𝐈𝐈. 𝐡𝐮𝐫𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥𝐚 𝐧𝐮𝐢𝐭
– T-tes parents ?
Sangmin eut l'impression de se décomposer. Comment les parents de Soobin pouvaient ressembler aux ignobles monstres qu'il avait décrits, dessinés sur la carte qu'il leur avait tendue ? Il avait déjà vu les parents de Soobin. Deux personnes agréables, bavardes et toujours souriantes. Soobin tenait d'eux son caractère en or et une bonne partie de ses manières, oubliées par tant de jeunes coréens aujourd'hui. Ils ne ressemblaient pas à ce qu'il imaginait gratter derrière la porte. Son cœur se mit à battre un peu plus fort à mesure que les bruits d'ongles recommençaient, et que Dambi agrippait son bras de plus en plus fort.
– Prenez quelque chose pour vous défendre, souffla Soobin.
– Q-quoi ?
– N'importe quoi Sangmin, ces choses vont entrer d'un instant à l'autre.
Terminant de devenir blême, il recula d'un pas sans lâcher sa petite amie et chercha des yeux le premier objet pouvant faire office d'arme.
– Sangmin, sanglota Dambi.
– On...
Paniqué, le cœur battant la chamade, il chercha désespérément des yeux un endroit par où fuir. Son regard s'attarda sur la cheminée, allumée, puis sur la table, seul meuble imposant avec la vieille commode et l'armoire dans l'endroit où ils étaient. Le reste n'était que de vieilles étagères en bois, tapis et autres babioles inutiles entassées contre les murs de la cabane. Il avisa les balais, réalisant qu'un vulgaire manche en bois ne leur serait d'aucune utilité contre les choses qui menaçaient d'entrer.
– Faut se planquer, murmura-t-il.
Et sans ménagement, il tira ses deux amis vers le seul meuble imposant de la pièce. Il y poussa Dambi qui y rentra sans peine et Soobin l'avisa, paniqué.
– On ne va jamais rentrer...
– Force, cale-toi comme tu veux, tu vois une autre solution ?
Soobin y rentra à son tour, collé tout contre sa meilleure amie et Sangmin s'y glissa avec à peine, presque sur ses genoux. Quand la porte se referma, son angoisse remonta à la surface. Par la légère fissure entre les deux portes de l'armoire, et malgré le reste persistant de saleté sur ses lunettes, Sangmin voyait tout. Ainsi, collés les uns contre les autres, ils se retrouvaient incapables de bouger autrement qu'en ouvrant à nouveau la porte.
Dehors, les monstres ne leur en laissèrent pas le temps. La porte éclata, envoyant des débris de bois partout dans la pièce. Et son souffle se bloqua dans sa gorge. Il distingua à peine du coin de l'œil Dambi plaquer deux mains sur sa bouche, les yeux baignés de larmes. Quand il osa jeter un œil à la pièce, il dut se retenir pour ne pas hurler de terreur.
Jamais Sangmin n'avait vu pareilles abominations, malgré les quelques films horrifiques qu'il avait visionnés par le passé. Les bêtes déboulèrent en amas dans la pièce dans un fracas sourd et se redressèrent, sonnées. Leur corps avait dû être humain, par le passé. Il le voyait à la structure de leur squelette visible à travers leur peau fine et translucide, aux traits tirés de leur visage qui laissait entrevoir la forme des os. Ils avaient des bras bandés par endroit, troués à de multiples endroits comme si on y avait enfoncé des piques fines par centaines, et mal.
Ce fut là qu'il les vit : des aiguilles, minces et brillantes, plantées dans les veines les plus visibles de leur corps de manière totalement aléatoire. Dans le cou, les avant-bras, le haut du dos... Les monstres bardés d'aiguilles se tournèrent vers l'armoire, tous les sens en alerte et Sangmin se figea. Sous lui, Soobin fit de même. La longueur des membres était bien supérieure à la moyenne, et quand Sangmin les vit se déplacer, silencieux comme l'aurait été un félin en traque, prenant appui sur leurs mains et genoux, il manqua de tourner de l'œil : ces choses-là étaient bel et bien réelle et étaient venues chasser. Leurs crânes à peine chevelus se tournèrent dans tous les sens, à l'affût du moindre mouvement et ce fut là qu'il réalisa : ils tâtonnaient du bout de leurs doigts squelettiques le moindre objet devant eux, collant leurs grands yeux vitreux contre eux pour les analyser. À la faible dilatation de leurs narines, il comprit qu'elles ne les sentaient pas. Ils sont presque aveugles et sans odorat, sans doute doivent-ils se repérer aux mouvements.
