𝐈. 𝐥𝐞𝐬 𝐨𝐦𝐛𝐫𝐞𝐬 𝐞𝐧 𝐬𝐚𝐧𝐠
Il fallut de longues secondes à Soobin pour émerger. Lentement, les paupières du jeune homme papillonnèrent et une moue de douleur étira ses traits. L'odeur de l'herbe mouillée, de la terre et des bois lui parvint immédiatement au nez et il se redressa avec lenteur. Sa tête lui faisait un mal de chien aussi, il serra des dents en sentant une douleur pulser à l'arrière de son crâne, puis l'encercler tout entier jusqu'à lui donner un vertige cognant jusque dans ses tempes. Les deux mains à plat sur le sol, il cligna des yeux, sans comprendre pourquoi sa vision restait encore aussi brouillée. Ses cheveux gouttaient. Ils étaient trempés. Tout comme le reste de son corps. Cela, Soobin ne le réalisa qu'en voyant les gouttes perler sur le bout de son nez rond.
– Dambi !!
Il se redressa, à genoux dans la terre humide et cligna des yeux. Là, à quelques mètres de lui, une silhouette floue en secouait une autre, poussant des cris désespérés.
– Dambi je t'en prie, réveille-toi !
Quand Soobin termina de réaliser que Dambi était sa Dambi, il se releva avec précipitation. Sangmin était là, à genoux devant le corps inerte de sa petite amie, son visage entre ses mains, la suppliant de se relever. Les cheveux de la jeune femme, emmêlés sur son joli visage rond étaient eux aussi trempés comme si elle venait d'émerger d'un lac.
– Oh mon dieu...
– Elle ne se réveille pas !
Soobin attrapa son poignet, se concentrant quelques instants pour tenter de sentir son pouls.
– Elle là, avec nous, d'accord ? Elle va se réveiller, elle...
– Mais bordel on est où ?!
Soobin referma sa bouche immédiatement. Oui, où étaient-ils ?
Dans une forêt, un endroit qui ne lui disait rien et qui ne ressemblait pas tellement aux forêts coréennes où il avait pu se rendre avec ses parents. Au même instant, Dambi se redressa, comme un corps que l'on aurait ressuscité d'entre les morts, le visage pâle à en faire peur, les yeux écarquillés. Aussitôt Sangmin la serra contre lui, et, visiblement incapable d'articuler le moindre mot, Dambi lui lança un regard perdu, ses lèvres s'agitant sans qu'un seul mot ne lui parvienne.
– Oh mon dieu Dambi j'ai cru que tu n'allais pas te réveiller... Tu vas bien ? Tu as mal quelque part ?
Elle secoua la tête, avant de regarder autour d'elle et Soobin posa une main sur son front.
– Où sommes-nous... ? murmura-t-elle.
– Je n'en ai pas la moindre idée, répondit-il.
Et seulement en cet instant, Soobin réalisa qu'il pleuvait sans s'arrêter. Que la pluie était froide et avait fini par imbiber leurs vêtements, les rendant collés et gluants contre leur peau. Sangmin serra un peu plus fort sa petite amie dans ses bras, paniqué, les yeux fermés. Ses lunettes étaient couvertes de buée et de terre, comme s'il avait chuté brutalement par terre en arrivant ici.
– Trouvons un abri, souffla Soobin.
Sangmin releva vers lui des yeux désespérés.
– Où Soobin, où ? Bordel... Bordel mais tu faisais quoi dans cette ruelle avec cet homme... ?
– Je...
La bouche sèche, il peina à articuler une réponse claire. Dans cette ruelle, avec cet homme qu'il venait d'abattre. Son esprit sebrouilla, l'empêchant de visualiser à nouveau la scène. Il avait tué... Avait-iltué ? Il tituba et se redressa avec difficulté et essuya ses doigts terreux sur l'avant de son jean. Dambi lui tendit une main et il l'aida à se relever. Oublier le mort. Le meurtre. Quelque chose l'empêchait de le réaliser,de comprendre, de remonter le temps pour se souvenir précisément de ses gestes.
