes craintifs de Dambi, il avait compris. En grandissant, après le lycée, Dambi avait changé. Elle s'était affirmée loin d'elles, avaient réussi à s'accepter davantage. Pourtant, c'était bel et bien elles qu'ils avaient vues dans les bois. Quelque part, Dambi n'avait jamais réussi à faire la paix avec ses démons.
– Mais... Sangmin... Tout à l'heure...
Soobin secoua la tête. Elles allaient revenir, et il le savait. Il le sentait. Elles n'étaient plus si loin. Il baissa les yeux vers la porte close, et le regard des deux autres suivirent. Dehors, le calme était retombé. Exactement comme la première fois, exactement avant que les monstres ne fassent irruption. Il plissa les yeux, avant de distinguer quelque chose remuer dans l'interstice entre le sol et le bois de la porte.
– Dambi...
– Je les vois, murmura-t-elle d'une voix faible.
Il se tourna vers elle, le visage livide. Dambi avait reculé d'un pas, avant de se tourner d'un air décidé vers la cheminée.
– Qu'est-ce que tu fais, bafouilla Sangmin.
– Je m'équipe, répondit-elle d'une voix ferme.
Soobin lui lança un regard interrogateur. L'instant d'après, Dambi avait saisi le tisonnier qu'elle plongea dans les braises brûlantes, le regard sûr et grave. Sangmin la regarda, le teint livide, et se rapprocha de lui.
– Soobin, il faut te mettre à l'abri, elles-
– Elles en ont après moi, la coupa Dambi.
Et, Soobin le savait, elles feraient tout pour avoir le dernier mot. Tout pour détruire sa meilleure amie, la mettre plus bas que terre et tout lui faire regretter. Cependant, quelque chose avait changé. Il se demanda si Dambi avait vu ou entendu quelque chose elle aussi, mais elle semblait au-dessus de ses craintes.
– Soobin ?
– Oui ?
– Je sais qu'elles ne pourront jamais me faire plus de mal, au fond.
Il aurait voulu lui demander ce qu'elle en savait réellement, mais avant même qu'il ne puisse répondre, Dambi lui lança un sourire immense. Dambi avait compris quelque chose qui lui échappait, tout comme à Sangmin.
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