– Ils ne nous sentent pas, murmura-t-il, si bas qu'il douta un instant que les deux autres aient entendu. Leur vue est mauvaise.
La buée sur ses lunettes se dissipa lentement à mesure que les secondes défilaient. Dans la cabane, les monstres continuèrent de fouiner, tout en contournant avec le plus de précaution possible la cheminée. Sentant le moindre de ses muscles se contracter, s'engourdir et crier de mal-être, Sangmin prit sur lui pour ne pas gigoter et manquer de trahir leur position. Le placard était clairement trop étroit pour eux trois et menaçait de s'ouvrir à tout instant, les exposant aux monstres. Il essaya de décaler son genou des portes, pour ne pas appuyer davantage dessus. La mâchoire crispée, il sentit une goutte de sueur dégringoler le long de son front, rouler jusqu'au bout de son nez pour s'échouer sur sa lèvre supérieure.
Au même instant, un œil vitreux se colla entre le faible entrebâillement des portes. Dambi se retint de hurler, les mains de Soobin plaquées sur ses lèvres, et Sangmin se figea. La chose renifla avec peine, avant d'essayer d'ouvrir la porte de ses doigts noueux. Oh mon dieu non... ses ongles répugnant à quelques centimètres de son visage, Sangmin se tassa du mieux qu'il put, le souffle court, le visage livide.
– P-personne ne bouge, chuchota-t-il.
Et lentement, la porte s'ouvrit en grinçant. Du coin de l'œil, il vit les doigts de Soobin s'enfoncer un peu plus dans le visage de sa petite amie, cette dernière écarquillant les yeux, effrayée. Son souffle se bloqua au même instant, et sans même savoir comment une telle chose lui était possible, Sangmin se retrouva dans une apnée parfaite. Face à eux, la chose pencha la tête, curieuse. Ses petites narines se dilatèrent avec difficulté, et elle secoua la tête, agacée. Quand elle se redressa, dominant l'armoire de toute sa hauteur - qui n'avait plus rien d'humain - Sangmin retint un cri étranglé.
Respire trop fort et tu meurs.
Bouge et tu meurs.
Fais quoi que ce soit et tu meurs.
Elle se pencha à nouveau, laissant entrevoir de plus près sa peau translucide, la couleur anormalement foncée des veines dans son coup et dans ses avant-bras. Ses grands yeux vitreux semblaient peiner à distinguer quoi que ce soit et leurs trois pauvres corps à peine camouflés par les manteaux qui pendaient dans l'armoire. L'une de ses aguilles frôla son visage et une larme de peur lui échappa. Puis, elle se recula sans un bruit. Un râle rauque retentit et l'autre créature se tourna vers elle avant de lui répondre de manière identique. Lentement, elles quittèrent la cabane. Ce ne fut qu'au bout de longues secondes que son meilleur ami se risqua à prendre la parole.
– O-oh mon d-dieu, sanglota Soobin.
– E-elles sont pa-parties ? demanda Dambi.
– J'en sais rien, murmura Sangmin. Elles sont peut-être toujours dehors...
Mais dehors, il n'y avait plus un bruit. Alors il s'extirpa avec délicatesse de l'armoire, leur intimant d'y rester. À pas de loup, il s'approcha de la porte fracassée de la cabane, sentant son palpitant battre de plus en plus fort. Les jambes tremblantes, le visage livide, Sangmin passa timidement sa tête par la porte. Dehors, la nuit était toujours là, la pluie aussi et le vent semblait s'être calmé. Il n'y avait plus aucune trace des monstres dehors. Seulement des traces de leurs pas dans la boue au sol et les résidus du bois de la porte partout par terre. Un frisson lui parcourut l'échine.
– Elles sont parties, oui.
Pourtant, l'impression qu'elles ne tarderaient pas à revenir ne le quittait pas.