– Comment tu te sens princesse ?
– J'ai envie de vomir...
Sangmin lui jeta un regard inquiet et attrapa sa main.
– On trouve un abri et tu nous expliques Soobin... Bon sang... Ce type allait te tuer.
Ne l'a-t-il pas fait ? Il avait clairement entendu un coup de feu avant de se réveiller ici. Il avait appuyé sur la détente et ça, Soobin s'en souvenait avec précision.
La pluie ne s'arrêta pas pendant les longues minutes durant lesquelles ils errèrent dans les bois. Ils marchaient sans but, sans savoir où chaque pas qu'ils faisaient les mènerait. Tout dans cet endroit hurlait à Soobin de se méfier, de fuir au plus vite. Jamais il n'avait mis les pieds dans un lieu pareil. Les bois semblaient étroits, sans aucun chemin de tracé au sol aussi, les trois amis progressaient à l'aveugle, écrasant les branches mortes au sol, se frayant un chemin où la forêt acceptait d'être moins dense. L'humidité était si forte que Soobin se retrouva en peine pour reprendre son souffle au bout de plusieurs minutes. Les lunettes de Sangmin, elles, restaient teintées d'une légère buée qui ne semblait pas vouloir quitter ses verres. Dambi grelotait contre l'épaule de son petit ami.
– Il y a quelque chose, là-bas, articula Sangmin en leva le bras vers un amas de roches noires et rendues luisantes par la pluie.
– C'est une sorte de cavité, murmura Dambi, les yeux plissés.
Soobin déglutit ; planqué sous d'épaisses fougères et ruisselant d'eau de pluie, l'endroit ne lui inspirait nullement confiance. Pourtant, il les suivit, persuadé qu'elle était leur seule option pour le moment. Sangmin fut le premier à s'y abriter, suivit de Dambi puis de lui.
L'endroit n'était pas bien grand, à peine pour couvrir leurs trois corps et peut-être un quatrième. L'écho de la pluie rendait son fracas encore plus assourdissant. Une main se posa sur l'une de ses épaules et ses yeux rencontrèrent ceux brillants de Dambi.
– Eh, Soo, mon chat... Ça va ?
– Nickel princesse.
– Sérieusement Soobin, grommela Sangmin.
– Je n'ai aucune idée de quel est cet endroit ! répliqua-t-il. Et je n'ai aucune idée de comment on s'est téléporté de Séoul à ici bon sang...
– J'ai l'impression d'être dans un rêve qui n'a aucun sens, souffla Dambi.
– Drôle de rêve alors, rétorqua Sangmin.
– Un cauchemar si tu préfères, rectifia-t-elle. Pourquoi... Nous devrions perdre la boule là, à nous demander ce que nous fichions ici... Au lieu de ça...
– On va se réveiller, et tout ira bien, souffla Soobin.
Il voulait s'en persuader. Ils devaient se réveiller... Non ? Mais si je me réveille... Que va-t-il se passer ? Il n'en avait aucune idée et c'était sans doute cela qui continuait de faire grossir cette boule de peur au fond de lui.
– Qui était ce type dans la ruelle Soobin...
– Je ne sais pas, menti-t-il.
– Tu ne sais pas qui était le type qui voulait te tuer ?
– Sangmin..., murmura Dambi.
– Je ne sais pas, ok ?
Sentant son sang pulser un peu plus fort dans ses veines, Soobin ferma les yeux, en essayant de faire redescendre son pouls. La honte aussi refusait de le faire parler. La honte d'avouer à ses deux meilleurs amis dans quelle spirale infernale ses parents qu'ils connaissaient depuis des années avait sombré. Soobin lui-même refusait encore de se l'admettre, parfois. Et puis, il y avait ce corps gisant à ses pieds... Ça, ce n'était pas lui. Ça n'avait jamais été lui.