Il y a six ans.
Dambi semblait heureuse ses derniers jours. Cela, Sangmin ne doutait pas que son nouveau voisin de classe en était la cause. Il voyait Soobin avec elle à chaque interclasse. Et quelque part, il se sentait enfin rassuré. Ne plus la voir seule était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Alors quand elle lui proposa enfin de boire un café ensemble un samedi après-midi, Sangmin sauta sur l'occasion. Assise sur la banquette à ses côtés, Dambi se dandinait, trop heureuse. Incapable de se retenir, elle lui plaqua un baiser sur chaque joue et Sangmin sentit son pouls s'enflammer.
– Tu es très beau aujourd'hui Sangmin, lui confia-t-elle.
– N'importe quoi, s'étouffa-t-il.
Dambi esquissa un sourire amusé. Sans doute voyait-elle en lui ce que lui peinait à voir. Autre chose sans doute qu'un garçon qui se trouvait trop petit, trop rond, trop myope. Autre chose qu'un garçon qui ne ressemblait pas à ses autres camarades de lycée que mère nature avait décidé de gâter. Quand Soobin arriva, Sangmin réalisa à quel point ils étaient différents. Soobin était plus grand que lui (mais la chose était aisée, alors il ne lui en voulut pas), ses traits étaient déjà ceux d'un jeune adulte à à peine quatorze ans et il se trouva immensément ridicule en face de lui. Il avait un nez fin, parfaitement dessiné, le genre dont les filles raffolaient et un visage trop lisse pour être celui d'un adolescent en pleine puberté. À côté de lui, Sangmin ressemblait à un enfant.
– Salut vous deux ! Enchanté Sangmin, je suis Soobin !
Il se courba poliment et sa voix, posée et enjouée, le mit immédiatement à l'aise. Dambi dévoila son adorable sourire – celui qui lui avait valu tant de comparaison avec un lapin – et l'invita à prendre place. Les yeux de Soobin étaient pétillants avec ce curieux éclat vert clair, presque or, dans une de ses pupilles. Sans le quitter des yeux, Sangmin nota qu'il avait sur le sommet de son nez et ses joues quelques taches de rousseur et Soobin sembla aussitôt noter son regard insistant.
– Ouais, ce sont des vraies. Je les maquille en temps normal, rigola-t-il.
– Il... Il ne faut pas, balbutia-t-il.
– Ha ha, merci ! Vous avez commandé quoi ?
– Le thé à la prune ! Je te le conseille, une tuerie ! s'exclama Dambi.
– Vendu !
– Rooh, je suis tellement heureuse de pouvoir vous présenter...
– Moi de même, enfin je rencontre le fameux petit ami ! Dambi ne fait que chanter tes louanges.
– Oh je...
Gêné, il baissa légèrement les yeux vers le bois de la table. Reprends-toi allons, tu es le plus âgé du lot !
– Je suis très heureux aussi qu'elle ait croisé ta route, balbutia-il.
Depuis, Dambi rentrait avec toutes ses affaires le soir, les cheveux propres et ses tenues impeccables.
– Le café est un peu loin de chez moi, mais il est sympa ! s'exclama Soobin.
– Oh, je... Je viens ici pour éviter les filles du collège, se confia Dambi.
– Ah, les sacs à merde ?
Sangmin s'étouffa avec sa boisson.
– Pardon, j'ai tendance à être cru. Je voulais dire, nos camarades de classe ?
– Celles-ci même.
– Tu ne devrais pas avoir peur d'elles, sérieux.
– Oh, nous avons un passif, rigola Dambi. Mais tout va bien maintenant !
Sangmin se retint de tout commentaire et le visage de Soobin s'assombrit légèrement. Évidemment, il se doutait que Soobin ne connaissait pas un quart de l'histoire. Quelque part, il lui souhaitait de ne jamais l'apprendre.
– On devrait se faire un truc tous les trois un de ces jours, lança Soobin pour changer de sujet. Un cinéma, un karaoké...
– Oh ? Avec nous deux ?
– Bah... Ouais ? J'ai vraiment pas l'habitude de proposer ce genre de chose, j'avoue, je suis plutôt casanier et sans amis, mais Dambi a été si gentille avec moi...
Sans amis. Comment ce garçon pouvait être sans amis ? Les fuyait-il tout simplement ?
– Ça serait si bien !
Il était bien incapable de lui refuser quoi que ce soit.
Alors quelques jours après, ils se retrouvèrent devant l'entrée d'un cinéma. Il avait acheté des pop-corn à sa petite amie qui grignotait en patientant. Il en piocha un en essayant de ne ressentir aucun remord et soupira. Tu peux y aller. Tu n'as fait aucun écart cette semaine... Soobin arriva quelques minutes plus tard et les salua rapidement avant de filer à la borne prendre son ticket. Sangmin s'approcha pour l'aider à commander ensuite ses snacks pour la séance et Soobin le remercia, visiblement incapable de trancher sur quelle friandise choisir.
– Eh, planche à pain !
La voix juste derrière lui le fit sursauter. Et quand ils se retournèrent, son visage se décomposa. Avant même que l'autre fille puisse déblatérer une s'insulte de plus, Soobin retira sa carte de la borne et ils s'interposèrent.
– Oh. Salut vous deux.
Sans surprise, la fille le regarda à peine, son regard allant se poser directement sur Soobin. Dambi avait baissé les yeux, les joues rouges.
– Vous allez voir quoi ?
– Ça, lança Soobin en désignant la première affiche de film d'horreur à sa portée.
– J'vous suis !
Sangmin entrouvrit la bouche et Soobin écrasa son pied, lui intimant de se taire. À ses côtés, Dambi ne disait plus un mot, un faux sourire plaqué sur le visage. Aussitôt qu'elle eut le dos tourné, Soobin se rua vers les ascenseurs les menant à leur salle et bourrina le bouton de leur étage.
– Aller, qu'elle apprécie son massacre à la tronçonneuse cette conne, siffla-t-il. Seule.
Dambi étouffa un rire et Sangmin le dévisagea.
Ce jour-là et tous ceux qui suivirent, il en apprit beaucoup sur Soobin. Il était fils unique, et ses parents étaient les personnes les plus adorables que cette terre ait connues. Il était un élève moyen, qui n'appréciait que très peu travailler. Soobin aimait bien le dessin, les voyages et la musique. C'était un garçon solitaire de nature, qui n'avait jamais vraiment apprécié traîner en groupe. Soobin avait quelque chose d'hypnotisant, de parfaitement fatale dans sa manière d'être, de se mouver, de parler. Et jour après jour, Sangmin plongea tout comme Dambi.
Il ne leur fallut qu'un petit mois pour former un trio inébranlable.
Qu'un mois pour que Dambi, Soobin et lui ne se jurent de rester amis pour toujours.
Peu importe où nous mène la vie, avaient-ils clamé en cœur.
* * *
La vie ne les avait jamais éloignés. Même là, dans ces bois lugubres dans lesquels ils marchaient les uns glués aux autres. Même en temps de crise, même si la peur tentait une nouvelle fois ce soir-là de les faire céder.
– Pourquoi tu as parlé de tes parents Soobin, murmura Dambi pour rompre le silence.
– Parce que c'est la première chose qui m'est venu à l'esprit, souffla-t-il.
Sangmin se renfrogna : l'explication venait de le convaincre qu'à moitié. Les parents de Soobin n'étaient pas – aux dernières nouvelles – d'affreux monstres aux corps difformes et aux sens défaillants. Mais les bruits de la forêt dans laquelle ils progressaient dans le noir de la nuit l'empêchèrent d'enquêter davantage. Le moindre son semblait trouver un écho partout autour d'eux, raidissant son corps un peu plus à chaque fois. Sans doute les monstres avaient-ils continué leur traque plus loin. Il n'était qu'une question de temps avant qu'il ne les retrouve. Et après... Sangmin ne voulait pas y penser. Il redressa ses lunettes sur son nez, pestant mentalement sur les gouttes de pluie rendant sa vision plus que mauvaise. Son cœur battait fort, et à mesure qu'ils avançaient sans savoir où réellement se rendre, Sangmin perdrait espoir de trouver un sens à tout ça.
– Tout à l'heure, murmura-t-il. Tu as parlé d'une île ?
Soobin frissonna.