– Et vous ?
– Nous ?
– Que faisiez-vous dans cette ruelle ?
– Nous avions un rendez-vous juste à côté. Dans la clinique.
– Oh.
Dambi soupira et attrapa sa main, un léger sourire aux lèvres. Il l'aimait fort Dambi. Très fort, elle et sa capacité à toujours sourire, à ne pas voir le mal autour d'elle. Il aimait cette faculté qu'elle avait de voir le monde en nuance de couleur, la bonté dans chaque être humain. Dambi était un rayon de soleil, un astre plus brillant que les autres et, Soobin en était persuadé, l'une des personnes les plus extra que cette terre ait connu. Qu'elle se retrouve ici l'effrayait.
– Comment on se réveille ? demanda-t-elle d'une petite voix.
Sangmin la regarda d'un air perdu. Tout comme Soobin, il n'en avait pas la moindre idée.
– Comment on-
Ploc.
Tous sursautèrent au même instant. Là, juste derrière eux, quelque chose venait de tomber. Comme un petit caillou que l'on venait d'effriter de la roche mère. Comme un petit caillou que quelque chose ou quelqu'un venait de faire rouler.
– O-ok..., commença Sangmin. C'est peut-être le moment de me confesser : je n'aime pas vraiment les endroits étroits.
En cet instant, le caillou roula à leur pied. Il s'arrêta en butant sur sa basket humide et Soobin releva les yeux vers eux, le visage livide.
– Pitié, sortons de là, trouvons un autre endroit..., chuchota Sangmin.
– L'un de vous à son portable sur lui ? J'ai pas le mien, murmura Soobin.
– Soobin, s'il te plait, répéta Sangmin.
– Soobin, trouvons un autre endroit, répondit calmement Dambi, malgré sa main serrant de plus en plus fort la sienne.
– Comme vous voulez...
Mais dehors la pluie n'avait pas cessé. Elle battait le sol si fort qu'il s'en retrouvait retourné à plus endroits, que leurs semelles s'y enfonçaient désormais assez profond pour rendre leurs pieds humides. Soobin n'avait aucune idée de l'endroit où il se rendait, aucune idée de quoi dire, quoi faire, mais derrière lui, Dambi et Sangmin suivaient, comme persuadé qu'il savait. Il marcha à l'aveugle, protégeant son visage de la pluie qui fouettait son visage, du vent qui venait de se lever et des feuilles qui volaient en tornade un peu partout autour d'eux. L'air lui sembla irrespirable, trop lourd, si bien qu'il se demanda comment ils pouvaient encore respirer avec facilité.
– Là !
Il se stoppa, et se retourna vers Sangmin qui avait le doigt pointé vers quelque chose au loin. Deux lueurs, comme deux phares les attirant au loin. Soobin plissa les yeux, intrigués, surpris de ne pas les avoir vus sous la pluie battante. Il changea sa trajectoire, tenant fermement dans sa main celle de Dambi, qui tenait celle de son petit ami.
Ce fut en se rapprochant des deux points lumineux que Soobin sentit le mal-être l'envahir tout entier. L'intégralité de son corps lui hurla de rebrousser chemin, de fuir, mais ses pieds le portèrent malgré lui jusqu'à cette bâtisse de bois sombre, plantée au milieu des bois. La pluie et le vent la rendaient terrifiante. La maisonnette ressemblait en tout point à ce qu'il voyait dans les films horrifiques qu'il regardait, plus jeune. Les volets battaient à tout rompre, fissurant leur bois, et la porte entrouverte fit courir le long de ses bras un frisson intense. Pourtant, il y avait cette lumière à l'intérieur qui le poussa à s'avancer, encore.
– C'est quoi ça encore ? hurla Sangmin dans le vent pour se faire entendre.
– Rentrons les garçons, je vous en prie, on va finir par s'envoler !