– Ouais.
– Ta voix ne peut pas nous en dire plus ?
– Sangmin, ce n'est pas sur commande... J'ai cru devenir dingue ne l'entendant, je ne veux plus entendre ça du tout.
– Est-ce qu'on n'est pas tous en train de devenir fou de toute façon ? Sinon comment tu expliques ce qui se passe...
– Ne dis pas ça, bredouilla Dambi.
– Chut, taisez-vous, souffla Soobin.
Ils se figèrent tous ensemble, plaqué les uns contre les autres. Autour d'eux, le silence régna à nouveau. Mais Sangmin était persuadé lui aussi de l'avoir entendu. Quelque chose qui se faufilait sous les branches. Quelque chose de petit, mais suffisamment lourd pour qu'ils l'entendent. Quelque chose de petit et rapide. Il plissa les yeux, dans l'espoir de finalement voir quelque chose à travers ses verres trempés et l'obscurité grandissante, en vain. Sa vision était troublée, mauvaise, et il abandonnant rapidement.
– Ça remue sous nos pieds, continua Soobin.
– Ne dis pas ç-ça, gémit Dambi.
– Tu ne sens pas ?
– S-si, just-justement...
– Ok, on va rester calme...
Soudain, un cri horrible déchira la nuit. Un inhumain, qui lui rappela immédiatement ceux des monstres de la cabane. Ses deux jambes cédèrent sous la panique et Soobin le rattrapa in extremis.
– Sangmin !
– Je... Je veux pas, je veux pas revoir ces choses... Elles craignent le feu, on a p-pas de f-feu...
– Ok, calme-toi, calme-toi...
Et maintenant, la sensation des choses grouillant et rampant sous ses pieds ne faisait que s'accentuer. Il crut sentir quelque chose ramper sur sa jambe et la frotta avec énergie, effrayé. Quelque part dans les bois sombres et humides, un nouveau cri inhumain résonna.
– Ils ne nous verront pas, il fait trop sombre et... Elles ne nous sentent pas non plus...
– Elles nous remarqueront avec nos mouvements, souffla Sangmin.
– Où va-t-on, sanglota Dambi.
– Soobin, demande à ta voix...
– Je ne veux pas putain, siffla-t-il. Cette voix va me rendre dingue, j'veux pas entendre ça !
Soobin secoua la tête, renfrogné et plaqua d'un seul coup ses deux mains sur ses oreilles. Un juron lui échappa et non loin d'eux, une nouvelle branche craqua, leur arrachant un hurlement strident.
– N-nos cartes, gémit Soobin.
– Tu l'entends ? Tu entends ta voix ?
– Putain, oui ! Arrête de me parler ! Lâche-moi !
Dambi se cramponna à son meilleur ami, les yeux brillants.
– Tout va bien se passer Soobin !
– NON ! SORS DE MA PUTAIN DE TÊTE CONNASSE !
Dambi recula d'un pas, effrayé, trébuchant dans ses bras et Sangmin la réceptionna avec maladresse. Devant eux, Soobin se plia en deux, ses deux mains cramponnant se tignasse sombre. Son corps tout entier tremblait et malgré la luminosité faible, Sangmin distingua sa peau luisante de sueur et de pluie.
– Mes putain de cartes, prends ces putain de cartes, allez !
Sous ses yeux effarés, il le vit extirper ses trois cartes de la poche de son jean et les agiter dans le vide.
– Soobin, murmura Dambi. Les monstres... Si tu continues-
– Dambi, attend, protesta Sangmin.
Il s'approcha de son ami, une main tendue en avant pour l'apaiser.
– Eh, Soob... Explique-nous tes cartes, ok ?
– J'vous ai déjà dit... J'ai des monstres, des putains de monstres avec des aiguilles... Une avec une porte, ça n'a aucun sens !
– Et la troisième ?
– Un chat. C'est débile, j'ai juste un putain de chat sur ma carte.
Sangmin secoua la tête, désemparé. Autour d'eux, la forêt s'était faite à nouveau étrangement silencieuse.
– Vous croyez que ce qu'il y a sur nos cartes va se réaliser ? murmura Dambi.
– Je ne suis pas sûr, souffla Soobin. La voix... La voix m'a parlé du passé, du présent, et du futur...