Dambi avait raison, quelque part, et Sangmin poussa la porte entrebâillée. Ils entrèrent, trempant le seuil et laissant le vent s'engouffrer un bref instant avant de claquer la porte, s'assurant qu'elle ne s'ouvre plus par mégarde.
– Ouah... C'est quoi cet endroit...
Sangmin fut le premier à s'avancer. La maison ne comportait qu'une pièce, celle dans laquelle ils se trouvaient. Une large pièce dans laquelle trônaient une cheminée fumante et une table en son centre. En table ronde, recouverte d'une nappe vieillotte et poussiéreuse qui lui donna envie d'éternuer.
– Merde alors, souffla-t-il.
Il s'avança d'un pas timide et effleura la nappe du bout des doigts.
– I-il y a quelqu'un ?
Dambi jeta un regard désespéré aux objets entassés un peu partout autour d'eux. Le regard de Soobin, lui, se perdit sur des cartes étalées sur la table, posées face cachée.
– Les gars...
Sangmin fut le premier à s'approcher, essuyant comme il le pouvait les verres opaques de ses lunettes sans lesquelles il ne voyait rien.
– Mais qu'est-ce que...
Il y avait plusieurs cartes, alignées les unes à côtés des autres. Sur chacune d'entre elle, un prénom. Le sien, celui de Sangmin, celui de Dambi. Il approcha une main tremblante de l'un d'entre elles quand Sangmin lui agrippa le poignet.
– Ne touche pas !
– Que se passe-t-il ?
Dambi venait d'arriver.
– Je voulais juste prendre une de ces cartes, rouspéta Soobin.
– Elles sont peut-être dangereuse, glapit Sangmin.
– Oh, Sangmin, murmura Dambi en attrapa l'une de ses mains. Ce ne sont que des cartes.
– Avec nos prénoms dessus, ajouta-t-il.
– Avec nos prénoms dessus. Tu marques un point, répondit-elle.
Sans plus attendre, il tendit les doigts pour en attraper une et les retira immédiatement, poussant un hurlement strident.
– Bordel !!
– Quoi ?!
– Elle m'a brûlé !
– Ce n'était pas la tienne, murmura Dambi.
– Hein ?
– Peut-être... Qu'elle t'a brûlé car elle n'était pas pour toi.
Agacé, il attrapa sans aucune mauvaise surprise une carte à son nom.
– Alors ?
Il la tourna vers eux, sans comprendre.
– Il n'y a rien sur cette carte, souffla Dambi.
– Bien sûr que si, râla Soobin.
– Soobin, non, ta carte est vierge.
Il fronça les sourcils et regarda de nouveau sa carte. Ne voyaient-ils pas le dessin qui y était gravé ?
– Mais... Je vois quelque chose moi...
La carte ressemblait à une de ses vieilles cartes de tarot que sa mère collectionnait autrefois. Sauf que le dessin et la légende n'avaient rien à voir avec ce que sa mère lui lisait quand il était enfant. Dambi se pencha pour attraper les cartes à son nom, et Sangmin l'imita.
– Qu'est-ce que...
– C'est du n'importe quoi, souffla Sangmin.
Dambi avait les larmes aux yeux, blanche comme un linge.
– J-je veux me réveiller, revenir chez moi..., sanglota-t-elle.
Soobin l'attira dans ses bras immédiatement. On va sortir de là Dambi. On va quitter cette forêt maudite, on va... Je n'ai aucune idée de comment on va survivre Dambi, merde. Je n'ai aucune idée de comment on va sortir de là. Je suis désolé Dambi.
* * *
Il y a six ans.