Dambi extirpa de nouveau ses cartes, plus pâle que jamais et Sangmin l'imita.
– Je ne comprends rien, sanglota-t-il.
Les doigts tremblant, Sangmin riva son regard sur ses propres illustrations. Il se reconnaissait entre mille, lui, le garçon qu'il avait détesté au lycée. Lui le garçon qui ne rentrait pas dans les bonnes cases et qui avait détesté son corps. Lui le garçon qui avait été moqué jusqu'au lycée pour ses joues rondes et ses petits yeux de myopes. Le passé hein... Un passé avec lequel je n'ai toujours pas fait la paix. Sur la seconde, le visage de Dambi lui donna un nouveau frisson. Il eut envie de la rassurer, mais les mots lui manquèrent. Comment le pouvait-il ? La seule chose qui hantait son esprit, c'était eux. Ces choses qui rôdaient dans les bois, très certainement à leur poursuite.
Les bois étaient trop calmes. Le vent s'était apaisé lui aussi, comme pour leur laisser un instant de répit. Mais Sangmin n'était pas dupe. Alors, ressentant à nouveau cette impression désagréable d'être observé et d'avoir de nouveau les pieds sur quelque chose de grouillant il baissa les yeux. Il les plissa, forçant sa mauvaise vue à s'adapter malgré ses verres épais et trempés. La chose sous son pied fila et lui arracha un hoquet de stupeur.
– Les gars...
– Quoi ? murmura Dambi.
– Il faut qu'on bouge d'ici.
Il essaya de relever Soobin, resté accroupis au sol et ce dernier laissa échapper un gémissement d'inconfort.
– Elle ne veut pas sortir de ma tête, murmura-t-il.
– Soob, s'il te plaît...
– Sangmin, elle ne sort plus de ma tête !
Il releva vers lui son regarda apeuré et Sangmin se figea, les bras sous ses aisselles. Les branches au-dessus de leurs têtes s'agitèrent mollement et Sangmin le pressa de plus bel. Quand enfin, il se redressa, Sangmin le poussa en avant le forçant à avancer. Dambi les suivit en silence d'un pas mal assuré. Ils progressèrent dans le silence encore de longues minutes, avant que l'impression ne s'amplifie, encore et encore. Un bruit sous les feuilles le fit tressaillir et il se retourna, aux aguets.
– Vous avez entendu ?
– Oui, murmura Dambi.
Et tout à coup, une masse sombre se jeta sur eux. Sangmin hurla, aussitôt imité de Dambi tandis que Soobin chuta au sol, emprisonné par la masse qui venait de jaillir de l'ombre. La chose hurla, faisant ressortir ses dents immenses et les os de ses omoplates, saillantes et pointues.
– AIDEZ-MOI !
La chose releva la tête vers eux, son menton dégoulinant d'un liquide transparents et visqueux et Sangmin les vit alors. Les petites aiguilles plantées dans sa chaire translucides, ses membres trop grands et ses yeux vitreux. Elle empoigna Soobin par sa tignasse sombre et l'éleva, sentant son visage et son corps. Paralysé des pieds à la tête, son esprit lui bloqua tout accès à ses jambes. Il eut l'impression de se retrouver collé au sol, incapable d'effectuer le moindre mouvement. Et tout à coup, il se trouva trié en arrière, de puissants ongles enfoncés dans son épaule. Un hurlement de terreur lui échappa quand il réalisa qu'une deuxième créature venait de rejoindre la première.
– DAMBI !
Sous ses yeux, sa petite amie s'effondra presque. Sentant ses pieds quitter lentement le sol de la forêt, il essaya de puiser dans ses dernières ressources pour lui hurler de s'enfuir avant que la main froide et osseuse du monstre ne vienne emprisonner son visage. Finalement, la dernière chose qu'il entendit fut la voix de Soobin, redevenue forte et puissante dans un dernier élan de bravoure.
– COURS DAMBI ! SAUVE-TOI !
[𝐤𝐮𝐤𝐢𝐡𝐢𝐦𝐞 𝐭𝐢𝐦𝐞]
on est un vendredi 13 ~ le hasard du calendier fait bien les choses, à bientôt pour la suite ~
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