Quatorze ans était un âge nul. C'est ce que Soobin avait décrété ce matin-là en se rendant dans son nouvel établissement. La rentrée scolaire l'avait presque fait cauchemarder pendant toutes ses vacances, et il y était. Enfin. Ou plutôt, hélas. Il était en retard et cette constatation lui fit serrer la mâchoire un peu plus fort. Quand il toqua à la porte de sa nouvelle classe, les joues rouges, sentant la gêne le grignoter peu à peu, Soobin voulu faire demi-tour. Rater un jour d'école, même la rentrée... Ce n'était pas un drame... Si ? On lui intima d'entrer et aussitôt une vingtaine de paires d'yeux se retrouvèrent braquées sur sa personne.
– Certains commencent bien l'année. Votre nom ?
– Hwang Soobin, fit-il en se courbant. Je m'excuse pour mon retard.
– Asseyez-vous à côté de la jeune femme tout à gauche.
Il s'y dirigea sans un mot. La jeune femme en question lui adressa un sourire immense, dévoilant un appareil dentaire voyant sur la partie supérieure de sa dentition. Elle lui tira la chaise, ses grands yeux brillants ne le quittant pas, faisant pouffer les filles devant elles.
– Euh, merci...
– Je m'appelle Dambi ! lui lança-t-elle, visiblement heureuse d'avoir un camarade à ses côtés.
– Enchanté Dambi.
– J'aime beaucoup tes baskets !
Ils les avaient enfilés par habitude, réalisant trop tard dans le bus qu'elles n'étaient pas de la même paire. Une couleur de converses différente à chaque pied. De quoi se faire remarquer ici, et il le savait.
– Oh euh...
– C'est original, j'aime les couleurs ! Regarde ! C'est la même couleur que mes ongles !
Il baissa les yeux sur ses ongles très courts et rongés, peints de bleu sur une main, de jaune sur l'autre.
– Oh, oui, en effet...
Il ne savait pas trop si cette fille le mettait mal à l'aise ou non, mais Dambi semblait avoir à cœur de le mettre à l'aise pour son premier jour. Elle retourna à son cahier (un cahier arc-en-ciel) et attrapa un de ses stylos à paillette dans sa trousse, un sourire immense aux lèvres. En voilà une qui est plus originale que les autres, pensa-t-il. Il essaya de se concentrer toute la matinée ; en vain. Déjà Soobin perdait le fil, incapable de se concentrer plus qu'un misérable quart d'heure. Le reste de ses cours lui sembla d'une longueur interminable.
Aussitôt l'heure du déjeuner arrivé, Soobin se rua hors de la salle de classe dans l'optique de trouver le coin le plus calme du collège. Hélas, une petite main l'attrapa par la manche et quand il se retourna, ce fut pour faire face au sourire brillant de Dambi.
– Eh ! On mange semble ?
– Oh...
Soobin mangeait seul, toujours, depuis ses premières classes à l'âge de deux ans et demi. Il était habitué à sa solitude qui lui allait bien et n'avait jamais voulu vraiment le troquer contre quelque chose d'autre.
– Bah alors Dambitch, on a trouvé un mec ?
La voix derrière lui le fit sursauter. Il se retourna, la bouche entrouverte et reconnu quelques filles de sa classe. Elles s'avancèrent avec un sourire immense, avant de lui frapper le sommet de la tête sans aucune douceur.
– Arrête un peu, le pauvre, tu l'embarrasses.
– Je voulais lui proposer de déjeuner avec moi, murmura-t-elle.
– Et il ne veut pas. Casses-toi, va sur ton banc.
– Désolé Soobin.
Sous son regard effaré, elle se courba beaucoup trop bas et tourna les talons. Mais où est-ce que je viens d'atterrir...
– Attends !
Il poussa sans ménagement les filles devant lui en leur jetant un regard noir et couru la rattraper. Ne me dites pas que je suis tombé sur la seule fille qui se fait maltraiter ici... Hein ?
– Je veux bien manger avec toi !
– Vraiment ?
Elle avait les larmes aux bords des yeux et Soobin eut presque l'envie de la prendre dans ses bras pour la réconforter. Derrière lui, les filles se mirent à pouffer.
– Je suis tout seul aussi, et c'était si gentiment demandé. C'est avec plaisir.
– Tu ne le fais pas par pitié, hein ?
– Tu m'as proposé, je ne fais qu'accepter.
– Merci Soobin.
– Tu manges quoi ?
– Oh, ma mère m'a filé des restes.
– La même ici. Allons manger les restes de notre repas du soir, rigola-t-il.
Assit sur le banc où Dambi mangeait visiblement tous les midis, Soobin observait la petite foule d'étudiant devant eux. Dambi semblait chercher quelqu'un des yeux, picorant de temps à autre dans son bento.
– Tu cherches un ou une amie ?
– Je n'en ai pas, souffla-t-elle.
– Ah.
– Ne sois pas triste. J'attends Sangmin. Il est dans le niveau au-dessus. Je l'aime beaucoup.
– Je vois.
– C'est mon petit ami, lui glissa-t-elle à voix basse.
Soobin se tourna vers elle avec des yeux ronds.
– Oui, je sais, je n'ai pas une tête à plaire aux garçons. Mais je ne mens pas. On ne se fréquente juste jamais ici pour éviter les moqueries.
– Ne... Ne dis pas ça...
Horrifié par ce qu'il entendait, Soobin attrapa sa bouteille d'eau entamée de la nuit et en avala plusieurs gorgée. Plus loin, sous le préau, il distingua le groupe de fille en grande discussion. Dambi n'était peut-être pas le stéréotype parfait de ce qu'aimaient les autres garçons de quatorze ans, mais Soobin ne la trouvait pas laide pour autant.
– Je suis désolée, elles sont en train de te prendre en photo, c'est de ma faute...
– Je m'en fou pas mal.
– Ah oui ?
– Ouais. Je ne les reverrais jamais après mes études et tu sais, si je devais me fier aux regards des autres pour avancer, je serais toujours au point de départ. Une fois que l'on commence à s'en détacher, on réalise à quel point la vie est plus simple.
– Tu as bien raison, je devrais apprendre à penser comme toi.
Il esquissa un sourire amusé. Il devait cette philosophie à sa propre mère et la remerciait chaque jour qui passait.
– Tu... Tu es nouveau sur Séoul ? Ou dans le quartier ?
– Je viens d'Ansan ouais, mes parents ont déménagé pour le boulot.
– J'espère que le collège te plaira !
– Il a l'air ultra chiant.
Dambi rigola.
– Je te donne un point là-dessus, j'avoue que je n'y passe pas mes meilleures années !
– J'ai cru comprendre.
– Oh, ne t'en fais pas hein ? Je ne suis pas malheureuse malgré tout et- oh.
Il la vit agiter doucement la main en direction d'un garçon plus petit que les autres, de l'autre côté de la cour où ils se trouvaient. Le garçon plissa les yeux et enfila une paire de lunettes rondes avant d'esquisser un sourire timide. Il portait le même uniforme insipide que ses camarades, avec une veste par-dessus, très certainement de son équipe de baseball favorite. Il agita timidement la main et Soobin jeta un œil à Dambi, rouge tomate. Il le trouva curieusement discret au contraire de la jeune femme à ses côtés. « C'est un nouvel ami ! » articula-t-elle à son attention.
Et ce fut là que Soobin le vit.
Ce sourire doux qu'il adressa à Dambi, incroyablement soulagé.
Sangmin lui adressa un léger signe de la tête avant de retourner auprès des autres garçons de sa classe et Soobin ne le quitta pas des yeux. Ce jour-là, sans encore le réaliser, Soobin venait de rencontrer ses deux seuls et derniers amis.
* * *
Soobin ne quittait pas ses cartes des yeux. Sangmin avait reposé les siennes sur la table, mal à l'aise et Dambi... Dambi semblait à deux doigts d'éclater en sanglots.
– Vous voyez quoi vous... ?
– J'ai une carte avec une porte, souffla Soobin.
– Une porte ?
– Ouais, sans rien d'écrit dessus. Juste une porte euh... En bois ? Un peu comme celle de notre appartement avec Dambi.
– Ça n'a aucun sens ce truc, souffla Sangmin.
Il jeta un œil aux deux autres cartes en sa possession et soupira. Dehors la tempête ne se calmait pas. La pluie qui continuait de taper fort sur les carreaux des vitres lui donnait l'impression que ces derniers céderaient sous la pression d'un instant à l'autre. Dambi tira une chaise pour s'y écroula, tremblante de toute part.
– Je veux sortir d'ici, murmura-t-elle.
Soobin regarda un peu partout autour de lui, un air perdu sur le visage. Il était hors de question d'affronter à nouveau la tempête qui faisait rage dehors. Hors de question aussi de rester plus longtemps dans cette forêt. Dehors, le ciel ne s'était pas éclairci depuis leur arrivée, rendant l'intérieur de la maison dans laquelle ils se trouvaient encore plus glauque. Il fouina derrière les meubles, dans le moindre recoin de cette cabane à une seule, tentant de trouver le moindre indice de la raison de leur venue. Tu dois rêver. Ça ne peut être que ça. C'est impossible de se téléporter, ça se saurait. Impossible aussi de voyager dans le temps ou ce genre de connerie. Tu rêves forcément. Tu fais un rêve un peu trop réaliste avec tes amis. C'est tout. Réveille-toi bon sang ! Mais l'orage, dehors, lui sembla une nouvelle fois trop réel. Tout comme les pleurs de plus en plus bruyants de sa meilleure amie, pelotonnée dans les bras de Sangmin. Il avait envie de le rassurer, de lui dire que tout irait bien une nouvelle fois, mais Soobin n'en était lui-même pas convaincu.
Soobin...
Il se redressa, les yeux écarquillés.
– Oui ?
– Quoi ? demanda Sangmin.
– Tu ne viens pas de me parler ?
– Mec, non.
– Pardon j'ai... J'ai cru rêver.
Soobin, c'est moi.
– Putain !
– Soobin, tout va bien ?
– La voix ! Vous ne l'entendez pas ?
– Soobin, il n'y a pas de voix...
Ils ne peuvent pas m'entendre.
– Là ! Juste à l'instant ?
– Soobin, tu me fais peur, bredouilla Dambi.
Je ne suis qu'avec toi Soobin. Je suis là pour t'aider.
– Je suis en train de devenir taré, murmura-t-il.
Ça va commencer Soobin. L'île se réveille.
– L'île ?
– Quelle île ? demanda Sangmin.
– Je ne sais pas...La voix... La voix me parle d'une île... Je deviens dingue, je ne comprends rien...
Tu n'es pas arrivé ici par hasard. Tu y as entraîné tes amis sans le vouloir, mais tu peux t'échapper. Tu as vu tes cartes non ? Elles sont les réponses.
– Mes cartes n'ont aucun sens.
– À qui tu parles Soobin..., murmura Dambi.
– Une voix, j'ai une putain de voix dans ma tête...
Il y en a trois.
– Je sais compter ! Sors de ma tête ! Qui que tu sois ! Dégage de là !!
Dambi fut parcouru d'un frisson des pieds à la tête et Sangmin resserra son étreinte atour de ses épaules. Les mains plaquées sur ses oreilles, les yeux clos, Soobin essaya de reprendre son souffle. Calme-toi, calme toi, c'est dans ta tête. Tu vas ouvrir les yeux, et tu vas de nouveau te retrouver dans cette ruelle. Dambi et Sangmin ne seront pas là. Tout va bien se passer. Il appuya sur ses oreilles à s'en faire mal, jusqu'à ne plus entendre la pluie sur les carreaux, les grondements de l'orage au-dessus de leur tête.
Soudain, tout se tut.
Alors il rouvrit timidement ses yeux.
Ils étaient toujours là. Dans la cabane au fond des bois. Dambi et Sangmin le regardaient d'un air apeuré. Dehors, il n'y avait plus un bruit, le calme plat. Un calme si puissant qu'il en devint oppressant. Un calme si grand que la respiration de ses amis devint la seule chose audible dans la pièce. Il se rapprocha d'eux, sans comprendre, Dambi se releva, effrayé.
– Soobin...
– La tempête, souffla-t-elle.
– Soobin il y a quelque chose derrière la porte...
Et ce fut là qu'il l'entendit à son tour. Le bruit d'un ongle trop long qui raclait le bois humide de la porte. Puis deux. Puis trois. Puis beaucoup trop pour les compter. Son sang se figea alors que les bruits se répétaient. Les raclements se firent plus nombreux, plus forts et Sangmin laissa échapper un gémissement de malaise.
– Personne ne bouge, souffla Soobin.
– Tu vas faire quoi, ne t'approches pas, murmura Sangmin.
Son cœur battait bien trop vite, bien trop fort. Pourtant, la curiosité et l'envie de franchir les quelques pas jusqu'à la porte et de l'ouvrir pour soulager ses pulsions étaient là. Mais le bruit des ongles qui grattaient à nouveau la porte le fit changer d'avis. Il continua, encore et encore, jusqu'à se taire subitement. Il se retourna vers ses amis, le teint livide.
Soudain, sorti d'un autre monde, un râle se fit entendre. Il n'avait rien d'humain, rien d'animal non plus et Soobin termina de se liquéfier sur place. Le râle se répéta, avant qu'un autre ne se joigne à lui, puis une dizaine d'autre. Les mains tremblantes, il extirpa à nouveau les cartes de sa poche de jean. Le dessin sur l'une d'entre elle le fit voir trouble.
– Ce n'est pas possible... Ils ne peuvent... pas être là.
– Soobin, de quoi tu parles ?
– Qu'est-ce que vous avez d'autres sur vos cartes ?
– Quel rapport avec les bruits terrifiants dehors ? murmura Sangmin.
– J'espère me tromper, mais...
Il leur tendit la carte du bout des doigts et Dambi releva les yeux vers lui, terrifiée.
– On ne peut pas voir Soobin... souffla-t-elle.
– On aurait dit des morts-vivants. Des monstres aux corps étirés.
Ils étaient en réalité bien pires que ça à ses yeux. Un nouveau tambourinement sourd sur la porte les fit sursauter et il enfonça de nouveau la carte dans sa poche. Les coups recommençaient et cette fois-ci, les râles étaient plus forts, plus rauques. De par le dessin se trouvant sur la carte à jouer, Soobin voyait un schéma terrifiant se dessiner sous ses yeux. Il n'avait jamais eu peur des films de morts-vivants. Par ailleurs, Soobin n'avait pas peur de grand-chose. Il lui en avait toujours fallu beaucoup pour sursauter devant un film, encore plus pour être effrayé dans la vie réelle. Mais ce qui était en train de se passer ?
Soobin réalisa que si, il y avait bien une peur qui avait grandi en lui ces dernières années.
– Ce sont mes parents.
Il y a trois cartes Soobin.
Une pour le passé dont tu dois te détacher.
Une pour le présent qui te définit.
Et une pour le futur que tu choisiras.
[𝐤𝐮𝐤𝐢𝐡𝐢𝐦𝐞 𝐭𝐢𝐦𝐞]
hello tout le monde ! je ne ferais peut-être pas de nda à chaque fin de chapitre, mais je profite du premier chapitre pour souhaiter la bienvenue à celleux qui se lanceront dans cette lecture, et un grand merci pour votre soutien sur cette fiction. écrire avec des personnages originaux m'avaient manqué, je bosse sur cette fiction depuis l'an dernier (en dent de scie à cause de mon emploi du temps, hélas) et je suis ravie de vous retrouver avec cet univers !
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